genocide lucs 2Entre 1793 et 1796, la guerre de Vendée a opposé des révoltés catholiques et royalistes de l'ouest de la France aux troupes républicaines du gouvernement révolutionnaire. Durant cette période, ce sont environ 200.000 Vendéens qui seront massacrés. La Vendée, dépeuplée et ruinée, mettra près d'un siècle à se rétablir. Certains historiens ont été jusqu'à parler d'un génocide vendéen. Ainsi Reynald Sécher n’hésite alors pas à faire le parallèle et à parler de génocide vendéen, un terme totalement rejeté par une partie des historiens comme Jean-Clément Martin. L’historiographie semble alors se scinder en deux groupes : les « blancs » partisans du terme de génocide, et les « bleus » qui refusent que ce terme entache la République. Qu’en est-il vraiment ?

L'insurrection vendéenne

Pour résumer en quelques mots les événements vendéens de 1793 disons que la Convention Nationale (assemblée constituante de la Première République) ordonna deux mesures majeures qui entrainèrent une révolte de l’Ouest dès juillet 1793.

Première mesure : l’obligation des prêtres à prêter serment à la Constitution civile du clergé. Cette constitution faite de façon unilatérale par la République tend à donner la primauté à la République au détriment du Pape pour la gestion des affaires religieuses dans le clergé français. Une partie des prêtres refusent de prêter serment par fidélité au Pape et se retrouve interdite d’office puis traquée, déportée, exécutée… Les paroissiens soutiennent généralement leur prêtre réfractaire, refusent les nouveaux prêtres dits jureurs, et voient les décisions de la République comme une atteinte directe à leurs convictions religieuses.

Seconde mesure : la République ordonne la levée de 300 000 hommes pour soutenir les armées en guerres contre les monarchies étrangères qui veulent étouffer la Révolution. Or à l’Ouest on n’est pas forcément très enthousiasmé à l’idée d’aller se faire tuer (la durée du service militaire n’a dans les faits pas de limite) sur le Rhin pour une République qui a décapité Louis XVI.

chouans vendeeLes choses dérapent en mars 1793 quand de jeunes conscrits refusent de partir et s’en prennent aux représentants de la République. Cette révolte ne peut qu’entrainer une répression sanglante et les réfractaires s’organisent autour de quelques chefs vendéens issus de la noblesse ou du peuple comme Cathelineau au Pin en Mauges, Stofflet à Maulévrier, d’Elbée, Bonchamps, Charette, Sapinaud… La révolte recouvre une vaste région que l’on regroupe sous le nom de Vendée militaire mais qui de fait regroupe certes la Vendée mais aussi une partie de la Loire-Atlantique, le Maine-et-Loire et les Deux-Sèvres.

La guerre de vendée, une guerre civile

Sans entrer dans les détails de la guerre qui s’en suit, les Vendéens remportent une série de victoires militaires jusqu’à la défaite de Cholet le 17 octobre 1793. Les restes de l’armée vendéenne traversent alors la Loire pour se ruer sur Granville où ils espèrent une aide de la marine anglaise. L’échec devant Granville marque le début d’un retour désastreux vers la Loire, pourchassés et exterminés par les armées républicaines et notamment par le général Westermann qui remporte une victoire décisive à Savenay le 23 décembre 1793. Il écrit à ce propos :

"Il n'y a plus de Vendée. Elle est morte sous notre sabre libre avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l'enterrer dans les marais et les bois de Savenay. J'ai écrasé les enfants sous les pieds de nos chevaux, massacré les femmes qui, au moins celles-là, n'enfanteront plus de brigands. Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher. J'ai tout exterminé... Nous ne faisons pas de prisonniers, car il faudrait leur donner le pain de la liberté, et la pitié n'est pas révolutionnaire."

