Fopo_reenactersDans l’imaginaire collectif, la guerre de Sécession demeure le conflit des « Bleus » (les Nordistes) contre les « Gris » (les Sudistes), en référence à la couleur des uniformes portés par les soldats des deux camps. Cette vision correspond à l’acception contemporaine de la notion d’uniforme, dans laquelle la standardisation demeure la caractéristique première. Il en résulte pour le conflit qui nous occupe l’impression d’une certaine pauvreté, notamment en comparaison des uniformes flamboyants et variés des guerres napoléoniennes – où dans certains corps de troupe (les hussards, par exemple), il n’existait pas deux régiments d’une même armée qui portassent la même tenue. Mais si l’on y regarde de plus près, les uniformes de la guerre de Sécession s’avèrent en réalité beaucoup plus diversifiés qu’il n’y paraît, bien que cette variété tendît à s’effacer au fil du conflit pour des raisons pratiques.

 

Les usages d’une armée

Le bleu foncé fut la couleur principale de l’armée des États-Unis dès 1779, date à laquelle les premières régulations sur les uniformes furent adoptées – à une époque où elle s’appelait encore « armée continentale ». Le bleu était la couleur traditionnelle des « Whigs », les opposants au pouvoir de la monarchie britannique, un nom que reprirent les révolutionnaires américains lorsqu’ils se battirent pour leur indépendance. C’est là l’explication la plus fréquemment donnée à ce choix, mais le bleu était déjà prépondérant parmi les uniformes que se donnaient les compagnies de miliciens coloniaux levées occasionnellement au cours du XVIIIème siècle, pour combattre les Indiens ou les Français. Quoi qu’il en soit, le bleu foncé véhicule une telle symbolique pour l’U.S. Army que celle-ci y est revenue, depuis 2008, pour ses tenues de service – après des décennies en vert olive.

La coupe, quant à elle, demeura inspirée des armées européennes contemporaines, qu’il s’agisse de l’habit ou du couvre-chef. Au manteau classique se substitua en 1812 un coatee, sorte de queue-de-pie coupé à la ceinture devant mais laissé long derrière, et le shako s’imposa à partir de 1810. L’uniforme devenant progressivement de moins en moins adapté au service en campagne, l’armée le supplémenta bientôt d’une « tenue de corvée » : casquette ronde en 1825, puis vareuse courte bleue ciel en 1833. Ajoutés au pantalon bleu ciel de la tenue de service, ces éléments constitueront l’uniforme le plus souvent employé par les soldats américains lors de la guerre contre le Mexique, le climat local rendant franchement inconfortable le port de la tenue réglementaire.

o_h_ogdenEn 1851, l’armée fédérale adopta un uniforme très largement inspiré, dans sa coupe, par celui de l’armée française – alors arbitre des élégances en matière militaire. La différence principale résidait dans le coatee, abandonné au profit d’une redingote longue bleue foncée. Celle-ci étant peu pratique pour monter à cheval, les unités de cavalerie et d’artillerie légère reçurent en lieu et place une vareuse courte, assez proche de la tenue de corvée – laquelle était elle aussi, désormais, bleue foncée. Une autre nouveauté concernait la couleur des parements, qui adoptaient un nouveau système d’identification des unités. Ces couleurs étaient le bleu ciel pour les huit régiments d’infanterie, le rouge pour les quatre régiments d’artillerie, l’orange pour les deux régiments de dragon, le vert pour le régiment d’infanterie montée, et le noir pour les officiers d’état-major. Lorsque furent créés les deux régiments de cavalerie en 1855, ils reçurent des parements jaunes.

La casquette ronde de la tenue de corvée fut pour sa part remplacée par un képi bleu foncé, lui aussi dérivé du képi rouge de l’armée française. Le shako subsista dans la tenue de service jusqu’en 1858, date à laquelle lui fut substitué un chapeau de feutre bleu marine. Connu sous le surnom de « chapeau Hardee », ou encore de « chapeau Jeff Davis » parce qu’il avait été initialement dessiné alors que Jefferson Davis était secrétaire à la Guerre (entre 1853 et 1857), il était décoré d’une plume noire et de marques d’identification : un cordon de la couleur du corps de troupe auquel appartenait le soldat, et des insignes en laiton, autre nouveauté. Ces derniers représentaient deux canons croisés pour l’artillerie, un clairon pour l’infanterie, deux sabres croisés pour les unités montées et un château pour le génie.

