louis dor 1793Entre les Etats Généraux de mai 1789 et la proclamation du Consulat avec Napoléon Bonaparte en 1799, la France a connu l'une de ses plus longue crise financière. Plusieurs gouvernements différents, composés parfois d'extrémistes et/ou de spéculateurs aspirant toujours à plus d'argent, se sont succédés durant cette période sans parvenir à endiguer ce fléau. Ils procédèrent alors à des émissions successives de monnaie papier, ce qui relançait l'économie pour un temps. Ces émissions entrainèrent de plus en plus de spéculation et de plus en plus de dépréciation, jusqu'à ce que la monnaie papier ne valut plus rien et que la France fut ruinée.

 

La crise financière de 1789

En début d'année 1789, la dette de l'Etat est énorme, le déficit est immense et les affaires stagnent. Pour rembourser la dette, le gouvernement décide de remédier à l'inflation et de lancer une émission encadrée de nouvelle monnaie papier. Cette monnaie reposerait sur les propriétés confisquées de l'Eglise représentant entre un quart et un tiers de l'ensemble des propriétés immobilières françaises. Le nouveau gouvernement y voyait trois avantages : les classes moyennes achetant ces terres seraient acquises à la Révolution ; les affaires seraient stimulées ; l'Etat pourrait régler rapidement ses dettes.

En avril 1790, des « assignats » non convertibles sont imprimés pour 400 millions de livres, générant 3% d'intérêt, gravés dans les règles de l'art, ornés de timbres et signatures en bonne et due forme, avec le portrait du roi au centre entouré des emblèmes patriotiques et le montant de l'intérêt figurant dans la marge. Les résultats sont satisfaisants, le Trésor Public est renfloué, une partie de la dette est réglée, le commerce se développe à nouveau. Pourtant, au bout de cinq mois, le gouvernement a déjà tout dépensé et nombreux sont ceux qui réclament une nouvelle émission, malgré les précédents problèmes en 1720.

45 000 millions de francs émis en six ans et leurs conséquences

assignat 100 livresLe gouvernement décide d'une seconde émission. Mirabeau, dans un premier temps, tente d'expliquer devant l'Assemblée, que le peuple irait à sa perte mais se plie à la décision du plus grand nombre en assurant que les patriotes seraient plus avisés et auront un meilleur bon sens qu'en 1720. Necker insiste sur le fait qu'une telle masse allait entrainer une dévaluation de 30% des billets. Le journal Le Moniteur déclare « il est évident que tous les papiers qui ne peuvent pas, au gré du porteur, être convertis en espèce, ne peuvent pas assumer les fonctions de l'argent ». Talleyrand estime que la première émission de monnaie est nécessaire, mais qu'une seconde allait entrainer l'effondrement du système monétaire.

Pour le gouvernement, il s'agit de solder la dette de l'Etat par une émission de 2 400 millions de livres en assignats. En octobre 1790, 800 millions sont émis, le total en circulation ne devant pas dépasser les 1 200 millions et les billets seraient brûlés après paiement. Mais rapidement, toutes sortes de billets circulent en France, les régions en impriment et les remettent en circulation après utilisation, contrairement aux principes de la loi d'octobre. L'argent manquant encore, 600 millions sortent des presses en juin 1791.

Comme toujours le commerce est relancé, mais rapidement il stagne, il y a dépréciation des valeurs, le pouvoir d'achat décline et les manufactures envisagent même de licencier le personnel. Le gouvernement veut rassurer le peuple en invoquant des causes diverses comme leur incapacité à comprendre les rouages du système financier, l'injection de billets par les anglais, mais sans jamais avouer que la cause principale est le trop grand nombre de billets en circulation.

Alors que les petits travailleurs n'en peuvent plus, les classes aisées et les plus fortunés dépensent sans compter, spéculent et jouent poussant à la dépréciation afin de ne pas rembourser l'intégralité de leurs dettes. Ce ne sont que pots de vins et corruption. Dès lors, après une nouvelle émission de 300 millions en décembre 1791, la valeur qui était de 100 livres avant, descend à 80 puis à 68 en début d'année 1792 pour atteindre 53 livres en février. Sous la pression du nouveau ministre des finances, la cinquième émission est lancée en avril 1792 pour 300 millions et les dettes supérieures à 10 000 francs sont supprimées, ce qui devrait être favorable aux pauvres. En juillet 1792, sous la Commune, la nouvelle émission de 300 millions permet au billet de monter à 69 livres pour peu de temps comme toujours, car les prix augmentent et la valeur du travail diminue.

