robert-e-lee.jpg-5911En août 1861, la situation militaire s’annonce particulièrement morose pour les Nordistes. La défaite de Bull Run (21 juillet) a envoyé une onde de choc qui a ébranlé l’Union tout en coupant court aux espoirs de victoire rapide des Fédéraux sur le théâtre d’opérations principal, en Virginie. Celle de Wilson’s Creek (10 août), si elle n’a pas été aussi cuisante, n’en a pas moins coûté la vie au général Lyon, mettant ainsi un coup d’arrêt à la progression nordiste dans le Missouri. Avec la neutralité du Kentucky, scrupuleusement respectée, le Nord a tout simplement perdu l’initiative. La balle, à ce moment, est dans le camp du Sud, et celui-ci va s’efforcer d’en profiter pour reconquérir le terrain perdu en Virginie.
 

Un cadeau empoisonné pour le général Lee

Après avoir, en avril, refusé le commandement des troupes fédérales de Washington (un rôle qui allait échoir au malheureux McDowell), le colonel Lee avait démissionné de l’armée pour se mettre au service de son État, la Virginie, et cette dernière l’avait récompensé en le plaçant à la tête de sa milice. Toutefois, celle-ci avait été peu à peu intégrée à l’armée provisoire de la Confédération et mise à la disposition des généraux Beauregard et Johnston, dans le nord de l’État. Tant et si bien qu’en août 1861, la milice virginienne était à peu près vidée de sa substance.

Robert Edward Lee, né en 1807, était le huitième enfant d’un héros de la guerre d’Indépendance (1775-83), Henry Lee. Ce dernier, commandant de cavalerie, s’y était distingué et avait acquis le surnom de Light Horse Harry (« Harry Cavalerie Légère »), avant de servir comme gouverneur de la Virginie de 1791 à 1794. Henry Lee mourut en 1818, laissant sa famille sans ressources, et le jeune Robert ne dut qu’au prestige familial la chance de se voir offrir une place au sein de l’académie militaire des États-Unis à West Point, dans l’État de New York. Cette dernière était alors une des meilleures écoles supérieures de tout le pays, et Lee ne laissa pas échapper pareille chance, en sortant deuxième de sa promotion en 1829. Deux ans plus tard, il renforça sa position sociale en épousant une parente éloignée du premier président des États-Unis, George Washington.

Les Lee eurent en tout sept enfants, dont trois fils qui allaient tous servir dans l’armée confédérée, deux d’entre eux y devenant généraux – tout comme un cousin éloigné et un des neveux de Robert Lee. Au cours des années qui suivirent, Lee allait faire carrière dans le corps du Génie. Considéré très tôt comme un futur général, il n’en allait pas moins longtemps végéter, la taille réduite de son arme (moins de 200 hommes en comptant les cartographes) et les règles rigides de promotion alors en vigueur le maintenant au grade de capitaine, en dépit d’un service très méritoire durant la guerre contre le Mexique (1846-48). Nommé superintendant de West Point en 1852, Lee y demeura jusqu’en 1855.

Lorsque Jefferson Davis, alors secrétaire à la Guerre, accrut les effectifs de l’armée en créant notamment le 2ème régiment de cavalerie, Lee se trouva en haut de la liste pour en devenir le lieutenant-colonel. Il quitta donc l’arme dans laquelle il avait servi durant un quart de siècle pour aller rejoindre sa nouvelle unité au Texas. Davis allait se souvenir de Lee et de sa réputation. À l’été 1861, il lui offrit le grade de général dans l’armée confédérée, que Lee, jusque-là cantonné à des tâches administratives, accepta. Toutefois, le nouveau promu allait passer l’essentiel de la guerre à porter, hormis en de rares occasions solennelles, un uniforme de colonel : il estimait plus convenable d’attendre, pour porter les insignes de général, la fin de la guerre et une promotion « officielle » dans l’armée régulière confédérée.

Le président sudiste estimait que son pays se devait de défendre chaque pouce carré de son territoire : c’était une preuve de souveraineté importante pour la stratégie globale de la Confédération, qui visait la reconnaissance et le soutien des puissances européennes, Grande-Bretagne en tête. Lee fut donc chargé, en août 1861, de reconquérir l’ouest de la Virginie en coordonnant les différentes armées sudistes qui s’y trouvaient. Ce commandement d’importance était un vrai cadeau empoisonné : mal entraînées, ses forces étaient très dispersées et peu nombreuses. La seule chance de Lee était de les concentrer pour affronter séparément les petites garnisons fédérales qui tenaient la Virginie occidentale.
 
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La Virginie occidentale. Carte de l'auteur, d'après un fond du site Yellowmaps.
 

Une offensive manquée

Les troupes confédérées déployées en Virginie à l’ouest des Appalaches constituaient deux forces principales, l’armée de la Kanawha et l’armée du Nord-Ouest. La première était sous le commandement conjoint de John Floyd, l’ancien secrétaire à la Guerre sous la présidence de James Buchanan, et Henry Wise, le prédécesseur de John Letcher au poste de gouverneur de la Virginie. Ni l’un ni l’autre n’avait la moindre expérience militaire et leurs forces se montaient à environ 3.500 hommes en tout. Elles étaient déployées dans la haute vallée de la rivière Kanawha, au sud-est de Charleston, une des principales villes de Virginie occidentale.
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La seconde, plus importante, comptait quelques milliers d’hommes et stationnait au sud de Grafton. Depuis la mort du général Robert Garnett à Corrick’s Ford en juillet, elle était aux ordres de William Loring. Lee en prit plus ou moins le commandement direct, mais il se retrouva bien vite confronté à un cauchemar militaire : imbroglio logistique, conditions sanitaires déplorables et manque de moyens limitaient considérablement les possibilités de sa maigre force. Une anecdote rapportée par Bruce Catton veut que ce soit vers cette époque que les cheveux de Lee commencèrent à blanchir ; le général, qui portait jusque-là la moustache, voulut « compenser » en se laissant pousser la barbe, mais celle-ci poussa blanche.
 
