francoisFrançois Ier est le monarque qui incarne le plus souvent le modèle du prince de la Renaissance. Si cette dernière marque la transition entre le Moyen Âge et l’époque dite « moderne », elle est cependant plus attaché au domaine artistique que politique. Pourtant, elle marque aussi une évolution entre le prince du Moyen Âge et celui de l’époque moderne, entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle. 

 

Une définition du prince de la Rennaissance

Définir le prince est la première difficulté, surtout lorsque l’on traite une période de transition. Si l’on s’arrête à la définition du Moyen Âge, elle est relativement simple pour la France puisqu’elle concerne évidemment le roi, mais aussi les princes de sang. Pour l’Italie, c’est un peu plus complexe, car nous pouvons considérer comme prince tous les seigneurs comme les Visconti de Milan, les Este de Ferrare, car ils exercent un pouvoir temporel, le plus souvent dynastique, y compris dans des républiques (comme les Médicis à Florence). Il en va de même des princes de l’Eglise (le pape lui-même a un pouvoir temporel), mais nous ne les traiterons pas ici.

On peut en fait définir le prince selon deux angles : une société des princes, dynastique et politique, avec une dimension hiérarchique ; et l’importance de la souveraineté, surtout territoriale à la fin du Moyen Âge, période où justement on réfléchit beaucoup sur la nature du prince et de son pouvoir, à travers le genre littéraire des « miroirs des princes ».

De plus, il ne faut pas oublier l’importance de l’image, et donc considérer comme prince celui qui va assurer sa domination sociale par l’usage des arts et l’exaltation de son pouvoir, la magnificence (inspirée d’Aristote). Une caractéristique spécifique de cette époque de transition, et plus encore de la suivante. Cette définition irait dans le sens de celle de Machiavel qui affirme que le prince est celui qui convainc qu’il l’est (« gouverner c’est faire croire »).

Une rupture avec le Moyen Âge ?

Les contemporains, mais aussi longtemps les historiens, ont insisté sur une rupture entre le prince médiéval et le prince de la Renaissance. Ce dernier était présenté, spécialement en Italie, comme un être cynique et égoïste, ayant du mépris pour la conception médiévale du prince légitime par le sang ou le divin, mais aussi sage et philosophe. Le prince de la Renaissance, lui, comptant avant tout sur ses talents, plutôt que sur une hiérarchie sociale. Il y aurait donc eu rupture, une spécificité du prince « moderne ». Est-ce vraiment le cas, ou l’évolution est-elle plus subtile ? Prenons l’exemple de l’Italie.

ludovic le moreIl est régulièrement reproché aux princes italiens des XVe et XVIe siècles un emploi de la violence assez déraisonnable. Un certain nombre d’entre eux sont d’ailleurs d’anciens condottieres, à l’image de Federico da Montefeltro, comte d’Urbino en 1444. L’autre exemple fameux de l’homme qui emploie la violence pour asseoir son pouvoir princier est évidemment celui de César Borgia. Le prince de la Renaissance use donc bien de la violence pour arriver au pouvoir, mais aussi pour le conserver. Les contemporains ne manquent pas de le noter, voire de le condamner et de l’exagérer…quand il s’agit de princes rivaux. Car la violence n’est pas condamnée en tant que telle : l’essentiel est que le prince soit juste ; il n’est pas respecté et légitime s’il ne fait qu’employer la force. Ainsi, un homme comme Federico da Montefeltro peut être considéré comme un bon prince car il est également protecteur des arts et de ses sujets. La piété est aussi vue comme une chose positive et même nécessaire. En cela est-il si différent du prince du Moyen Âge ?

