louisxiv ennemisLorsque l'on évoque le règne de Louis XIV, le château de Versailles vient très rapidement à l'esprit. Ainsi, c'est à nul autre qu'au Roi soleil que le logo du château fait référence. Or ce château a une histoire riche avant et surtout après. La symbolique solaire attachée encore aujourd'hui à ce lieu et à ce roi fut pourtant délaissée dès la fin de son règne. Raisons religieuses, personnelles ou politiques ?recommande

Depuis Peter Burke dans son livre The Fabrication of Louis XIV (traduit en français aux éditions du Seuil), on sait que le roi de France a façonné son image et a mis en place un vrai programme artistique dont le contenu change au fil du temps et est marqué, à la fin de son règne, par une crise profonde. L'ouvrage Louis XIV et ses ennemis : Image, propagande et contestation de Hendrik Ziegler, professeur d'histoire de l'art moderne et contemporain à l'université de Reims Champagne-Ardenne, publié aux Presses universitaires de Vincennes traduit par Aude Virey-Wallon explore à nouveau cette problématique mais en s'intéressant davantage à la réception et aux critiques de ce programme iconographique à travers des études très hétéroclites et stimulantes.

Louis XIV et les arts : un art de propagande

L'auteur dès le début de son ouvrage prend clairement position et défend l'usage du terme de propagande pour qualifier l'utilisation des arts par Louis XIV. Selon lui, l'art sous Louis XIV n'est pas seulement un art qui glorifie le prince mais un message politique assez clair destiné à un vaste public sous diverses formes et reçu comme tel. Mais là où l'ouvrage a une vraie différence avec d'autres qui ont traité de ce sujet auparavant, à l'instar de Peter Burke, c'est qu'il s'intéresse et analyse en profondeur la réception des œuvres à l'étranger et en France dans une moindre mesure. Il veut également montrer que la monarchie a dû et a su adapter sa « communication » aux diverses critiques émises. À travers quelques dossiers très hétéroclites et approfondis, l'auteur nous propose de jeter un autre regard sur cet art qui, au-delà de l'attrait esthétique, permet de mesurer la réelle pertinence du concept d'« absolutisme » et ses limites aujourd'hui remis en cause par l'historiographie contemporaine (voir l'ouvrage L'absolutisme en France, histoire et historiographie de Fanny Cosandey et Robert Descimon).

La gloire et le revers de la médaille

L'auteur commence par étudier l'émergence et la signification de la devise du roi et de la symbolique solaire. Les médailles sont un support privilégié pour diffuser l'image de la gloire du souverain et pour critiquer ses concurrents. Le Grand Siècle ne semble pas faire exception à la règle bien que le roi de France ait répugné à utiliser ce procédé contre ses concurrents (qui eux ne s'en sont pas privé). La symbolique solaire a été tournée en dérision : le Roi-Soleil, trop orgueilleux, est menacé par les éclipses et il se transforme en Icare ou Phaéton. Tout au long de ce chapitre, on voit que les puissances étaient loin d'être inactives et même certaines fêtes ou célébrations donnent lieu à des problèmes diplomatiques ou à des provocations de part et d'autre. La principale conséquence de la diffusion de ces médailles dépréciatives est l'abandon de la thématique solaire sur les médailles française bien qu'il semble que ce ne soit pas la seule : la crise de l'astrologie, les revers militaires, les difficultés françaises mais aussi la prise en compte des critiques étrangères semblent avoir aussi compté dans ce choix.

Une statue pour un roi trop orgueilleux ?

La seconde partie s'intéresse aux statues royales. Celle de la place des Victoires occupe une large part de la démonstration et à juste titre, nous semble-t-il, tant elle a marqué les esprits. Le contexte de son élaboration est détaillé ainsi que la cérémonie d'inauguration. L'auteur fait une description très complète de cette œuvre et des différentes inscriptions que comporte le socle. Ceci est complété par les annexes très nombreuses et variées à la fin de l'ouvrage (pamphlets, chansons, extraits de mémoires ou de rapports diplomatiques, etc.). L''analyse se poursuit et prend une autre ampleur lorsque l'auteur évoque les contestations diverses et variées qu'a subies cette statue. Celles-ci sont aussi bien internes qu'externes et ont des motifs divers. Le monument de la place des Victoires a été perçu par de nombreuses personnes comme un sommet d'orgueil, une idole pour les protestants exilés ou encore une œuvre belliqueuse et prétentieuse par les puissances étrangères. Il a été en quelque sorte un catalyseur de toutes les critiques de la seconde moitié du règne. L'auteur s'intéresse ensuite à la statue royale commandée par Guido Vaini qui a subi les foudres des Habsbourg. L'auteur explique en profondeur les différents éléments qui la composent et démontre pourquoi celle-ci a été perçue comme une provocation en subvertissant les éléments de l'iconographie traditionnelle habsbourgeoise. Enfin l'auteur pense que le programme iconographique de la place Vendôme a été directement influencé par les critiques émises précédemment et que cette prise en compte fut un succès car il n'y eut pas de protestations notables.

Un château sans intérêt ?

La dernière partie s'attarde sur le château de Versailles comme support d'un message politique. Versailles est dénigré dans les rapports étrangers : l'ampleur du projet, les qualités architecturales ou les mœurs de Louis XIV et de sa cour sont sujets aux critiques. La grandeur du souverain semble se manifester davantage dans les « innovations scientifiques et techniques du château et [ses jardins] » (p. 202). Le ralentissement des travaux semble avoir été un thermomètre des ambitions belliqueuses du Roi-Soleil pour les diplomates étrangers. Le programme iconographique de la galerie des Glaces qui marque notre imaginaire semble avoir laissé de marbre les diplomates étrangers. Les critiques ont presque disparu. Seules quelques protestations émergent à l'évocation des puissances vaincues sur les cintres du plafond. Cependant Versailles a tout de même influencé les contemporains comme en atteste la petite galerie des glaces du palais de Ferdinand Bonaventura, comte de Harrach à Vienne.
Un ouvrage de qualité

 

Très richement illustrée (151 figures sans les annexes), la traduction de ce livre est d'une grande clarté et très agréable à lire. La démonstration reposant sur des sources iconographiques et textuelles est convaincante. De larges extraits de sources permettent au lecteur de suivre le raisonnement de l'auteur et de mesurer la qualité de son analyse. L'auteur prend le temps de contextualiser les œuvres et les critiques pour mieux faire comprendre les enjeux politiques derrière celles-ci. Le plaidoyer de l'auteur pour l'utilisation du terme de propagande pour qualifier l'usage des arts par la monarchie est réussi. La monarchie absolue semble bien avoir été limitée par les puissances étrangères en tout cas en ce qui concerne le programme iconographique royal comme en attestent les menaces bien réelles subies par le premier sculpteur de la statue commandée par Vaini. C'est aussi un ouvrage qui interroge le caractère performatif des œuvres du Grand Siècle. C'est donc un beau livre important et accessible que vous recommande Histoire pour Tous.

Louis XIV et ses ennemis : Image, propagande et contestation, de Hendrik Ziegler. Presses universitaires de Vincennes, décembre 2013.

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