vie_quotidienne1Ceux que Victor Hugo appelait les petits, les ''sans grades'' ont formé l'immense majorité des hommes et des femmes qui à leur manière et dans l'ombre, ont forgé l'histoire. Pourtant à l'inverse des grands de ce monde ils ont laissé peu de traces dans les manuels scolaires, disparaissant tout aussi vite de nos mémoires. Généalogistes et historiens ont fait sortir de l'oubli la vie de ces ancêtres. Au fil de leurs recherches, nous les voyons travailler, aimer, souffrir, en un mot : vivre.

 

La vie quotidienne à la maison

Le sol de la maison, le plus souvent en terre battue (le parquet introduit au XIVe siècle est réservé aux riches) est parfois fait de dallage grossier ou de carrelage. Les murs blanchis à la chaux dans les fermes ou de sortes de tapisseries en dominos (imprimés par les dominotiers) dans les demeures plus aisées remplacent les tentures trop onéreuses. La pièce mal éclairée par d'étroites ouvertures, et enfumée, est sombre (voir l'article ''Entrons chez nos ancêtres'')

intrieur_maisonLes meubles sont peu nombreux : La table, quand il y en a une n'est qu'une simple planche de bois que l'on dresse sur des tréteaux d'où l'expression « dresser la table » et disparaît dès le repas terminé car l'usage des pièces est indifférencié (la table fixe apparaît vers le XVIe siècle).

Celle-ci varie selon les régions et les époques : longue et lourde en Savoie, à deux tiroirs en Flandres, table et coffre en Bretagne (on la nommait table ''tirante coulante ou ''courante'' voire table ''ventre'') dont le couvercle coulissant laissait apparaître des casiers contenant victuailles, vaisselle pain et nappes.

L a vaisselle est le plus souvent rangée dans les tiroirs sans être lavée, parfois un ingénieux système de cavités creusées à même le plateau de la table reliés par de petites rigoles pour en faciliter le nettoyage faisait office d'écuelles. L'évier lorsqu'il existe, est creusé dans un bloc de grès avec ''dégueuloir''où l'on place un ou deux seaux d'eau tirés du puits ou de la fontaine. Autour de la table on s'assied sur des bancs, les chaises ne faisant leur apparition qu'au XVIIIe siècle.

La cheminée, les lits, les coffres

Souvent monumentale, la cheminée contient pelle soufflets, tisonniers crémaillère, chaudrons et marmites en fonte avec au-dessus quelque sommaire vaisselle de bois ou d'étain, de terre et de faïence, parfois une rôtissoire pour les plus aisés. On y suspend jambons et saucisses à fumer.

Le ou les lits placés près de l'âtre sont entourés de rideaux ou tentures pour se protéger du froid. En Bretagne les fameux lits clos insérés dans des placards sont courts et ne permettent pas de s'allonger (la position couchée rappelant les gisants et les morts) on y dort presque assis sur des paillasses en balle d'avoine ou de paille assez inconfortables, couverts de moult couvertures et édredons. La famille s'y répartit à deux, trois ou quatre personnes après l'avoir réchauffé en hiver à l'aide d'une bassinoire ou chaufferette. On y partage chaleur mais aussi vermine !

De l'autre côté de l'âtre se trouvent le four à pain, le pétrin ou la maie (utilisée en été pour protéger les bébés contre les mouches !). Tout autour de la pièce sont rangés les coffres pour le linge et les habits remplacés à partir du XVII et XVIIIe siècle par les armoires (dont la célèbre armoire de mariage, offerte par les parents de la mariée où celle-ci empilera les pièces de son trousseau). Les riches peuvent jouir d'une horloge, d'un vaisselier ou d'un bahut. Tous ces meubles en bois fruitier (cerisier poirier, noyer) sont faits par le menuisier local et décorés de motifs.

