c_croisade3_voeu_de_croisadeCela fait presque un siècle qu’Urbain II a lancé la Croisade pour libérer Jérusalem, quand celle-ci est reconquise par Saladin en 1187. Les Etats latins sont affaiblis, le comté d’Edesse a même été détruit et une croisade précédente, pourtant emmenée par deux souverains majeurs d’Occident, a lamentablement échoué. La situation est donc critique quand une nouvelle croisade est proclamée par le pape Grégoire VIII ; commence alors la Troisième croisade, peut-être la plus célèbre, car elle oppose de grands rois d’Occident, dont Richard Cœur de Lion, au déjà légendaire Saladin.

 

La Croisade pour la paix en Occident ?

La situation est en réalité bien plus complexe, et la décision papale d’appeler à la croisade n’est probablement pas uniquement due à la chute de Jérusalem et à celle des principales places latines en Terre Sainte. En effet, l’Occident est en pleine guerre entre Capétiens et Plantagenêts ! Pour les premiers, Philippe Auguste a consolidé son pouvoir dans le royaume de France, et peut à présent se tourner vers l’ennemi déjà héréditaire qui compte de très importantes possessions sur le continent, comme l’Anjou et la Normandie. Les Plantagenêts, eux, sont emmenés par Henri II mais ce dernier connait de très graves problèmes avec ses fils, en particulier Richard et Jean. Le roi de France n’hésite pas à les soutenir durant les années 1186-88, et Henri II affaibli doit plier malgré sa réconciliation, un temps, avec Richard. Celui-ci lui succède à sa mort en 1189.

Dès 1187, Henri II avait cependant promis de répondre à l’appel à la croisade de Grégoire VIII (renouvelé par son successeur Clément III) ; Richard doit prendre sa succession. Cela ne le gêne nullement, car il n’est guère intéressé par le royaume d’Angleterre et veut plutôt se faire connaître par ses exploits guerriers ; il avait ainsi lui aussi promis de prendre la Croix dès la fin 1187. Cela ne l’empêche pas de persuader Philippe Auguste de l’accompagner, probablement pour éviter que son rival français ne l’attaque dans le dos une fois parti pour la Terre Sainte. Le fils de Louis VII ne peut évidemment pas refuser d’accomplir ce pèlerinage…

Les deux souverains se préparent pour un départ courant 1190. En Angleterre, Richard parvient à imposer la « dîme saladine » pour financer sa croisade, mais Philippe Auguste doit s’en passer, ce qui provoquera ensuite pas mal de problèmes aux finances royales. Les deux rois se rencontrent début 1190 pour signer un pacte de non-agression, ce qui n’empêche pas de nouvelles tensions et le report du départ ; celui-ci intervient tout de même le 4 juillet 1190, depuis Vézelay, d’où Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion prennent enfin le chemin vers la Terre Sainte.

L’autre grand souverain : Frédéric Barberousse

Il serait trop long d’expliquer les circonstances de l’arrivée sur le trône impérial de Frédéric de Hohenstaufen, mais il faut souvenir que nous sommes à la suite de la Querelle des Investitures. Barberousse est ainsi en conflit avec la papauté depuis les années 1150, et cela s’éternise encore jusque dans les 1180, se confondant surtout avec les rivalités en Italie entre Hohenstaufen et Guelfe, sans parler des Normands de l’Italie du Sud et de la Sicile ! Il a aussi participé aux luttes entre Plantagenêts et Capétiens, soutenant le plus souvent Henri II.

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Au début des années 1180, l’empereur a réglé ses affaires avec la ligue lombarde à la paix de Constance (1183), et définitivement pacifié les rivalités au sein de l’Empire à la Pentecôte 1184, où son pouvoir est reconnu par l’essentiel des Grands. Il décide de prendre la Croix à la diète de Mayence en 1188.
 

