jesus-cliff-curtisLa recherche du Jésus historique est la recherche scientifique consacrée à l'étude des tout premiers temps du christianisme. Une recherche qui tente de s'affranchir des visions théologiques héritées de la tradition religieuse. Entre exégèse, histoire ancienne et archéologie, voici une courte présentation d'un sujet trop méconnu.

 

Le problème des sources sur Jésus

La première difficulté à laquelle se trouve confronté l'historien est le problème de la source, les sources chrétiennes étant toutes rédigées à l'aune du miracle pascal. Difficile de démêler l'historique du théologique dans les Evangiles qui, parfois, renseignent autant sur la période à laquelle ils ont été écrits que sur le récit lui-même. Un évangile cherche à transmettre un enseignement, pas un récit biographique. Toutefois, les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc, Luc) peuvent intéresser l'historien par le recoupement de leurs récits. L'Evangile de Jean, plus tardif est une construction théologique plus complexe mais peut apporter, lui aussi de précieux renseignements.

Néanmoins, il ne faut pas oublier que ces récits sont issus d'une tradition orale transmise jusqu'au temps de leur rédaction. Le piège pourrait être celui d'apporter plus de foi à un récit plus ancien. Les épîtres pauliniennes sont datées de 50 à 63, ou encore l'Evangile de Marc daté de 70. Mais la découverte éventuelle d'un récit datant de 30 (date de la crucifixion de Jésus) ne résoudrait rien. Le problème historique resterait le même. Notre connaissance de Jésus ne se base quasiment que sur des récits soucieux de transmettre leur foi en la résurrection de Jésus ou de garantir la cohésion d'une communauté chrétienne de l'époque de leur rédaction.

Comment alors apporter crédit à un Evangile ? Prenons deux exemples simples :

- les synoptiques insistent beaucoup sur le discours apocalyptiques de Jésus (dont nous vous racontons la vie). Il semble avoir annoncé la fin du monde pour la génération présente. Les premiers chrétiens était dans cette attente fébrile et pourtant cette fin n'est pas venue. Si cet aspect du discours de Jésus n'avait pas été une réalité, pourquoi les évangélistes auraient-ils rapporté ces propos au risque de voir leur Seigneur dénoncé comme faux prophète ?

- tous les Evangiles s'accordent pour rapporter que Jésus se désignait comme "Fils de l'homme" (figure eschatologique du Livre de Daniel). Ils rapportent même qu'il refusait tout autre désignation. Or, ni les premiers chrétiens ni l'Eglise n'ont utilisé ce terme pour désigner le Christ. En ce cas, il est très probable que l'on soit face à un discours basé sur une réalité historique et que la tradition nous a transmise.

flavius josephLes sources non chrétiennes ne sont pas dénuées d'écueils. Ainsi, des sources fondamentales sur le judaïsme de cette période sont les écrits de l'historiographe juif Flavius Josèphe (47-100), les Antiquités juives par exemple datant de 93. Cet auteur a participé à la première guerre judéo romaine de 66. Ses écrits on été copiés et recopiés au cours des siècles car ils font partie des seules sources apportant un témoignage attestant de l'historicité de Jésus. Dans un passage très célèbre des Antiquités juives, Flavius Josèphe semble porter un regard admiratif sur le fondateur du christianisme : "En ce temps-là, paraît Jésus, homme sage [...] auteur d'oeuvres prodigieuses, maître des hommes qui reçoivent avec joie la vérité. [...] Car il leur apparut le troisième jour, vivant à nouveau [...]." Origène (auteur chrétien du IIIe siècle) confirme le doute à cette lecture, Flavius Josèphe n'ayant pas cru en la messianité de Jésus, il semble évident que le manuscrit à l'origine de cette citation a été remanié par une main chrétienne avant de parvenir jusqu'à nous.

A ces sources écrites peut s'ajouter l'archéologie qui a mis au jour la bibliothèque de Qumran qui, malgré quelques dissonances parmi les chercheurs, semble bien être un site où ont vécu les Esséniens (ou du moins une de leur dissidence), une secte juive du Ier siècle qui a eu une influence sur Jésus lui-même. En effet, ce site occupé entre -100 et 70 après JC abrite une grande quantité de documents hébraïques très anciens qui sont une source unique sur le judaïsme du premier siècle, donc du milieu dans lequel a évolué Jésus.

Enfin, l'exégète peut étudier l'histoire des formes littéraires de la tradition et les faire résonner avec le milieu de l'homme.

