La bataille d'Antietam, 17 septembre 1862

Histoire Universelle | Guerre de Sécession (Etats-Unis, 1861-1865)

Par le

 

Le mercredi 17 septembre 1862 commence dans la relative quiétude d’une nuit brumeuse. Pour ceux qui se sont déjà battus la veille au soir, elle n’est pas de tout repos, pourtant. Les hommes de Truman Seymour, comme leurs adversaires, ont bivouaqué là où ils se battaient lorsque l’obscurité les a surpris, dans le bois Est. La relève des soldats de Hood par ceux de Lawton n’y a rien changé.

En fait, les sentinelles des deux camps sont par endroits si proches les unes des autres qu’elles peuvent s’entendre chuchoter dans l’obscurité – les officiers ayant évidemment interdit de faire du feu. Vers 3 heures du matin, des coups de feu tirés par des piquets énervés dégénèrent en sérieux accrochage. Tirés d’un sommeil précaire au milieu d’un sous-bois humide, les soldats des deux camps tirent à l’aveuglette, ajustant comme ils le peuvent leur feu en se guidant sur les éclairs jaillissant des fusils ennemis. Le caractère vain de l’échange finit par prévaloir, et un semblant de calme revient sur le bois Est. Le décor ainsi planté, le soleil allait pouvoir se lever sur douze heures de carnage.

Le jour se lève

À 5 heures 30, la clarté est suffisante pour que l’artillerie fédérale entre en action. Visant toutes les cibles qui s’offrent à elle de sa position dominante, elle accable brigades et batteries confédérées depuis la colline Poffenberger, tandis que les puissants canons Parrott de 20 livres en fer forgé – au moins trois batteries – déployées sur la rive orientale de l’Antietam prennent les positions sudistes en enfilade. En quelques minutes, les canons confédérés ripostent. Stuart fait déployer son artillerie à cheval, puis d’autres batteries, sur Nicodemus Hill, tandis que l’infatigable Stephen D. Lee engage son bataillon depuis les hauteurs situées immédiatement au nord de Sharpsburg. Leurs canons tentent de défier ceux de leurs adversaires, mais les Fédéraux sont supérieurs en nombre, en qualité et en puissance de feu, si bien que les artilleurs sudistes souffriront beaucoup de ce duel.

L’infanterie nordiste, qui ne tarde pas à entrer dans l’arène à son tour, est prise pour cible elle aussi. Les deux camps déploient des batteries supplémentaires pour fournir un soutien avancé à leurs fantassins, emplissant l’air du bourdonnement de la mitraille et du sifflement des boulets. Au moins les défenseurs sudistes ont-ils la possibilité de rester allongés sous ce déluge, du moins tant qu’ils ne sont pas attaqués directement. En fait, la configuration du champ de bataille et les positions de l’artillerie sont telles que les canons des deux belligérants sont placés de manière à accabler mutuellement leurs cibles de leurs tirs croisés : les Fédéraux depuis le nord et l’est, les Confédérés à l’ouest et au sud. Dans cette symphonie meurtrière, chaque instrument joue sa propre partition : les canons en fer forgé, plus précis et à la portée accrue, cherchent à réduire au silence les batteries ennemies, tandis que les pièces en bronze vomissent leurs projectiles sur les fantassins. Des années plus tard, S.D. Lee devait se remémorer ce concert brutal comme d’un « enfer d’artillerie ».

À quelques kilomètres de là, à Shepherdstown, Mary Mitchell allait aussi graver dans sa mémoire ce grondement de tonnerre ininterrompu. La petite bourgade, sise sur la rive virginienne du Potomac à quelques encablures du gué de Boteler, s’était déjà muée en hôpital de fortune au lendemain de la bataille de South Mountain. Improvisée infirmière comme le reste de ses voisines, cette habitante de la ville couchera elle aussi ses souvenirs sur le papier. De cette canonnade, elle écrira : « Mais au fond de nos cœurs nous ne pouvions croire que quoi que ce soit d’humain ait pu échapper à ce terrible feu ». Au bout de quelques heures, Shepherdstown sera submergée par un flot de blessés sans commune mesure avec le précédent. Les scènes de confusion qui accompagnent toujours les grandes batailles sur les arrières des armées, qu’elles soient vaincues ou non, marqueront durablement Mary Mitchell : « Une sensation omniprésente d’angoisse, de rêve, de pitié, et – je le crains – de haine, tels sont mes souvenirs d’Antietam. »

Dès que les batteries nordistes ont ouvert le feu, l’infanterie bleue s’est mise en marche. Le plan de Hooker prévoit une progression plein sud, sur un front étroit, avec la division Doubleday à droite, celle de Ricketts à gauche, et celle de Meade en réserve – hormis la brigade Seymour, déjà dangereusement proche de l’ennemi, comme on l’a vu. Des quatre unités de Doubleday, c’est la Brigade de Fer de John Gibbon qui mènera l’assaut, tandis que Marsena Patrick et Walter Phelps se tiendront immédiatement en arrière, respectivement à droite et à gauche de Gibbon. Quant à William Hofmann, sa brigade sera gardée en arrière pour couvrir les batteries installées autour de la ferme J. Poffenberger, et ses régiments ne seront pas engagés. Ricketts, qui n’a que trois brigades, a adopté une disposition similaire : George Hartsuff en fer de lance, appuyé par Abram Duryée sur sa droite et William Christian sur sa gauche. Son premier objectif sera de rejoindre Seymour, en position avancée tout à gauche du Ier Corps.

