couronnement baudoin IVFils du roi de Jérusalem Amaury Ier, Baudouin IV succède à son père de 1174 à 1185. Atteint très jeune par la peste, son règne est marquant à plus d’un titre : d’abord grâce à Baudouin IV lui-même, très diminué par sa maladie, mais qui parvient avec courage et une certaine habileté politique et militaire à tenir le royaume pendant plus de dix ans ; par le contexte ensuite, un royaume de Jérusalem assiégé, qui doit faire face à la montée en puissance de Saladin. La fin tragique de Baudouin IV, mort à vingt-quatre ans, précède symboliquement le destin de la Jérusalem franque et du royaume latin dans son ensemble.

 

Une jeunesse sacrifiée

La date exacte de la naissance de Baudouin IV n’est pas connue, mais on l’estime autour de 1161, sous le règne de Baudouin III son oncle. Le lieu de sa naissance est lui aussi inconnu, on parle d’Ascalon ou Jaffa. Il est le fils du comte de Jaffa, Amaury, et d’Agnès de Courtenay, fille du comte d’Edesse (le comté est cependant tombé aux mains des musulmans depuis 1146) ; c’est donc un poulain, un Franc né en Terre sainte. Ses origines, par son père et sa mère, remontent jusqu’aux Ardennes, à l’Anjou et au Gâtinais, mais aussi en Orient même, l’Arménie étant la terre de deux de ses ancêtres. Sibylle est sa sœur aînée.

Les débuts de l’enfance de Baudouin IV sont heureux ; il a pour parrain le roi de Jérusalem lui-même, Baudouin III, et son père Amaury le garde très proche de lui, décidé à le cultiver. Ainsi, il lui donne comme maître Guillaume de Tyr. Malheureusement, le jeune Baudouin voit sa mère contrainte de le quitter alors qu’il n’a que deux ans : les barons du royaume de Jérusalem ne veulent pas d’elle comme reine, la considérant comme volage et leur mariage consanguin.

couronnement baudoin IVIls exigent qu’Amaury la répudie pour l’élire roi et ainsi succéder à Baudouin III ; le comte s’exécute, Agnès quitte la cour. Amaury Ier ne se remarie qu’en 1167, avec Marie Comnène.

Toutefois, un autre malheur, bien plus grave tombe sur Baudouin alors qu’il n’a pas dix ans. C’est Guillaume de Tyr lui-même qui remarque que le jeune garçon semble insensible à la douleur quand il joue avec ses camarades et très vite les médecins, dont des Arabes, doivent se rendre à l’évidence : Baudouin est atteint de la lèpre…

Roi de Jérusalem à treize ans

La jeunesse de Baudouin est courte et amputée, mais il est tout de même éduqué comme un futur roi, y compris dans le domaine militaire, et plus que jamais chéri par son père. Celui-ci, roi guerrier, doit gérer une situation de plus en plus tendue pour le royaume de Jérusalem, malgré les tensions chez les musulmans à cause de la rivalité croissante entre Nûr al-Dîn et Saladin, ce dernier étant solidement installé en Egypte. C’est justement alors qu’il organise une expédition contre Le Caire avec les Normands de Sicile que le roi Amaury Ier meurt, sans doute du typhus ! Nous sommes le 11 juillet 1174, et quelques mois auparavant c’est son ennemi Nûr al-Dîn qui est décédé, ouvrant la voie aux ambitions de Saladin.

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La nouvelle est tragique, pour sa famille mais également pour le royaume. Son successeur doit être son jeune fils Baudouin, mais il est jeune et surtout atteint par cette maladie honteuse et incurable, la lèpre. Il est tout de même élu par les barons, qui décident de trouver un bon mari à sa sœur Sibylle pour déjà préparer sa succession ; le choix se porte sur Guillaume « Longue Epée » de Monferrat. Baudouin IV est couronné roi de Jérusalem le 15 juillet 1174.

Trop jeune pour régner, le jeune Baudouin IV a besoin d’un régent à la hauteur, surtout vu la situation ; en effet, les Normands viennent d’échouer dans leur raid sur Alexandrie, et la menace Saladin se précise…Sous l’influence de Guillaume de Tyr, c’est finalement Raymond III de Tripoli qui est choisi, pour sa puissance, son expérience et sa loyauté.

Les premières campagnes de Baudouin IV (1175-1176)

Depuis l’avènement du royaume de Jérusalem, et en dehors des grandes campagnes autour de la Deuxième croisade, les relations en Terre sainte alternent entre trêves et chevauchées, ou razzias. La situation dans les terres d’Islam n’est pas plus simple qu’à Jérusalem après la mort de Nûr al-Dîn, au moment où Saladin a bien l’intention de lui succéder et de revendiquer ses possessions de Syrie. Il entre ainsi à Damas dès octobre 1174.
 

