A Rome sur les pas de PlutarqueLe dernier livre de John Scheid, professeur au Collège de France et spécialiste de la religion romaine, est un livre singulier à plus d’un titre. Il nous propose à travers les pas de Plutarque de découvrir et de comprendre les us, coutumes, les mythes et la religion romaine. Plutarque (v. 46- v. 125) est un citoyen romain de culture grecque originaire de Chéronée, en Grèce qui a écrit notamment les fameuses Vies Parallèles. Ainsi, c’est le regard d’un homme au cœur de l’apogée de l’Empire romain que John Scheid nous fait découvrir à travers ce livre À Rome sur les pas de Plutarque. Ce petit livre de 176 pages est très dense et peu habituel dans sa forme. Pour mieux rendre compte de cet ouvrage, Histoire pour Tous vous propose trois angles de lectures possibles de cet ouvrage.

 

La traduction des Questions romaines de Plutarque

Ce livre est basé principalement sur la traduction complète de John Scheid des Questions romaines. Les Questions romaines sont un ouvrage de questions auxquelles l’auteur répond par l’intermédiaire de réponses interrogatives contradictoires et divergentes. La forme peut surprendre le lecteur contemporain et bon nombre des explications ou des réponses de Plutarque n’ont pas de valeur historique dans le sens où la réponse n'est pas satisfaisante selon nos critères. Pour mieux expliquer ce système, nous allons développer une question sur les 113 que comportent les Questions romaines : la question 42 se demande pourquoi le temple de Cronos est le lieu de dépôt du trésor des Deniers publics et de dépôts de contrats. Dans un premier temps, Plutarque propose une explication liée au règne de Cronos puis sur les attributions du Dieu Cronos et enfin une explication « historique » où Valerius Publicola, premier consul de Rome, aurait choisi ce lieu en raison de sa position stratégique et de sa visibité. Pour autant, les Questions romaines ne constituent pas une somme de toutes les interprétations sur tel ou tel aspect et, comme l’explique John Scheid, il existe des interprétations différentes données par Plutarque dans d’autres ouvrages. Cette description succincte peut désorienter le lecteur contemporain. Pourtant ce texte permet de saisir ce qu’était l’art oratoire et de la discussion et de rentrer ainsi dans un pan de la culture romaine par l’intermédiaire de cet ouvrage. Ce livre peut être une sorte de manuel sur Rome pour des élites. La deuxième clef de lecture est la thèse que défend l’auteur : la cohérence du texte et la succession des questions sont guidées par la topographie romaine.

Un guide de voyage singulier

Ce que John Scheid démontre avec succès, c’est que le texte des Questions romaines est organisé selon un parcours que Plutarque et ses contemporains avaient en tête mais que les historiens ont peu perçu jusqu’à maintenant en raison de son caractère implicite. Ainsi, le deuxième objectif de John Scheid est de rendre intelligible ce parcours. Il convient ici de rendre hommage aux nombreuses cartes et photographies qui permettent au lecteur de se repérer aisément dans la géographie romaine et de visualiser les monuments. À chaque fois que Plutarque se déplace, le déplacement est signalé au lecteur. Ainsi, la traduction est considérablement enrichie par ces passages qui entrecoupent le texte antique. Ces paragraphes supplémentaires peuvent également être augmentés d’explications complémentaires qui éclairent les réponses de Plutarque. Cependant, le voyage proposé par John Scheid diffère de celui de Plutarque : l’auteur a choisi de se promener en empruntant le réseau routier moderne et non le réseau routier antique qui bien que déterminant dans la géographie romaine contemporaine est altéré considérablement. Ce n’est donc pas un « guide touristique classique » que cet ouvrage propose mais un voyage littéraire et culturel dans le monde antique grâce à la visite de Rome.

Un ouvrage qui plonge le lecteur dans la culture romaine

Nous l’avons déjà dit précédemment, le livre est un condensé de culture et d’explications sur tel ou tel aspect de la culture romaine. L’érudition de John Scheid complète admirablement ce voyage. Il le complète par les connaissances apportées mais également par l’interprétation du texte des Questions romaines que l’auteur apporte en fin d’ouvrage. Le dernier chapitre explicite les intentions de Plutarque et le contextualise. La première partie de ce chapitre revient sur le parcours littéraire de Plutarque et ses équivalents dans l’Antiquité. Ce texte n’est pas un cas isolé et l’auteur montre d’autres exemples de ce type d’ouvrage construit selon cette logique. La deuxième partie explicite les intentions de Plutarque. L’auteur explore la question de la mémoire  et des techniques mnémotechniques dans l’Antiquité car ce livre a pu être destiné également à des étudiants. La question des lieux de mémoire à Rome est également abordée. Au final, nous citerons la dernière phrase de John Scheid : « Les Questions romaines étaient peut-être l’un des moyens qui permettaient de devenir pleinement romain ». C’est donc également un livre sur l’apprentissage de la romanité.

C’est donc un ouvrage passionnant qui peut paraître difficile pour le néophyte mais qui permet une plongée dans le monde antique romain. L’auteur a destiné cet ouvrage à un public large : les cartes et l’index des noms propres avec ses notices biographiques répondent parfaitement à cet objectif. C’est un livre érudit mais très accessible que nous livre John Scheid. Nous avons vu tout au long de cette recension les différents objectifs poursuivis par l’auteur qui font de ce livre, un livre riche et stimulant. La rigueur universitaire n’est jamais sacrifiée même si on peut regretter qu’il n’y ait pas de bibliographie et que les notes de bas de page soient si peu nombreuses.

SCHEID John, À Rome sur les pas de Plutarque, Vuibert, juin 2012.

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