Vêtir les volontaires

Aussitôt que le début des hostilités firent affluer dans les bureaux de recrutement des dizaines, puis des centaines de milliers de volontaires, la question de les habiller s’avéra encore plus problématique que celle des les armer. L’armée fédérale, en 1861, s’approvisionnait en uniformes auprès d’une de ses propres installations, l’arsenal Schuylkill à Philadelphie. Suffisante pour assurer l’habillement d’une armée de 16.000 hommes, cette unique manufacture ne l’était plus pour vêtir les 75.000 volontaires demandés en avril 1861, et encore moins les 500.000 hommes appelés sous les drapeaux en juillet. Sans parler des volontaires, il fallait aussi tenir compte du renforcement de l’armée régulière, décidé par le président en mai et validé par le Congrès en août : 11 régiments représentant un total de 24.000 soldats.

Pour pallier à cette insuffisance, il fallut faire appel à l’industrie privée, tant sur le territoire national qu’en dehors de celui-ci. Des dizaines de milliers de tenues furent ainsi importées d’Europe, les manufactures nordistes n’ayant pas encore la capacité de production qu’elles acquerraient au cours du conflit. Pour ne rien arranger, ces premières fournitures allaient être marquées du sceau de la corruption. Des entrepreneurs sans scrupules vendirent au gouvernement des vêtements de mauvaise qualité à des prix exorbitants. Bien trop souvent, ces uniformes de pacotille tombaient en lambeaux au bout de quelques semaines ou quelques mois. Les soldats inventèrent même un adjectif, shoddy, pour désigner le matériel de seconde zone que le département des fournitures (Quartermaster Department) leur distribuait – le plus souvent à son corps défendant et à son propre dam.

452px-Smn_Cameron-SecofWarCette situation permit à de nombreux profiteurs de guerre de s’enrichir grassement. Elle fut encore aggravée par la présence à la tête du département de la Guerre de Simon Cameron. Ce démocrate rallié au parti républicain – il avait réussi l’exploit d’être sénateur à deux reprises sous chacune des deux étiquettes – passait pour être le membre le plus corrompu de l’administration Lincoln. À tel point qu’on lui attribue cette édifiante citation : « L’honnête politicien est celui qui, une fois corrompu, ne change plus d’avis ». Cameron s’était fait une spécialité de passer des commandes au nom de son ministère sans recourir à un appel d’offres, en privilégiant systématiquement des fournisseurs de son État d’origine, la Pennsylvanie. Ce n’est qu’après son remplacement par Edwin Stanton, en janvier 1862, que la situation s’améliora sensiblement. À la fin de l’année 1862, le soldat nordiste pouvait s’estimer correctement vêtu.

Du moins était-ce vrai en ce qui concernait la qualité intrinsèque des vêtements. Mais les uniformes étaient inconfortables et, de fait, ils le restèrent durant toute la guerre. La source du problème résidait dans le matériau utilisé : la laine, qui présentait l’avantage d’être produite en grandes quantités par l’agriculture nordiste. Par commodité, les tenues militaires produites durant la guerre étaient généralement faites de ce tissu – intégralement, c’est-à-dire sous-vêtements compris, bien que ceux-ci dussent en principe être en jersey ou en flanelle. Les soldats qui le purent se firent bien souvent confectionner des chemises et des caleçons par leurs mères, leurs sœurs ou leurs épouses, pour ne plus avoir à supporter le frottement désagréable et irritant de la laine sur leur peau. Malgré cela, le combattant de la guerre de Sécession dut le plus souvent supporter un uniforme suffoquant en été, et perpétuellement humide en hiver, pour peu que le temps s’y prêtât.

