Herbert Schmalz-ZenobiaEn 267, devenue régente de la riche cité de Palmyre, Zénobie entame la conquête de la Syrie, de l'Égypte et d'une grande partie de l'Asie Mineure, tout en continuant à faire acte d'allégeance envers Rome. Son ambition hégémonique est brisée quatre ans plus tard par l'empereur Aurélien, qui fait emprisonner la reine et reprend les territoires romains.L'histoire de Zénobie est entourée de nombreux fantasmes ou légendes et il est bien difficile de démêler le faux de l'histoire de la « reine de Palmyre ». En réalité, elle ne fut jamais reine de Palmyre (comme il n'y eut jamais de royaume à Palmyre), mais fit connaître à sa cité sa plus grande prospérité. 

 

Palmyre, une cité dans la crise du IIIe siècle

Pour comprendre l'essor de Zénobie, il est nécessaire de faire un rapide aperçu de la situation politique romaine. Depuis la fin du IIe siècle de notre ère, l'empire est menacé par des peuples germaniques au nord du limes. La peste antonine frappe le bassin méditerranéen sans qu'on puisse véritablement estimer son impact. Après les périodes de stabilité politique sous les Antonins et les Sévères, le pouvoir politique est fortement disputé où de 238 à 253, 18 empereurs se disputent la pourpre impériale et peu se maintiennent plus de cinq ans. Un grand nombre d'entre eux après avoir été proclamés empereurs par leurs troupes décèdent sur le champ de bataille. Des difficultés économiques et financières sont perceptibles. S'ajoute à cela une menace nouvelle de premier ordre. À l'est, les Parthes Arsacides sont renversés au profit des Perses Sassanides. Ardashir et son fils Shapur Ier grâce à une armée redoutable conquièrent très vite de nouveaux territoires au détriment des Romains.

Ce dernier a fait publier une inscription monumentale retrouvée à Naqsh-e Rostam où ils exposent les faits majeurs de son règne à l'image des Res Gestae d'Auguste. Cette source permet un éclairage important sur cette période car elle contribue à avoir une meilleure connaissance de cette période problématique en raison de sources plus ou moins fiables. L'Histoire Auguste en particulier est une des principales sources sur cette période mais a été écrite un siècle après et est peu fiable avec des partis pris et des libertés manifestes. Celui-ci nous a laissé beaucoup d'informations sur Odainath et Zénobie que l'on doit manier avec prudence. Ammien Marcellin est une autre source plus sérieuse mais il apporte peu d'informations sur le sujet. Zosime plus fiable et divers autres auteurs permettent de compléter le récit.

Les sources numismatiques et épigraphiques sont un apport majeur qui permettent de confirmer certaines informations ou de compléter nos connaissances. Dans ce contexte, Palmyre, cité romaine depuis le début du Ier siècle de notre ère devenue colonie au début du IIIe siècle est un enjeu majeur car elle est une puissance commerciale et un lieu de passage pour les caravanes mais elle est aussi proche de la frontière.palmyre

L'ascension et l'assassinat d'Odainath et d'Haîran

Avant d'aborder l'ascension de Zénobie, il est nécessaire de parler de celle de son mari sans qui rien n'aurait été possible. Notable de premier plan de la cité issu d'une famille importante palmyrénienne qui a reçu la citoyenneté romaine à l'époque de Septime Sévère peut-être suite à un choix opportun lors de la guerre civile en 192-193, il fut exarque des Palmyréens ou resh Tadmor soit « chef de Palmyre ». Cette distinction vague certainement donnée par la colonie demeure dans une large mesure une énigme mais montre sa prééminence reconnue par la communauté. Quelques années plus tard, « Odonaith » est princeps Palmyrenorum comme nous l'apprend une inscription. Ce terme n'indique pas l'existence d'une royauté ou d'une principauté mais seulement qu'il était le « premier » de sa cité comme l'était Auguste au sein du Sénat. En 257-258, il est clarissime consulaire c'est-à-dire sénateur romain de rang consulaire. En obtenant cette distinction, il possède alors officiellement un imperium lui permettant de commander des troupes romaines.