Ces divisions sont l’occasion idéale pour les Francs. Ils acceptent la demande d’aide d’Alep, cité qui refuse la tutelle de Saladin, et que ce dernier assiège à ce moment. L’expédition franque est menée par Raymond de Tripoli depuis le Krak, et le danger bien réel oblige Saladin à abandonner le siège d’Alep. Quelques semaines plus tard, c’est Baudouin IV, quatorze ans à peine, qui prend la tête d’une chevauchée partie cette fois de Jérusalem ; le but de la razzia est la région de Damas. C’est une réussite, le butin est important. Saladin, empêtré dans ses problèmes avec les Zengides, demande la signature d’une trêve.

L’année suivante, été 1176, l’armée de Jérusalem se met à nouveau en mouvement, avec une fois encore le roi lépreux à sa tête. Rejointe par la cavalerie du comte de Tripoli, elle pille la Syrie du Nord avec le même succès que la région de Damas quelques mois auparavant. Les premières campagnes de Baudouin IV sont donc un réel succès.

La bataille de Montgisard (25 novembre 1177)

Les chevauchées victorieuses des Francs durant les années 1175-1176 sont dues à un vrai opportunisme, motivé par les problèmes de Saladin. Quand ce dernier commence à prendre le dessus sur ses rivaux, les difficultés ne sont pas loin pour le royaume de Jérusalem.

De plus, le royaume bénéficie toujours de son image et attire des chevaliers d’Occident, qui se veulent pèlerins mais qui sont surtout avides de gloire. Parmi eux, Philippe de Flandres, qui a beaucoup d’ambition mais peu d’habileté politique. Sa morgue et ses interventions dans la politique de la région font perdre au royaume latin la possibilité d’alliance avec l’Empire byzantin, affaibli après la débâcle de Myriokephalon (septembre 1176). Le roi Baudouin, rongé par la maladie, ne peut pas faire grand-chose contre ce turbulent ambitieux, qui menace l’équilibre même de la région. Le jeune monarque est en plus orphelin de Raymond III, qui a quitté la cour dans des circonstances mystérieuses. Le comte de Flandres finit par persuader les barons de le suivre pour une expédition dans le Nord, qui doit être rejointe par le comte de Tripoli. Le royaume de Jérusalem se retrouve alors privé d’une bonne partie de ses chevaliers et de ses troupes.

C’est l’occasion rêvée pour Saladin, depuis peu de retour en Egypte. Le Sud du royaume franc est totalement dégarni, et le sultan lance son armée sur Gaza. Très vite, il atteint Ascalon et commence à piller la région. A Jérusalem, c’est la panique car on est conscient que ce qui reste d’armée n’est pas suffisant pour arrêter Saladin. Le roi Baudouin IV, « à moitié mort » selon un chroniqueur, a alors le courage et l’audace de convoquer ce qui lui reste de chevaliers et de se ruer au Sud. Il profite du fait que le sultan n’a pas assiégé Ascalon pour s’y réfugier. Saladin commet alors une erreur décisive : plutôt que de faire le siège de la cité, il décide de foncer au Nord, droit sur Jérusalem, sans laisser d’arrière-garde. Baudouin IV en profite, il quitte Ascalon et est rejoint par d’autres troupes, puis il chevauche à la poursuite de Saladin.

Ce sont quelques cinq cents chevaliers francs qui fondent sur l’armée musulmane, qui peine à manœuvrer à cause de la surprise. Le roi Baudouin lui-même participe à la mêlée en s’y jetant dès la deuxième vague. Saladin, menacé directement, doit donner l’ordre de décrocher. La victoire est totale pour Baudouin IV ; il a à peine dix-sept ans, et il a vaincu le puissant sultan…
 

Au Nord, la situation est différente. La grande armée du comte de Tripoli et de Philippe de Flandres attaque la Syrie du Nord, encore secouée par des divisions et sur laquelle Saladin n’a pas réussi à mettre définitivement la main. Malgré leur nombre, les Francs échouent devant Hama ; ils se tournent alors vers Hârim, place forte musulmane qui n’est qu’à une trentaine de kilomètres d’Antioche. C’est un nouvel échec. En mars 1178, une trêve est signée avec Alep, au moment où Saladin, de retour en Egypte après Montgisard, décide de gagner à nouveau la Syrie.

La fortification du royaume de Jérusalem (1178-1179) 

La grande victoire de Montgisard a permis au royaume latin de souffler un peu, Saladin ayant dû se replier en Egypte pour reconstituer ses forces. Baudouin IV décide de profiter de cette accalmie pour lancer un grand programme de fortifications, principalement au Nord et à l’Est du royaume, ainsi qu’à Jérusalem même.