L’autre problème majeur était que les uniformes destinés aux soldats se voyaient fabriqués en masse sans qu’on se préoccupe de savoir s’ils seraient correctement ajustés à ceux qui devraient les porter. En fonction de sa taille et de sa corpulence, chaque soldat pouvait se retrouver à flotter dans sa tenue, ou au contraire à être engoncé dans un uniforme trop serré. Pour cette raison, on finit par expérimenter pour la première fois un système de tailles standardisées, analogue à celui en usage de nos jours dans le prêt-à-porter. De façon plus générale, la guerre de Sécession allait grandement contribuer à l’essor de l’industrie textile dans le Nord, une expansion qui allait se répercuter sur l’ensemble de l’économie américaine après le conflit.

En attendant de pouvoir distribuer des uniformes réglementaires, l’armée nordiste dut s’en remettre au bon vouloir des États quant à l’habillement des recrues qu’ils levaient. Tous avaient des milices, mais leurs propres uniformes réglementaires n’étaient pas forcément similaires. Les couleurs dominantes étaient le bleu, comme dans l’armée régulière, et le gris, en raison de son faible coût. Pour ne rien arranger, ces régulations n’avaient pas systématiquement un caractère impératif, lorsque toutefois il y en avait – ce qui n’était pas toujours le cas, loin s’en faut. 

fire_zouaveDe ce fait, les régiments de certains États étaient libres de choisir leur uniforme suivant la fantaisie de leur commandant. Il en résulta de très grandes disparités dans l’habillement des troupes, et encore aujourd’hui, beaucoup d’historiens comparent plus volontiers les armées de 1861 à une parade de cirque qu’à une véritable force militaire.

Cacophonie visuelle

Cette diversité fut trop grande pour être explorée ici de manière exhaustive, et nécessiterait des recherches interminables. Au mieux se limitera-t-on à quelques exemples, car les volontaires de 1861 utilisèrent à peu près toutes les couleurs imaginables pour se vêtir. Au lendemain de la guerre de Crimée et de la guerre d’Italie, l’influence française était plus forte que jamais, et l’intérêt des recrues en matière vestimentaire se porta surtout vers un corps de troupe en particulier : les zouaves. Créés pratiquement dès le début de la conquête de l’Algérie en 1831, les zouaves étaient initialement recrutés parmi une tribu berbère ralliée, les Zouaoua, mais devinrent dès 1838 un corps de troupe à recrutement exclusivement français – souvent des volontaires parisiens, qui contribuèrent grandement à forger leur réputation haute en couleurs.

Sous le Seconde Empire, les zouaves portent un uniforme d’inspiration orientale, plus adapté aux conditions qu’ils rencontrent en Algérie : large pantalon, blanc ou rouge suivant la saison, sans séparation d’entrejambe (sarouel) ; veste bleue coupée « à la turque » ; et bien sûr le fameux bonnet rouge à gland (chéchia). Le sentiment d’appartenir à un corps d’élite et l’attrait de l’exotisme étaient autant de facteurs expliquant la popularité des uniformes de zouaves parmi les volontaires de la guerre de Sécession. Il s’y ajoutait une question de confort. Idéale pour les climats chauds, comme peuvent l’être le Sud et l’Est des États-Unis en été, la tenue des zouaves était pour cette raison beaucoup plus supportable. C’était en particulier le cas du sarouel, jugé plus confortable que le pantalon ajusté de la tenue réglementaire de l’armée fédérale – bien que la plupart des zouaves de la guerre de Sécession portaient plutôt un pantalon bouffant qu’un véritable sarouel.

red_leggedPour toutes ces raisons, plus de 70 régiments de volontaires nordistes adoptèrent un uniforme de zouaves, une particularité qui se retrouvait dans le surnom qu’ils s’attribuaient eux-mêmes. Plusieurs milliers d’uniformes de ce type furent importés de France et d’Europe au cours de l’année 1861. Peu d’entre eux étaient similaires d’un régiment à l’autre. La tenue du 5ème régiment de New York, les « Zouaves de Duryee », était celle qui se rapprochait le plus de l’original. Le 11ème de New York, les « Zouaves pompiers » du colonel Ellsworth, portaient quant à eux une tenue à dominante grise par-dessus leur chemise écarlate. De manière générale, les uniformes variaient en fonction des goûts et des disponibilités, et beaucoup n’avaient en fait de « zouave » que le nom. Le 14ème régiment de Brooklyn (plus tard rebaptisé 84ème de New York) portait une tenue ressemblant davantage à celle de l’infanterie de ligne française, leur pantalon garance éclatant leur valant le surnom de « Diables aux pattes rouges » (Red-legged Devils). D’autres recevaient des uniformes bleus clairs à parement jaunes évoquant ceux des « Turcos » – les tirailleurs.

