Education de Jeune filles 1790Longtemps, les historiens ont considéré qu'en matière d'éducation des filles, la maison royale d'éducation de St Cyr faisait à la fois figure d'exemple et d'unicité au sein d'une société ou les priorités d'éducatives vont au sexe masculin. Les récentes recherches historiques sur le sujet ont cependant démontré la volonté d'éduquer également les filles, mais cette éducation s'étend bien au-delà de la noblesse puisqu'elle touche aussi les couches les plus défavorisées de la société.

 

La mise en place de l'enseignement féminin

Les premiers écrits sur la nécessité d'instruire les filles

À la Renaissance, l'humaniste espagnol Jean-Louis Vivès affirme dès 1523, dans son ouvrage de L'instruction de la femme chrétienne, que l'instruction est nécessaire aux jeunes filles, aux épouses et aux veuves. Pour autant, il ne leur concède qu'un enseignement bien spécifique, dans lequel les travaux domestiques prennent le pas sur la lecture et l'écriture, et sans latin –alors véritable clef de l'accès à la connaissance.

Érasme le suit : les filles doivent être instruites, au moins parce que les hommes et les femmes sont appelés à vivre ensemble. Rabelais pousse ce principe jusqu'à l'utopie : les deux sexes, également libres et instruits, se mêlent en parfaite harmonie à l'abbaye de Thélème.

Des institutions visant à donner une éducation aux filles et aux garçons commencent alors à voir le jour à l'image de l'Aumône générale à Lyon qui offre dès 1533 un enseignement différencié pour filles et garçons. Malheureusement, cette institution est fermée à la fin du XVIe siècle.

La Réforme protestante

philippe melanchton - DurerL'autre vague porteuse du principe de l'accès des femmes à la culture se propage avec la Réforme protestante. La Réforme affirme en effet le sacerdoce universel des fidèles : la formation religieuse des individus est donc indispensable. Elle a pour base la lecture de la Bible pour éclairer la foi des fidèles, connaître et vérifier personnellement les enseignements fondamentaux de la foi chrétienne.

Luther souhaite que se multiplient les écoles populaires, pour les filles comme pour les garçons, afin que tous apprennent à lire et accèdent ainsi directement à l'Écriture, traduite en langue vulgaire, base de sa doctrine. Il élève ainsi la vocation du maître d'école à la hauteur d'un sacerdoce.

Philippe Melenchthon, ami et collaborateur de Luther, va jeter les bases d'un nouveau système scolaire. Celui hérité du Moyen Âge, où les écoles dépendaient le plus souvent des paroisses et des couvents, est abandonné. Dans les États passés à la Réforme, la responsabilité scolaire est confiée aux autorités politiques, Princes et magistrats. La Réforme pose les bases du droit au savoir pour tout homme. Cela s'applique aussi aux filles. Dès 1530, une école de filles est créée à Wittenberg. À Genève également, une grande importance est donnée à l'éducation. Les enfants, garçons et filles, bénéficient d'un enseignement élémentaire public et surtout gratuit.

En France, l'enseignement de la lecture et de l'écriture est concomitant à la diffusion de la doctrine des réformateurs. Il va s'organiser rapidement en descendant des couches instruites (clercs, magistrats, étudiants, imprimeurs) vers des groupes sociaux variés : artisans et marchands, souvent alphabétisés par nécessité, en allant jusqu'à la paysannerie. Les consistoires prennent sous contrat des maîtres d'école ou régents qui enseignent les filles aussi bien que les garçons. Dans les petites communautés, le pasteur se charge de l'enseignement. La pratique de la lecture et de l'écriture va donner aux réformés une avance culturelle qui perdurera dans les siècles suivants, d'autant que cet enseignement se fait en français en toutes régions.

La prise de conscience catholique

Jeanne de ChantalFace aux progrès de la Réforme, le concile de Trente (1545-1563) situe la riposte catholique sur le terrain même de l'adversaire, celui de l'instruction des fidèles. Il faut enseigner les adultes, bien sûr, mais surtout les enfants, gages de la pérennité de la reconquête religieuse. La catéchèse s'organise, appuyée sur le minimum d'alphabétisation suffisante pour échapper à la seule répétition approximative de ses leçons, ce qui suppose un minimum de scolarisation. Inspirée par l'idéal d'une société tout acquise à la juste doctrine, catholique, une vague d'initiatives se développe à la charnière des XVIe-XVIIe siècles, spécifiquement centrées sur l'enseignement féminin, parce que la petite fille semble la meilleure cible pour atteindre cet idéal.