Des animaux et des hommes

Autrefois pas question de vie privée : tout se passait dans la cohabitation et à ce sujet ne sentez-vous pas des odeurs inhabituelles dans une maison ? Elles proviennent des poules, chèvres et cochons qui viennent faire leur tour eux aussi à tous moments. L'animal domestique est alors très proche de l'homme qui soigne ses bœufs et les fait bénir une ou plusieurs fois l'an. Les abeilles sont un bien précieux pour leur miel mais on va les informer aussi du décès de leur maître afin qu'elles s'abstiennent de butiner les jours suivants !

Depuis longtemps, les animaux sont à ce point associés à l'homme que l'on hésite pas à leur attenter des procès lorsqu'ils détruisent des récoltes (cela est mentionné dans le dictionnaire de la bêtise dont les exemples foisonnent du XIIe au XVIe siècle !) ainsi sont excommuniés des mulots, des charançons, des sauterelles, des chenilles ! On ne compte plus les truies ou les taureaux conduits au gibet pour avoir blessé quelque humain. On agit de même avec les ours et les loups responsables de dégâts (plusieurs lieux-dits en France témoignent de ce fait : « Loupendu », « le Penlou »).

Du berceau à la tombe : les rites de passage

Nos ancêtres ont vécu selon des schémas immuables imprégnés des enseignements de l'église.

Leur vie, consacrée au travail est jalonnée d'étapes qu'ils franchissent en commun, régie par le groupe social, le sexe et la tranche d'âge, selon des rites appelés ''rites de passage''. La naissance marque l'entrée dans le monde des vivants, le baptême dans celui des croyants, le sevrage dans celui des enfants. Première communion et conscription sanctionnent publiquement l'arrivée des filles et garçons à la maturité sexuelle. Le mariage les fait entrer dans le monde des adultes.

Alors se déroulent plusieurs vies parallèles, professionnelles, sociales conjugales jusqu'à ce que la maladie et la vieillesse rappellent « qu' il n'est rien de plus certain que la mort ni de plus incertain que l'heure d'icelle ». Devant cette évidence et les calamités qui les guettent (célibat, stérilité infamante) chacun s'en remet à tous moments à des procédés divinatoires. Tout est codifié tout est symbole signe, garantie (adages et proverbes le confirment !) Ces règles et ces habitudes sont incontournables. Aujourd'hui nos valeurs nous empêchent de saisir le sens de certaines coutumes (comme ''coucher en tous bien tout honneur'' (pour vérifier la fécondité de l'élue) ou l'exposition des drap nuptiaux tachés du sang virginal, mais il faut se garder de se référer à nos mœurs pour juger de celles de nos ancêtres.

vie_quotidienne1En réalités de nombreuses scènes de la vie d'autrefois nous semblent insolites : la sage femme remodelant sans ménagement la tête du nouveau-né, le bourgeois goûtant le lait de la nourrice, la mariée tout de noir vêtue, le mari cocu promené à rebours sur un âne, les danses dans le cimetière, ou le procès pour le trèfle qui y pousse. De la matrone au sergent recruteur, du ''croque-avoine'' à l'oncle curé, tous ces personnages ont beaucoup plus marqué, des siècles durant, la vie de nos ancêtres que n'ont pu le faire Richelieu, Louis XIV, Chateaubriand ou Berlioz !

Conception et grossesse

Le but du mariage étant la procréation, tout un processus d'attentions, de recettes miracles et de pèlerinages est mis en place pour la favoriser car un mariage fécond est ''béni par Dieu''. Pendant toute sa grossesse, la femme continuera d'assumer ses occupations journalières, il en va de la survie de la maison et de son honneur. La future mère se protègera efficacement des déboires de son état en portant des talismans bénis par le curé, des emplâtres de plantes pour maintenir l'enfant dans son ventre tout en espérant la venue d'un garçon, bien mieux considérée que celle d'une fille.

