vendange egypteS'intéresser à l'histoire du vin, cette enivrante création millénaire de l'homme à partir du fruit de la vigne, le raisin ; c'est s'intéresser à l'histoire économique, culturelle, politique et religieuse de l'Antiquité. Si cette boisson est intégrée à l'alimentation de l'homme, elle l'est aussi et avant tout pour ses plaisirs, sa culture, ses traditions jusqu'à sa religion au point d'apparaître comme un ferment civilisationnel. En effet, la vigne et le vin évoquent les origines de civilisations allant du Caucase néolithique à la Grèce antique sans oublier la Mésopotamie ou l'Égypte pharaonique.

 

La vigne : une plante préhistorique

L'existence de la vigne remonte aux temps préhistoriques. En témoignent les restes fossilisés d'une vigne, retrouvés dans la Marne entre Troyes et Reims, datant du Paléocène (de -65 à -55 millions d'années). De nombreuses espèces de vignes provenant des âges tertiaire et quaternaire ont ainsi été retrouvées à l'état fossile en Toscane, en Italie du Nord, aux environs de Montpellier et sont conservées comme au musée de paléontologie de Lavoulte-sur-Rhône. Selon les variations climatiques, notamment à l'âge quaternaire où alternent différentes périodes de glaciation, ces vignes trouvent refuge principalement dans le pourtour du bassin méditerranéen d'une part, et au sud du Caucase entre la mer Noire et la mer Caspienne d'autre part, soit les actuelles Arménie et Géorgie, pays auxquels on attribue traditionnellement l'apparition du vin.

Toutefois, suite au réchauffement (optimum postglaciaire) ayant suivi la dernière période glaciaire, la vigne fait son retour à l'intérieur du continent européen. Des vestiges fossiles datant du néolithique ont été trouvés entre autre dans la vallée du Neckar en Allemagne et jusqu'au Sud de la Suède. Mais la vigne recule à nouveau à la faveur d'un refroidissement instaurant notre régime climatique actuel pour se limiter aux environs du cinquantième parallèle – passant dans le Nord de la France –. C'est aujourd'hui encore – à quelques exceptions microclimatiques – la limite septentrionale de culture de cette plante.

De la vigne sauvage à la vigne cultivée

Communément désignée sous le terme de vigne sauvage ou lambrusque, cette vigne datant de la préhistoire – et qui existe toujours – n'a rien à voir avec notre vigne actuelle. Impropre à la vinification, elle apparait sous forme de lianes s'élevant le long des arbres à des dizaines de mètres de haut et réservant ses fruits principalement aux oiseaux. Ses raisins, trop petits et trop acides pour en faire du vin, sont cependant l'objet de cueillette au moins depuis le Paléolithique inférieur (entre –500 000 et –120 000 environ).

Coiron Ardeche feuille de vigne fossile du PlioceneeReste qu'il est communément admis que la vigne sauvage, de son nom scientifique vitis vinifera silvestris, est à l'origine de notre vigne actuelle, vitis vinifera sativa. Déjà en 1826, le naturaliste Demerson écrit : « L'espèce connue sous le nom de lambrusque est la source des innombrables variétés obtenues par l'art du cultivateur », soit les milliers de différents cépages composant aujourd'hui le vignoble mondial. D'après tant les archéologues, les paléobotanistes que les ampélographes étudiant le génome des vignes, la transformation des vignes sauvages en notre vigne cultivée serait le long et minutieux travail de l'homme il y a plusieurs milliers d'années, tel que l'évoque la légende de Noé avec la plantation de la vigne suite au déluge il y a quelque 7 500 ans.

La naissance du vin

Si la Bible fait de Noé le premier viticulteur, l'Épopée de Gilgamesh, vieille de quatre millénaires, convoque également cette boisson dans son récit, attestant que la vinification existe depuis des temps reculés. Alors que son essor est généralement considéré comme datant du troisième millénaire avant J.-C. dans le berceau mésopotamien, la naissance du vin apparaît bien plus ancienne.

Livresse de Noe fresque de la chapelle Sixtine Michel-AngeDepuis plusieurs années, recherches et débats se multiplient pour retrouver les plus anciennes traces de vin. Des traces de vinification à travers un résidu présent sur la paroi d'une jarre vieille de 5 400 à 5 000 avant J.-C. ont été retrouvées sur le site iranien de Hajji Firuz Tepe, au nord des monts du Zagros. Les hommes du Néolithique boivent du vin. Par ailleurs, deux sites vieux de 8 000 ans dans les zones montagneuses de Transcaucasie, Shulaveris Gora et Arslan Tepe, ont également livré des pépins de raisin de vigne cultivée et des céramiques présentant des traces de vin. Ainsi, à la lumière des dernières découvertes, il s'agirait de la région de naissance de la domestication de la vigne afin de produire du raisin fermenté.