Le Sud céda lui aussi à cette mode, et une bonne vingtaine d’unités de zouaves furent recrutés, bien que celles-ci fussent souvent de taille modeste – compagnies ou bataillons plutôt que régiments. Le bataillon d’infanterie de la Louisiane envoyé en Virginie au début de la guerre est sans doute le plus connu : chéchia et chemise rouges, veste bleue foncée, ceinture bleue et pantalon blanc rayé de rouge et de bleu. Cette dernière particularité leur vaudra – semble-t-il – d’être surnommés plus tard les « Tigres de la Louisiane », un surnom qui s’appliquera ensuite à l’ensemble de la brigade à laquelle ils appartenaient, bien que les autres régiments de celle-ci n’eussent jamais porté ce genre de tenue.

ccrrL’armée française n’était pas la seule inspiratrice en matière d’uniformes. Par exemple, le 39ème régiment de New York empruntait le sien aux bersagliers du royaume de Sardaigne. Ils en reprenaient notamment le chapeau rond orné de plumes de grand tétras. Bien qu’elle ne comptât dans ses rangs qu’une seule compagnie d’Italiens, cette unité ouverte aux New-yorkais de toutes origines fut baptisée « Garde Garibaldi ». Le célèbre révolutionnaire et nationaliste italien inspira un autre accessoire à la mode de 1861 : la chemise rouge. Une référence à l’expédition des Mille, à la tête de laquelle Garibaldi venait tout juste de jeter à bas le royaume des Deux-Siciles, et dont les soldats portaient ce même vêtement. Il fut donc repris par beaucoup de régiments de volontaires et ce, dans les deux camps.

D’autres uniformes étaient moins basés sur les effets de mode que sur l’appartenance ethnique ou nationale des volontaires. Nation d’immigrants, les États-Unis comptaient avant la guerre de nombreuses compagnies de milice organisées selon l’origine de leurs membres. C’était particulièrement vrai dans le Nord, et plus encore à New York. Ces compagnies s’étaient souvent dotées d’uniformes correspondant au pays natal de leurs membres, qu’elles conservèrent lorsqu’elles se muèrent en régiments de volontaires en 1861. Ainsi, le 79ème régiment de New York, regroupant des soldats d’origine écossaise, reprenait la tenue des Highlanders de l’armée britannique, à ceci près que le bleu foncé se substituait au rouge. Calot glengarry et pantalon de tartan aux couleurs du clan Cameron (d’où leur surnom de Cameron Highlanders) étaient donc de rigueur, sans parler de la tenue de parade, où le pantalon se voyait remplacé par un kilt.fatigue_marching_order

Nécessaire standardisation

L’équipement des volontaires se fit dans le chaos. Ni le gouvernement central, ni les États ne parvenaient toujours à fournir en temps et en heure des uniformes aux régiments nouvellement créés. Dans bien des cas, les officiers durent commander eux-mêmes des uniformes là où le régiment s’était rassemblé, ce qui en obligea plus d’un à s’adapter à ce qui était disponible. D’autres unités durent même se mettre en marche alors qu’elles n’avaient pas encore été équipées, et acheter leurs uniformes en route, à leurs frais. Les plus démunis ne portaient même pas d’uniformes du tout, se contentant de tenues civiles d’allure plus ou moins martiale. En la matière, le Sud était nettement plus défavorisé que le Nord.

Quand débutèrent les opérations militaires d’envergure à l’approche de l’été 1861, la diversité dans les uniformes allait générer des situations calamiteuses. Dans un camp comme dans l’autre servaient des régiments aux uniformes similaires. La prépondérance du bleu et du gris ne réglait rien, puisque les troupes des deux belligérants portaient ces couleurs. Le début de la guerre fut marqué par de meurtrières méprises aux conséquences parfois majeures. Dans la confusion visuelle et sonore du champ de bataille (fumée, vacarme), il était très difficile de savoir si le régiment auquel on faisait face était ami ou ennemi, quand bien même les uniformes étaient de couleurs similaires. Pour ne rien arranger, les drapeaux des deux camps utilisaient les mêmes couleurs et se ressemblaient beaucoup.

