Ninon de LenclosFemme de lettres française réputée pour sa beauté, Ninon de Lenclos (1616-1706) représente le courant sceptique et libertin qui apparu sous le règne de Louis XIV et s’épanouira au siècle des Lumières . « Une belle femme qui a les qualités d'un honnête homme est ce qu'il y a au monde de plus délicieux. L'on trouve en elle tout le mérite. » C’est ainsi que s’exprimait La Bruyère à propos de Ninon de Lenclos. Quel beau compliment pour celle qui a défrayé la chronique au Grand Siècle, et pourtant qui fut recherchée dans les salons mondains.

La jeunesse de Ninon de Lenclos

Ninon, de son vrai nom Anne de Lanclos, nait un beau jour de novembre 1620 dans une maison place Royale (devenue auberge où la luxure côtoyait l’ivrognerie), d’un père Henry porté sur les plaisirs de la vie et d’une mère Marie Barbe de La Marche trop pieuse. Pour rehausser le blason, les parrain et marraine sont Mr Nicolas de Villotret conseiller du roi et trésorier général de l’extraordinaire des guerres et sa fille Anne.

Elevée dévotement par sa mère, et se rendant compte que l’église est un endroit de rendez-vous, de remise de billets doux, Ninon se tourne vers son père qui lui apprend les mots d’esprit, les sentiments humains, l’amour de la musique, les langues, les belles lettres (il lui offre les Essais de Montaigne), la danse, l’art de plaire dans le monde, jusqu’en 1633 où il est obligé de fuir à l’étranger pour une affaire de mœurs. Elle perd ainsi son plus cher ami, mais prolongera son souvenir en lisant les ouvrages de Rabelais, Marguerite de Navarre, d’Urfé, Gomberville et tous ces auteurs qui traduisaient les passions et l’amour à cette époque.

Arrivée à l’adolescence, elle refuse de cacher sa gorge et arbore des nœuds à ses habits. Les jeunes damoiseaux se regroupent autour d’elle jusqu’à ce qu’elle se laisse courtiser par un jeune et beau vicomte perfide, sans parole, bon à rien …qui en profite. Elle n’a pas de regrets, si ce ne sont des « courbatures » ! A la mort de sa mère, elle s’enferme dans un couvent, mais ne se sent pas à sa place, elle ne peut s’empêcher d’avoir des émotions et des envies et retourne dans le quartier du Marais qu’elle affectionne tant.

Sans le sou, décidant de ne pas se marier, elle doit pourtant assurer son avenir. En rencontrant Jean Coulon, conseiller au parlement, elle établit les « règles du jeu » et le déclare comme étant son protecteur ; par là, elle admet être une courtisane. Les « nourritures » du corps étant assurées, elle aspire aux nourritures de l’esprit et entre dans le salon de Marion Delorme. Ayant deux caractères très différents, elles deviennent amies : Marion étant recherchée pour sa beauté et Ninon pour sa vivacité d’esprit et sa grande culture. Scarron est le premier à lui dédier un poème plein de respect.

Pendant l’hiver, tout le beau monde se retrouve dans les salons. Ninon choisit…elle s’éprend de Gaspard de Coligny (descendant de l’amiral), qui n’a d’yeux que pour Marion. Elle patiente, mais les deux dames se fâchent, Coligny prend ses jambes à son cou ! Ninon décide alors de ne plus suivre le mouvement de ses sens, tout sera réfléchi…Pourquoi les hommes seraient-ils si indépendants, alors qu’ils refusent cette indépendance à leurs compagnes ? Elle va plus loin en déclarant : « les hommes jouissent de mille libertés que les femmes ne goûtent pas. Je me fais donc homme ».

Son salon et ses hôtes

Dans son salon, Ninon trie ses familiers et réclame de ses hôtes la décence, les propos corrects, haïssant la vulgarité et le pédantisme. Elle satisfait ses galants, mais les considère comme des passants à qui on offre l’accueil. Une fois qu’elle a épuisé leur capacité de plaisir, ils quittent son alcôve et deviennent ses amis.

Quelques « Grands » n’ont pas ses faveurs, malgré leur argent et leur position : tel est le cas d’Alexandre Vendôme, le Grand Prieur. Il s’étonne fort d’être considéré comme les autres, supplie, se met en colère, rien n’y fait. Après maints billets, il abdique, se calme et accepte le rôle de confident. A 25 ans, elle est déçue par 3 fois : le comte de Navailles s’endort pendant qu’elle se prépare ; Pierre de Villars quitte Paris pendant la Fronde, sans l’emmener. Elle le pourchasse jusqu’à Lyon et tombe sur le frère de Richelieu : le cardinal Alphonse Duplessis. Rebutée par les indélicatesses et les avances du prélat, le peu de croyance qui subsistait en elle, est anéanti à jamais.

salon_ninonUn jour apparait le marquis de Villarceaux : la seule vraie passion durable de Ninon, pendant 3 ans. Un enfant nait en 1652 ou 1653. Ils passent de longs moments dans le domaine du marquis, à l’écart du monde. Obligée de rentrer à Paris, leur liaison se « refroidit », les rendez-vous s’espacent et le besoin de liberté se fait sentir.