La quête de la légitimité est une même obsession pour les princes, spécialement en Italie. Une légitimité basée sur la tradition, qu’on peut qualifier de médiévale. Ainsi, on voit Ludovic le More payer quatre cents mille ducats à l’empereur Maximilien pour qu’il le fasse duc en 1493. Autre exemple, le portrait de Federico da Montefeltro par Juste de Gand et Pedro Berruguete, qui montre le duc (depuis 1475) arborant l’ordre de l’Hermine (reçu de Ferrante de Naples) et l’ordre de la Jarretière (reçu d’Edouard VI d’Angleterre) : une volonté d’être reconnu comme prince par ses pairs. Les princes sont également collectionneurs d’enluminures et de livres d’heures, ou de romans de chevalerie ainsi qu’on peut le voir dans les bibliothèques des Visconti ou des Este. Les Gonzague de Mantoue, eux, font peindre par Pisanello des scènes du cycle arthurien (1440). Evidemment, lorsqu’on obtient sa légitimité (par un titre) du pape, le prestige est encore plus grand.

On le voit, la rupture avec le Moyen Âge n’est pas aussi marquante qu’on le pense souvent, en particulier en ce qui concerne la légitimité. L’évolution se fait peut-être plus probablement sur la façon de gouverner.

Le mode de gouvernement du prince italien

Restons en Italie, où la situation est la plus complexe. On l’a évoqué, le pouvoir princier dans la péninsule s’exerce sur des seigneuries, mais aussi des républiques comme Florence. Le mode de gouvernement est donc varié.

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Les historiens pensent depuis longtemps que la Renaissance est marquée par l’autorité effective du gouvernement du prince, appuyé sur des armées professionnelles et aux effectifs croissants, nécessitant de plus lourdes charges et une professionnalisation de la bureaucratie, au détriment des privilèges de l’Eglise ou de la noblesse. Des princes instituent des règles législatives, organisent des magistratures ou exercent un contrôle plus fort sur la distribution des bénéfices ecclésiastiques. Ils appuient également le mercantilisme et stimulent l’économie locale, à l’image des Sforza de Milan. Il faut néanmoins nuancer ce constat, car les difficultés persistent, par exemple dans la lutte contre la famine ou les épidémies, ou dans le domaine économique face à la concurrence étrangère. De même, beaucoup de privilèges demeurent et aucun prince ne parvient à obtenir un réel contrôle sur l’Eglise au niveau local.

Les difficultés des princes italiens se remarquent aussi dans le contrôle des finances. Les besoins sont de plus en plus grands, tout comme les problèmes pour collecter l’impôt. Les levées exceptionnelles, voire les mises en gage de leurs biens, ne sont pas rares. L’administration, on l’a vu, se professionnalise et les compétences s’améliorent chez les fonctionnaires, chez lesquels on rencontre de plus en plus d’humanistes. Le prince s’entoure de ces derniers à la cour, qu’il met en scène par les arts. Toutefois, là encore, il faut mettre un bémol au contrôle exercé par le prince italien : l’administration est souvent confuse, les charges se multiplient et favorisent le clientélisme, la portée de la propagande à la cour –et plus encore en dehors- est relative.

Nous devons donc nuancer le « modèle » italien, même s’il a apporté quelques changements dans le domaine économique et fiscal, l’organisation de l’armée, le rôle du prince dans la vie des arts, ou dans la bureaucratie. Il ne faut pas se laisser abuser par l’abondance des sources, en se concentrant uniquement sur les archives publiques. La pensée politique de l’époque, en Italie, demeure relativement conservatrice et traditionaliste, malgré Machiavel. Et la définition de l’Etat reste ambiguë et très liée à la personnalité même du prince. Qu’en est-il alors en France, où le pouvoir semble bien plus centralisé autour d’un prince dominant les autres ?

La fin des principautés en France

L’influence des princes en France a été à son comble sous le règne de Charles VI (1380-1422), avec la lutte entre Armagnacs et Bourguignons qui a failli conduire le royaume à la débâcle. La fin de la Guerre de Cent Ans change la donne, et il ne reste bientôt plus que deux grandes principautés qui menacent l’autorité royale : la Bretagne et la Bourgogne. L’action de Louis XI contre Charles le Téméraire (vaincu à Nancy en 1477) règle le problème bourguignon, puis le mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne permet le début de l’intégration de cette province au royaume de France, même si elle n’est vraiment effective que sous François Ier. Au début du XVIe siècle, les grandes principautés ont donc été avalées par le domaine royal, seul reste le Bourbonnais, finalement intégré lui aussi en 1527 après la trahison du connétable Charles de Bourbon.