La plus connue de ces erreurs est celle qui eut lieu lors de la bataille de Bull Run (21 juillet 1861) : avancée pour bombarder les positions confédérées, une des batteries nordistes suspendit son feu en voyant approcher un régiment vêtu de bleu. Il s’agissait en réalité du 33ème régiment de Virginie, une unité sudiste qui profita de l’aubaine pour abattre la plupart des canonniers avant qu’ils n’aient pu reprendre leurs tirs. L’incident contribua grandement à changer le cours de la bataille. Dans d’autres occurrences, des soldats furent abattus par erreur par des combattants de leur propre camp. Pour clarifier la situation, le secrétariat à la Guerre nordiste finit par demander aux États, le 13 septembre 1861, d’arrêter de fournir des uniformes gris à leurs régiments de volontaires.

jeff_davis_hatCette mesure était le premier pas vers une standardisation des uniformes dans l’armée de l’Union, progressivement menée jusqu’en 1862. Le soldat nordiste type portera donc, en substance, la tenue de corvée de l’armée régulière : képi bleu foncé, vareuse courte de même couleur, pantalon bleu ciel et les habituels chaussures cloutées, portées sans guêtres (et le plus souvent, par confort, avec le pantalon par-dessus). À cela s’ajoutera un lourd manteau en hiver, de couleur bleue ciel, ainsi, dans la mesure du possible, qu’un poncho en caoutchouc pour protéger les soldats de la pluie. La qualité souvent quelconque des uniformes distribués au début de la guerre, synonyme d’usure prématurée, facilitera leur remplacement progressif par la tenue réglementaire.

Malgré tout, cette uniformisation ne sera jamais complète. Plusieurs régiments conserveront jusqu’à la fin de la guerre leur tenue propre, bien que cela allait toujours être l’exception plutôt que la règle. Les deux régiments de Sharpshooters levés par Hiram Berdan allaient ainsi garder leur uniforme vert caractéristique. Plusieurs régiments de « zouaves » obtinrent également le privilège de continuer à porter leurs tenues excentriques, à partir du moment où la couleur dominante en restait le bleu. Cette faveur leur était généralement accordée comme un privilège si le régiment s’était bien comporté au feu. Plus tard dans la guerre, l’attribution d’uniformes ou d’éléments spécifiques à une unité fut employée pour récompenser les formations les plus méritantes et marquer leur statut de troupes d’élite.

Plusieurs régiments reçurent ainsi des tenues de zouaves alors qu’ils n’en avaient pas porté jusque-là. Le chapeau « Jeff Davis » était également un honneur très prisé, bien qu’il ne fût plus appelé ainsi pour d’évidentes raisons. Assez méprisé des soldats de l’armée régulière, qui le trouvaient d’allure peu martiale et surtout très inconfortable, il était en revanche apprécié de ces civils en armes qu’étaient, à la base, les volontaires. Beaucoup plus cher à fabriquer que le képi de corvée, il fut distribué avec parcimonie aux unités d’élite de l’armée. Il équipait ainsi la célèbre « Brigade de fer » de l’armée du Potomac, un signe distinctif qui lui valut son autre surnom de « Chapeaux noirs » (Black Hats). Dans l’Ouest, c’est la Highland Brigade de John McArthur qui conservera ses bérets écossais Balmoral.

Si les uniformes ne furent jamais complètement standardisés dans l’armée fédérale, il en fut de même dans l’armée sudiste – mais pour des raisons différentes. Lorsque la Confédération s’était dotée d’une armée, le choix s’était rapidement porté sur le gris. La raison principale était d’ordre à la fois économique et pratique... 

csa_regularEn l’absence de colorants artificiels, la couleur des vêtements provenait de teintures naturelles parfois difficiles à trouver sur place, et qui coûtaient d’autant plus cher si elles devaient être importées. La teinture grise, pour sa part, présentait le double avantage d’être facilement accessible et peu coûteuse. En partie pour ces raisons, elle n’était pas exempte de liens avec la tradition militaire états-unienne. En plusieurs occasions, l’armée fédérale avait substitué le gris au bleu pour vêtir certains de ses régiments, notamment pendant la guerre de 1812. Toujours en raison de son faible coût, le gris était la couleur de l’uniforme des cadets dans la plupart des académies militaires du pays, à commencer par celle de West Point.