En quelques mois, des forteresses poussent un peu partout aux marges du royaume franc, avec principalement le Chastel-Neuf de Hunin et le Gué de Jacob (ou Chastellet). Saladin voit dans la construction de ce dernier une provocation et une violation des trêves, jurant de le raser jusqu’aux fondations. Le sultan a de quoi s’inquiéter car, à la mi-1179, les Francs ont fortement renforcé leur maillage défensif, par la construction de ces nouvelles forteresses, la rénovation d’autres et le redéploiement de leurs forces ; ainsi, le Chastellet est confié aux Templiers.

Les premières difficultés (1179-1182)

Mise en confiance par les fortifications, l’ost de Jérusalem fait route vers le Nord pour quelques chevauchées et pillages, mais elle est surprise à Panéas par Farrûkhshâh, neveu de Saladin. C’est une cuisante défaite, qui voit la mort du connétable Onfroi de Toron (avril 1179). Cela a en plus la conséquence de réveiller Saladin, qui décide lui aussi de tenter quelques razzias en terre franque. Ainsi, il assiège Chastel-Neuf, mais c’est un échec. Le sultan ne renonce pourtant pas aux pillages, comme il l’avait fait deux ans auparavant dans la région d’Ascalon, obligeant le roi de Jérusalem à une riposte.

L’armée royale se rend dans la plaine de Sidon et y surprend une cavalerie musulmane, vite défaite. Trop confiants, les Francs ne sont pas en ordre de bataille quand Saladin en personne les surprend entre Marj ‘Uyûn et Beaufort ! C’est la déroute ! Le comte de Tripoli et Baudouin en personne manquent d’être fauchés, et le Maître des Templiers, Eudes de Saint-Armand, est fait prisonnier – il mourra dans les geôles de Saladin…
 

Cette défaite franque marque une période où le royaume est à nouveau en grand danger. Saladin met sa menace à exécution en assiégeant le Chastellet ; le 29 août 1179, le château des Templiers est pris, puis rasé, et ses occupants tous tués ou envoyés dans les prisons de Damas. Le sultan continue sur sa lancée en razziant les régions de Tyr et Beyrouth. Il faut attendre le début de l’année 1180 pour qu’enfin il accepte une trêve, désireux de se tourner vers Mossoul.

Les problèmes ne sont pour autant pas terminés pour les Francs. Le roi Baudouin est de plus en plus malade, et certains pensent déjà à sa succession, voire à l’obliger à abdiquer. L’intrigue se noue autour de sa sœur Sibylle, veuve de Guillaume de Montferrat depuis 1177, non sans avoir eu un enfant de lui, Baudouinet. Sibylle, influencée par sa mère Agnès de Courtenay, jette son dévolu sur un certain Guy de Lusignan, qu’elle épouse à Pâques 1180. Baudouin IV n’y peut strictement rien, même s’il n’est guère d’accord, et il ne peut compter sur l’appui de Guillaume de Tyr en mission diplomatique à Constantinople. L’occasion est trop belle pour la reine mère d’imposer au patriarcat de Jérusalem son favori Héraclius, malgré sa réputation très peu digne d’un homme d’Eglise, alors que Guillaume était le légitime prétendant pour le poste.

Le roi de Jérusalem vit donc l’année 1181 dans la solitude et la maladie, bien incapable de dompter les ambitions des barons et de son entourage, y compris familial. Heureusement pour le royaume de Jérusalem, Saladin est occupé ailleurs et il ne revient en Terre sainte qu’au cours de l’année suivante. Il prend prétexte des raids de Renaud de Châtillon (nous y reviendrons) pour attaquer à nouveau, Beyrouth cette fois, dont il fait le siège. Malgré la canicule, Baudouin IV prend la tête de son armée, direction Acre. Il en fait sortir la flotte pour briser le blocus de Beyrouth, puis se dirige vers cette dernière. Saladin, sachant qu’il n’est pas encore prêt, renonce au siège et se retire à l’arrivée de l’armée de Jérusalem. C’est, momentanément, la fin du danger pour les Francs.

Le problème Renaud de Châtillon, l’Eléphant

Impétueux chevalier devenu baron, ayant séjourné plus de quinze ans dans les geôles d’Alep, toujours prompt au combat et au pillage, Renaud de Châtillon se transforme en réel problème pour Baudouin IV au début des années 1180.

Agissant seul, n’hésitant pas à désobéir à son suzerain, il tente d’assouvir sa haine de l’islam par des projets de plus en plus mégalomaniaques. En 1182, profitant de la position idéale de son château de Kerak, il tente carrément de piller les Lieux saints musulmans, Médine et La Mecque ! Il parvient jusqu’à l’oasis de Teima, mais doit renoncer et faire demi-tour à cause de la menace d’une attaque sur Kerak. Il a tout de même stupéfait les musulmans, Saladin en tête, qui jure d’avoir sa tête.