Car c'est là l'essentiel de cette étude. Il s'agit moins d'écrire une biographie de Jésus que de tenter de cerner, à travers ses enseignements, les contours généraux du fondateur du christianisme et de les intégrer dans le contexte de la Palestine antique du Ier siècle. En effet, même si la citation d'Ernest Renan est une généralisation excessive, elle met bien en évidence une réalité souvent mise à l'écart par l'Eglise par le passé : Jésus était un juif qui, comme tous les hommes, était tributaire de son environnement. Il est essentiel de le comprendre pour saisir et connaître son destin. L'enjeu est de dessiner non pas un portrait de Jésus mais, comme le dit Daniel Marguerat : le portrait d'un Jésus probable.

Le judaïsme du Ier siècle : des sectes au coeur d'une grande tension

La Palestine du Ier siècle était occupée par les romains. Des rois romanisés étaient l'objet du mépris de la population et la succession d'Hérode le grand fut l'occasion d'une révolte sévèrement réprimée en 4 avant notre ère. En 26, à l'arrivée du préfet de Judée à Jérusalem, le fameux Ponce Pilate, une émeute fut violemment écrasée. Une tension extrême était palpable, beaucoup de Juifs souhaitaient une révolte contre la présence romaine et la situation économique désastreuse qui en découlait (impôts, réquisitions). Un fort nationalisme se développait. Néanmoins, l'attitude des Juifs vis-à-vis de l'occupant n'était pas homogène, le judaïsme de cette époque était multiple. Dans cette multiplicité Flavius Josèphe s'attarda à décrire trois grands mouvements.

Les Sadducéens tout d'abord qui se confondaient avec la classe sociale la plus privilégiée. Ils présidaient le culte au sein du Temple et en tiraient beaucoup de profits, ils étaient très conciliants vis-à-vis de la présence romaine et faisaient preuve d'un grand conservatisme à l'égard de la pratique de la religion. En effet, ils n'accordaient d'importance qu'à la Loi (la Torah) et refusaient tout autre apport. Ils rejetaient les concepts religieux récents : la croyance en la résurrection, la rétribution finale, l'angéologie et l'attente messianique. Flavius Josèphe de conclure : "Les Sadducéens ne persuadent que les riches, le peuple ne leur est pas favorable".

Les Pharisiens étaient un parti plus religieux, ils étaient des commentateurs de la Loi, ce qui permettait d'en modifier les applications et de l'assouplir, ils croyaient en une primauté de la loi morale sur la loi rituel. Ainsi les Pharisiens du Ier siècle firent émerger des débats sur les modalités d'observance du sabbat, sur les règles de pureté... Comme nous le verrons plus loin, ces débats sont au coeur de l'enseignement de Jésus qui semble avoir été très influencés par les milieux Pharisiens. Leur réalisation la plus fondamentale est la création de la synagogue qui désigne à la fois la communauté des croyants et le lieu de réunion de cette communauté, lieu de prière et de dévotion pour le sabbat. C'est pour cette raison que le peuple était plus proche de cette vision. Les Pharisiens portaient une vision plus humaniste du judaïsme, voulant donner accès à tout Juif pieux à la Loi. Parti le plus important, Flavius Josèphe estimait néanmoins leur nombre à quelques milliers seulement. Ils semblent avoir été très hostiles à la présence romaine, ils partageaient toutefois la direction du Sanhédrin avec les Sadducéens.

Les Esséniens sont absents des Evangiles. Il existait pourtant une "Porte des Esséniens" à Jérusalem. Ce groupe se caractérisait par une vision très rigoriste de la Loi. Ils s'étaient retirés de Jérusalem, désignant le Judaïsme s'y déroulant d'impie. Leur communauté suivait des règles très strictes consignées sur des manuscrits qui nous sont parvenues à la découverte des écrits de Qumran (dits de la Mer morte). Leur liturgie semble s'être beaucoup basée sur les bains rituels, comme l'atteste le nombre important de bassins sur ce même site. Ils étaient habités par une très forte attente eschatologique (une attente de la fin du monde, une attente messianique). C'est d'ailleurs sur cette attente qu'on a longtemps attribué la raison de leur schisme avec les Sadducéns. Et, même si cette attente ne semble pas leur être propre, des figures comme Jean le Baptiste ou Jésus semble avoir été influencés par cette vision. Le discours de Jésus rapportées par les Evangiles révèle cette attente messianique et la personne du Christ elle-même est une figure eschatologique.

