piece philippe augusteRoi de France de 1180 à 1223, Philippe II, dit Philippe Auguste, a permis à la dynastie des Capétiens de consolider son pouvoir et d'élargir considérablement le domaine royal. Mieux, par ses conquêtes et ses réformes, il est souvent considéré comme l’un des plus grands souverains de l'histoire de France et comme l’un des fondateurs de ce qu’est devenue la nation française. Le 27 juillet 1214, la victoire de Philippe Auguste lors la bataille de Bouvines contre une coalition de puissances européennes deviendra l'évènement le plus célèbre de son règne. Il est le premier monarque à faire usage du titre de roi de France (rex Franciae, au lieu de rex francorum, roi des francs).

La succession de Louis VII

Né le 21 août 1165 à Paris, Philippe Auguste succède à son père le roi Louis VII, qui a épousé sa mère Adèle de Champagne après l’annulation de sa précédente union avec Aliénor d’Aquitaine, et un mariage sans héritier mâle avec Constance de Castille. A la mort de son père, Philippe II n’avait que quinze ans. Il était très populaire depuis sa naissance parce que, pendant de nombreuses années, Louis VII n'avait eu que des filles. La venue au monde du jeune prince avait rempli de joie ses sujets. Bien avant de monter sur le trône, il avait montré une maturité étonnante. Au reste, depuis le 1er novembre 1179, son père l'avait associé au trône et lui avait presque entièrement abandonné le pouvoir.

Son premier acte de roi fut hardi et heureux : il décida d’épouser la nièce de son tuteur et parrain, le puissant comte de Flandre, Philippe d’Alsace. Ce mariage, qui irritait le parti de la reine mère, Adèle de Champagne, présentait un double avantage. D’abord, le comte de Flandre promettait de doter sa nièce de l’Amiénois, du Vermandois et, plus tard, de l’Artois : c’était pour le domaine royal un accroissement considérable au nord. Ensuite, cette nièce, Isabelle de Hainaut, descendait de Charles de Lorraine, l’ancien compétiteur d’Hugues Capet en 987. Elle était du sang direct de Charlemagne. En l’épousant, Philippe greffait la dynastie capétienne sur la dynastie carolingienne. Il se donnait pour ancêtre le prestigieux empereur qu’à cette époque la poésie épique célébrait dans de nombreuses chansons de geste. L’importance politique de ce mariage était donc considérable
 

couronnement_de_philippe_augustePhilippe II a été sacré roi à Reims en 1180. Mais le trône capétien est alors affaibli et le jeune souverain doit lutter contre l’influence de sa mère, de ses oncles et de certains féodaux qui s’allient contre lui. Habile politique, il a réussi avant même la mort de son père à signer un traité de paix avec Henri II Plantagenêt, à Gisors. Il a alors les mains libres pour affronter ses rivaux, qu’il vainc en 1185 et il leur impose le traité de Boves. C’est à cette occasion qu’il aurait été surnommé Auguste par le moine Rigord, en référence à son mois de naissance mais surtout au premier empereur romain.

La lutte contre les Plantagenêts

Comme son père, Philippe II entretient des relations conflictuelles et complexes avec les Plantagenêts, maîtres de l’Angleterre mais aussi d’une bonne partie de la France grâce à la dot d’Aliénor. Il n’hésite pas à s’allier avec les fils d’Henri II (Richard, Henri le Jeune, Geoffroy et Jean) contre leur père puis à inverser ses alliances. Le roi d’Angleterre doit lui prêter hommage pour ses possessions continentales en 1183. La lutte reprend cependant à la mort d’Henri le Jeune, alors que Philippe soutient Geoffroy ; celui-ci meurt en 1186, et le roi de France n’hésite pas alors à soutenir son rival Richard cœur de lion ! Les deux hommes deviennent très proches.
 

Alors que le pape parvient à suspendre le conflit en prêchant une croisade pour libérer Jérusalem, reconquise par Saladin, les hostilités reprennent tout de même en 1188 quand Henri II parvient à se réconcilier avec son fils Richard. Néanmoins, les belligérants finissent par se lasser, et signent le traité de Bonsmoulins à la fin de l’année. Cela n’empêche pas Philippe de réussir à retourner une fois de plus Richard contre son père ; cette fois cela porte ses fruits, Henri II malade et affaibli doit se soumettre à son fils, rejoint par le cadet Jean. Il meurt peu de temps après, en juillet 1189. Richard Ier devient roi, et il est temps pour lui d’aller en croisade avec son ami Philippe.

Le roi Philippe Auguste en Croisade

C’est donc plus de deux ans après l’appel du pape (décédé entretemps) que les deux souverains partent pour la Terre Sainte libérer Jérusalem une nouvelle fois ; ils doivent être rejoints par l’empereur Frédéric Ier Barberousse, mais celui-ci mourra en chemin. L’amitié entre Richard et Philippe ne tient pas longtemps devant la rivalité que créé cette expédition prestigieuse.  Les problèmes commencent en Sicile, où ils restent six mois ! Les deux hommes se disputent l’influence sur les différents partis de l’île, mais se fâchent aussi à cause du refus de Richard Coeur de Lion  d’épouser la demi-sœur de Philippe, Aélis, lui préférant Bérangère de Navarre (Aliénor ne serait pas pour rien dans ce revirement de son fils). Ils parviennent tout de même à se réconcilier avant de repartir. Leur arrivée est décisive pour la prise de Saint Jean d'Acre en juillet 1191.