L’armée impériale est largement la plus impressionnante des trois armées royales partant pour la Terre Sainte, puisqu’on parle de 100 000 hommes, dont 20 000 chevaliers ! Frédéric Barberousse n’a pas hésité à provoquer en duel Saladin, et il s’avance très décidé vers Jérusalem, sans attendre Richard et Philippe. Les problèmes interviennent cependant rapidement à cause de la mauvaise volonté de l’autre empereur, celui de Constantinople, Isaac II Ange, qui aurait passé des accords avec Saladin et emprisonné une ambassade germanique.

Barberousse décide alors de ravager la Thrace et de pousser son rival d’Orient à la coopération ; le basileus doit céder et l’aide à passer les Dardanelles en mars 1190. Après une traversée difficile de l’Asie Mineure et deux victoires sur des armées musulmanes, l’empereur se noie en traversant la rivière Sélef ! La grande armée impériale disparaît avec lui, à l’exception de quelques contingents qui parviennent à gagner Antioche.

Richard et Philippe en Sicile

L’armée anglaise aurait compté 850 chevaliers, et l’armée française un peu plus de 600. Si les deux rois rivaux sont partis ensemble de Vézelay, ils prennent ensuite un chemin différent : Philippe Auguste prend la mer à Gênes, alors que Richard choisit Marseille. Le roi de France arrive à Messine le 16 septembre 1190 et loge dans le palais royal ; Richard fait une entrée remarquée six jours plus tard, et déjà le retour de la rivalité entre les deux hommes se fait sentir. Cela ne les empêche pas de rester six mois en Sicile ! Des tensions apparaissent entre les deux armées, mais aussi avec la population locale, mais dans tous les cas c’est le roi d’Angleterre qui en tire parti ; ce serait suite à ces événements qu’il aurait été surnommé « le lion », et Philippe « l’agneau »…

A cela s’ajoute semble-t-il un problème amoureux dont le sujet principal serait Jeanne, sœur de Richard dont Philippe se serait épris, et l’enjeu principal la succession en Sicile. Tancrède, cousin du défunt Guillaume le Bon, alors maître de l’île et rival de Jeanne, profite de la situation pour consolider sa position en dressant les deux rois l’un contre l’autre. Cela conduit au sac de Messine par l’armée anglaise en octobre 1190, et Philippe en prend fort ombrage quand il voit les bannières de son vassal flotter sur les murs de la ville ; on dit que c’est là qu’il aurait décidé de s’emparer plus tard de la Normandie…c_croisade3_messine

Malgré des tentatives de compromis, les tensions continuent pendant la première moitié de l’année 1191, à l’image de l’affaire Guillaume des Barres, un chevalier qui parvient à battre Richard dans une joute, provoquant la fureur de ce dernier qui oblige Philippe à s’en séparer ! Tout se termine enfin quand il est permis à Richard de se défaire de sa promesse d’épouser la sœur de Philippe, Aélis, pour épouser Bérangère de Navarre qui arrive sur l’île en compagnie de la mère de Richard, Aliénor d’Aquitaine. Il semblerait qu’un accord trouvé, les deux rois se soient réconciliés avant de reprendre la route. 

De Chypre à Acre

Le roi de France préfère toutefois quitter la Sicile avant l’arrivée d’Aliénor, et c’est chose faite le 30 mars 1191; il prend la direction d’Acre. Richard, qui se marie, ne pourra le rejoindre qu’un mois plus tard à cause d’une tempête. Celle-ci le pousse sur les rives de Chypre, et le fougueux roi y voit là une bonne raison de conquérir l’île ! Depuis 1184, celle-ci s’est émancipée de la tutelle byzantine et est un Etat autonome. Elle est tenue par Isaac Comnène qui, jaloux de son indépendance, n’hésite pas à pactiser avec Saladin. Il va jusqu’à menacer Bérangère de Navarre, dont la nef est tombée aux mains de ses troupes et Richard, devant son refus de négocier, décide de l’affronter en mai 1191. Il le vainc sans difficulté, accroissant encore ses richesses et sa renommée…

A peine arrivé devant Acre (prise par Saladin dans la foulée de ses précédentes victoires), Philippe Auguste se retrouve au cœur des rivalités pour la succession au trône de Jérusalem, alors que la ville sainte a été reconquise par les musulmans. La rivalité entre Guy de Lusignan et Conrad de Montferrat dure depuis l’année précédente, et le roi de France prend le parti du second. L’armée de Richard arrive pour achever le siège de la ville, qui tombe aux mains des croisés le 12 juillet 1191.