Enfin, difficile de ne pas évoquer la figure fondamentale qu'est celle de Jean le Baptiste. L'évangéliste Luc a fait de Jésus et du Baptiste deux parents divins. Il menait une vie d'ascète, retiré avec quelques disciples dans le désert. Il prêchait "le nouvel Exode" contre le judaïsme officiel de Jérusalem. Sa liturgie tournait autour d'un baptême purificateur "en vue de la rémission des péchés" (selon Marc), le but étant de se réconcilier avec Dieu avant son règne, proche. Du fait de l'importance de ce baptême et de son attente eschatologique on l'a souvent rapproché des Esséniens étant donné leur proximité géographique et leur approche des bains purificateurs. Le débat persiste depuis des décennies pour savoir s'il faut rattacher Jean à une dissidence essénienne. Certaines différences paraissent toutefois inconciliables et, plus généralement, l'émergence du Baptiste est à attribuer au développement d'un mouvement plus large qui se développait en Palestine en Syrie et même dans la Diaspora.

temple jerusalem reconstitutionJean semble avoir attiré à lui un certain nombre de disciples. Cette promesse de rémission des péchés par le baptême était une manière de détourner les foules de celle offerte par les prêtres du Temple à travers les rites sacrificiels. Il semble évident que Jésus a été proche de Jean le Baptiste et qu'il a même baptisé ou fait baptisé ses disciples. Il rallia très probablement des adeptes dans les rangs de Jean ce qui provoqua d'ailleurs des tensions entre les deux groupes. Plusieurs sources attestent la coexistence d'un groupe croyant au Baptiste comme étant le Messie entraînant une certaine rivalité avec les chrétiens. La Nativité détaillée offerte par l'Evangile de Luc semble témoigner d'un débat du Ier siècle : Qui de Jean ou de Jésus est le plus grand ? Flavius Josèphe nous apprend que Hérode le fit enfermer et mourir. Sans doute faut-il voir dans cette figure du Baptiste une énième figure de révolté propre à cette époque troublée que les autorités préféraient éliminer rapidement.

C'est à sa disparition que Jésus commença son ministère, portant un message proche. Juif né en 6 ou 7 avant notre ère, il apparut vers l'âge de trente ans dans l'entourage de Jean le Baptiste. Il prêcha en Galilée accompagné de quelques disciples où il rencontra un certain succès auprès du peuple mais s'attira la méfiance des autorités. Lors de sa venue à Jérusalem pour la Pâque, vers 30, il fut arrêté et crucifié sous le mandat de Ponce Pilate, gouverneur de Judée.

Maintenant que son environnement a été dessiné, attardons nous sur ce qui peut être déduit du discours de Jésus et ce qu'on peut en conclure de sa singularité. Car c'est par l'étude de sa position propre dans cet environnement qu'on sera plus à même de saisir le destin du Nazaréen.

Un Jésus incontestablement juif...

Trois grandes phases de la quête du Jésus historique peuvent être retenues. La première couvre le XIXe siècle, la personnalité la plus célèbre de cette période est sans aucun doute Ernest Renan, auteur d'une fameuse Vie de Jésus. La recherche du Jésus historique constituait ici une volonté de dédiviniser le Christ et les Ecritures tout en reconnaissant en Jésus une figure historique unique et primordiale dans l'histoire de l'humanité.

La deuxième phase de cette recherche qui s'étend de 1900 à 1980, dessina Jésus comme un personnage en rébellion contre le judaïsme de l'époque, un héros moral contre une loi rigoriste.

Ernest RenanEnfin, la dernière phase historiographique est plus partagée, ils s'accordent toutefois pour critiquer cette dernière vision qui ne tient pas face aux recherches sur le judaïsme. Elles prouvent que, loin d'être unique, le judaïsme du Ier siècle (du "second temple", jusqu'en 70, destruction de Jérusalem) se caractérisait par sa grande pluralité, composé d'une multitude de sectes dont le Temple constituait le socle symbolique commun.

Les études ont révélé que Jésus ne se démarquait pas du discours pharisien. Il était sans doute très proche de ce judaïsme. Les Evangiles, dont les accents sont particulièrement virulents à propos des pharisiens ne sont pas à prendre à la lettre mais révèlent surtout les tensions entre juifs et chrétiens à l'époque de leur rédaction. Jésus partageait en effet avec un certain courant pharisien la prééminence de la loi morale sur la loi rituelle. Tous les débats comme la question du respect des règles de pureté, ou de l'observance du sabbat et la possibilité de les suspendre dans certaines occasions étaient des débats de l'époque du Nazaréen et que l'on retrouve dans les Evangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) en maints endroits. Jésus semble être inclus dans un débat propre aux rabbis pharisiens, interprètes de la Loi.