Avant même l’arrivée de Lee, Floyd avait pris l’initiative de passer à l’attaque dans la vallée de la Kanawha. Le 26 août, il surprit un régiment de l’Ohio dans son campement à Kessler’s Cross Lanes et le mit en déroute. Cependant, il ne profita pas de ce succès facile pour marcher sur Charleston. En lieu et place, il se retira sur une position défensive à Carnifex Ferry. Une erreur stratégique qui permit aux Nordistes de masser dans la région 5.000 soldats commandés par William Rosecrans. Ce dernier attaqua les positions de Floyd le 10 septembre. Malgré des pertes faibles, Floyd était dépassé en nombre et avait été légèrement blessé : il effectua un nouveau repli, blâmant Wise d’être le responsable de la défaite. Ramenée bien plus à l’est, l’armée de la Kanawha n’allait plus jouer aucun rôle offensif, jusqu’à ce qu’elle soit transférée dans le Kentucky début 1862.

GenJoseph_ReynoldsDe son côté, Lee prit aussi l’offensive, visant les 1.800 hommes du général Joseph Reynolds, qui avaient établi une position fortifiée au sommet de Cheat Mountain, une hauteur dominante. Le commandant confédéré élabora un plan complexe, une attaque en tenailles par trois brigades totalisant 4.500 soldats. Mais le terrain montagneux, l’épaisse forêt recouvrant la région, le mauvais temps, sans parler de l’inexpérience de soldats rendus souvent malades par la précarité de leurs conditions de vie, en compliquèrent l’exécution. Le 12 septembre, les trois brigades confédérées livrèrent une série d’attaques non coordonnées, et leurs commandants timorés se mirent rapidement sur la défensive. Des contre-attaques nordistes s’ensuivirent et le 15 septembre, Lee préféra jeter l’éponge et se retira. La bataille de Cheat Mountain s’achevait sur un incontestable succès fédéral.

L’hiver arrive

Le général Lee avait laissé derrière lui, pour couvrir sa retraite, une petite force, commandée par Henry Jackson. Postée sur la Greenbrier River, non loin de Cheat Mountain, elle y fut assaillie le 3 octobre par les forces de Joseph Reynolds, qui s’était enhardi après son succès précédent. L’accrochage fut indécis mais, contrairement à ce qu’il espérait, Reynolds ne parvint pas à chasser entièrement les Confédérés du voisinage de sa base d’opérations à Cheat Mountain. Lee profita du temps ainsi gagné pour tenter de rejoindre, avec le gros de ses forces, l’armée de la Kanawha. Mais le temps automnal et les difficultés du terrain firent à nouveau sentir leurs effets, forçant Lee à annuler l’opération.

milroyLe général était à présent face à de sévères critiques de la part de la presse sudiste, en particulier virginienne. Lee n’avait pas perdu la confiance de Davis, mais le président confédéré n’eut bientôt plus d’autre choix que de le rappeler à Richmond et le 30 octobre, Lee fut relevé de son commandement. Le 3 novembre, il fut placé à la tête du nouveau département militaire englobant la Floride, la Géorgie et la Caroline du Sud, où il devait notamment préparer les défenses côtières. Davis espérait ainsi que Lee pourrait se faire oublier en passant quelques temps loin de la capitale.

Pendant ce temps, le commandement de l’armée du Nord-Ouest échut à Henry Jackson, puis au colonel Edward Johnson. Ce dernier établit ses quartiers d’hiver encore plus au sud, sur un sommet nommé Allegheny Mountain. Le 13 décembre, une force nordiste aux ordres de Robert Milroy tenta de l’en chasser. Les Sudistes gardèrent l’avantage, grâce à un usage judicieux de leur artillerie et à leur commandant, qui mena une charge à la baïonnette au moment opportun, forçant les Fédéraux à se retirer. Un fait d’armes qui lui valut d’être surnommé par la suite « Allegheny » Johnson.

Edward_Johnson_generalL’armée du Nord-Ouest demeura à Allegheny Mountain jusqu’en mars 1862, après quoi elle fut d’abord amputée d’une partie de ses effectifs, transférés dans l’est du Tennessee. Puis, le mois suivant, Johnson reçut l’ordre de traverser les Appalaches afin de rejoindre l’armée de la Shenandoah, désormais commandée par Stonewall Jackson, le héros de la bataille de Bull Run. La Confédération n’aurait plus jamais l’occasion de reconquérir la Virginie occidentale, se contentant d’y livrer une campagne de guérilla par des unités de partisans. Le contrôle de la région par les forces nordistes permit aux unionistes de Virginie d’y établir l’État de Virginie occidentale, qui sera intégré à l’Union en 1863.
 

Sources

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