Quartier Saint MaclouL'aître Saint Maclou tire son nom à la fois du vieux français aître, ayant eu le sens de « cimetière » (issu du latin atrium, qui désigne la cour intérieure précédant l'entrée d'une villa romaine, d'où par extension le cimetière situé avant l'entrée de l'église) et de la paroisse Saint Maclou, dont l'église du XVe siècle se situe à proximité.

 

Les origines de sa fondation

Ce cimetière est implanté au centre de la paroisse Saint Maclou, intégrée à l'enceinte de la cité depuis 1253. Il s'agit de l'une des paroisses les plus grandes et les plus peuplées, poumon d'une des activités principales de Rouen : le travail textile. La création de ce lieu étrange remonte à la Peste noire (1348), l'une des plus meurtrières que connait l'Europe puisque, selon le chroniqueur Froissart, un tiers de la population est touché. Il succède à l'ancien cimetière devenu trop exigu qui s'étendait depuis le XIIIe siècle au nord de l'église.

schorbach-ossuaire-22Entre 1521-1522, face à une nouvelle épidémie de peste, la paroisse décide d'augmenter les capacités du cimetière en construisant tout autour trois galeries surmontées d'un comble à usage d'ossuaire. Les travaux sont entrepris de 1526 jusqu'à 1529-1533. Pendant les épidémies et devant le nombre croissant de cadavres et de risques de contagion, les pratiques funéraires sont transformées : les corps sont enveloppés d'un simple linceul et jetés pêle-mêle dans de grandes fosses communes occupant l'espace central de l'aître. Avec la création de l'ossuaire, les fossoyeurs exhument les ossements après putréfaction des chairs (accélérée par l'emploi de chaux vive) et les entassent au-dessus des galeries dans l'espace compris entre le plafond et la charpente du toit.

En 1779, en réponse à une ordonnance royale, le Parlement de Normandie ordonne la suppression des lieux de sépulture urbains. Le cimetière Saint Maclou est fermé en 1781, remplacé par celui du Mont Gargan situé hors la ville. En 1862, le monument est classé et protégé au titre des monuments historiques, reconnaissance de son intérêt historique et architectural.

Une école dans un cimetière

galerie de laître saint maclouPrès de l'actuelle entrée, le portant de bois d'une cloche rappelle la vocation scolaire de l'aître. En effet, au milieu du XVIIe siècle, un nouveau bâtiment fermant au sud la cour du cimetière est édifié suite à un legs du prêtre Robert Duchesne (dont les armes sont sculptées sur la façade). Il abrite une école pour les garçons et les filles pauvres du quartier bien que le cimetière soit toujours en fonctionnement.

En 1705, l'école de charité créée dans ces lieux en 1659 est confiée aux Frères des écoles Chrétiennes, institut fondé à Rouen par Saint-Jean-Baptiste de la Salle. Les galeries servant d'ossuaire sont transformées de 1745 à 1749 pour accueillir des salles de classe. Les Frères restent jusqu'en 1907, à l'exception de la période révolutionnaire (1792-1819) où l'aitre est affecté à diverses fonctions : société de filature, fabrique d'armes, club révolutionnaire.

Aux écoles chrétiennes succède, en 1911, un pensionnat de jeunes filles. À sa fermeture, les bâtiments sont laissés dans un état de semi-abandon puis mis en vente. L'aître Saint Maclou devient en 1927 propriété de la ville de Rouen qui projette d'y fonder un musée d'art normand. En 1930, des travaux d'aménagement y sont entrepris. Pourtant, les bâtiments n'auront pas d'affectation précise jusqu'à l'installation de l'École des Beaux-Arts en 1940, qui y trouve refuge après l'incendie dévastateur de la Halle aux Toiles. Elle y a résidé jusqu'en 2014 avant de s'établir dans un ancien collège du quartier de la Grand'Mare.