Difficultés pour la Confédération

Le département de la Guerre sudiste formalisa l’adoption du gris en juin 1861. C’est d’ailleurs une autre école d’officiers, l’Institut militaire de Virginie à Lexington, qui allait servir de modèle pour la coupe de l’uniforme réglementaire. À n’en point douter, c’était une autre façon de « récompenser » la Virginie d’avoir rejoint le camp sudiste après le bombardement du fort Sumter. Si l’on excepte la couleur, l’uniforme, pour l’essentiel, restait très similaire à celui de l’armée fédérale : redingote grise et pantalon bleu ciel. Le couvre-chef se limitait à un képi, dont la couleur – tout comme les parements de l’uniforme – variait en fonction de l’arme à laquelle appartenait le soldat : bleu ciel pour l’infanterie, jaune pour la cavalerie, rouge pour l’artillerie et noir pour le service de santé. Généraux et officiers d’état-major, pour leur part, se voyaient attribuer un képi gris, mais des parements roses. En outre, tous les officiers avaient leurs manches brodées d’un « nœud autrichien », décoration ensuite abandonnée car elle faisait d’eux des cibles trop évidentes pour les tireurs ennemis.butternutsPeu de ces tenues furent effectivement distribuées aux soldats sudistes.

La modeste armée régulière confédérée était prioritaire dans leur attribution, et l’histoire de leur utilisation se confond avec celle, méconnue, de ce corps de troupe. L’armée provisoire de la Confédération, qui formait les gros des forces sudistes, était théoriquement astreinte à porter la même tenue. En pratique, ce ne fut jamais le cas. Si le Sud produisait suffisamment de matière première, coton et laine, pour confectionner des vêtements, il lui manquait l’industrie textile nécessaire pour vêtir une armée de plusieurs centaines de milliers d’hommes. L’importation était une solution possible, mais elle avait ses limites. Même si son efficacité ne s’accrût que progressivement au cours de la guerre, le blocus imposé par la marine de l’Union limitait les possibilités. D’autres articles – armes et munitions, mais également chaussures – s’avéraient prioritaires. Sans parler du fait qu’il était souvent plus lucratif, pour les forceurs de blocus, d’importer des vêtements de luxe revendus ensuite à des prix exorbitants plutôt que des uniformes.

Les soldats sudistes durent donc recourir à d’autres expédients. Les tenues portées en 1861, obtenues avec des difficultés encore plus grandes que celles de leurs homologues nordistes et tout aussi disparates, furent bien vite usées jusqu’à la corde. Les Confédérés n’eurent le plus souvent d’autre choix que de se faire confectionner leurs tenues par leur famille, quand ils ne durent pas se les procurer par eux-mêmes par tous les moyens imaginables. Le choix du gris s’avéra ici heureux : il était aisé d’obtenir une teinture grise par des moyens artisanaux. Ou, du moins, quelque chose qui s’en approchait. Le moyen le plus répandu consistait à utiliser le brou des fruits du noyer cendré (Juglans cinerea). Le nom vernaculaire de cet arbre, butternut, servait à désigner la couleur qui en résultait, un gris-brun d’intensité variable. Par extension, on en vint à surnommer les soldats sudistes Butternuts en raison de la couleur de leurs uniformes.