En décembre 1792 et depuis le début de la crise, 3 400 millions avaient été mis en circulation, dont 600 seulement brûlés, comme préconisés au départ et il reste en circulation 2 800 millions, sans compter la nouvelle émission en janvier 1793 pour 200 millions.

Sous la Terreur

Les nouvelles sections du gouvernement du Comité de Salut Public, trouvant cela insuffisant à leur bien être, émettent des billets de manière privée. Les 400 ouvriers embauchés spécialement et travaillant de 6h du matin à 8h du soir, se mettent en grève pour obtenir une augmentation de salaire. Malgré ou à cause de ces émissions, les articles de base augmentant sans cesse, le gouvernement opte pour un nouvel impôt sur les riches. Sous l'impulsion de Marat en février 1793, le peuple se révolte, dévalise et pille 200 boutiques dans Paris. Le Comité de Salut Public prend alors des mesures : don de 7 millions de francs pour calmer le peuple ; guillotine pour les personnes œuvrant contre le gouvernement ; emprunt forcé en juin 1793 avec garantie sur les terres confisquées prélevé sur les hommes mariés ayant des revenus de 10 000 francs et 6000 francs pour les hommes seuls. Le gain devait être de 1 000 millions de francs, mais les riches avaient déjà fui et l'emprunt forcé fut décrété sur tous les revenus dès 1 000 francs ; adoption de la loi du « Maximum » en septembre 1793.

Cambon ministre des finances 1793Cette loi du « Maximum » devant relancer l'économie, est appliquée aux produits de première nécessité, le prix étant établi en correspondance aux salaires des ouvriers, à partir du tarif de 1790 augmenté d'un tiers, auquel sont ajoutés le coût du transport, un bénéfice de 5% pour le grossiste et 10% pour le détaillant. Le résultat n'est pas à la hauteur des espérances : le producteur n'achemine plus rien ; la pénurie est là ; le gouvernement octroie alors des tickets au peuple qui peut acheter les produits au prix officiel ; il envoie aussi des espions pour débusquer les producteurs et commerçants refusant de vendre au prix officiel établi et ceux-ci se retrouvent sur les listes de condamnés à la guillotine.

Enfin, pour éviter les fraudes au niveau de la monnaie, le Comité de Salut Public instaure des amendes successives avec mise aux fers variant de 6 ans à 20 ans, et en cas de récidive sérieuse, la peine de mort et la confiscation des biens et propriétés. Les spéculateurs sont toujours plus nombreux, la Bourse ferme, le commerce des métaux précieux est supprimé et la loi du « Maximum » abolie un an plus tard.

Toute l'économie est à plat, l'épargne anéantie, les problèmes non résolus. Ce gouvernement avait repris la bonne vieille méthode d'émission de billets : durant l'année 1793, il avait sorti plus de 3 000 millions. En septembre 1793, la valeur du billet tombe sous les 30 livres ; puis grâce à quelques beaux parleurs et quelques victoires aux armées, la valeur repasse la barre des 50 livres. Mais la chute des valeurs est inexorable.

Fin 1794, il y a 7 000 millions en circulation ; fin mai 1795, il y en a 10 000 millions ; les prix chutent toujours : le louis d'or servant de base de contrôle à la valeur des billets subit des fluctuations importantes : le 1er août 1795, il vaut 920 francs papier, le 1er décembre 1795 il vaut 3 050 francs papier, le franc remplace la livre. Les prix sont gonflés : une mesure de farine valant 2 francs en 1790 passe à 225 francs en 1795 ; une paire de chaussures valant 5 francs en 1790 grimpe à 200 francs en 1795. Tout cela entraine un mouvement de fraude : une dette de 10 000 francs en 1790 n'était remboursée que pour 35 francs en 1795. Pour limiter ces abus, on adopte une loi avec « échelle de proportion » afin que celui qui avait prêté, récupère à peu près son argent de départ, augmenté d'un quart. Les résultats sont bien pires encore : la monnaie s'effondre à 1/300 de la valeur nominale.

Ces fraudes et ces abus servent aux financiers, aux hommes d'affaires avisés, aux fortunés qui investissent dans des produits à valeur permanente, alors que les petits ouvriers sont ruinés, les commerces ferment, les manufactures licencient.