Le maïs de Monsieur Miller

Les premiers soldats nordistes à affronter leurs homologues sont évidemment ceux qui ont dormi le moins longtemps – les hommes de Truman Seymour. L’aube les voit renouveler aussitôt l’affrontement incomplètement interrompu par la nuit. Rapidement, les tirailleurs nordistes ont le dessus et chassent les Confédérés du bois Est. En atteignant la lisière, les Fédéraux se retrouvent confrontés à la brigade commandée par James Walker. Celle-ci se trouve dans une situation délicate, car l’artillerie ennemie prend sa droite en enfilade, et la brigade Seymour bénéficie presque entièrement du couvert fourni par la végétation – alors que les hommes de James Walker sont déployés au milieu d’un champ labouré. Toutefois, le régiment le plus à droite de Seymour est lui à découvert, et James Walker fait manœuvrer trois de ses propres régiments pour qu’ils concentrent leur feu sur ce point vulnérable.

Dans le même temps, la division Doubleday se déploie en ligne de bataille dans le bois Nord et avance vers le sud, le long de la route à péage de Hagerstown et immédiatement à l’est de celle-ci. Sous le feu de l’artillerie sudiste, les soldats de Gibbon traversent les vastes parcelles de la ferme Miller : un champ labouré, un verger attenant aux bâtiments de la ferme proprement dits, puis un vallon d’où remonte un champ de trèfle. Brumeuse, l’aube dissipe rapidement l’humidité pour faire place à une journée qui s’annonce radieuse malgré quelques nuages. Hooker, qui suit de près la progression de son corps d’armée, remarque alors que le soleil rasant se reflète dans les baïonnettes des soldats sudistes dissimulés dans le champ de maïs Miller, au-delà du champ de trèfle – sans doute les tirailleurs que Marcellus Douglass a fait déployer en avant de sa brigade. Le maïs est pratiquement à hauteur d’homme, offrant ainsi un excellent couvert visuel, mais la longueur des baïonnettes trahit ceux qui les portent.

Le champ de maïs Miller est un espace rectangulaire d’assez grandes dimensions : 400 mètres de largeur sur 230 de profondeur, soit environ dix hectares ceinturés de clôtures en rondins. C’est loin d’être le seul champ de maïs à proximité de Sharpsburg – il y en a des dizaines – mais les violents combats du début de matinée allait se focaliser sur sa possession, le transformant en un des lieux emblématiques de la bataille, avec Bloody Lane et le pont de Burnside. Lorsqu’on parle d’Antietam, « le champ de maïs » désigne presque universellement celui de D.R. Miller, alors que les rapports d’officiers sur la bataille en mentionnent au moins une bonne demi-douzaine d’autres. L’acharnement de la lutte qui allait s’y dérouler, cependant, allait complètement éclipser les autres dans la mémoire collective – et du même coup, en faire ce qui fut probablement l’espace le plus disputé de la guerre.

Bataille d'Antietam, 17 septembre 1862, 5h30 - 6h00 : l'attaque initiale du Ier Corps nordiste.

1. L'artillerie fédérale ouvre le feu depuis la colline Poffenberger et la rive orientale de l'Antietam.

2. Les canons sudistes, placés sur Nicodemus Hill et autour de l'église Dunker, rispostent et attaquent l'infanterie nordiste qui avance.

3. Seymour repousse les piquets sudistes dans le bois Est et attaque James Walker.

4. Hooker fait dégager la lisière nord du champ de maïs Miller par deux batteries avancées.

5. Gibbon entre dans le champ et affronte Douglass.

6. Menacé sur sa droite, il fait passer sa seconde ligne de l'autre côté de la route de Hagerstown.

7. Gibbon étant toujours menacé d'être flanqué, Doubleday envoie la brigade Patrick couvrir sa droite.

8. Prises sous le feu croisé de l'artillerie sudiste, les brigades Hartsuff et Christian s'arrêtent. Ricketts envoie Duryée en avant pour les relayer.

Dans le même temps, Early est envoyé soutenir Stuart sur Nicodemus Hill, tandis que Lawton emmène la brigade Hays renforcer le reste de sa division.