La culture de la vigne et du vin s'est ensuite répandue à travers la Mésopotamie, domestiquée entre autre par les Sumériens, les Babyloniens, les Assyriens, les Égyptiens, les Hébreux, les Phéniciens, etc., puis s'est diffusée tant à l'Ouest qu'à l'Est. La présence de raisin est attestée en Inde vers -500 sans que l'on puisse affirmer s'il est consommé comme fruit ou boisson fermentée. Toutefois, la consommation de vin est connue en Chine dès le IIe siècle avant notre ère, sous la dynastie Han. C'est cependant à partir de la Crète et de la Grèce que la viticulture, arrivée aux environs de -2 500, connaît une véritable expansion. Grâce au commerce maritime en Méditerranée, la vigne et le vin s'inscrivent durablement dans les civilisations occidentales.

Aux origines du vin : un objet cultuel

Viticulture et vinification dans lEgypte .antiqueDès le Néolithique, la vigne et le vin apparaissent avoir joué un rôle fondamental dans les pratiques religieuses, avant tout comme offrande tant divine que terrestre. Loin d'être un produit de consommation courante, le vin est considéré comme un produit de luxe permettant de faire l'intermédiaire entre l'homme et le divin. Qu'il s'agisse du soma des peuples indo-européens au troisième millénaire avant J.-C. ou du haoma des anciens Perses, à chaque fois il s'agit d'un breuvage d'immortalité offert aux dieux et bu par les fidèles lors des cérémonies religieuses.

Sans que nous puissions dire l'exacte composition de ces boissons fermentées, le vin s'impose comme la boisson sacrée des dieux, conférant l'immortalité comme le conte l'Épopée de Gilgamesh. Dans ce texte littéraire, le plus ancien connu de l'ancienne Mésopotamie, écrit en cunéiforme sur douze tablettes d'argile, les deux dernières introduisent la vigne et le vin pouvant donner l'immortalité à Gilgamesh si la permission d'en boire lui est accordée. La boisson fermentée se retrouve ensuite dans un texte sacré perse du deuxième millénaire avant J.-C., l'Avesta avant d'occuper une place toute divine aux côtés de Dionysos dans la mythologie grecque. C'est en effet ce dernier qui enseigne à Oreste, fils d'Agamemnon et de Clytemnestre comment planter la vigne.

Boisson sacrée des Dieux et des héros, le vin est aussi le breuvage des rois les accompagnant jusque dans leur tombe. À ce titre, le vin participe aux pratiques funéraires. Dans l'Égypte prédynastique, à l'intérieur d'une sépulture datée de -3300/-3150 et attribuée au roi Scorpion Ier (royaume de Nagada III), 700 jarres remplies d'un vin résiné ont été retrouvées, soit pas moins de 4 500 litres pour accompagner le défunt dans l'au-delà. Les 26 amphores vinaires provenant du mobilier funéraire de Toutankhamon apparaissent bien modestes en comparaison.

Le vin ou tout du moins une boisson fermentée aux effets psychotiques et euphorisants, bénéficie, dès la domestication de la vigne sauvage, d'une place de choix dans les civilisations du pourtour méditerranéen et de Mésopotamie. Et pour reprendre l'expression de Jean-Pierre Brun, historien spécialiste de la viticulture antique, le vin apparaît aux côtés du blé et de l'huile comme de véritables « vecteurs et symboles de civilisation », s'inscrivant dans l'espace et le temps. La Gaule n'allait d'ailleurs pas tarder à découvrir ce mythique breuvage.

Les grecs seraient à l’origine de l’implantation des vignes dans le sud de la Gaule depuis leur colonie de Massalia (Marseille). Le développement de la production de vin est rapide, et la production locale, de qualité, rentre en concurrence avec le vin de la péninsule italique. Au début du Moyen Age, la production s'effondre à la suite des grandes invasions, et se regroupe autour des abbayes et monastères, le vin étant essentiel à la communion des chrétiens. Pas très facile à boire, le vin de l'époque est souvent agrémenté de miel, d'épices ou d'herbes. La région bordelaise, sous domination anglaise, doit sa prospérité à son vignoble dont la production est exportée à londres. A la fin du Moyen ge émerge de grandes propriétés viticoles, et l’usage de bouteilles en verre et du bouchon en liège dopent le commerce du vin.

L’âge d’or de la viticulture

Le Moyen Âge peut être considéré comme l’âge d’or du vin, et ce dès les Carolingiens où, déjà, il contribue au prestige. Ce succès s’explique par différentes raisons, la première étant évidemment la place du vin dans la messe, pour célébrer l’eucharistie. La viticulture est de plus parfaitement adaptée aux conditions sociales du Moyen Âge et ne nécessite pas de lourds investissements. L’apogée du vin intervient au XIIIe siècle, et les goûts évoluent vers la fin du Moyen Âge, le vin rouge ou le rosé (appelé aussiclairet) remplaçant peu à peu le vin blanc. 

