cannes_xviiTout homme s’est servi d’un bâton ou d’une simple branche d’arbre, soit pour se tenir debout, pour s’aider dans une marche longue et difficile comme les pèlerins ou encore pour se battre. Il s’agit donc d’un objet utile. A travers les siècles, le bâton prend le nom de canne et devient un objet de pouvoir, de valeur, puis se démocratise à la Révolution et personne ne sort plus sans sa canne au XIXe siècle !

 

Petite histoire du bâton devenu canne

Toutankhamon était un grand collectionneur de cannes. Les nobles romains portaient une canne, signe distinctif de commandement et de hiérarchie. Pourtant celle de Charlemagne était encore en bois ; les chevaliers se servant d’épée, le bâton est laissé aux « vilains » et le « bourdon » aux pèlerins reliant Saint Jacques de Compostelle vers le XI è siècle. Symbole religieux avec le sceptre et la crosse, le bâton se transforme au XII è siècle en canne, le matériau change et devient un accessoire du costume.

Les femmes en font usage, comme la reine Constance d’Arles en 1022 qui s’en servit comme d’une arme et creva l’œil de son confesseur Etienne, accusé de manichéisme et condamné à mort. Au XV è siècle, elles imitent le costume des hommes, portant gants à la ceinture et tenant une badine à la main. A la Renaissance, la canne se transforme, se décore et devient une sorte de canne-épée, comme celle d’Henri VIII qui comporte deux petits pistolets…les bâtons restent chez les brigands qui y rajoutent une lame de poignard.

La canne obligatoire au XVIIe siècle…

bton_plerinUn siècle plus tard, c'est-à-dire au XVII è, le port de la canne devient général. L’on ne sortait pas sans « perruques, chapeaux et cannes » selon l’étiquette qu’il fallait suivre. Ce n’était plus la simple baguette, les cannes étaient pour certaines en bois précieux : celle de Louis XIII était en bois d’ébène surmontée d’une pomme d’ivoire, celle de Louis XIV était souvent en roseau pour l’usage courant.

Réservée aux monarques et à la noblesse, ainsi qu’aux courtisans, c’est un signe de distinction et de commandement, mais le Roi autorisait Colbert et les ambassadeurs à porter une canne devant lui. Accessoire de prestance, assez haute, la canne était l’instrument favori au théâtre…rappelez-vous Lully… et chez les peintres, leur modèle ayant souvent une canne en main. Les dames l’adoptent mais la leur est un peu plus courte que celle des hommes, surtout elle est enrubannée de dentelles, en écaille ou ivoire, divers bois des îles, aux pommeaux ciselés et incrustés de pierreries.

Les valets pouvaient en user lorsqu’ils ramenaient leurs maîtres à leur domicile. Mais sortant seuls, ils n’y avaient pas tous le droit : seuls les valets de chambre « non porteur de livrée » sont munis d’une canne.

De son bon usage au XVIIIe siècle

Le XVIII è siècle voit l’arrivée des extravagances : les commerces fleurissent et les marchands merciers ornent le haut d’une poignée d’or, d’argent ou d’agate, comme celles de Voltaire et de Tronchin « un très long bâton à pomme d’or » qu’appréciaient beaucoup les personnes âgées, les magistrats et les financiers. Les dames s’approvisionnaient dans le célèbre magasin du quai Conti, au Petit Dunkerque où l’on y trouvait de jolies cannes en bambou, chiquetées et garnies d’or. Les jeunes gens portaient le plus souvent une canne légère, souple et pliante appelée badine.

Certains grands pourtant ne tiennent qu’un « humble bâton valant à peine trente sous » comme celui du maréchal de Saxe et Marie Leczinska fit acheter la plus belle canne à béquille en or émaillé chez l’orfèvre Germain pour l’offrir au maréchal !

cannes_XVIIILes temps changent et l’on reprend la badine, comme Mercier le mentionne « on court le matin une badine à la main, l’on ne connait plus les disputes et querelles si familières il y a soixante ans et qui faisaient couler le sang pour de simples inattentions…les femmes sortent et vont seules dans les rues, la canne à la main. Ce n’est pas un vain ornement : elles en ont plus besoin que les hommes, vu la bizarrerie de leurs hauts talons ».

Dans le manuel de civilité publié en 1782, on lit que « la bienséance engage quelquefois de se servir d’une canne, mais ce ne peut être que la nécessité qui permette d’avoir un bâton en main. Il est messéant de porter une baguette ou une petite canne chez les Grands, mais on y peut avoir une grosse canne à la main si on est incommodé ou si on en a besoin pour se soutenir ou marcher avec plus de facilité. Il est aussi très incivil de badiner avec une baguette ou une canne, et de s’en servir pour frapper la terre ou des cailloux, ou pour faire sauter des petites pierres. Il est tout à fait indécent de la lever comme si on voulait frapper quelqu’un et il n’est jamais permis de s’en servir pour toucher quelqu’un avec…quand on est debout, il ne faut pas s’appuyer indécemment sur sa canne ni sur sa baguette.

En marchant, il est contre la bienséance de porter une canne sous le bras. La trainer négligemment dans la boue est une pratique qui sent l’enfantise. Lorsque l’on est assis, il ne faut pas se servir d’une canne pour écrire sur la terre ou pour faire des figures : cela marque qu’on est mal élevé ! Il n’est pas bien aussi de mettre sa canne sur les sièges, il faut la tenir devant soi. Avant de se mettre à table, il ne faut jamais mettre sa canne sur le lit, c’est incivil ; il faut la placer hors de vue du monde. Si on porte un bâton, on peut le mettre contre la muraille ». « Le mode françois » de JF Sobry explique en 1786 que « les hommes d’une condition honnête ne sortent point de leur maison sans avoir une épée à leur côté ou quelque bâton précieux à la main ».

Peu avant la Révolution, la bourgeoisie arrive au pouvoir, la canne n’est plus symbole de puissance, elle fait partie du costume du bourgeois et prend le nom de « rotin », les Jacobins appellent l’Arbre de Liberté ce bâton noueux comme une trique, elles sont torsadées, les élégants de 1790 portaient une grosse canne ficelée d’une corde à boyau muni à l’intérieur d’une lame d’épée…

Le XIX è siècle est l’âge d’or de la canne, elle est à son apogée entre 1830 et 1914 et portée par tous comme l’écrit Pierre Faveton « il est alors aussi incongru à un homme de sortir sans sa canne qu’à une femme de se promener sans chapeau »… 

Pour aller plus loin

- Revue France Pittoresque 1er trimestre 2077 basé sur Vie privée d’autrefois paru en 1898.

- Pierre Faveton, Les Cannes. Massin, 1990.

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