Philippe Auguste Richard Coeur de lionMais très vite ils se retrouvent impliqués dans les querelles de succession du royaume de Jérusalem ; celles-ci n’intéressent pas Philippe, qui est pressé de retourner dans son royaume. Il quitte la Terre Sainte le 27 décembre, laissant la gloire à Richard. 

Mariages et manoeuvres

La mort du comte de Flandres à Acre a précipité le retour de Philippe, car les prétendants à sa succession sont nombreux. L’affaire de la Flandre a éclaté durant les années 1180, quand le roi de France épouse Isabelle de Hainaut, nièce du comte de Flandre Philippe d’Alsace. Philippe utilise sa femme pour intervenir dans les querelles de succession qui suivent la mort de la femme du comte, Elisabeth, en 1182.

Philippe d’Alsace tente alors de réunir des féodaux autour de lui, mais il échoue grâce aux manœuvres politiques du roi de France et à l’intervention d’Henri II ; cela aboutit au traité de Boves mentionné plus haut. Son rapide retour de croisade est dû à l’agitation de nouveaux prétendants à ces terres de Flandre, dont Baudouin, comte de Hainaut. Le roi parvient à obtenir l’hommage de ce dernier, une forte somme et de nouveaux territoires. Il confirme son habileté politique. 

Sa femme Isabelle est décédée en 1190, et il doit se remarier pour assurer sa succession, son jeune fils Louis étant de santé fragile. Il se choisit alors Ingeburge, sœur de Knut VI du Danemark, qu’il épouse en 1193. Mais, apparemment, la nuit de noces se passe mal et Philippe décide d’enfermer sa femme dans un monastère et d’en chercher une autre ! Soutenu par des ecclésiastiques de son royaume, il se marie avec Agnès de Miranie en 1196, provoquant la colère du pape Innocent III. Philippe doit finalement céder et se séparer de sa femme en 1200, et se résigner à récupérer Ingeburge en 1213… 

Philippe Auguste vainqueur des Plantagenêts

Durant toutes ces années, il n’a pas pour autant cessé d’œuvrer comme souverain et de préparer sa revanche contre Richard, toujours en croisade en 1191. Le roi de France décide alors de s’allier avec Jean, frère du roi d'Angleterre Richard, qui brigue sa couronne. La capture du roi d’Angleterre leur facilite les choses et Philippe met tout son talent de diplomate pour persuader l’empereur de ne pas libérer Richard ! Mais celui-ci recouvre tout de même la liberté au début de l’année 1194, grâce à l’action (et beaucoup d’argent) de sa mère Aliénor ; il est bien décidé à punir Philippe et son frère qui a tout cédé au rival français. Il débarque en Normandie et combat Philippe et ses armées pendant plusieurs années, où les victoires se partagent.

Richard parvient néanmoins à battre Philippe à Fréteval, et surtout à cette occasion à récupérer et détruire les archives du roi de France, épisode qui sera décisif dans les réformes futures de Philippe.

bataille de .bouvines

Les trêves ne sont jamais respectées, ou les paix signées toujours partagées : aucun vainqueur ne se dessine vraiment. C’est le destin ou la chance qui règle le conflit en faveur de Philippe, quand Richard est tué d’un carreau d’arbalète lors du siège de Châlus, en 1199. Une nouvelle fois, Philippe II joue des querelles de succession en prenant parti pour Arthur de Bretagne contre Jean, son ancien allié. L’année 1204 est décisive, car le roi de France met la main sur la Normandie. Les années suivantes, il consolide ses conquêtes et son avance n’est guère troublée que par l’incertitude causée par le départ de son vassal le comte de Flandre pour la IVè croisade… 

C’est ensuite la situation dans le Saint Empire Germanique qui lui devient favorable, avec la guerre de succession opposant d’abord Otton de Brunswick et Philippe de Souabe. Le premier est soutenu par son oncle Jean d’Angleterre, et par le pape ; le second, frère du défunt empereur Henri VI, par Philippe Auguste, mais il est assassiné en 1208. Pourtant, Philippe ne perd pas sa réussite car le nouvel empereur Otton IV est rapidement excommunié, et le roi de France choisit alors le camp de Frédéric II, fils d’Henri VI. C’en est trop pour ses rivaux : Jean Sans Terre parvient à réunir une alliance avec Otton et le comte de Flandre.