Les congrégations qui s'y consacrent, assurant des écoles gratuites pour les filles pauvres et/ou des pensions payantes pour les demoiselles fortunées, sont à pied d'œuvre dès les premières années du Grand Siècle. De fortes personnalités féminines, laïques ou religieuses, associées à des membres du clergé, président aux installations de leurs établissements dans les villes. À Bordeaux, Jeanne de Lestonnac, nièce de Montaigne, vigneronne bonne vivante, mère de cinq enfants et veuve au seuil de la cinquantaine, fonde en 1607 la Compagnie de Marie-Notre-Dame. À Paris, Mesdames Acarie et de Sainte-Beuve veillent à l'implantation de deux couvents d'ursulines, en 1610 puis en 1621, tandis qu'à Annecy, la baronne Jeanne de Chantal (grand-mère de la marquise de Sévigné) aux côtés de l'évêque du lieu, François de Sales, fonde la Visitation en 1610.

Si les visitandines ne tiennent que des pensionnats conventuels, les ursulines assurent là où elles sont un internat et une école externe gratuite, sans mélanger les clientèles. Même double recrutement pour la congrégation Notre-Dame, née en Lorraine en 1615, des efforts conjugués d'Alix Le Clerc et du curé Pierre Fourier. Pour leur part, les filles de la Charité instituées en 1633 par Vincent de Paul et Louise de Marillac enseignent les petites filles pauvres et soignent les malades.

L'élite dévote qui soutient matériellement l'essaimage des congrégations vouées à l'instruction charitable des filles est intimement persuadée de la grandeur des enjeux de son projet. Il est vrai qu'au moins par le nombre d'enfants reçues, l'impact de ces institutions est considérable.

La pédagogie féminine

Les matières enseignées

Maîtresse décole - LepicierÀ ces ambitions spirituelles démesurées répondent des ambitions pédagogiques beaucoup plus limitées. Au XVIIe siècle du moins, il n'est pas rare que les écolières des classes charitables soient initiées seulement à la lecture, seule nécessaire à l'apprentissage du catéchisme. Apprendre à lire et à écrire sont des initiations alors dissociées dans le temps, on lit d'abord, mais toutes les maîtresses ne sont pas aptes à montrer l'écriture.

Un bref passage à l'école dispense donc, outre l'enseignement religieux partout prioritaire, à coup sûr des rudiments de lecture, mais pas forcément des leçons d'écriture ou de calcul. Le temps laissé disponible par les exercices de piété est souvent employé à des travaux d'aiguille que la communauté vend pour arrondir son budget. Ces travaux manuels simples sont censés mettre les filles du peuple en état de gagner honnêtement leur vie, dans des métiers pratiqués à l'abri des dangers de la rue, dans une boutique ou un atelier, sous la conduite d'une maîtresse. Le fil et les aiguilles se retrouvent aussi dans les classes des couvents, mais cette fois aux fins de détourner les élèves –qui n'auront pas à subvenir elles-mêmes à leurs besoins- de l'oisiveté.

Les pensionnaires, évidemment à bonne école au couvent pour l'instruction religieuse, reçoivent un enseignement « général » (lecture/écriture/calcul), éventuellement étoffé de leçons d'histoire et de géographie. En pension, cette base peut être complétée par des leçons particulières –onéreuses- de maîtres intervenant à la demande des parents et composant un programme « à la carte » faisant la part belle aux arts d'agrément tels que la danse ou la musique.

Alors qu'au cours du XVIIe siècle de nombreuses écoles de filles ouvrent leurs portes dans les villes, la réflexion pédagogique les concernant ne s'affirme que dans le dernier quart du siècle.

Les plans d'éducations à destination des filles

Dans les années 1680, trois auteurs conçoivent des plans d'éducation pour les filles. Avant cela, la question du savoir des femmes a fait les beaux soirs des salons et tous les genres littéraires s'en sont emparés. Avec Molière et ses Précieuses ridicules (1659), puis ses Femmes savantes (1672), on se moque de la femme savante. Des femmes de lettres et d'influence comme Mlle de Scudéry ou Mme de Sévigné défendent pour leur sexe une juste science, tandis que la polémique sur les mérites comparés des hommes et des femmes fait rage.