Autre exemple : Le geste de Jésus au Temple (Mc 11, 15-18) a été longtemps désigné par les chrétiens comme symbolique de la singularité de Jésus contre le Temple. Ils ont voulu y voir une critique morale de la Loi et du culte sacrificiel. Or les recherches récentes tendent plutôt à « rejudaïser » cet épisode violent et à l'interpréter plutôt comme la manifestation d'une attente eschatologique : la destruction du Temple annonçant les temps messianiques. Une vision très répandue dans le judaïsme de l'époque.

...Et pourtant crucifié

Ici subsiste un questionnement. Car, si les exégètes et historiens du XXe siècle ont voulu voir en Jésus un chrétien, leurs successeurs en font au contraire un juif ne se démarquant pas fondamentalement des débats de son temps. Mais, dans ce cas-là, pourquoi Jésus aurait-il été crucifié ? D'autres avant lui ont réclamé le titre de messie ; Jean le Baptiste a voulu détourné ses fidèles du rite d'expiation offert par les prêtres du Temple en instaurant le baptême. Or ces figures n'ont pas été rejetés par le judaïsme officiel.

L'exégète Daniel Marguerat voit en Jésus un personnage singulier au sein du judaïsme. Il ne pense pas que l'apparition du christianisme en tant que religion autonome ne dépende que des circonstances d'après la mort du Nazaréen. Il insiste sur l'action de Jésus elle-même. Pour soutenir cette thèse, il s'appuie sur plusieurs éléments.

Le fameux Sermon de la montagne (Mt 5, 21-48) semble faire appel à des paroles présentes dans le Talmud. Néanmoins, on peut remarquer que les sentences de Jésus apportent à ces inspirations juives une vision unique d'autrui, du prochain. Alors que les pharisiens avaient une vision restrictive du "prochain" (le membre de la confrérie), Jésus semble avoir étendu ce cercle de façon inconditionnelle. De par sa vision pharisienne de la supériorité de la loi morale sur la loi rituel, il alla jusqu'à invalider un certain nombre de prescription de la Torah. Car cette impératif radical de l'amour du prochain pouvait invalider les rituels de pureté notamment.

Précisément, un autre exemple nous vient de la conception de la pureté. Les pharisiens voyaient la pureté comme défensive : l'environnement du fidèle est à priori impur et il doit suivre des préceptes et des rites pour s'en protéger. Ces règles imposaient de se tenir loin de milieux ou de personnes jugées impures : étrangers, collecteurs d'impôts, prostituées, lépreux (impurs parmi les impurs)... Jésus semble avoir approché ces impurs, relativisant les rituels de pureté. Il faisait du rapport à autrui le lieu même où se jugeait et se concrétisait la pureté du fidèle. La pureté défensive devint inclusive.

jesus crucifie. fictionJésus semble également avoir insisté sur la primauté de l'urgence eschatologique (la proximité de la fin des temps) sur les rites. Il en autorisait l'interruption pour cette venue du Règne. Dans Luc, il envoie des disciples proclamer cette échéance dans un dénuement total, sans aucun respect pour les règles de politesse d'usage dans la région ("n'échangez de salutations avec personnes" Lc 10, 4).
D'ailleurs, alors que les chrétiens ont donné au Nazaréen un certain nombre de titres (Messie, Fils de Dieu, Fils de David...), Jésus ne semble pas s'être appliqué ces titres. Le seul titre dont il se soit servi est justement une référence eschatologique tiré du Livre de Daniel : Fils de l'Homme (figure attendu du jugement eschatologique, Da 7, 13).

Ce trait radical, sans compromis, de Jésus est fondamental. Il permet de saisir sa singularité. Pour beaucoup de ses contemporains il est devenu, par cette radicalité, déraisonnable. Selon Daniel Marguerat, cela a causé sa perte. Il ne faut pas oublier la place de la religion dans la Judée du Ier siècle. Ce n'est pas une simple croyance ou une règle morale, c'est un des fondements de l'ordre social, un fondement du monde. Relativiser les règles du judaïsme, l'observance du sabbat, les impératifs de pureté, c'est ébranler ce fondement. Jésus, qui de plus n'hésitait pas dans son discours à se placer à l'égal de Moïse en réinterprétant la Torah ("vous avez appris qu'il a été dit... mais moi je vous dit") a sans aucun doute surpris voire effrayés les juifs de son temps qui ont rejeté, pour la plupart, cette radicalité, cette vision déraisonnable de la religion.