À la vue des baïonnettes scintillant au-dessus des plans de maïs, Hooker n’hésite pas à employer les grands moyens. Retenant momentanément son infanterie, il fait avancer deux batteries qui ouvrent le feu à courte distance. Le résultat, décrit par Hooker lui-même, ne se fait pas attendre : « En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire chaque plant de maïs dans la plus grande partie septentrionale du champ fut coupé aussi nettement que s’il l’avait été avec un couteau, et les tués reposaient en lignes précisément là où ils se tenaient en rang un instant plus tôt. Jamais il ne m’avait été donné d’observer un champ de bataille aussi terrible et sanglant. » La brigade Gibbon, qui avance sur deux lignes, peut pénétrer sans opposition dans le champ Miller… provisoirement. D’autre tireurs sudistes ne tardent pas à prendre à partie son flanc droit, ancré sur la route à péage, et Gibbon préfère envoyer sa seconde ligne traverser cette route pour couvrir sa droite.

Les hommes de Douglass, appuyés sur la clôture méridionale du champ, ouvrent le feu sur un adversaire qu’ils voient à peine, mais que leur artillerie, ayant l’avantage de la hauteur, bombarde sans relâche. La gauche de Gibbon, formée par les 2ème et 6ème régiments du Wisconsin, s’en trouve fortement ralentie alors que sa droite, avec le 7ème Wisconsin et le 19ème Indiana, continue d’avancer. Elle n’ira pas beaucoup plus loin, étant rapidement confrontée à la première ligne de la division J.R. Jones : les brigades d’Andrew Grigsby et John Penn, qui résistent vigoureusement. Gibbon risquant toujours d’être flanqué, Doubleday envoie Patrick étendre sa ligne et s’emparer du bois Ouest, sur lequel s’appuie l’ennemi. Les Sudistes, dans un premier temps, tiennent bon, mais subissent de lourdes pertes. Les officiers ne sont pas épargnés : Penn, puis son successeur A.C. Page sont blessés, tandis que J.R. Jones lui-même est sonné lorsqu’un obus nordiste explose un peu trop près de sa tête. Il est aussitôt évacué, et William Starke lui succède à la tête de sa division.

Terreurs matinales

Un peu plus à gauche, les choses vont de travers pour les soldats de James Ricketts. Le général Hartsuff est touché à la cuisse dès le début de l’action en voulant mener une reconnaissance, et la confusion qui s’ensuit conduit sa brigade à stopper. Les deux unités qui le suivent ne sont pas mieux loties. Elles sont accablées sous le feu d’enfer de l’artillerie confédérée, et les nerfs de plus d’un lâchent. La brigade Seymour, et en particulier le 6ème régiment des Pennsylvania Reserves qui doit soutenir seul le feu de trois régiments sudistes, commence à souffrir de la situation. Dans ces conditions, toutes les occasions sont bonnes pour s’éloigner de la zone des combats. Son chef, le colonel William Sinclair, allait ainsi noter dans son rapport : « […] le régiment fut grandement réduit en nombre à cause d’hommes emmenant les blessés vers l’arrière sans mes ordres. »

Sous un tel déluge de projectiles, les galons d’officier n’immunisent pas davantage contre la peur. Le colonel Joseph Fisher, du 5ème régiment de la même brigade, signale ainsi que « Le capitaine Collins, de la compagnie K, voit par quelque étrange fatalité sa santé défaillir à l’approche de pratiquement toutes les batailles, et j’ai le regret de dire que dans notre dernière lutte, de laquelle dépendait tant, le capitaine ne s’est pas montré, et qu’il est à présent absent sans permission en règle. » Alors que Seymour aurait grand besoin de soutien, celui-ci tarde à arriver. À la tête de sa brigade, le colonel Christian cède lui aussi à la panique : il met pied à terre et, abandonnant ses hommes, s’enfuit terrorisé vers l’arrière. Convoqué par son supérieur le soir même, il est contraint de démissionner pour éviter la cour martiale. Sa santé mentale ne se remettra jamais de son expérience à Antietam et de l’humiliation qui s’ensuivit, et il mourra interné en 1887. Toujours est-il que privés eux aussi de chefs, ses soldats s’arrêtent à leur tour.

Il y a toutefois urgence pour les Nordistes, car la situation de Ricketts laisse une brèche importante entre Gibbon et Seymour. Ricketts fait donc avancer sa seule brigade encore immédiatement disponible, celle de Duryée, qui passe en première ligne. Celle-ci progresse finalement vers le sud, son aile droite dans le champ de maïs et son aile gauche dans le bois Est. Duryée est frappé par le spectacle de désolation qui accompagne sa progression : « Les morts laissés par l’ennemi dans le champ étaient presque alignés comme à la parade », écrira-t-il. Parallèlement, Walter Phelps a commencé à soutenir Gibbon, dont la gauche est débordée par brigade Douglass et se trouve dangereusement exposée. Phelps, qui se tient à une vingtaine de mètres seulement en arrière, peut ainsi intervenir très rapidement. Bientôt, la pression des Fédéraux commence à devenir trop forte pour la brigade Douglass, qui se met à reculer. Son chef est tué en tentant de la rallier. Les soldats sudistes, toutefois, se ressaisissent rapidement grâce à l’arrivée de renforts.