Cette ascension ne peut être que le fruit de la reconnaissance du bienfait de ses actions pour l'empire ou pour l'empereur. Plusieurs hypothèses non contradictoires peuvent expliquer ceci. Odainath dans le contexte troublé de la Syrie des années 250 est à la tête de troupes palmyréniennes (la cité a le droit de lever une milice notamment pour protéger les caravanes depuis longtemps) qui ont une importance clé. Celui-ci a même pu intervenir dans l'élimination du prétendant à l'empire Uranius Antonius à Emèse en 254 sans qu'on puisse l'affirmer faute d'éléments solides. Le rôle militaire capital du palmyrénien et son ascendant politique de plus en plus fort sur la Syrie semblent indéniables.

BELLEROPHONLes années 259-260 sont un tournant majeur. En 260, l'empereur Valérien est capturé suite à une défaite près d'Édesse par les Perses sassanides. Odainath et son fils Haîran, associé à ses actions, poursuivent l'armée ennemie et s'empare du butin, des concubines du roi mais ne parviennent pas à délivrer l'empereur qui disparaitra à jamais en Iran. Suite à cette victoire, ils marchent sur Emese où se trouvaient les usurpateurs Macrien et Quietus.

À partir de ce moment, Odainath prend le titre de « roi des rois » perse ou shahinshah. Il conduit à nouveau ses armées contre les Sassanides et soumet Nisibe et la Mésopotamie. Il devient sans conteste une personnalité de premier plan de l'Orient romain sans que pour autant il ait souhaité s'affranchir de l'Empire. Au contraire, Rome soutient certainement son action car dans l'éventualité d'un succès d'Odainath, elle gagnerait un allié précieux.

Du côté romain, il est restitutor ou curator de tout l'Orient (mtqnn' dy mdnh'klh) et administre la province. Il crée, de l'autre côté, une cour à Palmyre et fait savoir publiquement ses prétentions orientales. Un de ses proches connait une ascension parallèle. Worôd, proche d'Odainath, chevalier romain issu d'une grande famille locale, est bouleute de la cité (membre du conseil de la communauté), fonctionnaire impérial de la province de Syrie (certainement iuridicus) et argapet. Ce dernier titre est porté à la cour du « roi des rois » et jouait un rôle clé lors du couronnement du souverain. Il est en quelque sorte vice-roi et a pu s'occuper de Palmyre lorsqu'Odainath était absent.

Une mosaïque récemment découverte illustre les prétentions du clarissime. Le premier panneau représente Bellérophon mais aussi Odainath : « Au lieu de la nudité héroïque, il porte des habits iraniens à la mode de Palmyre : pantalon, tunique à galon médian brodé, et un kandys, manteau ouvert à longues manches, brodé également, qui recouvre la croupe de Pégase. Sur la tête, un casque en forme de cloche, muni d'un panache flottant. Tout en haut du tableau, deux aigles volent, tendant des couronnes de part et d'autre de la tête du héros. Le costume de notre cavalier est celui porté par quelques nobles palmyréniens du IIIe siècle, mais c'est avant tout la tenue de cour, parthe ou perse » (Gawlikowski Michel p. 1297). Il porte également un casque en cloche, attribut du « dieu cavalier arabe Arsû », l'Arès palmyréen et d'autres divinités guerrières locales.

Le second panneau parallèle représente une chasse au tigre mais aussi Haîran, le fils du « roi des rois ». On voit ainsi à travers des métaphores les prétentions des deux hommes. De nombreuses inscriptions leur sont consacrées et certaines représentations d'Odainath ont été retrouvées. Leurs ascensions et leurs prétentions s'interrompent brutalement en 267 suite à leur assassinat assez obscur. Le lieu et l'auteur du crime diffèrent selon les sources anciennes. A-t-il été commandité par Rome qui tolérait de moins en moins les actions des deux hommes ? Par sa famille suite à un règlement de compte ou par sa femme ? Quoi qu'il en soit, la célèbre épouse d'Odainath entre en scène et dans l'histoire.

