classeElèves d’origine étrangère, issus de familles en grande précarité, difficultés à mener un cours et à aborder certains sujets,…enseigner dans un collège dit difficile peut paraître une gageure, plus encore dans un contexte où la formation des enseignants est sabotée et l’enseignement de l’histoire manipulé et menacé. Pourtant, tout est-il si noir ? Cela ne vaut-il pas le coup finalement ? Enquête embedded en région parisienne.


Qu’entend-on par « collège difficile » ?

Cet article ne prétendra pas à l’exhaustivité. Il ne s’agit que d’évoquer une expérience ponctuelle, qui plus est en stage, afin de donner une idée sans doute en partie subjective de comment peut se passer l’enseignement de l’histoire dans un type de collège spécifique. Mais ce témoignage se nourrit également d’autres témoignages, dont l’expérience de collègues rencontrés sur le terrain. Et il permettra d’évoquer plus largement les difficultés de ces établissements.

Le collège en question est en Réseau Ambition Réussite (RAR), en région parisienne. L’essentiel des élèves est d’origine étrangère, d’une ou plusieurs générations, voire directement immigré (plusieurs élèves sont arrivés en cours d’année). L’origine se partage relativement équitablement entre Maghrébins et Africains subsahariens, avec également quelques Asiatiques, Sud-Américains ou Européens de l’Est. L’autre caractéristique est la situation sociale de ces enfants : la plupart des familles sont en grande difficulté, et pas seulement au niveau des ressources. Les familles monoparentales sont nombreuses, et beaucoup de parents ont du mal à s’exprimer en français, ce qui pose des problèmes tant pour communiquer avec l’équipe du collège que pour aider leurs enfants.

Quant aux élèves, ils cumulent logiquement divers problèmes : un niveau globalement faible, un manque de cadrage pour la vie en société, une tension à fleur de peau provoquant des explosions de violence, verbale et physique, entre eux et à un degré moindre contre les adultes. Ce qui ne les empêche pas d’être très attachants, mais nous y reviendrons.

Les élèves évoqués ici seront principalement issus de classes de cinquième et de troisième. L’avantage du RAR est qu’ils ne sont pas plus de vingt par classe.

Préparation et déroulement du cours

Les cours que nous avons menés sont : pour les cinquièmes, l’Occident médiéval avec le thème « Paysans et seigneurs » ; pour les troisièmes, l’Occupation allemande, le génocide et le régime de Vichy.

Avec ce genre d’élèves, la chose primordiale est d’éviter l’ennui et la routine. Il nous faut rapidement décrire le déroulement d’une séance : grande agitation dans les escaliers (avec parfois accrochages) ; arrivée tout autant agitée et en ordre dispersé dans la classe ; installation (se déshabiller, s’asseoir, sortir ses affaires) très longue, avec circulation des élèves dans toute la classe. Et évidemment, beaucoup de bruit. Il n’est pas rare qu’un cours ne commence vraiment qu’au bout d’un quart d’heure. Durant le cours lui-même, les échanges entre élèves sont systématiques, que ce soit pour se passer des affaires ou s’invectiver. Ils n’hésitent pas non plus à se lever et à circuler. Leur concentration et leur obéissance sont donc très faibles. Pourtant, on arrive à avoir par intermittences une « vraie classe », presque calme, attentive et surtout qui participe. Pour cela, il faut construire un cours qui tient compte de leur spécificité.

L’essentiel est de diversifier les supports et les approches, éviter le cours magistral, beaucoup les faire participer, et ne pas hésiter à les faire travailler régulièrement en groupes, de deux ou trois élèves. On a alors de très agréables surprises, des réflexions pertinentes et le sentiment qu’ils écoutent, retiennent et parfois même apprennent (pour certains). Les résumés dictés ou surtout écrits au tableau sont indispensables mais parfois un peu laborieux tant les élèves éprouvent des difficultés à s’organiser (régulièrement les affaires sont oubliées, et les cahiers sont dans des états déplorables), mais surtout simplement à écrire. Cependant, est-ce spécifique aux collèges difficiles ?...

Les réactions des élèves

Les sujets abordés déterminent évidemment les réactions. En ce qui concerne l’Occident médiéval, on aurait pu se dire que vu l’origine des enfants le sujet aurait pu ne pas les intéresser. Or, cela a été loin d’être le cas ! Ils ont joué le jeu dans l’étude de la seigneurie et, surtout, ont lancé quelques savoureuses réflexions sur la condition paysanne et sur les inégalités vis-à-vis du seigneur, affichant un réel rejet de l’injustice (ce qu’ils voyaient comme tel), s’étonnant même du manque de révolte des paysans ! Dans un autre genre, une intervention sur le chevalier : en entendant qu’il se devait d’être un chrétien scrupuleux, un garçon lança : « mais alors un musulman ne pouvait pas être chevalier ? ». Les références à leur culture ou leur pays d’origine sont fréquentes (un autre garçon a demandé si ça se passait pareil chez les Berbères), et il ne faut pas hésiter à en jouer pour les impliquer un peu plus, y compris en géographie d’ailleurs, et l’on peut même dire que cela enrichit le cours. On remarque ensuite qu’ils savent bien plus de choses qu’on ne le pense, y compris sur des sujets aussi austères que l’Occident médiéval. Et qu’ils retiennent et font le lien avec les autres cours ; ainsi, sur l’amour courtois, pas la peine de développer, ils avaient retenu ce que leur prof de français avait dit…

Le cours des troisièmes s’est avéré différent. Un peu moins de participation (plus dû à la classe qu’au niveau), mais surtout quelques réflexions douteuses quand furent abordés le génocide et Vichy. Problème principal : les juifs. Premier exemple : alors qu’on abordait le génocide (parmi d’autres aspects de la politique allemande d’occupation), un « les juifs, sont trop puissants » retentit. Deuxième exemple : lors de l’étude de la célèbre affiche de Vichy (avec les deux maisons, et le « travail, famille, patrie »), plusieurs autres réflexions du même ordre, comme « de toute façon, les juifs c’est eux qui dirigent tout », ou l’accréditation du complot judéo-maçonnique…Il faut cependant noter que toutes ces remarques étaient faites avec un naturel désarmant, et surtout sans aucune animosité ou marque de haine : pour eux, c’étaient juste des évidences.

En discutant avec d’autres profs d’histoire de ce collège, il s’est avéré que les problèmes sont fréquents sur certains sujets : les juifs donc, mais plus encore l’islam (abordé en début de cinquième). Cependant, il s’agit de contestations, mais rarement faites avec violence ou invectives, et des réponses simples et argumentées suffisent le plus souvent à clore la question, et même à convaincre les élèves à changer d’avis et à être plus tolérants. C’est aussi ça le boulot de prof…

Le bilan

Enseigner l’histoire dans un collège difficile s’avère donc spécifique sur plusieurs points : préparer et mener un cours est différent à cause du niveau et du comportement des élèves, il faut s’adapter et être vigilant en permanence. Certains sujets sont plus ou moins difficiles à aborder, en raison de l’origine des élèves et de leur cadre familial.

Pourtant, cela n’en est pas moins passionnant, au contraire. Les élèves sont curieux, surprenants parfois et très souvent attachants. Certains ont des niveaux convenables et on a envie qu’ils ne soient pas tirés vers le bas ; les autres ont de grandes difficultés mais pour beaucoup veulent s’en sortir, et on a envie de les aider. Alors certes, cela peut paraître insurmontable, et nombre d’enseignants chevronnés et motivés se cassent les dents. Ce n’est pas pour autant que cela ne vaut pas le coup. Il faut juste savoir ce qui nous attend.

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