L'abbé et historien Claude Fleury publie en 1685 son Traité du choix et de la méthode des études, appuyé sur sa douzaine d'années de pratique éducative en tant que sous-précepteur des Enfants de France. Fleury propose aux filles un plan éducatif dans lequel l'instruction religieuse, plus morale que dogmatique, garde la première place ; après quoi les filles apprennent à « penser de suite et à raisonner solidement » au moyen d'une logique simplifiée, et étudient une grammaire appliquée aux écrits qu'elles pourront avoir à rédiger, une arithmétique également pratique, un peu de jurisprudence (toujours utile quand on devient veuve), et une pharmacopée de base. Quant à la « science du ménage », Fleury veut y introduire « un peu plus de raison et de réflexion », car la petitesse d'esprit la gouverne trop souvent. Aucune autre étude n'est nécessaire, et des filles plus savantes sombreraient dans la vanité.

FenelonDeux ans après Fleury, Fénelon s'intéresse à son tour au sujet De l'éducation des filles (1687), dans un traité plus abouti et un peu plus permissif. L'ouvrage est destiné au duc de Beauvillier, dont Fénelon est le directeur spirituel, et à la duchesse, parents de neuf filles, avant d'engendrer quatre garçons. « Rien n'est plus négligé que l'éducation des filles » accuse d'emblée l'auteur, dans un ouvrage critique, curieux des filles dès leur prime enfance. Fénelon intégrant l'infériorité et la faiblesse du deuxième sexe bâtit un programme destiné à y remédier, parce que, d'une part, « plus elles sont faibles, plus il est important de les fortifier », et d'autre part « la mauvaise éducation des femmes fait plus de mal que celle des hommes, puisque les désordres des hommes viennent souvent et de la mauvaise éducation qu'ils ont reçue de leurs mères, et des passions que d'autres femmes leur ont inspirées dans un âge plus avancé ».

Le plan d'études s'ajuste au destin de la petite fille, bonne religieuse ou bonne épouse et mère. Outre l'enseignement religieux et moral qui va de soi, de l'économie domestique et une palette de savoirs profanes un peu mieux garnie que chez Fleury. Pour Fénelon, la grammaire, l'arithmétique, « les principales règles de la justice », la littérature, l'histoire (grecque, romaine, de France et des pays voisins), le latin, la musique et la peinture (à condition d'être bien dosés et dirigés) trouvent une place dans l'éducation des filles. Madame de Maintenon mettra en œuvre ce programme auprès des 250 jeunes filles de noble, mais indigente, extraction qu'elle accueille à la Maison royale de Saint Cyr, fondée en 1686.

Le troisième programme composé à la fin du Grand Siècle, dans la décennie 1690, mais publié au XVIIIe siècle seulement, porte une signature féminine puisqu'il s'agit des Avis d'une mère à sa fille de la marquise de Lambert, dispensés en même temps que ses Avis d'une mère à son fils, et comme eux marqués par l'influence de Fénelon. Les ajouts au programme révèlent néanmoins l'ouverture d'esprit de la marquise, qui opte pour l'apprentissage de la langue latine, parce qu' « elle vous ouvre la porte à toutes les sciences » et son plan d'éducation est délivré du présupposé d'une infériorité intellectuelle spécifique au deuxième sexe. Certes Mme de Lambert puise des idées chez Fénelon, mais elle en propose aussi de très personnelles, dérangeantes pour beaucoup.

Un exemple atypique : les petites écoles des pauvres filles de Lyon

a) Charles Démia

Prêtre lyonnais originaire de Bourg, Charles Démia va se consacrer à l'éducation des enfants pauvres et fonder en 1666 à Lyon, la congrégation des frères de Saint Charles dont la première école ouvrira en 1667. Son œuvre est destinée aussi bien aux filles qu'aux garçons et entend éduquer les enfants pauvres de la ville afin de leur donner une chance de trouver un travail honnête et par conséquent les faire sortir de la pauvreté.