Dans de telles conditions, parler d’uniforme en devient même assez exagéré. Les régiments de l’armée confédérée présentaient au mieux un aspect visuel vaguement homogène, mais certainement pas uniforme. Pour ne rien arranger, les soldats sudistes, contrairement à leurs ennemis, ne pouvaient pas compter sur leur intendance démunie pour remplacer leurs uniformes une fois qu’ils étaient usés. De ce fait, la vision des troupes confédérées souvent en haillons, voire pieds nus, devint récurrente. Dans ces conditions, toute occasion pour se procurer vêtements et chaussures neufs était mise à profit. Chaque victoire voyait le pillage systématique des dépôts nordistes capturés, les uniformes bleus étant ensuite déteints avec les moyens du bord. Dans le même ordre d’idées, dépouiller un prisonnier pouvait s’avérer très profitable. À mesure que les victoires se firent de plus en plus rares, rafraîchir son uniforme devint de plus en plus complexe pour le soldat sudiste.

Officiers et généraux

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Contrairement à leurs hommes, les officiers avaient leurs uniformes à charge : ils devaient en supporter eux-mêmes le coût, ce qui pouvait s’avérer une lourde charge pour un lieutenant frais émoulu de l’académie, à la solde encore modeste. Ce d’autant plus que la qualité d’officier rajoutait à la tenue réglementaire quelques accessoires propres à en accroître le coût : galons, épaulettes, ou encore écharpe rouge portée autour de la taille. Ces éléments, à l’instar des « nœuds autrichiens » des officiers sudistes, rendaient leurs porteurs aisément identifiables de loin et en faisaient par conséquent les cibles toutes désignées des tireurs d’élite. Pour cette raison, beaucoup d’officiers finirent par ne plus porter que les éléments les plus discrets rappelant leur grade, quand cela ne leur était pas tout simplement ordonné par leur hiérarchie.

Bien qu’ils fussent en principe tenus à la stricte observance de la tenue réglementaire, leur qualité d’officiers leur autorisait quelques variations que les nécessités du conflit, en reléguant au second plan le respect des moindres détails du règlement, facilitaient d’autant plus. Cette latitude pour l’excentricité vestimentaire augmentait à mesure que l’on grimpait dans la hiérarchie, un général ayant beaucoup moins de risques qu’un lieutenant de se voir reprocher que sa tenue n’est pas forcément en adéquation avec celle prévue par le règlement sur le service en campagne. George Custer était aussi célèbre dans l’armée nordiste pour ses charges de cavalerie téméraires que pour l’excentricité de ses uniformes, un goût qui ne le quitta pas tout au long de sa carrière. La future légende du Far West ne se séparait jamais de sa très voyante cravate rouge. Lorsqu’il fut promu brigadier-général en 1863, il put laisser libre cours à son imagination : chemise rayée, dolman de hussard en velours noir orné de « nœuds autrichiens » argentés et pantalon vert olive.Ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup, J.E.B. Stuart et d’autres étant réputés pour leurs uniformes plus ou moins flamboyants.

Custer_BG_Geo_A_in_velvet_ca_1864Beaucoup d’officiers qui s’engagèrent dans la guerre de Sécession, dans un camp comme dans l’autre, avaient quitté l’armée fédérale depuis plus ou moins longtemps. Plutôt que de s’en procurer un nouveau, beaucoup ressortirent du placard leur ancienne tenue – parfois désuète. Pour cette raison, et aussi parce que les toutes premières régulations de l’armée confédérée prescrivaient le port de l’uniforme fédéral réglementaire, plusieurs officiers et généraux sudistes prirent part aux premiers combats de la guerre vêtus d’un uniforme bleu, duquel ils avaient hâtivement fait changer les galons – ce qu’on peut voir à l’occasion dans certaines reconstitutions. L’application progressive des régulations de juin 1861 permit de remplacer ces tenues. D’autres généraux n’avaient jamais été militaires auparavant et certains partirent au combat tout simplement habillés en civil.

Au Nord comme au Sud, la redingote des généraux se distinguait essentiellement de celles des autres officiers par leur double rangée de boutons. Certains d’entre eux, toutefois, ne furent jamais de grands amateurs de ces uniformes et préféraient des tenues plus discrètes. Robert Lee en est un exemple connu : en campagne, il lui substituait le plus souvent une redingote civile grise sur laquelle il avait fait broder un insigne de colonel, le grade qu’il occupait lorsqu’il avait quitté l’armée fédérale. D’autres devinrent célèbres pour leur tenue négligée. Stonewall Jackson ne se séparait ainsi presque jamais d’une vieille capote de simple soldat élimée jusqu’à la corde. Ulysses Grant lui-même n’accordait guère d’importance à sa mise, se promenant le plus souvent avec une tenue de campagne maculée de boue. Dans les deux camps fut portée une grande variété de couvre-chefs, allant du chapeau Jeff Davis de parade au simple képi en passant par le large et confortable chapeau rond (slouch hat).

