Vers un tribunal pénal international
Le, ou les procès de Nuremberg constituent l’aboutissement du processus de maturation du concept de tribunal pénal international, dont on peut faire remonter l’origine aux Lumières (si ce n’est avant). Néanmoins, c’est au vingtième siècle et notamment à la suite de la première guerre mondiale, que ce concept se popularise auprès des politiques et de l’opinion publique occidentale. Ainsi, deux articles du traité de Versailles (27 et 28) prévoient le jugement de criminels de guerre allemands (dont l’ex Empereur Guillaume II) par un tribunal composé de juges français, britanniques, américains et italiens.
Dans les faits, ces dispositions ne trouveront pas d’application en raison de la volonté des puissances victorieuses de ne pas déstabiliser un peu plus une république de Weimar fragile et tentée par le revanchisme. Si les années 20 voient l’épanouissement du concept de droit international avec des organisations telles que la SDN ou la Cour permanente de Justice Internationale, ces dernières se révèlent vite inefficaces. Privées de moyens de coercition indépendants, elles restent soumises au bon vouloir d’états dont beaucoup cèdent aux sirènes nationalistes.
Cette commission qui regroupe dix-sept nations, n’est qu’un timide premier pas. Manquant de moyens propres, elle est d’autre part victime des tensions entre occidentaux et soviétiques (qui d’ailleurs n’y participent pas). Néanmoins, les travaux des juristes qui l’animent vont poser les bases des enquêtes et des procédures qui seront utilisées pour le procès de Nuremberg. Ce dernier ne devient possible au final qu’avec la fin de la guerre en Europe. Après de nombreuses hésitations et controverses, c’est à l’été 1945 que les principales puissances alliées trouvent un accord sur la forme et le fond de ce qui doit constituer un procès pour l’exemple.
Le procès de Nuremberg
Les accords de Londres du 8 août 1945 permettent la création d’un tribunal militaire international. Celui-ci doit juger quatre types de crimes : conspiration en vue de mener une guerre offensive, crimes de guerre, crimes contre la paix et surtout les crimes contre l’humanité. Nouveautés en droit, le crime contre la paix et surtout le crime contre l’humanité (définit comme une « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux. ») répondent au besoin de juger des actes considérés comme inédits dans l’histoire. La procédure criminelle retenue s’inspire du droit européen continental, c’est une procédure accusatoire avec un tribunal composé de juges (et non d’un jury).
Il a été convenu que le tribunal siégerait (après une séance inaugurale avec remise des actes d’accusation à Berlin) à Nuremberg. Celle-ci est une des rares villes allemandes disposant encore des infrastructures nécessaires pour accueillir le procès et sa logistique. D’autre part, c’est un choix hautement symbolique que celui de cette ville bavaroise, lieu des grands rassemblements annuels du parti nazi, qui sera désormais associée à la condamnation universelle de celui-ci.
Le tribunal a pour mission de juger 6 organisations (NSDAP, SS, SD, Gestapo, SA et Haut Commandement de l’armée) et 24 hauts-responsables du IIIe Reich. Parmi les accusés les plus célèbres et importants, on retrouve Martin Bormann (le secrétaire d’Hitler et 2e personnage du parti) jugé par contumace, Karl Dönitz successeur d’Hitler à la tête du 3e Reich et leader emblématique de l’arme sous-marine allemande, Hans Frank gouverneur général de Pologne, Hermann Goering l’incontournable chef de la Luftwaffe et longtemps dauphin du Führer, Rudolf Hess le premier secrétaire d’Hitler et qui jouera de sa prétendue folie, Ernst Kaltenbrunner chef SS des renseignements, Joachim Von Ribbentrop le chef de la diplomatie du Reich, Alfred Rosenberg l’idéologue du régime et Albert Speer l’architecte et technocrate à la tête de la production de guerre allemande depuis 1942.
Procès pour l’histoire ou justice des vainqueurs ?
Procédure pénale inédite, le procès de Nuremberg en impose par sa dramaturgie soigneusement mise en scène. La vingtaine d’accusés présents, placée sur deux rangs est encadrée par des gardes américains en casque blanc et uniformes impeccables. Sur les côtés de la grande salle d’audience du palais de justice, on retrouve l’accusation et le ministère public. Les débats et échanges sont lents et compassés, notamment en raison d’une traduction simultanée encore dans l’enfance. Assommés par la chaleur des lumières puissantes de l’endroit, les accusés ont bien du mal à faire bonne contenance face aux nombreux journalistes présents. Seul Hermann Goering, transfiguré par sa désintoxication morphinique se paye le luxe de fanfaronner.