Richard Cœur de Lion et Saladin

 

C’est d’abord la succession du trône du royaume de Jérusalem qui se règle, un temps au profit de Guy, puis à celui de Conrad mais pas avant 1192, et pour très peu de temps car il est assassiné. Guy est mis dehors au profit d’Henri de Champagne, mais obtient Chypre de Richard.

Entre-temps, Philippe Auguste a bien compris qu’il n’avait pas sa place dans cette croisade, où l’omniprésence de Richard lui faisait un peu trop d’ombre. Plutôt que de continuer à céder, et estimant son devoir accompli, il rentre en France dès début août ! L’avenir lui donnera raison, tant contre Richard que contre son frère et successeur, Jean Sans Terre..
 

Richard, lui, continue sa croisade, en entretenant habilement sa renommée. On commence à parler de sa rivalité avec Saladin, et cela s’accroît suite à sa victoire contre celui-ci à Arsûf en septembre 1191, puis avec la reconquête de Jaffa et Ascalon. La fin de l’année voit les premières négociations entre les deux hommes, bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés. Les hostilités reprennent dans les semaines suivantes, mais à chaque fois Richard hésite à s’attaquer directement à Jérusalem.

En septembre 1192, il apprend que Philippe Auguste et son frère Jean complotent dans son dos en Occident. Face à un Saladin vieillissant et malade il obtient une trêve de trois ans et trois mois, ainsi que l’accès gratuit à Jérusalem pour les pèlerins chrétiens. Il quitte la Terre Sainte dès le début octobre 1192.

Le bilan de la troisième croisade

On peut dire qu’il est contrasté. Si les croisés ont récupéré quelques places fortes ainsi qu’un accès à Jérusalem, on ne peut pas dire que ce qui reste des Etats latins est viable. De plus, l’image même de la croisade, après l’échec de la précédente, est vivement contestée en Occident.

Au niveau politique, même pour les musulmans, le bilan est relatif : certes, ils ont conservé l’essentiel, et le statu quo est à leur avantage, mais Saladin est de plus en plus critiqué. Affaibli, il a vidé les caisses de son empire, et met dans une grande difficulté ses successeurs quand il meurt en 1193. Les rivalités recommencent, au profit encore une fois des croisés…

Pour l’Occident, les conséquences de cette croisade, même indirectes, sont importantes. D’abord, Richard est capturé à son retour par Léopold V d’Autriche ; celui-ci avait participé à la prise d’Acre à ses côtés, mais s’était considéré humilié quand l’Angevin avait refusé qu’il hisse ses couleurs aux côté des siennes et de celles du roi de France ! Richard est retenu deux longues années, et libéré grâce à une rançon énorme. Pendant ce temps, son frère Jean a comploté contre lui avec Philippe Auguste. Il lui pardonne cependant et reprend la guerre contre son rival de toujours ; c’est au cours d’une bataille dans le Limousin qu’il est atteint par le carreau d’une arbalète et meurt de ses blessures, en 1199. Par la suite, Philippe Auguste prendra le dessus sur Jean qui lui a succédé…

La Troisième croisade est donc avant tout réputée grâce aux figures devenues légendaires de Richard Cœur de Lion et de Saladin, mais aussi grâce au contexte en Occident de rivalité entre Capétiens et Plantagenêts. Le statu quo obtenu de Saladin va certes prolonger la présence des Latins en Orient, mais l’épopée des croisades va connaître encore bien des rebondissements.

Bibliographie

-          M. BALARD, Les Latins en Orient XIè-XVè siècle, PUF, 2006.
-          A.M. EDDE, Saladin, Flammarion, 2020.
-          J. FLORI, Philippe Auguste, Tallandier, 2007.

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