Bataille d'Antietam, 17 septembre 1862, 6h - 6h30 : la contre-attaque des Tigres de la Louisiane (brigade Hays).

1. James Walker fait concentrer le feu de trois de ses régiments contre le 6ème Pennsylvania Reserves, le régiment le plus exposé de la brigade Seymour.

2. Attaqué par l'aile gauche de Gibbon appuyé par Phelps, Douglass est tué et sa brigade recule.

3. Hays contre-attaque et fait reculer Duryée, emmenant avec lui les hommes de Douglass.

4. Le 6ème Pennsylvania Reserves craque, entraînant avec lui le reste de la brigade Seymour.

5. James Walker, voyant avancer Hays sur sa gauche, avance lui aussi.

6. Assailli par Phelps et la brigade Hartsuff, et accueilli par les salves de mitraille d'une batterie avancée nordiste, Hays doit se replier.

7. La brigade Douglass est entraînée dans leur retraite par les soldats de Hays.

Dès l’aube, en effet, Lawton a anticipé une attaque contre sa division et a rappelé à lui ses deux autres brigades. Jackson a retenu celle de Jubal Early pour l’envoyer soutenir les batteries que Stuart a fait déployer sur Nicodemus Hill, mais celle d’Harry Hays est à présent à pied d’œuvre. Les Tigres de la Louisiane, car c’est d’eux dont il s’agit, se déploient à droite de la brigade Douglass, et les deux unités lancent une vigoureuse contre-attaque. Celle-ci perd rapidement en coordination, car Lawton est grièvement blessé, mais les hommes de Douglass n’en attaquent pas moins la Brigade de Fer tandis que les Louisianais s’enfoncent dans le champ de maïs, obligeant les hommes de Duryée à reculer et menaçant une des batteries avancées de Hooker au nord du champ. Les canonniers doivent même abandonner momentanément leurs pièces. À peu près simultanément, l’aile droite accablée de Seymour craque et se replie, entraînant avec elle reste de la brigade. Constatant l’arrivée de Hays, James Walker décide d’avancer lui aussi et pénètre dans le bois Est.

La situation des Nordistes est d’autant plus critique que Ricketts est lui aussi blessé quand son cheval est tué sous lui. Il n’est pas gravement atteint mais se trouve temporairement indisponible, ce qui ne facilite pas la coordination de ses réserves. Toutefois, les hommes de Hartsuff, désormais commandés par Richard Coulter, arrivent en soutien de Duryée malmené, face aux Louisianais, tandis que Walter Phelps engage massivement le reste de sa brigade sur leur gauche. Ces tirs croisés, ajoutés à la mitraille vomie à coups redoublés par une autre batterie, obligent Hays à se replier précipitamment, entraînant ce qui reste de la brigade Douglass dans le même mouvement. Les soldats sudistes trouvent refuge dans le bois Ouest et au-delà, et les deux brigades sont hors de combat pour le reste de la journée. Lancés à leurs trousses, les Fédéraux réoccupent le champ Miller, qui change de mains pour la troisième fois en moins d’une heure.
 
 

Pendant ce temps, dans le bois Est, la brigade de Truman Seymour est serrée de près par celle de James Walker. La chaîne de commandement nordiste étant désorganisée, Seymour ne reçoit aucun soutien, mais il s’est vu confier par Ricketts les régiments de la brigade Christian, qui s’interposent et couvrent sa retraite. Leur arrivée inopinée, combinée à la retraite de Hays, obligent James Walker à replier sa brigade sur sa position de départ, dans un ordre que l’officier sudiste qualifiera lui-même « d’acceptable ».

Là, il résiste un moment aux Fédéraux mais commence à manquer de munitions. La collecte de cartouches sur les morts et les blessés permet de prolonger le combat de quelques minutes, mais James Walker est bientôt forcé d’opérer un nouveau repli pour tenter de trouver des munitions pour ses hommes. Couvert par la brigade Ripley, qui tient la gauche de la division D.H. Hill, ce mouvement n’est guère gêné par les Nordistes, qui restent prudemment à la lisière du bois Est. Blessé plus tôt dans l’action, James Walker se fait alors évacuer.

Sur la route de Hagerstown

Le repli des trois brigades de la division Lawton, qui ont laissé dans l’affaire plus de la moitié de leurs effectifs, permet à la gauche de Gibbon, toujours suivie de près par Phelps, d’aller soutenir sa droite face à la première ligne de la division J.R. Jones. Gibbon a également fait déployer une batterie d’artillerie en position très avancée, sur une position légèrement surélevée juste au sud de la ferme Miller – un emplacement où s’élèvent une grange et plusieurs meules de foin. Cette unité – la compagnie B du 4ème régiment d’artillerie – était celle que commandait Gibbon avant la guerre dans l’armée régulière. Désormais aux ordres du capitaine Campbell, elle déchaîne sur les positions sudistes un feu qui, combiné à celui qui prend leur droite en enfilade depuis le champ de maïs, oblige finalement les brigades Grigsby et Penn à se replier vers le bois Ouest.