Le Directoire et ses mesures

Le Directoire arrivant au pouvoir en octobre 1795 découvre une situation financière dramatique. La seule solution est d'émettre des billets. Fin décembre 1795, le nombre de billets est de 35 000 millions de francs, mais pratiquement sans aucune valeur. Il décrète la limite d'émission à 40 000 millions et fait détruire les machines, les plaques et le papier d'impression en février 1796 place Vendôme pour limiter de futures impressions, se rendant compte qu'il faut stopper complètement ces émissions, car la monnaie « contrôle » avait fait un bond : le louis d'or valait 7 200 francs de monnaie papier avant la destruction des machines, puis est passé à 15 000 francs au dernier cours !

Après plusieurs tentatives infructueuses (emprunt forcé, création d'une banque nationale, création d'une nouvelle monnaie papier « garantie et aussi sûre que l'or » nommé mandat), Le Directoire continue d'émettre les assignats et les nouveaux mandats à peine sortis des presses, perdent plus de 65 % de la valeur atteignant 3% de la valeur nominale en août 1796. Pour soutenir les nouveaux mandats, il fait imprimer des pamphlets expliquant tous les avantages ; il décrète des mesures pénales contre ceux qui refusent le paiement en mandats, avec des amendes de 1 000 à 10 000 francs et en cas de récidive 4 ans de mise aux fers. Il tente de supprimer la circulation des anciens assignats supérieurs à 100 francs ; pour contrecarrer la perte de confiance dans la monnaie, il autorise le paiement du commerce dans n'importe quel billet à leur valeur réelle : les nouveaux mandats s'effondrent à 2% de leur valeur.

directoirePourtant certains spéculateurs et joueurs s'en sortent bien, comme les Tallien, grâce à la fraude, l'émission de billets non légale, la spéculation, les contrefaçons émises par les ennemis de la France et en particulier de Londres, les billets émis par les royalistes de Vendée portant le portrait de Louis XVII. Ces spéculateurs dépensent sans compter, pour le plaisir de l'instant, sans économiser, sans épargner ; les femmes deviennent extravagantes dans leur façon de vivre et de s'habiller, c'est « la loi d'accélération de l'émission et de la dépréciation »

En février 1797, le Directoire décide de détruire l'appareil d'impression des mandats ; à partir de mai, tous les billets (assignats, mandats) ne valent plus rien ; en juin 1797, les 21 milliards d'assignats en circulation doivent être détruits ; en septembre 1797, une nouvelle loi impose que les dettes nationales soient soldées de la manière suivante : 2/3 en obligations utilisées pour acheter de l'immobilier et le « 1/3 consolidé » inscrit au Grand Livre comme une sorte de réserve que l'Etat demanderait quand il le jugerait bon. Les obligations plongent à 3% de leur valeur et le « 1/3 consolidé » sera réglé jusqu'à l'arrivée de Bonaparte, en monnaie papier. Celui-ci perdait aussi jusqu'à 6 % de sa valeur nominale. C'est la fin de la monnaie papier et la ruine financière pour tous.

Lorsqu'il n'y eut plus de billets en 1799, à force de les détruire, les pièces de monnaies apparaissaient à nouveau, les affaires reprenaient lentement. Cela mit environ 10 ans ; il fallut attendre 40 ans, une génération entière, pour que le capital, l'industrie, le commerce et le crédit retrouvent leur niveau du début de la Révolution.

Napoléon Bonaparte face à la crise financière

Napoléon Bonaparte, grâce à ses victoires militaires, devient Consul dans une France complètement prostrée financièrement, moralement et politiquement, dont la dette est effroyable, les armées non payées depuis très longtemps. Il sait qu'il est impossible de créer de nouveaux impôts. Lors du premier conseil, à la question posée « que comptez vous faire ? », Bonaparte répond « je paierai en espèces, sinon je ne paierai rien ». Il finance la dette et effectue les paiements en espèces.

Pourtant lorsque l'Europe se coalise contre l'Empire, Napoléon doit faire face à un gros problème financier car il n'a plus rien. On lui propose bien évidemment une émission de monnaie papier qu'il refuse net en disant haut et fort « jamais de mon vivant ». Et lorsque ce fut le temps de Waterloo, la France ne connut pas une grosse misère au niveau financier.

Face à une crise financière, les gouvernements doivent user de patience et de sagesse, rester honnêtes, utiliser des méthodes sanctionnées par l'expérience et ne pas céder aux beaux parleurs et aux spéculateurs, ne pas augmenter sans cesse les réserves d'argent, car la valeur de l'argent est déterminée par sa quantité.

Sources

La crise financière française de 1789 à 1799, d' Andrew Dickson White. Intemporel, octobre 2013.

La Crise financière et la fin de l'Ancien Régime, de Jean-Pierre Patat. Giovanangeli artilleur, 2021.

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