Causé sa perte, qu'est-ce à dire ? Ici nous parlons de sa condamnation par le judaïsme officiel qui l'a ensuite livré aux Romains. Et c'était là le seul pouvoir du Sanhédrin. Car, malgré les efforts déployés par le rédacteur de l'Evangile de Jean pour accuser les juifs de la crucifixion de Jésus, il est certain que seules les autorités romaines détenaient le pouvoir de mise à mort en Judée. La découverte d'une inscription à Césarée en 1968 le confirme : Pilate était Praefectus Iudae (préfet de Judée) il détenait donc l'imperium, seul habilité à décider d'une peine capitale. Cette inscription permit de trancher le débat sur la responsabilité de la mort de Jésus. Ainsi, les juifs du Sanhédrin ont-ils livré Jésus aux Romains dans l'espoir qu'ils le fissent condamner. Or, comme nous l'avons vu plus haut, les Romains craignaient l'agitation du peuple de Judée dont les tensions étaient palpables à cette époque. Jésus fut donc crucifié par peur que son discours radical ne provoque une révolte dont l'ordre romain aurait pu pâtir. Jamais les Romains ne l'auraient crucifié pour des querelles internes au judaïsme.

Les sources se contredisent sur la date exacte de la mort. Est-ce le 15 du mois de nisan, jour de la Pâque juive (ce qu'affirment les synoptiques) ? Ou est-ce la veille, le 14 (comme l'affirment Jean et le Talmud de Babylone) ? Sans doute faut-il croire ces derniers. On imagine mal les autorités romaines faire exécuter trois Juifs lors de la fête la plus importante du judaïsme, ç'eût été une faute politique grave. Néanmoins, des milliers de pèlerins devaient déjà être présents pour l'occasion et l'exécution de Jésus n'a pas du passer inaperçue. (Certains exégètes en déduisent donc la date grégorienne du 7 avril 30).

Il est important d'ajouter que la crucifixion était non seulement un mode d'exécution particulièrement cruel, mais il constituait aussi une mort infâmante réservée aux rebelles, aux bandits ou aux esclaves en fuite. De ce point de vue on peut se figurer la tragédie qu'a pu représenter pour ses disciples la vision de leur maître crucifié. Ainsi on comprend pourquoi les premiers chrétiens se sont efforcés d'y voir une manifestation du dessein de Dieu. On peut aussi en conclure une garantie de l'authenticité de cet évènement. La mort par crucifixion était une telle infamie que les disciples de Jésus n'auraient eu aucun intérêt, pour convertir les foules, à proclamer que le Messie était mort sur la croix.

Ainsi le personnage de Jésus peut être appréhendé. C'était un rabbi pharisien entièrement plongé dans les débats du judaïsme de son temps. Joseph Klausner en 1933 disait de lui qu'il était "le plus juif d'entre les juifs", prêchant un "judaïsme outré" qui a inquiété les tenants du judaïsme national traditionnel pour lesquels Israël était le fondement de leur monde. Proche de certaines figures rebelles comme Jean le Baptiste et émergeant dans une Palestine sous tension extrême, les Romains se sont empressés de l'exécuter. Ils pressentaient que ces figures juives révoltées auraient pu mettre en danger la suprématie romaine et leurs alliés en Judée. Ils ne s'y sont d'ailleurs pas trompés car, à peine quarante ans plus tard, les armées de Titus écrasaient les révoltes juives, brûlaient le symbole absolu qu'était le Temple, rasaient Jérusalem et mettaient fin au Judaïsme du Second Temple. Suite à ce traumatisme, Juifs et Chrétiens construisirent alors, en parallèle, une toute autre vision de leur religion.

Frédéric Serrier

Un grand merci à l'exégète Daniel Marguerat professeur émérite de l'Université de Lausanne pour son aide précieuse lors de la rédaction de cette article.

Pour en savoir plus

Tout d'abord, pour une familiarisation avec le sujet, je vous invite tous à regarder le documentaire de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur : Corpus Cristi. C'est un véritable cours magistral délivré par des universitaires, historiens et exégètes, du monde entier. Une somme de savoir absolument incontournable.

- Corpus christi, une série de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Archipel 33, Arte Video, 1997-1998.

Enfin, quelques ouvrages accessibles qui ont servi à la rédaction de cette article :

- Focant, Camille ; Marguerat, Daniel (dir.), Nouveau Testament commenté, Bayard et Labor et Fides, Genève, 2014

- Geoltrain, Pierre (dir.), Aux origines du christianisme, Gallimard, Paris, 2000

- Daniel Marguerat, Jésus et Matthieu, Labor et Fides, Bayard, Genève, 2016.

Abréviations utilisées

Mt : Evangile de Mathieu
Mc : Evangile de Marc
Lc : Evangile de Luc
Da : Livre de Daniel

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