Parallèlement, les artilleurs de Stuart, qui continuent à affronter leurs homologues fédéraux, voient leurs pertes en hommes et en chevaux augmenter. Occupé à diriger le feu de ses batteries, le chef de la cavalerie confédérée n’en observe pas moins le repli de l’infanterie sudiste le long de la route de Hagerstown. Si les Fédéraux continuent à progresser et déferlent sur le bois Ouest, il risque lui-même d’être isolé du reste de l’armée, avec uniquement ses cavaliers et la brigade Early pour protéger ses canons. Par conséquent, il décide vers 6 heures 30 de reculer vers le sud, jusqu’à une autre colline plus facile à défendre, et aussi plus éloignée des canons nordistes de la ferme J. Poffenberger. C’est probablement ce mouvement, observé par Marsena Patrick, qui pousse Hooker à lui ordonner de détacher un de ses régiments, le 23ème New York, pour protéger le flanc droit du Ier Corps. Gibbon n’ayant lui-même pas de réserves, Patrick doit également lui envoyer le 80ème New York en soutien direct de la batterie Campbell, si bien que la brigade Patrick se trouve réduite à deux régiments, les 21ème et 35ème New York.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 6h30 - 6h45.

1. Désormais commandée par Truman Seymour, la brigade Christian intervient pour couvrir le repli de la brigade Seymour.

2. Isolé par le repli de Hays, James Walker se replie sur sa position initiale.

3. Commençant à manquer de munitions, James Walker recule de nouveau.

4. L'aile gauche de Gibbon se rabat vers la droite pour prendre en enfilade la brigade Penn.

5. La batterie Campbell s'installe directement face aux Sudistes pour les accabler de mitraille.

6. Craignant d'être débordé, Stuart fait reculer son artillerie et ses soutiens en direction du sud.

7. Interprétant ce mouvement comme une menace contre sa droite, Hooker fait détacher le 23ème New York de la brigade Patrick pour y parer.

8. Passant par le bois Ouest, le reste de la brigade Patrick flanque celle de Grigsby.

9. Assaillie de trois côtés, la première ligne de la division J.R. Jones finit par reculer.

Côté sudiste, William Starke ne demeure pas passif. Après avoir rallié les débris des brigades Grigsby et Penn, il lance en avant le reste de la division dont il a désormais la charge : sa propre brigade et celle d’Edward Warren. Cette nouvelle contre-attaque sudiste surprend la brigade Gibbon dans une position délicate. En effet, son aile gauche s’est rabattue le long de la route de Hagerstown pour flanquer la première ligne sudiste, et se trouve désormais positionnée obliquement par rapport à la ligne de bataille principale. Accessoirement, sa progression plus rapide a créé une brèche entre elle et le reste de la brigade, ce qui d’une part expose le 6ème Wisconsin à être flanqué, et d’autre part laisse la batterie Campbell exposée à une attaque directe de l’ennemi.

Starke n’a pas manqué de relever ce point faible et emmène sa brigade droit sur lui, laissant la brigade Warren se charger d’accrocher l’aile gauche de Gibbon. Les Confédérés viennent s’appuyer contre les barrières qui délimitent la route à péage, d’où ils prennent les 2ème et 6ème Wisconsin en enfilade. Néanmoins, les Fédéraux réagissent immédiatement. Phelps, qui suit toujours Gibbon de très près, envoie le 2ème régiment des U.S. Sharpshooters colmater la brèche qui s’est ouverte au centre de sa brigade. Les tireurs d’élite aux uniformes verts en paient le prix fort et déplorent de lourdes pertes, subissant de plein fouet toute la puissance de feu de la brigade Starke, mais leur intervention soulage efficacement les deux régiments du Wisconsin. Séparés seulement par la largeur de la route, Nordistes et Sudistes se fusillent sans merci à bout portant. Les hommes de Starke ne réalisent pas encore que les trois régiments qu’ils affrontent ne forment qu’une enclume.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 6h45 - 7h.

1. Starke lance en avant sa brigade et celle d'E.T.H. Warren en visant la brèche qui s'est ouverte entre les deux ailes de la brigade Gibbon.

2. Phelps fait intervenir le 2ème U.S. Sharpshooters pour la colmater.

3. Obliquant vers la gauche, la droite de Gibbon et la brigade Patrick prennent à revers les Sudistes, provoquant leur repli.