Elément fondamental de l’eucharistie, le vin tient logiquement un rôle majeur dans la vie des moines, et les abbayes son très actives dans le développement de la vigne, notamment aux XIIe et XIIIe siècles. Rois et seigneurs tiennent leur place, d’abord parce que le vin est une ressource non négligeable. Assez rapidement, il devient en plus un élément de prestige : on doit posséder des vignobles renommés, et présenter un vin de qualité à ses convives lors des banquets.

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Les seigneurs délèguent aux paysans la culture de la vigne par le biais de contrat dits de complant : au bout de quatre à sept ans, ils deviennent propriétaires de la moitié de la vigne plantées, le seigneur s’arrogeant l’autre moitié. Enfin, le vin est très présent dans les villes. Parce que les citadins sont de gros consommateurs, certes, mais aussi parce que les évêques s’y intéressent à double-titre : le rôle religieux du vin, et les ressources qu’il génère. Les ports tiennent une place importante dans le succès du vin car, outre la consommation bien connue des marins, ils permettent son exportation à l’étranger.

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Le travail du vin présente de nombreux aspects : la « conduite » de la vigne, le calendrier de la vigne et les outils viticoles (serpe, bêche, houe,…), la vinification (le vin est foulé, pressé puis fermenté) et sa conservation dans différents types de tonneaux (de plusieurs centaines de litres), placés dans des caves ou des celliers. Les vignerons ne font pas vieillir longtemps le vin, qui est bu dans l’année.

Consommation et usages du vin au Moyen Âge

Un traité du XIVe siècle de Pietro de Crescenzi répertorie treize variétés de raisins blancs, huit de noirs. « Dans le raisin, tout est bon ! » : le raisin est consommé frais, mais aussi cuit, notamment dans les recettes du taillis, où il est associé aux figues et aux pommes. Le vin lui-même est utilisé en médecine (il permettrait de bien digérer, bien uriner, tout en développant les capacités sexuelles et en rendant joyeux !), ou encore pour la cuisson, et en tant que vinaigre, verjus ou moût ardent (moutarde).

Au Moyen Âge, tout le monde boit du vin, y compris les enfants (avant sept ans, on leur coupe avec un peu d’eau quand même) et les femmes, dont une certaine retenue est toutefois exigée. Le vin bénéficie de ce succès car l’eau est considérée comme polluée, et la bière et le cidre sont socialement dévalués. On sert le vin à la demande, très frais, « à la rigolade », selon un cérémonial souvent complexe. Les pots de vins évoluent au cours du Moyen Âge, de la célèbre corne au verre, généralement décoré. Pour la consommation, on utilise également des dressoirs.

Bien entendu, il y a de bonnes et de mauvaises manières de boire le vin. Ainsi, seuls les vulgaires lèvent le coude, et il convient de s’essuyer la bouche avant de boire et de ne pas renverser du précieux breuvage. Pendant une grande partie du Moyen Âge, l’ivresse est loin d’être mal vue. Il faut dire que les banquets tournent souvent à la beuverie…Si « l’eau fait pleurer, le vin fait chanter » et l’ivresse est même considérée comme circonstance atténuante en cas de crime ! Elle n’est en effet pas considérée comme un pêché capital. Malgré tout, la situation évolue et, à partir du XVe siècle, l’ivresse commence à être mal vue…

Le développement de la culture de la vigne

vignes californieAu sein des empires britanniques et espagnols émergent de nouvelles régions viticoles dès le XVIe siècle la ou s'implantent les colons venus d’Europe : Chili, Californie, Afrique du Sud, Australie… A la fin du XIXe siècle, le vignoble européen est dévasté par le phylloxérale phylloxéra, un insecte importé accidentellement du nouveau monde, et sera sauvé par des greffes de ceps venus d’Amérique du nord et plus résistants. La production reprend et s’oriente vers la quantité. L'exacerbation de la concurrence, amplifiée par la mondialisation, incite désormais les vignerons à produire des vins de qualité avec des méthodes plus respectueuses de la tradition et de l’environnement. De nombreux vignobles sont désormais protégés par des appellations d’origine contrôlée (AOC).

Bibliographie

- L'Incroyable histoire du vin - De la préhistoire à nos jours, 10 000 ans d'aventure, de Benoist Simma. Les Arenes, 2022.

Histoire du vin en France, de Eric Birlouez. Ouest France, 2020.

- Roger Dion, Histoire de la vigne et du vin en France, des origines au XIXe siècle, CNRS Éditions, 2010 (1ere édition 1959).

Pour aller plus loin

-Archéologie du vin (Inrap)

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