Saint-Evremont revient. Il est le seul à avoir une action dominante sur la vie morale de Ninon. Grâce à lui, elle va enfin ouvrir les Essais de Montaigne que son père lui a laissés. Elle s’oppose à la religion et affirme que de croire en Dieu ne résout pas les problèmes. Pour elle, la religion de l’époque n’est que façade…les curés sont les plus libertins des hommes !

Dans son salon, son petit groupe s’agrandit. Mais les dames sont jalouses, lui cherchent querelles et colportent des ragots à la reine Anne d’Autriche qui la fait enfermer dans un couvent parisien puis à Lagny. Là, elle jouit d’une grande liberté et reçoit du monde. La visite de la reine Christine de Suède lui est bénéfique : prenant partie pour Ninon contre les dévotes de la Cour, la reine intercède auprès de Louis XIV pour la faire sortir de ce couvent.

De retour à Paris, elle s’installe définitivement près de la Place Royale en 1657. Elle retrouve avec joie le couple Scarron, mais se met à nouveau à dos le parti des dévots. Par un vrai hasard, Molière, écrivant et faisant jouer les Précieuses Ridicules, va l’aider. De là, nait une profonde amitié où ils vont « travailler » ensemble contre les dévots. Molière lui présente ses pièces en avant-première et ils les retouchent ensemble. Nous sommes en 1664.

Jusqu’au début 1671, plusieurs procès l’accaparent, où elle n’aura ni le goût, ni le temps de faire la galante. Son dernier amant sera le fils Sévigné. Elle le quitte un mois après : aucune culture, aucun esprit, rien à voir avec son père le marquis de Sévigné !

L’âge de raison pour Ninon de Lenclos

A 50 ans, elle n’est pas gâtée par l’âge : elle conserve sa taille malgré un léger embonpoint, son allure vive, sa fraicheur de peau. Elle évite les excès de table, les veilles prolongées.

Ne pensant pas vivre longtemps, elle prête quelque argent à de jeunes damoiseaux aux parents fortunés contre remise de dette sur leurs biens à venir. Le père de Voltaire s’occupe de ses finances et de celles de son fils devenu enseigne de vaisseau à Toulon. Finis les amants, elle s’attache de vrais et sincères amis et reforme son salon : Mme de La Sablière, Boileau, le peintre Mignard, La Fontaine, Tallemant des Réaux.

mdaillon_ninonSaint Simon lui fait un beau compliment : « tout se passait (chez Mlle de Lanclos) avec un respect et une décence extérieure que les plus honnêtes princesses soutiennent rarement avec des faiblesses. Elle eut de la sorte pour amis tout ce qu’il y avait de plus trayé et de plus élevé à la cour, tellement qu’il devint à la mode d’être reçu chez elle et qu’on avait raison de le désirer par les liaisons qui s’y formaient. Jamais ni jeu, ni ris élevés, ni disputes, ni propos de religion ou de gouvernement ; beaucoup d’esprit et fort orné, des nouvelles anciennes et modernes, des nouvelles de galanteries, et toutefois, sans ouvrir la porte à la médisance, tout y était délicat, léger, mesuré et formait les conversations qu’elle sut soutenir par son esprit et par tout ce qu’elle savait de faits de tout âge ».

Même Louis XIV demande régulièrement : « qu’a dit Ninon ? ». Il va plus loin : il retient les propos de Ninon.

Elle passe de bons moments avec Gourville un ancien amant, en évoquant Molière, le maréchal d’Albret. Mme de Maintenon insiste pour la recevoir (afin que Ninon ne parle pas de sa jeunesse !), de même que la duchesse de Bouillon, « légèrement dépravée » cherchant son soutien et son approbation. Mais elle préfère le cercle plus calme, plus candide de Melle de Scudéry.

Fatiguée par l’âge, obligée de porter des lunettes, elle écrit et médite dans son hôtel, à l’écoute de son prochain. Elle restreint son cercle de familiers à l’abbé Dubois, l’académicien Simon de La Loubère, l’abbé de Troisville, le lieutenant général des armées Philippe de Clérambault. D’autres ont disparu tels que Gourville, Villarceaux, mais lorsqu’elle apprend la disparition de Saint-Evremont, c’est un choc. Elle se plonge alors dans les écrits de Sénèque, Montaigne ne lui convenant plus. Elle tombe malade et se tourne enfin vers la religion, réussit à faire son testament, en léguant quelques sommes à certains abbés ainsi qu’au père du futur Voltaire (qu’elle a croisé dans ses salons il y a peu).

Elle s’éteint à 85 ans, le 17 octobre 1705, tout en ayant livré le secret de sa séduction : « la philosophie sied bien avec les agréments de l’esprit. Ce n’est pas assez d’être sage, il faut plaire ».

Bibliographie

- Ninon de Lenclos ou la manière jolie de faire l'amour, de Roger Duchêne. Fayard, 2000.

Ninon de Lenclos : Libertine du Grand Siècle, de Michel Vergé-Franceschi. Payot, 2014.

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