Zénobie, la reine « régente » de Wahballath

Fille d'Antiochos, Zénobie appartient à une famille très aisée de Palmyre. Elle s'est mariée avec « le roi des rois » probablement vers 255 et a un fils avec lui dans les années qui suivent Wahballath. Son ascension se fait par l'intermédiaire de ce fils : elle n'est que la régente et tente de préserver l'héritage de son défunt mari. Très vite, de nombreux soutiens la suivent (dans une large mesure aussi ceux d'Odainath) et les prétentions sont affichées publiquement. Sur des bornes militaires (privilège impérial) apparait la titulature du jeune homme « le très illustre [titulature réservée aux membres de l'ordre sénatorial] Roi des Rois », épanortôthès ou corrector de tout l'Orient. Il est difficile de savoir si ces titres lui ont été donnés par l'empereur ou s'il se les est attribués lui-même. En 270, il est imperator et dux des Romains. Ce titre inédit, difficile à interpréter, et non porté par son père montre un réel tournant politique et le changement d'objectif majeur. L'enjeu politique n'est plus la Perse sassanide mais l'Empire lui-même.

la-dame-dite-beaute-de-palmyre-fin-iie-debut-iiieÀ la fin de l'année, il est également consul ce qui montre que le pouvoir central au moins sous Claude II accepte ceci et compose avec ce pouvoir. Du côté palmyrénien, il n'est pas question de rompre avec l'Empire. Il est nécessaire à ce stade rappeler que Zénobie et son fils sont parfaitement intégrés dans le monde gréco-romain et sont de parfaits exemples d'élites hellénistiques.

Nous sommes loin de l'image orientalisante d'une bédouine réclamant l'indépendance. Au contraire, tout le parcours de Wahballath s'intègre parfaitement dans le contexte impérial difficile du IIIe siècle. Ainsi, il apparait dans les sources non littéraires comme l'égal d'un empereur avec les épithètes Persicus Maximus, Arabicus Maximus et Adiabenicus Maximus c'est-à-dire vainqueurs des Perses des Arabes et des Adiabènes. Ces épithètes indiquent traditionnellement les victoires de celui qui les porte ou de ses ancêtres (réels ou supposés) sur des peuples étrangers.

Au cours de l'année 270, les choses s'accélèrent. Zénobie et son fils lancent de véritables opérations militaires pour prendre le contrôle de la partie orientale de l'Empire. L'armée palmyréenne est dirigée notamment par le général en chef Septimius Zabdas et le général Septimius Zabbaî, peut-être un membre du clan familial de la reine. Après avoir assuré la défense de la Syrie (notamment en construisant des fortifications), l'armée s'empare militairement de la province romaine d'Arabie. La province était défendue par la IIIe légion Cyrenaica et une bataille eut certainement lieu près de la capitale Bostra. Nous savons que pour se venger le temple du dieu tutélaire de la ville, Zeus Hammon, fut détruit. Après quelques opérations militaires, l'Égypte tombe à l'automne 270. Le gouverneur qui avait tenté de résister échoue suite à la révolte d'une ville de Timagénès.

La politique agressive de Zénobie et Wahballath ne semble pas susciter de réelles résistances. Au contraire, on connait l'existence d' « un parti propalmyrénien qui favorisa la conquête à Alexandrie » (p. 105). La conquête de l'Égypte est peut-être à l'origine de la légende selon laquelle Zénobie descendrait de Cléopâtre. Enfin les provinces d'Asie Mineure sont soumises avec moins de difficultés car peu de troupes étaient sur place à cette époque.

Jusqu'alors Zénobie et Wahballath entendent coopérer avec le nouvel empereur Aurélien. On en voit une illustration sur les pièces frappées où sont représentés Wahballath sur une face et Aurélien sur l'autre. Mais la politique palmyrénienne est de moins en moins tolérée car elle menace directement Rome et n'est plus tournée vers l'Est. Lorsque Zénobie devient Augusta et Wahballath César Auguste à la fin de l'année 271 ou au début de l'année 272, la rupture est consommée.

