Boucherie_medievale_XIVe_siecleAujourd’hui, les crises sanitaires – vache folle, fièvre aphteuse, grippe aviaire – des filières de la viande donnent à s’interroger sur les réglementations de la chaine alimentaire. Pour autant, ces interrogations ne sont pas nouvelles. En effet, dès le Moyen Âge, la peur du malsain et du corrompu amena l’Occident à mettre sous surveillance et à légiférer sur l’alimentation, tout particulièrement sur la viande afin de prévenir tout risque potentiel. Lors du récent scandale de la viande de cheval, les médias parlèrent de « tromperie digne du Moyen Âge » mais qu’en était-il des règles sanitaires de l’époque ?

 

Législations de la boucherie au moyen Age

En matière de sécurité alimentaire, l’une des principales préoccupations des pouvoirs en place de l’Occident médiéval, est d’éviter les périls pouvant survenir de la consommation de viande. Ces périls sont bien souvent inconnus ou faussement diagnostiqués mais la crainte qu’ils suscitent l’emporte très largement. Il en résulte un multiforme et prolifique dispositif juridique. Qu’il s’agisse d’un seigneur, d’une municipalité, voire plus rarement du roi lui-même, on réglemente pour éviter tout trouble de l’ordre et de la paix publics. Il ne s’agit pas simplement de simples recommandations mais de véritables « lois », parfois âprement négociées et accompagnées d’inspections, de contrôles et d’amendes en cas d’infraction.

À ce titre, la charte de Mirepoix de 1303 est un exemple de législation sur la viande particulièrement parlant. Elle est signée en présence du seigneur de la ville, Jean de Lévis, de notaires, de professeurs en droit, de représentants municipaux, de l’ensemble des bouchers de la ville mais également du roi de France, Philippe le Bel, preuve que ce dernier est conscient des enjeux juridiques, commerciaux et politiques liés à la nourriture. Et cette charte est loin d’être unique. Entre 1200 et 1500, de très nombreux textes normalisent la vente de viande.

Dans les villes du Midi de la France et en Italie, il s’agit principalement de l’action des élus locaux. Plus au nord, ce sont les corporations de métiers du moyen-âges qui prennent le relai juridique comme la grande et puissante boucherie parisienne dont les statuts font office de lois pour tous les pratiquants de la ville.

Ainsi, la société médiévale accorde principalement à partir du XIIIe siècle une importance croissante au droit alimentaire qui se constitua de façon éparse et fragmenté : coutumes, ordonnances, capitulations, chartes, statuts, etc. Et ce droit se révèle parfois particulièrement strict.

Les viandes interdites

Boucherie_meviedale_XIVe_siecleSi tout chrétien est libéré du tabou alimentaire a contrario des juifs ou des musulmans, la chair des animaux peut être en certaines occasions malsaine et il convient au nom de la santé public de l’éviter à tout prix. Pour se faire, on se réfèrent en premier lieu aux anciennes autorités héritées de la Grèce et la Rome antiques, Hippocrate et Galien en tête, pour déterminer ce qui peut être consommé ou non.

Deux interdictions formelles visent avant tout l’animal en tant que tel. La première concerne la viande de chèvre dont la finalité de l’élevage tient plus à la production de lait et de fromage. Si d’une manière générale, les campagnes consomment de la viande de chèvre, en ville cette dernière est dépréciée car considérée comme vectrice de maladies comme la fièvre ou le choléra si l’on se réfère à Hippocrate. Parfois la vente de chevreau est autorisée sans qu’une raison précise ressorte outre une volonté de goût face à la précaution sanitaire.

La seconde viande strictement interdite est celle de cheval. En manger est infamant et l’Église perçoit sa consommation comme un geste barbare et païen alors que le profane voit l’animal comme son compagnon de travail aidant au labour des champs, voire même comme un confident. Il est dès lors impensable de se nourrir de son ami. Sur leurs étals, les bouchers peuvent donc vendre du mouton, du bœuf et du porc, mais sous certaines conditions spécifiques : les chairs doivent être « bonnes, utiles et non malades » si l’on se réfère à la charte de Mirepoix précédemment citée.

Dès lors et en raison de la faible avancée de la médecine de l’époque, la porte est ouverte à toutes les interdictions dès qu’une maladie est suspectée. L’une des principales inquiétudes de l’homme médiéval en matière de peur alimentaire est la transmission de maladie de l’animal à l’homme. Pour l’éviter et bien qu’il soit beaucoup plus dans le doute que la certitude, il prend d’extrêmes précautions jusqu’à imaginer beaucoup de maladies comme celle du cochon lépreux.

Les précautions d’abattage et de vente

Parmi les règles sanitaires touchant la viande au Moyen Âge, les plus strictes concernent très certainement l’abattage des animaux. Parmi les multiples normes, plusieurs sont à citer : les animaux doivent entrer à pied en ville et subir un contrôle sanitaire avant d’être abattus et pas n’importe où. Si à Vérone, dès 1450, les bouchers doivent procéder à la mise à mort dans leur propre boutique, il leurs est généralement interdit de le faire dans leur propre maison mais plutôt dans des sortes d’abattoirs publics répondant plus au vocable de tueries ou d’écorchoirs.

Les pouvoirs en place cherchent ainsi à séparer physiquement le lieu de l’abattage du lieu de vente pour un meilleur contrôle. Et les bêtes doivent se rendre par leur propre moyen dans ces lieux, apportant au consommateur la garantie qu’elles sont saines. Ce système permet en outre d’éviter les fraudes et permet de percevoir des impôts, chaque animal étant taxé à son entrée en ville, la fiscalité venant en aide aux règles sanitaires. Enfin, avant d’être mises à mort, les bêtes doivent subir un double examen, à la fois externe et interne pour s’assurer qu’elles ne sont pas malades. Dès lors, les bouchers pouvaient procéder à l’abattage puis à la vente mais là encore sous certaines conditions.

Boulanger_puni_pour_avoir_viole_les_reglesEn effet, la vente de viande, denrée périssable, fait également l’objet de fortes attentions. Les bouchers travaillent à flux tendus, selon la demande, car le stockage est impossible et les délais de vente rigoureux. D’une manière générale, ces délais sont au mieux de deux à trois jours, au pire d’un jour et demi suite à l’abattage. À Paris, les bouchers ne peuvent garder une chair tuée plus de deux jours en hiver et un jour et demi en été. Et la viande est loin d’être le seul aliment concerné, pain, lait poisson, fruits de mer, sont partout sujets à de strictes réglementations sur les délais de vente. Quant aux bouchers, interdiction leurs est faite de vendre de la viande cuite, activité des charcutiers et saucissiers, évitant ainsi le recyclage d’une viande invendue ou malsaine. 

Pour conclure

Le scandale de la viande de cheval serait-il vraiment digne d’ « une tromperie du Moyen Âge » ? Rien n’en est moins sûr à l’observation de l’impressionnante législation sur la vente et la consommation de viande. Néanmoins, entre la théorie et la pratique, il existe parfois une grande différence et l’historien se retrouve confronté à cette question du réel respect de ces règles. Il n’en demeure pas moins que le contrôle sanitaire apparaît être une préoccupation majeure de la société médiévale, une préoccupation reflétant le fantasme de la peur de l’alimentation toujours présent aujourd’hui. 

Bibliographie

- Madeleine Ferrières, Histoire des peurs alimentaires. Du Moyen Âge à l’aube du XXe siècle, Éditions du Seuil, Paris, 2002.

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