L'attente d'un enfant est espérée et redoutée car la femme sait bien qu'elle risque sa vie. Longtemps en effet beaucoup de femmes mouraient en couches ou de ses suites.(voir l'article ''la condition des femmes au moyen âge''). Pour le bébé le risque de mortalité est très élevé. Les femmes de la maison s’affairent, on allume le cierge de la chandeleur (celui que l'on place au chevet des mourants et qui a valeur de purification)

La matrone et ses instruments

La matrone est à la fois respectée et redoutée, celle-ci est formée sur ''le tas'' c'est une femme âgée ayant eu plusieurs enfants, qui doit être catholique et vertueuse car elle est autorisée à donner ce que l'on appelait « l'ondoiement » sorte de baptême donné in extrémis aux nouveaux-nés mourants afin que leur âme n'aille errer dans les limbes. Les instruments de la matrone ont bien de quoi terroriser l'accouchée : des pinces de métal pour tirer l'enfant au risque de le déchiqueter et de mutiler la mère, ou le crochet d'une pelle à feu, d'une balance romaine ou d'une lampe à huile sont couramment utilisés sans désinfection préalable !

Au XVII et XVIIIe siècle apparaîtra le tire-tête à trois branches, puis les leviers et forceps conçus pour avoir l'enfant vivant à condition de savoir les utiliser au bon moment ! Tout cela a de quoi nous faire frémir ! En obstétrique comme en médecine la saignée de la femme enceinte est pratiquée jusqu'au XVIIIe siècle et le dilemme ''sauver la mère ou l'enfant'' est résolu cas par cas.

La matrone jouit d'une autorité absolue décidant du lieu de l'accouchement, exhortant la mère à ne s'asseoir ni se coucher jusqu'au dernier moment, lui faisant réciter des prières. Elle vérifie que l'on a préparé des linges, des bassins remplis d'eau, de vieux chiffons qui serviront à essuyer les cuisses de l'accouchée et à nettoyer le sol, et place ses ''outils'' sur une chaise renversée. Ceci étant fait notre ''fée du logis'' va dans la cour pour tordre le cou d'une poule afin de préparer un bol de bouillon à la parturiente. Pour se donner du courage, elle boit un verre de gnaule car il ne s'agit pas de faillir à la tâche !...

La naissance

accouchement_gravureBeaucoup d'enfants naissent déjà morts (les crochets de la matrone n'y sont pas étrangers). On connait mal les sentiments des parents devant ces décès tant ils étaient fréquents mais ce qui est sûr c'est que les parents redoutaient que la mort survienne avant le baptême du nouveau-né. Plus étranges sont les cas où les parents ''affligés'' d'un enfant chétif ou difforme n'hésitent pas comme cela se pratique dans la Dombes jusqu'à la fin du XIXe siècle, à le présenter à tel ou tel saint pour le vouer ''à la vie à la mort'', lui infligeant des épreuves dont il a peu de chances de survivre. Ce culte horrible est pratiqué par des parents refusant que leur enfant soit malingre ou difforme.

Une fois le cordon de l'enfant coupé, la coutume veut que l'on enterre le ''délivre'' au pied d'un arbre fruitier pour en augmenter la prospérité. Lorsque la membrane reste collée à la tête du bébé c'est un sérieux gage de bonheur et de chance, à l'origine de l'expression « être né coiffé ». Si la tête du nouveau-né ne plait pas à la matrone elle la remodèle, profitant de que l'ossature encore fragile le permette (Languedoc, Poitou, Normandie) ! Elle peut également allonger les tétons des filles pour qu'elles soient plus tard de bonnes nourrices. Enfin elle coupe le filet sous la langue du nourrisson pour faciliter la tétée.