4. Grigsby parvient à rallier la brigade Stonewall près de la ferme A. Poffenberger.

Le marteau ne tarde pas à apparaître, sur leur gauche et dans leur dos, sous la forme de l’aile droite de Gibbon et de la brigade Patrick. Cette force de quatre régiments accable les Confédérés d’un tir croisé dévastateur, et en quelques instants leur position devient intenable. Les pertes sont terribles. Starke est percé de trois balles et meurt dans l’heure qui suit, et le colonel Jesse Williams, qui ne lui succède que quelques minutes, est grièvement touché à la poitrine. Tous les officiers supérieurs de la brigade sont tués ou blessés, le moins sérieusement étant le colonel Edmund Pendleton, du 15ème Louisiane, légèrement atteint par une balle de mitraille qui lui passe entre les deux jambes. Bientôt, les hommes en gris n’ont plus qu’à sonner le sauve-qui-peut général en direction du sud-ouest, pour se réfugier dans le bois Ouest. Là, le colonel Grigsby parvient à rallier sa propre unité – la brigade Stonewall – et à joindre ses forces à celles de Leroy Stafford, qui réussit à regrouper quelques éléments de celle de Starke.

Texans en colère

Il est à présent 7 heures, et la situation de la gauche confédérée toute entière apparait comme extrêmement critique. En dehors de la brigade Early, de celle de James Walker et des quelques soldats que Grigsby tient encore sous sa coupe, les divisions J.R. Jones et Lawton peuvent être considérées comme virtuellement hors de combat. Jackson, qui communique fiévreusement avec Lee, Longstreet et Stuart par l’intermédiaire de ses estafettes – au nombre desquelles figure un jeune garçon de douze ans, dont Stuart fera l’éloge dans son rapport sur la bataille – n’a plus que la division Hood à lancer dans le combat. Sachant que cela ne pourrait suffire qu’un temps, il demande des renforts de toute urgence. Lee, dans le même temps, sait que l’arrivée de McLaws et R.H. Anderson, qui ont franchi le Potomac, est imminente. En attendant, il accepte de prélever sur sa droite la brigade de George T. Anderson pour l’envoyer vers le nord.

Les deux brigades de la division Hood, commandées respectivement par William Wofford et Evander Law, sont demeurées jusque-là dans une relative sécurité, au sud du bois Ouest. Après avoir été mis en alerte au tout début de la bataille, les hommes de Hood, en majorité texans, ont repris la routine du camp et allumé des feux pour préparer un petit déjeuner impatiemment attendu – l’intendance confédérée vient en effet de leur distribuer leur première ration depuis trois jours et ils sont affamés. Malheureusement pour eux, c’est au moment où l’effondrement des hommes de Starke rend nécessaire leur intervention. Les soldats sudistes s’exécutent, mais ils sont furieux et bien décidés à se venger sur les Yankees. Vers 7 heures, ils débouchent du bois Ouest en hurlant sauvagement. Alexander Hunter, soldat dans une autre unité de l’armée de Virginie septentrionale, attribuera d’ailleurs la légendaire férocité du Rebel Yell à… la faim, tout simplement.

La division Hood attaque vers le nord, à l’est de la route de Hagerstown. Wofford est à gauche avec la Texas Brigade, Law à droite. Hood, qui sait très bien que ses forces ne sont pas assez nombreuses pour tenir tête au Ier Corps nordiste au grand complet, galope encore plus à droite pour avoir le soutien de la brigade James Walker. Il parvient à obtenir le concours de certains de ses régiments, qui ont encore quelques cartouches, et les renforce en prélevant à Wofford le 5ème Texas. Il réclame également la coopération de Roswell Ripley, mais celui-ci n’avancera pas. Les hommes en gris sont violemment pris à partie dès qu’ils sortent du bois, particulièrement sur la gauche où les lignes nordistes sont les plus proches. Une heure et demie à peine après les premiers coups de canon, les combats n’ont pas diminué d’intensité, loin s’en faut. Au sujet de l’attaque de sa division, Hood devait écrire : « Je fus alors témoin du plus terrible affrontement de toute la guerre. »

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 7h - 7h15.

1. Leroy Stafford ramène les restes de la brigade Starke et rejoint celle de Grigsby.

2. La division Hood attaque le champ de maïs Miller.

3. Elle est soutenue sur sa droite par James Walker, que rejoint le 5ème Texas.

4. La brigade Ripley est sollicitée mais ne bouge pas.

5. Prises de flanc, l'aile gauche de Gibbon et la brigade Phelps sont repoussées par Wofford.

6. Law et James Walker repoussent les brigades Hartsuff (Coulter) et Christian (Seymour), ainsi que la batterie Thompson.

7. Pour faire face à la situation, Hooker fait avancer le reste de la division Meade.

8. Patrick et l'aile droite de Gibbon avancent pour flanquer la Texas Brigade alors que celle-ci progresse vers le nord.

L’élan initial des Sudistes met en déroute l’aile gauche de Gibbon, car les Texans s’abattent sur son flanc. Les soldats du Wisconsin et les Sharpshooters entraînent le reste de la brigade Phelps dans leur repli, ouvrant aux Confédérés la route du champ de maïs. De leur côté, Law et James Walker repoussent les hommes de Hartsuff et Christian, qui ont à présent relevé presque complètement les brigades Duryée et Seymour. Les Nordistes reculent à peu près en bon ordre à travers le champ Miller et le bois Est, suivis de près par leurs ennemis. Le capitaine James Thompson, qui commande une des batteries nordistes les plus avancées, voudrait contrer leur progression à coups de boîtes à mitraille, mais il renonce finalement à le faire lorsqu’il réalise que le champ de maïs est constellé de blessés nordistes qu’il risquerait de massacrer. Lui aussi doit reculer ; sa batterie ayant perdu pas moins de 23 chevaux, il devra le faire en deux temps. Les Confédérés finissent par atteindre l’extrémité nord du champ de maïs et du bois Est, où les Fédéraux tentent de s’arc-bouter avec le renfort d’éléments épars des brigades Duryée et Seymour. Parallèlement, Hooker fait avancer ses dernières réserves : les deux brigades encore fraîches de la division Meade, commandées par Robert Anderson et Albert Magilton.

