al kamil muhammad al malik and frederick ii holy roman emperorSi le pape Innocent III a été très actif dans l’appel à la croisade, son bilan s’avère plus que mitigé, que ce soit avec celle détournée sur Constantinople, où la Ve croisade qui a échoué en Egypte à cause en partie du légat du pape, Innocent III lui-même étant décédé avant le départ des croisés. Il est alors temps pour les souverains d’Occident de reprendre la main, avec l’un des plus importants d’entre eux, Frédéric II Hohenstaufen. L’empereur germanique était déjà une légende de son vivant, et il est impossible de résumer en quelques lignes le personnage. Il faut donc se contenter de se concentrer sur la situation politique au lendemain de la Vè croisade, et de l’image de Frédéric II à ce moment, en particulier vis-à-vis de la papauté.

 

Le contexte de la Sixième Croisade

Malgré la rivalité entre l’Empire et l’Eglise, c’est bien le pape Innocent III qui a permis l’élection du jeune Frédéric. Celui-ci est alors encore jeune (il est né en 1194), vivant en Sicile, quand le pape décide de « lâcher » l’empereur en place Othon IV (excommunié), en faisant du Hohenstaufen le roi de Germanie, même s’il faut attendre la défaite d’Othon IV à Bouvines (1214) pour que le trône impérial revienne de fait à Frédéric. Celui-ci est élu empereur, nous sommes en 1215 ; il décide alors de prendre la croix mais, nous l’avons vu, il ne tient pas à sa promesse, trop occupé à régler les problèmes internes à l’Empire et aussi, semble-t-il, peu motivé par l’idée même de croisade…En tout cas, même s’il semble avoir été « fait » par le pape, il ne tient pas à rester dans sa dépendance politique.

Cependant, il comprend vite que mener une telle expédition peut lui permettre de se poser en leader de l’Occident, face au pape mais aussi aux autres souverains comme Philippe Auguste. Il a renouvelé sa promesse en 1220, quand Honorius III l’a couronné à Rome, mais il faut attendre 1223 pour que la croisade de Frédéric II reprenne forme. Le pape a encore une importance centrale : d’abord, il pousse l’empereur à renouveler sa promesse, puis il organise son remariage (il est veuf) avec la fille du roi de Jérusalem ; l’affaire est conclue en 1223 donc, en même temps qu’est renouvelé le serment de croisade, dont le départ est fixé à juin 1225.

Toutefois, Frédéric II compte bien décider lui-même de la suite, et il préfère régler ses problèmes en Sicile plutôt que de se préparer ; il risque alors l’excommunication ! Il accepte de renouveler son vœu, et la croisade est repoussée à 1227…Frédéric II gagne du temps, en profite pour mettre la main sur le royaume de Jérusalem (sans se rendre sur place encore) en obligeant son beau-père Jean de Brienne à se réfugier à Rome ! Il retarde encore son départ, et s’en est trop pour le nouveau pape Grégoire IX qui l’excommunie en 1227 ! Il semblerait néanmoins que les raisons du pape soient plus complexes, son regard étant attiré tant par le royaume de Sicile que par celui de Jérusalem…

Frédéric II enfin en croisade ?

L’empereur se décide enfin, malgré son excommunication, à partir pour la Terre Sainte fin 1228, avec 500 chevaliers. Il se rend d’abord à Chypre où Jean d’Ibelin assure la régence, et s’impose en prétextant que les souverains de l’île étaient ses vassaux, puisque c’était son père Henri VI qui l’avait attribuée aux Lusignan ! La famille des Ibelin devient alors une farouche ennemie de Frédéric, mais la guerre est évitée grâce à l’intervention des Ordres militaires. Il parvient ensuite à Acre, mais là Templiers et Hospitaliers s’opposent à lui à cause de son excommunication !

En revanche, il bénéficie du soutien des Teutoniques…L’objectif de l’empereur est double : récupérer Jérusalem, mais aussi asseoir son autorité de souverain. La croisade n’est donc pas sa seule priorité.