La Vendée n’est pourtant pas totalement anéantie puisque Charette tient toujours le marais poitevin. Mais surtout la Vendée a fait peur, et elle continue à faire peur. Dans toute la Vendée des révoltés prisonniers sont tués : à Angers, à Noirmoutier, Nantes… A cela s’ajoute l’organisation des Colonnes Infernales, des colonnes mobiles qui sillonnent la Vendée, brulant et tuant tout sur son passage. A titre d’exemple la colonne de Cordellier passant aux Lucs-sur-Boulogne fera 563 victimes…

Cette odieuse stratégie est contre productive puisqu’elle renflamme le conflit jusqu’à la paix de la Jaunaye conclue en février 1795 et garantissant la paix religieuse. La guerre reprend cependant dès le mois de juin et jusqu’à l’arrestation, la condamnation à mort et l’exécution du général Charette le 29 mars 1796.

Les massacres commis en Vendée : un génocide ?

La définition courante est celle de l'ONU votée le 9 décembre 1948 dans la résolution 260:

"Crime commis dans l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe racial, ethnique, national ou religieux "

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Il s’agit d’un terme juridique (puisqu’il est destiné à décrire une action condamnable) largement anachronique réemployé dans le champ historique pour tenter de qualifier une série d’événements passés, et par conséquent aboutir à une condamnation au moins morale des acteurs, voire des héritiers (politiques, idéologiques…) de ces acteurs.

La première notion importante de la définition est l’intentionnalité. Il ne doit donc pas s’agir de « bavures », d’actes isolés, non prémédités, mais bien d’une volonté destructrice émanent d’une autorité, en l’occurrence la Convention.

Dans le cas des massacres de Vendée on va rencontrer pour ainsi dire les deux. C’est-à-dire des actes sanguinaires relevant d’initiatives personnelles comme le représentant de la Convention Carrier qui extermine les prisonniers à Nantes : fusillés, guillotinés ou noyés après avoir parfois subis des sévices physiques. Ce comportement valu à Carrier d’être rappelé, puis jugé lors de la chute de Robespierre.

Mais on note aussi des actes de violences réalisés sous couvert de la Convention, ou du moins avec son aval : c’est le cas notamment des tueries organisées par les Colonnes Infernales de Turreau qui de janvier à mai 1794 ravagent une Vendée déjà militairement très affaiblie depuis la défaite de Cholet (17 octobre 1793) et la Virée de Galerne. A la tête de ces colonnes le général Turreau se refuse dans un premier temps à prendre seul l’initiative d’une politique d’extermination et demande des ordres écrits à la Convention. Il écrit aux représentants de la Convention toute une série de lettres qui restent sans réponse :

"Lorsque j'ai désiré de vous voir réunis près de moi, je n'ai point prétendu avoir recours à votre autorité pour aucun des détails militaires, mais j'ai voulu que vous déterminiez d'une manière précise la conduite que je devais tenir dans la Vendée à l'égard des personnes et des propriétés. Mon intention est bien de tout incendier, de ne réserver que les points nécessaires à établir les cantonnements propres à l'anéantissement des rebelles. Mais cette grande mesure doit être prescrite par vous, je ne suis que l'agent passif des volontés du corps législatif que vous pouvez représenter dans cette partie.

Vous devez également prononcer d'avance sur le sort des femmes et enfants que je rencontrerai dans ce pays révolté. S'il faut les passer tous au fil de l'épée, je ne puis exécuter une pareille mesure sans un arrêté qui mette à couvert ma responsabilité. Je suis loin de présumer que vous voulussiez exposer à se compromettre celui qui jusqu'ici n'a cessé de bien servir la cause de la liberté."