Sur la gauche de Hood, les choses ne se passent pas aussi bien pour les Sudistes. Après le succès initial, Wofford ne tarde pas à constater que la gauche de sa brigade ralentit fortement. Sa progression même l’a exposé à une contre-attaque de flanc menée par l’aile droite de Gibbon et par la brigade Patrick. Ses hommes subissent de lourdes pertes. La légion Hampton, une unité de Caroline du Sud attachée à sa brigade, perd tous ses porte-drapeaux les uns après les autres, comme le rapportera son chef le lieutenant-colonel Martin Gary : « Nous avançâmes rapidement sur eux, sous un feu nourri, et n’étions pas allés très loin quand Herod Wilson, de la compagnie F, le porteur du drapeau, fut abattu. Il fut repris par James Esters de la compagnie E, et il fut abattu. Il fut alors pris par C.P. Poppenheim, de la compagnie A, et lui aussi fut abattu. Le major J.H. Dingle, Jr., le récupéra alors, s’écriant "Légion, suivez votre drapeau !" […] Il porta le drapeau jusqu’à la lisière du champ de maïs près de la route à péage sur notre gauche, et, alors qu’il le brandissait courageusement à 50 mètres de l’ennemi et face à trois drapeaux fédéraux, il fut tué. »

L’avance se poursuit


Afin d’y remédier, Wofford prélève sur sa droite le 4ème régiment du Texas pour l’envoyer vers la gauche. La manœuvre parvient à soulager le flanc de la brigade, qui tient sa position. Toutefois, elle a aussi créé une brèche dans la ligne sudiste. Malgré les projectiles qui pleuvent sans cesse dessus, le maïs du champ de D.R. Miller est encore suffisamment haut et dense pour que le 1er Texas perde le contact avec le reste de la brigade. Le régiment continue donc à marcher vers le nord, isolé, tandis que les autres se rabattent vers la gauche en tentant de repousser Gibbon. Les positions se retrouvent ainsi curieusement inversées par rapport à l’engagement précédent : les deux camps se font face de part et d’autre de la route de Hagerstown, mais Wofford se tient là où Gibbon et Phelps se trouvaient précédemment, tandis que Gibbon et Patrick occupent désormais la même position que tenait Starke un peu plus tôt.

Bien qu’étant en difficulté, le chef de la Brigade de Fer ne se démonte pas et engage ses soutiens les plus proches – le 80ème New York et la batterie Campbell. Gibbon en fait redéployer les canons pour faire face à l’avancée ennemie dans le champ de maïs, pointant et servant personnellement une de ses pièces. Lorsque le 18ème Géorgie apparaît de l’autre côté de la route, les artilleurs ouvrent le feu à coups redoublés, fauchant sans distinction hommes et maïs et ouvrant de sanglantes trouées dans les rangs des Géorgiens. Contre toute attente, pourtant, les Sudistes soutiennent ce déluge de plomb et ripostent, abattant les artilleurs à bout portant. En quelques minutes, la batterie Campbell perd 40 hommes et 33 chevaux – l’effectif normal d’une batterie nordiste étant théoriquement de 84 officiers, sous-officiers et soldats. Campbell lui-même est blessé à l’épaule et son cheval est criblé de balles. La riposte sudiste oblige finalement les artilleurs à abandonner leurs pièces, mais l’infanterie bleue continue obstinément à tenir sa position. Elle s’appuie en cela sur un affleurement rocheux, quasiment parallèle à la route et légèrement en retrait de celle-ci.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 7h15 - 7h30.

1. Wofford fait passer le 4ème Texas sur sa gauche pour affronter la brigade Patrick.

2. Le 18ème Géorgie est mitraillé à bout portant par la batterie Campbell, mais réussit à la réduire au silence.

3. La présence inopinée du 1er Texas au nord du champ de maïs oblige la brigade Robert Anderson et une partie de celle de Magilton à reculer.