Une architecture normande

Vue depuis lentrée de latreL'ossuaire se compose de quatre galeries encadrant une place centrale ; il est large de 32 mètres pour une longueur de 48 mètres. Les trois premières galeries (Nord, Ouest, Est), élevées au début du XVIe siècle, sont dotées d'un soubassement en pierre et sont rythmées par des colonnes sculptées inspirées de la Renaissance. Prenant appui sur celles-ci, une ossature en bois constituée de poutres horizontales nommées sablières et de potelets verticaux accueille l'espace destiné à servir d'ossuaire. Au-dessus du plafond, des galeries, s'élevaient une charpente et un toit à double pente percé de lucarnes permettant aux fossoyeurs d'accéder au charnier.

La dernière galerie, située au sud et construite au XVIIe siècle, s'intègre aux galeries du cimetière par l'emploi des matériaux et par l'ordonnance générale de la façade et du décor. Elle comporte dès l'origine un étage, surmonté d'un comble, afin d'accueillir l'école au rez-de-chaussée et le logement des prêtres à l'étage.

L'ensemble architectural perdure jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, période durant laquelle un étage est ajouté, ce qui va complètement bouleverser les proportions des galeries. Le poids menace de faire affaisser les sablières et les galeries sont fermées par des cloisons en pan de bois maçonné et des fenêtres. Trois escaliers sont construits aux angles de la cour pour communiquer avec le nouvel étage et l'ossuaire est également comblé.

decor des galeriesEnfin, dans une vitrine, près de la porte d'entrée, on a placé un squelette de chat découvert dans un mur. Il s'agissait sans doute d'un chat noir (représentant le diable), enfermé vivant dans la maçonnerie pour éloigner le mauvais sort.

Un décor macabre

Le décor sculpté sur bois qui ornait l'ossuaire est toujours visible aujourd'hui malgré une légère transformation à la suite d'un incendie en 1758. Les sculptures épargnées ont été remontées sur des pièces de bois nouvelles. Se déroulent alors devant nos yeux des frises d'objets macabres, aperçus de l'univers quotidien d'un charnier : ossements (cranes, mâchoires, fémurs, cotes, omoplates...), instruments liturgiques de l'office des morts (croix, cierges, bénitiers, cloches), les instruments de la Passion (clous et fouets) et les outils du fossoyeur (pelles, pioches, cercueils).

détail du décor des galeriesSur les colonnes des galeries Ouest et Est sont sculptées des séries de couples personnifiant une danse macabre. Il s'agit d'une sorte de procession où la mort, décharnée et vêtue d'un linceul entraine de vivant dans une danse. La mort gesticule, gambade, sautille, alors que le vivant semble figé face à l'arrivée brutale et violente de la mort. Ces statues ont été détériorées en 1562 par les protestants lors des guerres de Religion, ce qui rend leur identification difficile. Le défilé se déroule hiérarchiquement par catégorie sociale et de pouvoir (de l'empereur suivi du roi et d'autres personnages difficiles à identifier). Le seul dernier couple reconnaissable est celui de la mort et du moine chartreux.

La première danse macabre semble avoir été peinte sur les murs des galeries du cimetière des Saints Innocents en 1424. De là, ces représentations se sont diffusées dans l'Europe du Nord, notamment par la parution à la fin du XVe siècle de plusieurs éditions illustrées. La danse macabre est liée directement au choc psychologique provoqué par l'effroyable mortalité de la Peste noire et aux résurgences de l'épidémie qui fauchent les générations suivantes. Cependant, la maladie n'est pas le seul fléau de l'époque : la famine et les guerres y sont étroitement associées. L'angoisse face à une mort omniprésente se développe parmi les populations. La danse macabre répond à cette peur en dressant une satire sociale reprochant la recherche des honneurs et des richesses et affirmant l'égalité de tous après la mort, sans distinction de rang ni d'âge. Elle ne conduit cependant pas à la critique des fondements de la société, car l'égalité ne se manifeste que devant Dieu.

Danse Macabre - Guyot MarchantAujourd'hui, l'aître semble abandonné et a retrouvé le calme propre à nos cimetières d'aujourd'hui dans l'attente d'une nouvelle attribution de ses bâtiments. Son histoire reste cependant fascinante et par sa beauté et son décor, ce lieu vaut le détour lors d'une escape dans la ville de Rouen.

Aître de Saint Maclou : ouvert tous les jours de 9h à 18h, sauf le 25 décembre et le 1er janvier. Entrée libre.

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