Cependant, Renaud de Châtillon n’abandonne pas ses projets, au contraire. Il met d’abord dans l’embarras le roi Baudouin en pillant une caravane passant près de Kerak ; à l’injonction du souverain de relâcher les captifs et de rendre les biens, le baron répond par le mépris ! Le roi lépreux est alors incapable de se faire obéir, provoquant la colère de Saladin, encore plus rancunier envers Renaud…
 

Peu importe, celui-ci a pour nouveau projet un raid en mer Rouge ! Il fait construire des galères dans son château de Kerak, puis les fait transporter en pièces détachées par chameaux, dans le plus grand secret, jusqu’au golfe d’Aqaba. La petite flotte appareille pour la côte égyptienne, où elle commence son pillage. Ensuite, elle traverse la mer Rouge, coulant au passage un navire de pèlerins musulmans, puis débarque non loin de Djeddah, pillant là aussi la région. L’émoi est grand chez les musulmans, et Saladin est trop loin, occupé à soumettre Alep. Heureusement, son frère al-Âdil est toujours en Egypte et il organise la contre-attaque. La troupe de pilleurs de Renaud (on dit qu’il était déjà parti) est traquée et châtiée sans pitié dans le désert arabe, des chevaliers étant égorgés comme des animaux pour les punir de leur sacrilège.

Renaud de Châtillon a toutefois réussi son effet, terroriser les musulmans. Il est surnommé par ces derniers « l’Eléphant », en référence à l’invasion de La Mecque par le roi abyssin Abraha (dont c’est le surnom) en 570. Mais la haine du baron franc n’a fait qu’aviver celle de Saladin…

Le vain courage de Baudouin IV

Durant l’année 1183, Baudouin est devenu aveugle. Il est désormais transporté en litière. Pourtant, il ne cesse pas de gouverner, lançant même une grande réforme fiscale dans tout le royaume. Il sait que le danger est plus présent que jamais car Saladin a enfin réussi à vaincre ses rivaux et à unir l’umma derrière lui, pour le jihad contre les Chrétiens et pour la reconquête de Jérusalem. Le roi envoie une expédition dans le Sinaï, mais elle échoue.

Il doit faire alors face à l’ambition de Guy de Lusignan et, trop affaibli, il lui confie la régence en lui faisant promettre de ne pas briguer la couronne de son vivant. Guy, très confiant en ses capacités, décide d’un raid en Galilée mais il est contré par Saladin malgré sa supériorité numérique. Les barons commencent à regarder d’un mauvais œil cet ambitieux, et ils sont bien heureux que Baudouin, ayant retrouvé un semblant de santé, lui retire la régence et fasse de son neveu Baudouinet le successeur sur le trône. Guy de Lusignan est évidemment furieux.

Le roi doit ensuite gérer, avec l’aide de Raymond de Tripoli, les incursions de Saladin, bien décidé à punir Renaud de Châtillon. Par deux fois, en 1183 et l’année suivante, le sultan fait le siège de Kerak mais doit renoncer sous la pression du roi de Jérusalem.

Baudouin sait que ce n’est que partie remise, et il décide de demander l’aide de l’Occident en y envoyant des ambassades, auprès du pape et d’Henri II Plantagenêt. La maladie le ronge, il s’inquiète pour sa succession et pour la vie du jeune Baudouinet. Guy de Lusignan en profite pour tenter une rébellion début 1184, mais le roi le soumet à nouveau devant Ascalon. Baudouin IV termine les derniers mois de sa vie alité, laissant à Raymond de Tripoli le soin de gouverner, pendant que les vautours attendent leur heure. Il meurt de la lèpre le 16 mars 1185, à vingt-quatre ans.

L’habileté de Raymond de Tripoli et le respect de Saladin pour le roi lépreux permettent la signature d’une trêve de deux ans. Le neveu du défunt devient roi de Jérusalem sous le nom de Baudouin V, il n’a que six ans. Mais la malédiction est toujours là : le jeune roi meurt l’année suivante.

C’est le moment tant attendu par Guy de Lusignan qui, des mains de Sibylle, devient roi de Jérusalem, au grand désespoir du comte de Tripoli. Il ne faut que quelques mois à Guy pour s’attirer, avec l’aide de Renaud de Châtillon, le courroux de Saladin. Celui-ci marche sur le royaume de Jérusalem. En juillet 1187, c’est la débâcle d’Hattîn : le roi est capturé, Renaud de Châtillon décapité de la main même de Saladin. Le 2 octobre 1187, le sultan entre dans Jérusalem.

Bibliographie

-          P. Aubé, Baudouin IV de Jérusalem, le roi lépreux, Tempus, 2010 (rééd).

-          J. Phillips, Une histoire moderne des croisades, Flammarion, 2010.

-          J. Prawer, Histoire du Royaume latin de Jérusalem, CNRS, 2007 (rééd).

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