Famine_hiver_1709Parfois, un « air de Sibérie » s’abat sur la France... Comme ce fut le cas au temps du Roi Soleil, lors de l’hiver 1709 qui reste dans la mémoire des Français comme le « Grand Hiver », le plus grand froid depuis cinq cents ans et qui s’étalait de fin 1708 au printemps 1710 ! Voltaire disait « le cruel hiver de 1709 acheva de désespérer la nation »… En effet, depuis 1701, la France bataillait aux côtés de l’Espagne, cela lui coutait très cher, de même que les efforts faits par le peuple…alors si les Cieux s’y mettent, la France aura du mal à s’en remettre.

 

Hiver 1709 : une terrible vague de froid

Plusieurs vagues de froid sévissent à partir d’octobre 1708, mais c’est surtout dans la nuit du 5 au 6 janvier 1709 que les températures s’effondrent pour atteindre – 16.3° à Paris, – 25° dans la Beauce, le froid descendant jusqu’aux Pyrénées le 7 janvier et dans la région bordelaise le thermomètre reste stable à – 18° pendant deux mois ! Après cet épisode qui dure jusqu’au 24, une nouvelle vague de froid arrive le 4 février pour une semaine, puis du 22 à la fin du mois et encore une fois du 10 au 15 mars…

Famine_hiver_1709Dès le 29 décembre, la Garonne, la Dordogne et l’Isle charrient de gros glaçons, les autres fleuves gèlent, les moulins à eau sont donc inactifs ; le sol est si gelé sur plusieurs dizaines de centimètres en profondeur qu’il est impossible de creuser pour enterrer les morts ; les semailles de l’automne sont fichues, il n’y aura pas de récolte ; en janvier les plus faibles meurent (enfants et vieillards), sans compter les lapins, les lièvres et les oiseaux ; le bois est cher, on ne peut plus se chauffer ; le pain et le vin gèlent ; l’eau de vie vaut cent cinquante livres la barrique ; les arbres souffrent : les châtaigniers utiles pour la farine et le pain, les noyers pour l’huile, les oliviers en Provence, les orangers et les citronniers, les amandiers, la vigne….Après la première vague de froid, le dégel s’annonce faisant pourrir les blés et entrainant des inondations. Les prix grimpent et le froment vaut six livres le boisseau.

Le peuple n’a plus rien à se mettre sous la dent….certains se pendent de désespoir…

Les lettres de la Princesse Palatine ainsi que les Mémoires de Saint Simon sont édifiants « tous les matins, on parle de morts retrouvés dans les champs ; les loups s’attaquent aux hommes (le courrier d’Alençon et son cheval) ; tout le monde grelotte au château ; le vin gèle dans les carafes ; l’encre se fige au bout de la plume ; le mauvais pain d’avoine arrive sur la table de Madame de Maintenon ; le roi aimant la chasse, évite de sortir… ».

L'intervention de l’Etat

Bien que tardive et pour éviter toute spéculation (les propriétaires, les curés gardent leurs stocks en attendant que les prix montent pour revendre le plus cher possible), l’Etat envoie des commissaires dans toutes les provinces afin de comptabiliser les stocks, surveiller les marchés et contrôler les prix dès fin avril 1709. Les chasses sont interdites, l’ensemencement des terres est encouragé ; des distributions de pain sont organisées ; le roi met sa vaisselle d’or à fondre ; les courtisans l’imitent et proposent leur vaisselle d’argent ; on cherche le blé et le vin (il manque pour les messes !) dans les pays étrangers.

Marchal_de_Boufflers_-_hiver_1709Les hôpitaux sont bondés. Pour aider les vagabonds, l’Etat fait ouvrir « des ateliers publics » : contre l’arasement d’une butte entre les Portes Saint Denis et Saint Martin, on donne du pain…mais il est bien vite insuffisant, tant il y a de pauvres. C’est l’émeute le 20 août 1709 ! Dix mille personnes sont rassemblées…les boulangeries sont pillées…les gardes françaises tirent et font deux morts…Le maréchal de Boufflers calme les émeutiers dans tout Paris, sur son trajet pour rejoindre Versailles…des escortes sont mises à disposition des boulangers, les marchés sont réapprovisionnés.

Beaucoup de choses dégénèrent en province : le mécontentement est grand lorsque le peuple voit passer des chargements sur les rivières, afin d’alimenter les soldats ! Marcel Lachiver mentionne « ces soulèvements, ces attroupements, ces exactions ont toujours la faim comme moteur. Jamais les grains ne manquent, mais ils sont trop chers pour les malheureux, souvent privés de travail, qui ne peuvent plus les acheter. Et le transport des blés, à leurs yeux, ne fait qu’aggraver la situation ; des blés qui passent sur la route, ce sont des blés qui sortent, qui assèchent le marché. Ce n’est pas la pénurie qui pousse à la révolte, c’est la peur de manquer et de ne plus pouvoir acheter »….

Les conséquences du grand hiver de 1709

Immanquablement, le prix du blé est en hausse : multiplié par six dans le nord de la France et doublé dans le sud, entre janvier 1708 et mai 1709…

A côté de cela, les émeutes éclatent ; des bateliers attaquent des charrettes de grain ; le carrosse du lieutenant de police d’Argenson est attaqué ; un nouvel épisode des « Placards » surgit, attaquant la conduite et le gouvernement du Roi ; Chamillart, le ministre concerné, quitte le gouvernement en juin 1709.

L’hiver 1710 est également rude. Sur les deux années, on dénombre six cent trente mille morts ; rien qu’à Paris : cinquante un mille sept cent disparus, c'est-à-dire quinze mille de plus qu’en temps ordinaire ; les mariages reprennent en 1710 mais les naissances tardent à venir ; l’alimentation (surtout les farines pour le pain) est de mauvaise qualité ; les vagabonds, dans un état squelettique, errent dans les campagnes à la recherche de la moindre herbe, avant de rejoindre les villes pensant y trouver de quoi se nourrir ; les maladies frappent jusqu’en juin 1710 (dysenterie, scorbut, variole) ; les enfants ayant perdus leurs parents, meurent également ; les vols et les pillages sont nombreux.

Les dégâts sont différents selon les villes, car certaines prévoient des greniers d’abondance et des secours charitables organisés par les curés et les religieuses, alors que d’autres n’en disposent pas.

L’hiver 1709 sera l’une des dernières crises aussi importantes au niveau « climatique » et surtout de cette ampleur. Comment peut-on évaluer « un grand hiver » ? Sur une échelle allant jusqu’à 9, on peut aisément classer l’hiver 1709 au niveau 8, voire au niveau 9 pour la période de janvier. Ce « grand hiver » s’inscrit dans le petit âge glaciaire, c'est-à-dire la période allant de 1300 à 1860, qui aura regroupé sept épisodes hivernaux de grande envergure. 

Bibliographie

- « Les années de misère. La famine au temps du Grand Roi » Marcel Lachiver 1991.

- « Trente trois questions sur l’histoire du climat. Du Moyen Age à nos jours » Emmanuel Le Roy Ladurie 2010.

L'année du grand hiver 1709, de Elie Berthet. Adamant, 2001.

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