Le traité de Jaffa

c_croisade6_jerusalem_restitutionFrédéric II décide de faire pression sur le sultan en fortifiant la ville de Jaffa, place stratégique. C’est un succès rapide car, sans combat, il obtient dans cette même cité le traité qui porte son nom le 18 février 1229 ! Il profite en effet d’une guerre civile au sein des Ayyûbides. Ce traité restitue la Ville Sainte aux Latins (à l’exception de l’esplanade des Mosquées) mais aussi différentes autres places comme Sidon, et des régions qui permettent de reconstituer un semblant de royaume de Jérusalem autour de celle-ci (et non plus d’Acre), et une paix de dix ans. Le succès inattendu est cependant très important, et Frédéric II le fête en se rendant lui-même à Jérusalem en mars 1229, pour s’y faire officiellement couronné, et pour accomplir son devoir de pèlerin.

Mais le contexte n’est guère en faveur de l’empereur : il est toujours excommunié, et ses méthodes à Chypre et Acre lui ont valu pas mal d’hostilités, en particulier de la part des Templiers (qui n’ont pas retrouvé leur Temple, situé sur l’esplanade que gardent les musulmans). De plus, sa tolérance envers les Infidèles (dans la lignée de son attitude en Sicile) est encore moins bien vue, et on lui reproche son goût pour les coutumes orientales, la langue arabe et l’art musulman, tout comme le fait de dîner avec des envoyés du sultan, et même le maître des Assassins ! Il repart donc très rapidement de la Ville Sainte, puis de la Terre Sainte, après un passage à Acre où il est accueilli par les quolibets et les huées…

Les conséquences du traité de Jaffa

La croisade de Frédéric II est donc bien plus un succès que les précédentes (exceptée la première évidemment), mais le traité et les circonstances dans lesquelles il a été signé en diminuent pourtant la portée. D’abord, les Latins d’Orient ont bien peu apprécié la « tyrannie impériale » ; puis, l’accord de paix pour dix ans ne leur permet pas de profiter des guerres internes toujours actives chez les Ayyûbides ; enfin, chez les musulmans justement, cette restitution de Jérusalem aux croisés a été très difficilement vécue, et les Ayyûbides s’en voient encore plus mis en difficulté.
 
Jérusalem est donc finalement reprise de force dès 1244, par les Khwarezmiens (en fuite devant les Mongols), malgré les tentatives précédentes de renforcer la protection de la Ville ; en effet, dès 1239, le pape Grégoire IX a prêché une nouvelle croisade, menée par le comte de Champagne Thibaud IV, afin de protéger Jérusalem. Mais malgré quelques victoires et le renforcement de quelques places fortes, elle s’achève en 1240 sans avoir consolidé le royaume, même si un nouveau traité est signé avec le sultan Ayyûb.
 

Le royaume de Jérusalem est laissé par Frédéric II dans un état déplorable. C’est son fils Conrad qui est censé assumer sa charge de souverain, mais Frédéric s’oppose d’abord au patriarche Géraud dès son retour à Acre ; il est prêt à prendre d’assaut son palais et à affronter les Templiers, mais il doit abandonner pour se rendre en Sicile, où Jean de Brienne l’a pris à revers ! Ensuite, il refuse d’envoyer Conrad en Terre Sainte, et laisse le royaume se démener dans des luttes internes. Il perd aussi le soutien de Chypre, reprise par les Ibelin en 1232. Heureusement, le pape décide de soutenir l’empereur, et la situation semble se stabiliser les années suivantes, malgré l’hostilité des Templiers. On sait que cela ne durera qu’un temps…

Bibliographie

Histoire des croisades, de René Grousset. Tempus, 2006.

- Histoire de la Sixième Croisade et de la Prise de Damiette, de Joseph Toussaint Reinaud. FB, 2018.

Frederic II, de Sylvain Gouguenheim. Tempus, 2021.

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