La fin de l'aventure palmyrénienne

OrientL'empereur Aurélien décide de mettre fin à l'aventure palmyrénienne et de passer à l'offensive à l'automne 271. Il arrive à Byzance au début de l'année 242. Une deuxième armée semble avoir reconquis l'Égypte sans véritable résistance. Aurélien et son armée conquièrent les unes après les autres les provinces d' Asie Mineure (Bithynie, Galatie, Cappadoce). Les troupes de Zénobie ne combattent pas durant cette première phase se sont repliés vers la Syrie. La première grande bataille entre les deux armées à lieu aux environs d'Antioche et se solde par une défaite de Zénobie. Après s'être réfugiés dans Antioche, Zabdas, Zénobie et une partie des troupes fuient à nouveau vers le Sud. La deuxième grande bataille a lieu à Emèse et à nouveau une défaite pour les Palmyréniens.

En juillet-août 272, Zénobie regagne Palmyre pour préparer sa défense. Malgré certaines difficultés, Aurélien arrive jusqu'à la ville qui ne dispose pas de réelles fortifications. Les éléments de défense présents étaient jusqu'alors discontinus mais ont certainement été améliorés hâtivement avant la bataille. Aurélien préfère négocier dans un premier temps. La ville se divise et certains souhaitent livrer la ville à l'empereur. La reine s'enfuit car en infériorité numérique donc à nouveau et la ville est prise sans résistance en août 272.

Zénobie a peut-être cherché des renforts du côté perse ou des Saracènes contre Aurélien mais elle est capturée avec son fils. Aurélien repart vers Emèse avec les prisonniers. Zénobie est jugée et condamnée dans la ville. Le philosophe Longin, proche conseiller de la reine, a lui aussi été jugé mais condamné à la peine de mort malgré son prestige. L'empereur et la palmyrénienne quittent la ville et rejoignent les détroits (Bosphore et Dardanelles). Or à ce moment en 273 deux villes se soulèvent Alexandrie et Palmyre où Antiochos proche de Zénobie est proclamé empereur. Le retour d'Aurélien est rapide et la réaction immédiate : la ville des Palmyréniens est assiégée puis partiellement détruite. Celle-ci ne retrouvera plus la gloire qu'elle avait connue précédemment.

Le destin incertain de Zénobie

Le sort de Zénobie et de son fils est inconnu. Pour Zosime, Zénobie et Wahballath auraient péri noyés lors de leur voyage contraint vers Rome. Pour d'autres, elle est un ornement prestigieux du triomphe d'Aurélien « parée de pierreries si énormes qu'elle croulait sous le poids des joyaux » et les entraves et les chaines qui la retenaient étaient d'or (Traduction p. 16 de Annie et Maurice Sartre voir Bibliographie). À l'issue du spectacle, elle aurait été soit décapitée soit graciée. Dans le second cas, elle aurait fini sa vie dans une villa italienne à Tivoli offerte par l'Empereur et aurait même eu une descendance.

Odeinath, Haîran, Zénobie et Wahballath ont été des acteurs majeurs de l'histoire de Palmyre et de l'Empire. À travers leur histoire, on peut mieux appréhender l'histoire du IIIe siècle. Après cette éclipse, la ville de Palmyre perd définitivement de sa superbe. La « Venise du désert » a laissé des monuments classés au patrimoine mondial de l'UNESCO qui sont aujourd'hui menacés, détruisant ainsi des sources utiles pour les générations futures. 

Bibliographie sur Zénobie

ob a98344 sartreTout d'abord l'ouvrage de référence sur le sujet
- Sartre Annie et Maurice, Zénobie, de Palmyre à Rome, Perrin, 2014.

Sur Palmyre et l'Orient
- Maurice Sartre, D'Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique (IVe s. av. -IIIe s. ap. J.-C.), 2e éd., Fayard, 2003
- Maurice Sartre et Annie Sartre-Fauriat, Palmyre. La cité des caravanes, Gallimard-Découvertes, 2008.

Sur le contexte particulier du IIIe siècle
- Christol Michel, L'Empire romain du IIIe siècle. Histoire politique (de 192, mort de Commode, à 325, concile de Nicée), Paris, Errance, 2006.

Articles complémentaires
- Gawlikowski Michel, « L'apothéose d'Odeinat sur une mosaïque récemment découverte à Palmyre » In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 149e année, N. 4, 2005. pp. 1293-1304.
Le texte des Res Gestae Divi Saporis et sa traduction sont disponibles en ligne dans cet article : Maricq André, Classica et Orientalia, In: Syria. Tome 35 fascicule 3-4, 1958. pp. 295-360.

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