Le roi de France se retrouve donc comme un prince ayant une réelle prééminence sur les autres princes, une situation très différente de celle de l’Italie. Cela explique sans doute en partie la facilité avec laquelle les rois de France conquièrent le Nord de la péninsule à partir de Charles VIII.

Le roi de France, prince des arts

Même si le mécénat et l’intérêt pour les arts sont déjà présents chez les princes à la fin du Moyen Âge, de Charles V à Jean de Berry, sans oublier les ducs de Bourgogne, ce qu’on appelle la magnificence devient une caractéristique centrale du prince de la Renaissance, le roi de France en tête. Par magnificence, il faut entendre « l’aptitude du prince à démontrer son droit de gouverner par sa richesse et par les actions et les gestes magnanimes qui en découlent ». Le cadre idéal de la magnificence est évidemment les arts.

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La politique de mécénat (terme postérieur) de François Ier a deux inspirations : celle de ses prédécesseurs Charles VIII et Louis XII, et plus encore celle des princes italiens, que ce soit par le biais des guerres d’Italie ou de liens dynastiques (François Ier revendique une parenté avec les Visconti). Le roi de France s’entoure donc d’artistes, tels Léonard de Vinci ou Jean Clouet, et recrute les plus célèbres pour mettre en scène son image et son pouvoir, comme Rosso pour la galerie François Ier de Fontainebleau, destinée à magnifier le souverain. Ce mécénat sert également de modèle aux autres princes, comme Anne de Montmorency.

Le prince et ses sujets

Si, en Italie, l’adhésion populaire n’est pas vraiment la priorité des princes, qu’en est-il en France ? Quels rapports le prince de la Renaissance, le roi François Ier (et son fils et successeur Henri II), a-t-il avec ses sujets ?

L’héritage médiéval compte encore beaucoup au début de la Renaissance, mais les souverains s’appuient de plus en plus sur leur relation avec leurs sujets. Le contexte de la fin de la Guerre de Cent Ans et des grandes principautés réunit les sujets derrière la personne du roi, dans un mouvement qu’on peut certes faire débuter à Philippe le Bel, mais qui devient une réalité avec Louis XI et Charles VIII, sans oublier le populaire Louis XII. François Ier en est un héritier.

Les sujets du roi sont réunis en communautés d’habitants, corps de métiers, compagnies d’officiers,…L’identité corporative est ainsi essentielle dans la relation entre le prince et ses sujets. Y a-t-il alors un dialogue entre eux ? Il faut le relativiser et l’axer principalement sur la demande de faveurs et la doléance. De plus, ce dialogue se durcit avec François Ier, qui interdit les démarches collectives, au contraire de Charles VIII ou Louis XII, ce qui n’empêche pas des pétitions de voir le jour, en particulier dans les villes, entraînant parfois des ordonnances royales. Les sujets ne sont pas pour autant des partenaires à part entière.

La transition entre le prince du Moyen Âge et celui de la Renaissance est donc progressive, tant dans sa façon d’arriver au pouvoir, de chercher une légitimité, de gouverner, ou d’exalter son image. Il existe bien une influence médiévale dans les comportements des princes de la Renaissance, censée pourtant faire table rase du passé.

Des différences sont cependant visibles si on compare l’Italie et la France, la seconde voyant l’autorité d’un seul prince, le roi, prendre le pas sur les autres, au contraire des Italiens. On peut donc se demander si la monarchie elle aussi évolue, et si la monarchie de la Renaissance est déjà marquée par la tentation absolutiste que vont incarner les souverains français à partir du XVIIe siècle.

Bibliographie

-          P. Hamon, Les Renaissances (1453-1559), collection Histoire de France dir. par Joël Cornette, Belin, 2010.

-          A. Jouanna, La France au XVIe siècle (1483-1598), PUF, 2006.

-          E. Garin (dir), L’homme de la Renaissance, Seuil, 1990.

-          P. Burke, La Renaissance européenne, Points Histoire, 2000.

-          A. Chastel, L’art français. Temps modernes, 1430-1620, Flammarion, 2000.

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