Pour le bicentenaire du désastre napoléonien en Russie les éditions France Empire rééditent le récit du Comte de Ségur : « La campagne de Russie : 1812 », préfacé (« comme à l’habitude » pourrions nous presque dire…) par Jean Tulard, ténor de l’Histoire du Premier Empire. Dans un style passionné et fluide, le Comte de Ségur achève en 1824 cette mise en récit de la tragédie donc il fut témoin.
Désœuvré et fasciné à la fois il ressent le besoin d’écrire cette œuvre mémorielle, dédiée « à ceux d’entre vous que les glaces du Nord ont désarmés, et qui ne peuvent plus servir la patrie que par les souvenirs de leurs malheurs et de leur gloire ! Arrêtés dans votre noble carrière, vous existez plus encore dans le passé que dans le présent ; mais quand les souvenirs sont si grands, il est permis de ne vivre que de souvenirs. Je ne craindrai donc pas, en vous rappelant le plus funeste de vos faits d’armes, de troubler un repos si chèrement acheté. Qui de nous ignore que, du sein de son obscurité, les regards de l’homme déchu se tournent involontairement vers l’éclat de son existence passée, même lorsque cette lueur brille sur l’écueil où se brisa sa fortune, et quand elle éclaire les débris du plus grand des naufrages ? »… À lire cette tirade nostalgique comment ne pas comprendre que les lendemains d’Empire furent un terreau fertile pour les plumes romantiques ? Grandeurs et misères s’entremêlaient dans un passé proche bien plus passionné que ses modèles antiques.
Philippe-Paul de Ségur (1780 – 1873)
Philippe-Paul de Ségur est le petit-fils du Maréchal de Ségur, et le fils de Louis-Philippe, comte de Ségur (1753 – 1830) qui a participé à la guerre d’indépendance américaine, fut ambassadeur de Louis XVI en Russie, puis auprès du Pape et à Berlin dans les débuts de la Révolution, sénateur sous le Consulat et l’Empire, grand aigle, grand officier du palais de l’Empereur , comte d’Empire… Ce qui ne l’empêchera pas de voter la déchéance de Napoléon en 1814 puis de le rallier en 1815… Membre de l’Académie française, Ségur père est aussi un homme de Lettres qui dans sa jeunesse côtoya les salons, rencontra Voltaire, et ne cessa d’écrire des ouvrages historiques, des contes, des fables, des chansons, des comédies…
« L’est, le sud, l’ouest, étincelaient de feux ennemis ; on ne respirait que d’un seul côté qui restait encore libre, celui du nord et du Dnieper, vers une éminence, au pied de laquelle étaient le grand chemin et l’Empereur. On crut alors s’apercevoir qu’elle se couvrait de canons. Ils étaient là sur la tête de Napoléon ; ils l’auraient écrasé à bout portant. On l’en avertit ; il y jeta un moment les yeux, et dit ces seuls mots : « Eh bien, qu’un bataillon de mes chasseurs s’en empare ! » Puis aussitôt, sans s’en occuper davantage, ses regards et son attention se retournèrent vers le péril de Mortier. »
Le regard de l’Aigle, désignant les objectifs, méprisant la mort et le danger, serein dans les pires moments… De page en page, de chapitre en chapitre, l’image de l’Empereur se dessine dans cet ouvrage, cette pierre posée sur l’édifice de la légende impériale appelée à rayonner par delà les siècles et les régimes.
Belle initiative donc, que cette réédition des Edition France Empire, preuve que l’histoire du Premier Empire est certainement une de celles qui se portent le mieux. Avec un vaste marché de passionnés les Editeurs ne rechignent pas à publier des ouvrages sur cette période, offrant la victoire à Napoléon dans sa dernière bataille… Celle de la mémoire !
Comte de Ségur, « La campagne de Russie 1812 », Editions France-Empire Monde, 2012 (réédition), 305p.