En 1675, deux écoles gratuites de filles sont établies et la communauté des sœurs de Saint Charles est fondée en 1680 pour le recrutement des institutrices.

b) Un apprentissage qui se veut utile

En 1688, Charles Démia publie les règlements qui exposent sa doctrine pédagogique. Son idée est de sortir les enfants d'une classe sociale obligeant parfois les jeunes filles à avoir recours à la prostitution pour s'en sortir. L'enseignement au sein des écoles est donc principalement religieux, mais l'on enseigne, outre la lecture et l'écriture, à faire de petits ouvrages manuels et à compter afin de pouvoir tenir les comptes.

Charles DémiaOn introduit également dans les classes ce qu'on appellera plus tard l'enseignement mutuel. C'est-à-dire que les élèves les plus capables et studieux vont être chargées de la surveillance et de faire répéter les leçons de leurs camarades. L'école est également divisée en huit classes, que l'on appelle des bandes, afin de faciliter l'apprentissage.

On lit d'abord en latin, puisque toutes les lettres se prononcent et que l'on procède à une méthode alphabétique. L'apprentissage de l'écriture se fait à partir d'exemples à recopier. L'enseignement de l'arithmétique est également inscrit au programme même si aucune source ne peut nous confirmer s'il était réellement réalisé au sein des écoles.

Ce système connait un tel succès dans les couches populaires que bientôt de nouvelles petites écoles apparaissent, mais qui ne sont pas approuvées par le Bureau qui a le monopole sur ces créations et la surveillance est organisée par le biais d'inspections qui ont lieu par surprise dans les établissements et qui veillent à la bonne application des règlements mis en place par Charles Démia.

c) Des poursuites d'études possibles

Bien plus que de leur fournir de simples outils pour s'en sortir dans la vie, l'institution de Charles Démia propose aux filles un véritable enseignement professionnel à l'issue de leurs études. Fondée en 1721 par Pierrette Cheneviere, la première école de travail entend permettre aux filles de gagner leur vie tout en les protégeant des dangers de la rue et de la misère. Les filles vont alors pouvoir continuer leurs scolarités afin d'approfondir les enseignements déjà dispensés dans les petites écoles, mais surtout d'effectuer des travaux manuels, surtout de la couture, pour les perfectionner pour le monde du travail.

Antoine Raspal - Atelier de coutureCette école semble susciter un réel engouement de la part du Bureau qui a pour volonté d'en créer encore deux ou trois dans le reste de la ville afin de répondre aux besoins des 300 filles qui sortent chaque année des petites écoles. Cependant, l'admission n'est pas automatique, ce sont les parents des élèves qui doivent faire les démarches auprès du Bureau afin d'inscrire leurs filles dans ces écoles de travail.

Le principe de ces écoles est relativement novateur pour l'époque. Il s'agit d'écoles autosuffisantes. En effet, les ouvrages fournis aux les jeunes filles sont le fruit de commandes et sont par conséquent payés aux deux sœurs qui gèrent l'école de travail. Cet argent doit également servir aux dépenses courantes de l'école (le charbon, le bois, les fils), mais aussi aux salaires des deux enseignantes. Le reste, lui, est divisé entre les élèves suivant leur classe. Cet argent est géré par la sous-maîtresse de l'école elle-même surveillée par « l'économe » du Bureau des écoles.

D'une durée de quatre ans, cette scolarité est un véritable atout pour ces filles pauvres puisqu'elle leur promet une évolution sociale ou la possibilité de trouver plus facilement un travail.

Nous l'avons vu, loin de se limiter à Saint Cyr, l'éducation des filles est en fait plus complexe et s'établit selon un réseau parallèle à celui de l'enseignement masculin. Relativement novateur pour l'époque, le système des petites écoles, que l'on retrouve dans plusieurs espaces urbains, permet aux filles pauvres d'accéder à des rudiments d'éducation parfois semblable à ceux des filles venant de milieux plus aisés.

Pour aller plus loin

- Martine SONNET, L'éducation des filles au temps des lumières, CNRS édition, Paris, 2011 (1re édition en 1987)
- Roger CHARTIER, Marie-Madeleine COMPERE et Dominique JULIA, L'éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Sedes, Paris, 1976
- Sur l'éducation protestante
- Charles Démia
- Musée national de l'éducation

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