Philippe peut compter sur l’aide de son fils Louis, et il obtient lui-même la victoire à la célèbre bataille de Bouvines en juillet 1214, alors que le futur Louis VIII a battu Jean en personne quelques jours plus tôt à La Roche-aux-Moines ; en revanche, Louis le Lion échoue dans sa conquête du trône d’Angleterre, malgré le soutien un temps des barons anglais. Philippe Auguste est néanmoins à l’apogée de sa puissance. 

Un roi réformateur

Philippe Auguste est souvent considéré comme l’inventeur de l’Etat français, il est aussi le premier roi appelé « roi de France » et plus « roi des Francs ». L’importance considérable de son règne ne s’explique pas seulement par l’extension du domaine royal. Elle fut également marquée par une amélioration de sa gestion. Le roi ne se contenta pas, comme ses prédécesseurs, de protéger les villes et leurs habitants (lesquels, en dehors même du domaine royal, regardaient de plus en plus le roi comme leur protecteur naturel). Il chercha à étendre le rôle des tribunaux royaux en leur réservant le jugement de certaines affaires et en invitant les plaideurs déjà jugés par les cours des seigneurs à faire appel devant lui des jugements rendus. 

Conquêtes Philippe AugusteMais c’est l'administration qui vit la création la plus décisive, celle de véritables fonctionnaires au service de l’État : les baillis. Jusque-là, l’administration du domaine relevait des prévôts, mais ceux-ci, tenant leur charge comme une sorte de fief, montraient souvent peu de docilité. Philippe Auguste plaça donc au-dessus d’eux les baillis (appelés sénéchaux dans les provinces conquises sur le roi Plantagenêt), qui ne dépendaient que de lui et qui pouvaient être destitués en cas d’insoumission.

Ils étaient en même temps administrateurs (exécution des décisions royales, surveillance des vassaux, du clergé et des communes), juges, chefs de police, chefs militaires (convocation de l’ost, entretien des forteresses royales) et surtout gestionnaires des finances royales (perception des redevances de toutes natures, paiement des dépenses locales, etc.). Grâce aux baillis, l’autorité royale, partout présente dans un domaine immensément agrandi, put désormais se faire beaucoup plus entreprenante. Les finances royales sont excédentaires et le pouvoir royal largement renforcé.

Philippe Auguste fut également le premier souverain capétien à ouvrir systématiquement son conseil à des clercs ou à des laïques de modeste naissance, et à les y maintenir en permanence, alors qu’il n’y appelait les grands personnages que pour les séances d’apparat. Il avait plus de confiance dans le dévouement de roturiers et de petits clercs qui lui devaient tout.

Enfin, ce fut pendant son règne que Paris devint de plus en plus fréquemment la résidence ordinaire du souverain. Il habitait le palais de la Cité, dans l’île du même nom. La ville, considérablement agrandie, surtout sur la rive droite de la Seine, fut rénovée (les enceintes, les rues pavées, le Louvre, les Halles datent de ce règne) et prit figure de capitale, non seulement du domaine royal, mais aussi de tout le royaume. En outre, le développement de l’Université de Paris lui donna un renom international. 

Toutefois, la personnalité du roi intrigue : on le sait fragile physiquement, et de caractère parfois impétueux et changeant ; il est impatient, malgré une capacité d’analyse surprenante. Sa réputation d’homme machiavélique est renforcée par ses multiples manœuvres et renversements d’alliance, et s’il est réputé pieux il n’en est pas moins coureur de femmes, surtout après la mort d’Agnès de Méranie…

La fin du règne de Philippe Auguste

L’après-Bouvines ne signifie pas encore la paix pour le royaume de France. Philippe Auguste décide tout d’abord, sur l’insistance de Simon de Montfort, de lancer une croisade contre les albigeois. L'expédition contre les "hérétiques" est lancée dès 1208, mais la situation se complique quand Raymond de Toulouse est suspecté de soutenir les Cathares. Le siège de Toulouse échoue, et Simon (devenu entretemps comte de la région, avec le soutien du pape et du roi) y meurt en 1218. Philippe, qui a déjà envoyé son fils Louis dès 1215, doit prendre les choses en main ; mais il ne semble guère motivé, malgré l’insistance du pape, et envoie en général son fils (1219) ou des vassaux. A sa mort, Toulouse tient toujours et les Albigeois ne sont pas vaincus. 

Parallèlement, le roi obtient enfin la paix grâce à son triomphe de Bouvines. Il impose une trêve en 1215, prolongée en 1220. Il prépare aussi sa succession en associant au trône son fils Louis, et en rédigeant un testament en 1222. Sa santé devient très fragile mais, malgré l’avis des médecins, il pense à préparer de nouvelles croisades. Un dernier voyage l’achève, il meurt le 14 juillet 1223 et est enterré à Saint-Denis ; son fils Louis, qui a épousé Blanche de castille, lui succède.

Bibliographie

- Philippe Auguste : La naissance de l'Etat monarchique de Jean Flori. Tallandier, 2007.

- Philippe Auguste: Le batisseur du royaume, de Bruno Galland. Belin, 2016.

- Philippe Auguste: Le premier grand Capétien (1180-1223), de Stéphane Curveiller.Ellipses, 2021.

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