(Lettre aux représentants du peuple, 16 janvier 1794)

"Je le répète citoyens Représentants je regarde comme indispensable la mesure de brûler villes, villages et métairies si l'on veut entièrement finir l'exécrable guerre de la Vendée; sans quoi je ne pourrais répondre d'anéantir cette horde de brigands qui semblent trouver chaque jour de nouvelles ressources. J'ai donc lieu d'espérer que vous l'approuverez. Je vous demande la grâce de me répondre par le même courrier. J'ai d'autant plus besoin de votre réponse que je me trouve dans ce moment-ci abandonné de vos collègues. Les Représentants du Peuple près cette armée malgré mes sollicitations ne sont point auprès de moi. Je vous envoie copie d'une lettre que je leur ai écrite pour les y inviter. Vous verrez qu'on m'abandonne à mes propres forces et cependant jamais général républicain n'eut plus besoin d'être étayé du pouvoir des Représentants du Peuple."

(Lettre au Comité de salut public, 19 janvier 1794)

"Voilà Citoyens représentants la troisième lettre que je vous écris sans obtenir de réponse, je vous prie de vouloir bien me dire si vous approuvez mes dispositions et m’instruire par un courrier extraordinaire des nouvelles mesures que vous adopteriez afin que je m’y conforme aussitôt."

(Lettre au Comité de salut public, 24 janvier 1794)

"J'ai été contraint dans une opération aussi importante de tout prendre sur ma responsabilité; je n'ai pas même eu l'avantage de recevoir votre approbation et je compromettrais la réussite de mon projet si j'attendais pour agir que je l'eusse obtenue... Cruelle alternative !... mais qu'importe j'ai fait ce que j'ai cru devoir faire; ma conscience n'a rien à se reprocher et je ne doute point que vous ne rendiez justice à la pureté de mes intentions."

(Lettre au Comité de salut public, 31 janvier 1794)

Le silence de la Convention peut-être sujet à interprétions, certains diront « qui ne dit rien consent ». Force est de constater cependant que Turreau ne parvient pas à obtenir un ordre écrit pour lui ordonner le massacre organisé des Vendéens et la destruction du territoire… Il prend donc l’initiative de continuer une politique d’extermination qui peut faire penser aux méthodes de son collègue Westermann. Il ordonne à ses soldats :

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« Tous les brigands qui seront trouvés les armes à la main seront passés au fil de la baïonnette. On agira de même avec les filles, femmes et enfants qui seront dans ce cas. Les personnes seulement suspectes ne seront pas épargnées. Tous les villages, métairies, bois, genêts et généralement tout ce qui peut être brûlé sera livré aux flammes. Je le répète, je regarde comme indispensable de brûler villes, villages et métairies ; avec leurs habitants, s’il se peut. »

Et, en février, la réponse tant attendue de la Convention arrive ! Lazare Carnot, membre du Comité de Salut Public, ayant pris connaissance des mesures misent en œuvre en Vendée, avalise ses méthodes :

"Tu te plains de n'avoir pas reçu du comité l'approbation formelle de tes mesures.

Elles lui paraissent bonnes et tes intentions pures; mais éloigné du théâtre de tes opérations, il attend les grands résultats pour prononcer dans une matière sur laquelle on l'a déjà trompé tant de fois aussi bien que la Convention Nationale.

Les intentions du Comité ont dû t'être transmises par le Ministre de la Guerre. Nous nous plaignons nous-mêmes de recevoir trop rarement de tes nouvelles.

Extermine les brigands jusqu'au dernier voilà ton devoir; nous te prescrivons surtout de ne pas laisser une seule arme à feu dans les départements qui ont participé à la révolte et qui pourraient s'en servir encore. Armes-en les soldats de la liberté. Nous regarderons comme traîtres tous les généraux et tous les individus qui songeraient au repos avant que la destruction des révoltés soit entièrement consommée. Encore une fois recueille toutes les armes et fais passer ici sans délai toutes celles qui ont besoin de réparations. Nous t'envoyons un arrêté qui paraît propre à seconder tes vues."

Pour autant, si on a bien une intentionnalité d’extermination émanant d’une autorité politique peut-on dire que les massacres commis en Vendée sont un génocide ? Il faudrait pour cela que ces massacres correspondent également à la seconde partie de la définition de l’ONU, c'est-à-dire que l’objectif soit la destruction totale ou partielle d’un groupe racial, ethnique, national ou religieux.