Marins et marines

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Si la guerre de Sécession est souvent perçue comme un conflit essentiellement terrestre, elle n’en fit pas moins une large part aux opérations navales, notamment combinées, et le Nord doit à ses marins une part non négligeable dans la victoire finale. Les uniformes navals méritent donc qu’on s’y attarde quelque peu. L’U.S. Navy avait hérité de sa contrepartie britannique l’usage du bleu marine et celui-ci n’avait pas été remis en cause. Les premières régulations concernant les uniformes n’avaient pas été appliquées avec une grande rigueur, et c’est seulement à partir de 1841 que les officiers obligèrent réellement leurs hommes à porter la tenue réglementaire. Celle-ci consistait en un pantalon bleu, une veste bleue marine à parements blancs, un foulard noir et un chapeau rond verni de couleur noire.

La mécanisation croissante de la marine, dans les années 1850, rendit le service sur les navires – désormais de plus en plus souvent à vapeur – toujours plus salissant, ce qui poussa à rendre les tenues plus pratiques. En 1852, le chapeau verni fut remplacé par un bonnet de marin souple et en 1859, les parements disparurent. Seule concession au confort : l’adjonction d’un surcot blanc qui se portait par-dessus le bonnet, dans le but de permettre au matelot de mieux supporter le soleil estival. Les uniformes changèrent peu durant la guerre, hormis l’adoption par les aspirants et les quartiers-maîtres d’une veste à double rangée de boutons, similaire à celle portée par les officiers. Ces derniers portaient pour leur part une casquette au lieu du bonnet de marin, remplacée dans la tenue d’apparat par un bicorne. Ils troquèrent souvent la casquette contre un canotier en période estivale ou dans les eaux subtropicales du golfe du Mexique.Marines01Initialement, la marine confédérée ne fit qu’imiter celle des États-Unis en prescrivant le port d’uniformes bleus marine, seuls les grades et insignes différant.

Ce n’est qu’en 1862 que le secrétariat sudiste à la Marine s’aligna sur l’armée en adoptant des uniformes gris. La coupe, pour sa part, demeurait assez similaire à celle de la flotte nordiste. La marine confédérée étant soumise aux mêmes restrictions que le reste des forces armées en matière d’habillement, elle ne fut généralement pas très regardante sur la tenue des simples matelots. Il existait également un corps des fusiliers marins confédérés (Confederate States Marine Corps), calqué sur le modèle de l’U.S. Marine Corps fédéral. Les marines sudistes portaient (théoriquement) un uniforme assez similaire à celui des soldats : gris avec un pantalon et des parements bleus marine.

Leurs homologues nordistes, pour leur part, avaient connu jusque-là une histoire vestimentaire un peu plus originale. Les premiers fusiliers marins américains, les Continental Marines créés en 1775, portaient un uniforme vert. Dissouts en 1783, reformés en 1798, les marines portèrent alternativement le bleu et le vert avant d’adopter une tenue entièrement bleue foncée en 1841. À l’instar de l’armée, ils adoptèrent en 1859 un uniforme de coupe française : redingote longue et shako à pompon pour la tenue de service, vareuse et képi pour celle de corvée. Les différences les plus visibles concernaient le pantalon, bleu marine et non bleu ciel, et les larges bandoulières blanches croisées sur la poitrine.


Sources

- David COLE, Survey of U.S. Army Uniforms, Weapons and Accoutrements, en ligne.
- Oscar LONG, Changes in the uniform of the army, 1895.
- Deux articles de Brooke Stoddard et Daniel Murphy sur les uniformes de la guerre de Sécession et l’habillement quotidien des combattants.
- James McPHERSON, La guerre de Sécession, Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, 1991.
- Michael VAROLHA, Blue, gray, and everything in between, 2011, en ligne.
Biographie de Simon Cameron.

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