Le discours d’ouverture du procureur Jackson, place d’emblée le procès à un niveau éthique singulier : « Les méfaits que nous cherchons à condamner et à punir ont été si prémédites, si haineux et si dévastateurs que la civilisation ne peut en ignorer la commission, car elle ne pourrait survivre à leur répétition. » Il s’agit bien là de faire œuvre pour les générations à venir. Néanmoins, les juges tous comme les accusés, savent que Nuremberg est aussi la justice des vainqueurs. Des vainqueurs, qui aussi bien du côté occidental que soviétique ne sont pas exempts de reproches. Ainsi, britanniques et américains ne peuvent ignorer les effets des bombardements de terreur auxquels ils ont soumis l’Allemagne pendant des années, et dont les stigmates sont encore bien visibles, même à Nuremberg. Quant aux soviétiques, ils représentent un régime totalitaire lié à l’Allemagne par un pacte jusqu’au 22 juin 41 et dont les troupes ont participé à un nettoyage ethnique massif des populations allemandes de l’est.
L’accusation aborde l’ensemble des questions selon une procédure chronologique méthodique, qui complique souvent le travail de la défense. Initialement, et sous la pression exercée par Goering, les accusés se sont entendus pour faire du procès une tribune pour défendre le nazisme et son Führer. Ils insistent notamment sur l’existence du complot juif, dont le procès qu’ils subissent serait l’ultime incarnation. Mais, au fur et à mesure qu’implacablement la mécanique totalitaire du IIIe Reich est décortiquée par l’accusation, ce front défensif se fissure. Les jalousies, rivalités et haines qu’Hitler avait sciemment cultivées afin de dominer ses subordonnés, refont surface de manière la plus crue. La révélation, à grands renforts de témoignage des atrocités commises à l’est et au nom de l’idéologie raciste, constitue la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Albert Speer est le premier à se distancer ouvertement du dictateur nazi et ses politiques. Bien que lourdement impliqué dans l’exploitation de la main d’œuvre forcée (notamment en provenance des camps de concentration), l’architecte n’hésite plus à présenter Hitler comme un fou dont il avait fini par ignorer les ordres. Il entraîne à sa suite plusieurs accusés dont Hans Frank et Baldur von Shirach (le chef des jeunesses hitlériennes) qui vont s’opposer régulièrement aux fidèles d’Hitler que Goering pense mener à la baguette. Malgré un baroud d’honneur de 2 heures le 13 mai 1946, l’ancien chef de la Luftwaffe échouera dans sa tentative d’exonération du chef nazi (et de sa personne, par la même occasion).
La fin du procès de Nuremberg
Au final, le 1er octobre 1946, quatre organisations nazies sont condamnées : NSDAP, Gestapo, SS et SD (le fait que le Haut Commandement de l’armée ait été épargné n’est pas innocent et contribuera à la légende d’une armée allemande « correcte. »). Seront condamnés à mort, notamment Hermann Göring (qui se suicidera dans des circonstances troubles juste avant son exécution), Alfred Jodl, Wilhelm Keitel, Kaltenbrunner, Rosenberg, et Bormann (en réalité mort durant la bataille de Berlin). Hess écope de la prison à vie (il finira par se suicider, seul dans sa prison en 1987), Speer de vingt ans, Dönitz de dix (peut être aidé par le témoignage de l’amiral américain Nimitz, qui reconnut que les Etats-Unis menèrent eux aussi une guerre sous-marine à outrance contre les Japonais).
Un héritage fragile mais fondamental
Le tribunal de Nuremberg, outre d’avoir fait devant l’histoire le procès du IIIe Reich, aura posé les bases du concept de juridiction pénale internationale. Cet héritage juridique reconnu par les nations unies, finira par s’incarner, après de nombreux errements, dans la Cour Pénale Internationale de la Haye, en 1998. Quant aux définitions des crimes contre la paix et des crimes contre l’humanité, elles auront imposé un nouveau standard en matière d’éthique dans les relations internationales. On pourra bien évidemment déplorer leur peu de substance quant à la réalité des rapports de force internationaux.
Depuis 1945, d’autres génocides auront en effet ensanglanté le monde entier, mais il n’en reste pas moins que l’appareil institutionnel nécessaire au jugement de leurs auteurs existe. Et plus important encore, les valeurs qui sous-tendraient un tel jugement ont aujourd’hui valeur universelle (du moins, peut-on l’espérer).
Bibliographie
- Le Procès de Nuremberg de Jean-Marc Varaut. Perrin, 2003.
- Jugements derniers : les procès Petain, Nuremberg et Eichman deJoseph Kessel. Texto, 2007.
- Les entretiens de Nuremberg de Leon Goldensohn. Flammarion, 2005.