Les Vendéens forment-ils un groupe racial, ethnique ou national visé en tant que tel ? Non, premièrement les Vendéens forment au mieux un groupe identitaire régional et culturel, et ils ne sont pas les seuls visés par les massacres. Il y a des répressions envers des révoltés en Bretagne contre la Chouannerie, mais aussi à Toulon, à Lyon, et dans une certaine mesure dans toute la France à des degrés divers. Ce qui caractérise la Vendée militaire ce n’est pas tant le phénomène que son ampleur.

Les Vendéens forment-ils un groupe religieux visé en tant que tel ? On note bien évidemment que la conviction religieuse a joué un rôle majeur dans cet affrontement. L’armée vendéenne s’est déclarée Catholique et Royale, elle a combattue avec et pour les prêtres réfractaires à la Constitution civile du clergé, elle a valorisé dans ses rangs des figures d’hommes particulièrement pieux que l’on disait saint comme Jacques Cathelineau ou Louis de Lescure… De l’autre côté on note que l’année 1793 est marquée par une déchristianisation forcée de la France…

Mais la religion ne fut pas le seul élément déclencheur du conflit, pensons surtout à la levée de 300.000 hommes demandée par la République et le refus de cette conscription dans les campagnes de l’Ouest. Enfin et surtout il n’est pas fait mention dans les ordres républicains d’une destruction des Catholiques, mais bien toujours d’une destruction des brigands, c'est-à-dire des opposants à la République.

Force est donc de constater que selon ces critères internationaux reconnus par l’ONU il n’y a pas eu de génocide vendéen.

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Peut-on définitivement dire qu’il n’y a pas eu de génocide vendéen ?

Et bien non plus… Certes la définition de l’ONU semble exclure le cas Vendéen, mais la définition de l’ONU est insuffisante et loin d’être neutre. Si on considère comme génocidaire la destruction d’un groupe racial, ethnique, national ou religieux : alors pourquoi ne pas considérer comme génocidaire la destruction d’un groupe politique ? Car au final c’est ainsi que l’on pourrait définir les Vendéens, des opposants à la République voulant dans un premier temps échapper à la conscription et avoir la liberté de culte, mais qui cristallisent cette attente autour d’un projet qui s’appuie sur un retour monarchique allié à la Papauté.

Or si la définition de l’ONU ne prend pas en compte les groupes politiques c’est tout simplement à cause de la pression de l’URSS qui ne voulait pas que cette définition puisse recouvrir la famine organisée en Ukraine en 1932/3…

Si une définition aussi biaisée et subjective peut satisfaire un juriste, elle ne peut pas contenter un historien. D’ailleurs quel intérêt aurait l’historien à utiliser le terme de génocide ? Est-il plus grave de génocider à coup de baïonnette un enfant juif dans le ventre de sa mère que de massacrer dans les mêmes conditions une royaliste et son enfant ? La démarche n’a aucun sens. Elle n’a de sens que pour ceux qui veulent transformer une étude historique en débat juridique (avec d’ailleurs une certaine contradiction avec la notion de Pardon chère à l’Armée Catholique et Royale). Le terme de génocide est biaisé et il n’apporte aucun éclairage nouveau, aucune nouvelle compréhension, à ce que peuvent apporter les termes de massacre ou d’extermination déjà suffisamment parlant pour décrire la tragédie orchestrée par la République.

Pour aller plus loin sur les guerres de Vendée

- Martin Jean-Clément, La Vendée et la Révolution, Tempus Perrin, 2007.

- Sécher Reynald, La Vendée-Vengé : le génocide franco-français, PUF, 1986.

- Nathalie Meyer-Sabl ,La Chouannerie et les guerres de Vendée. Editions Ouest-France, 2015.

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