Les soins du nouveau-né

L'enfant est massé puis reçoit un bain d'eau additionnée d'eau de vie (qui ne sera pas renouvelé de sitôt) puis emmailloté ou plutôt ficelé solidement afin de lui raffermir le corps. Le berceau de bois (percé de trous pour que s'écoule l'urine) dans lequel est attaché l'enfant est suspendu au plafond afin de le préserver des rongeurs, le nourrisson lui-même peut être maintenu en l'air à l'aide d'un crochet pour la même raison en cas d'absence de sa mère.

On se soucie peu du jour de sa naissance faute de calendrier, le curé notera, à sa naissance ou à sa mort ''âgé d'environ tel âge'. Les enfants illégitimes, rejetés par la société, sont le plus souvent victimes d'abandon surtout à la campagne.

Statut de la femme

femme_sourceLa femme règne sur tout ce qui concerne les tâches domestiques de la maison, des repas, des enfants, du feu, du jardin, de la traite des vaches et de la fabrication des fromages, des soins aux animaux. Elle a le monopole de l'eau : le puits, la fontaine, le lavoir sont des mondes féminins au même titre que l'accouchement et la naissance.

Dans de nombreuses régions, elle ne mange pas à table avec les hommes mais reste debout en retrait après les avoir servis car dans la société d'autrefois chacun a sa place et sa fonction selon son sexe et son âge.

Juridiquement la femme mariée est considérée comme une mineure et ne peut agir sans l'autorisation de son mari ! Les adages le confirment : ''qui a mari a seigneur'','' le chapeau doit commander à la coiffe'', ''quand le coq a chanté la poule doit se taire'' et malheur aux récalcitrantes qui encourent le châtiment corporel !

L'homme commande : femme du vin! Femme du boudin ! Et la femme d'obéir. Tout cela est cautionné jusque dans les sermons du curé « le Christ est le chef de tout homme et l'homme est le chef de la femme ». C'est sur des millénaires que se lit l'histoire de la misogynie !! (voir ''la condition des femmes au moyen-âge'')

Rôle de l'homme

A l'homme dont l'autorité fut si longtemps incontestée reviennent les travaux des champs (labour, semence moisson) les transactions des foires et marchés (les forges, les auberges et les cabarets sont des lieux exclusivement masculins) et tous les métiers qui nécessitent de la force physique. La mobilisation en temps de guerre est affaire d'homme. Dans tous les cas de figure il participe à la vie publique.

Lorsque un homme se trouve veuf il est urgent pour lui de se remarier ce qui a pour conséquence de créer des familles recomposées (dont notre époque n'a pas l'apanage) et de nombreuses fratries issues de plusieurs ''lits'' avec tous les problèmes d'héritages, de dots et de biens à partager. Il n'est pas rare qu'un homme se remarie plusieurs fois, la mortalité étant fréquente pour les femmes en couche.

De même une femme veuve se doit de retrouver rapidement un mari pour retrouver un statut social et d'avoir encore des enfants car il était mal vu qu'elle resta seule (mais nombreux furent les cas où elle continua à mener avec compétence le commerce et les affaires de son défunt mari).

Ainsi nos ancêtres obéissaient-ils à des codes et des rites précis qu'ils se chargeaient eux-même d'appliquer à la ''lettre'' ponctués par les règles établies par l'église qui conditionnait la vie des grands comme des petits.

Sans doute plus importante que la révolution politique et sociale de 1789, la révolution industrielle qui s'étend de 1840 à 1920 va en quelques décennies bouleverser en profondeur des institutions et des rythmes qui semblaient immuables. Le monde a changé : les uns s'émerveillent pour chaque nouvelle invention, les autres regrettent ''un bon vieux temps'' difficile à définir.

Le monde de nos ancêtres était cependant, n'en déplaise aux nostalgiques, un monde dur, parfois noir, mais surtout un monde différent, révolu, qu'il est bon de connaître car ces hommes et ces femmes du temps jadis portent notre propre histoire. Nous en sommes les descendants ! 

Sources : Ainsi vivaient nos ancetres de Jean-Louis Beaucarnot.

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