4. Le 6ème Pennsylvania Reserves tient bon et affronte la brigade Law.

5. Les brigades Hartsuff et Christian contiennent Law et James Walker, puis décrochent à l'approche du XIIème Corps.

De son côté, le 1er Texas a poursuivi sans relâche la brigade Phelps en pleine retraite. Ses hommes ont chargé avec une telle férocité que leur chef, le lieutenant-colonel Philip Work, éprouve les pires difficultés à les tenir. Il ne parvient finalement à les réfréner que lorsqu’ils atteignent la clôture septentrionale du champ de maïs. Là, les Sudistes découvrent les brigades Robert Anderson et Magilton en train d’avancer droit sur eux, à travers le verger Miller et le champ de trèfle, et soutenues par une batterie déployée sur une petite éminence, à portée de fusil. Work, qui ignore où se trouve le reste de la brigade, fait demander des renforts en urgence et, malgré son infériorité numérique flagrante, décide de résister. Contre toute attente, le tir des Texans cueille à froid les Nordistes : Robert Anderson recule, ainsi que l’aile droite de Magilton. Le 1er Texas pointe alors ses fusils vers la batterie nordiste et commence à lui causer des pertes.

À peine une demi-heure s’est écoulée depuis que Hood a lancé son attaque et cette fois, c’est Hooker qui se retrouve dans une situation critique. De la division Doubleday, sur sa droite, seuls résistent encore les éléments regroupés autour de Gibbon, qui sont les plus avancés. À gauche, les unités de Ricketts et Seymour qui contiennent encore les Sudistes commencent à manquer de munitions. Quant à la division Meade, au centre, elle n’est pas complètement hors de combat mais vient d’être repoussée beaucoup trop rapidement à son goût. Par l’intermédiaire de la station avancée que le corps des transmissions a installée à la ferme Miller, le chef du Ier Corps fait demander par sémaphore des renforts à McClellan. Ce dernier, qui a installé son quartier général sur une colline de la rive est de l’Antietam, suit à la lettre son plan de bataille en ordonnant au IIème Corps de franchir la rivière. L’inconvénient est qu’il ne sera pas à pied d’œuvre avant au moins deux heures… Mais d’autres renforts, eux, sont beaucoup plus proches. Le lieutenant-colonel Work peut d’ailleurs le constater : de nouvelles unités d’infanterie nordistes sont en approche. Leur apparition, d’ailleurs, le dissuade de charger la batterie qui lui faisait face, comme il était en train d’envisager de le faire.
 
 

Hooker, en effet, avait déjà demandé des renforts depuis un certain temps. Le XIIème Corps de Joseph Mansfield, qui a campé à un mile en arrière des forces de Hooker, s’est tenu près dès l’aube. La résistance acharnée qu’il a rencontrée a conduit le chef du Ier Corps à largement surestimer les effectifs de l’ennemi, aussi n’a-t-il pas tardé à faire appel à Mansfield. Le XIIème Corps est une unité de valeur très inégale. Formé initialement par les unités qui ont servi dans la vallée de la Shenandoah et en Virginie septentrionale sous les ordres de Banks, il a laissé une partie de ses régiments les plus expérimentés à Washington, tandis que d’autres nouvellement créés sont venus compléter ses rangs. Ainsi, la majorité de ses soldats sont sous l’uniforme depuis quelques semaines tout au plus, et les officiers ne sont guère plus expérimentés. Cinq des régiments du corps d’armée n’ont même suivi aucune espèce d’entraînement, et un autre – le 1er du district de Columbia – est intégralement absent, officiers compris, en raison des désertions ou des maladies.

Bref commandement

Le XIIème Corps, cinq brigades articulées en deux divisions, progresse le long de la route de Smoketown, une artère secondaire en provenance du nord-nord-est qui rejoint la route à péage de Hagerstown à la hauteur de l’église Dunker, après avoir traversé le bois Est. La division d’Alpheus Williams, composée des brigades de Samuel Crawford et George Henry Gordon, ouvre la marche, suivie par la division George Greene et ses trois brigades, respectivement commandées par William Goodrich, Henry Stainrook et Hector Tyndale. Mansfield, qui s’est forgé en quelques jours une réputation de meneur d’hommes parmi la troupe, dirige personnellement son corps d’armée de l’avant. Toutefois, une série d’erreurs de sa part, et la confusion qui en résultera, vont révéler son inexpérience du terrain et celle de ses soldats.

Dès qu’il arrive à proximité des combats, Mansfield ordonne que ses forces soient déployées en ordre de bataille. Quelques instants plus tard, il se ravise : le général nordiste craint en effet que l’inexpérience de ses hommes ne les rende difficiles à contrôler et la formation en ligne de bataille, très étirée, ne facilite pas la transmission des ordres. La nature hachée du terrain qu’il traverse risque de désorganiser ses brigades, particulièrement dans le cas des nouvelles recrues, encore peu habituées à manœuvrer. Il leur fait donc adopter une formation prévue par les manuels, mais assez peu usitée dans les faits, la colonne par compagnie, dans laquelle chaque régiment présente un front d’une compagnie et se trouve donc déployé sur vingt rangs de profondeur au lieu de deux. Ils sont ainsi plus resserrés, ce qui permet aux officiers supérieurs de les encadrer plus facilement.

Malheureusement, la colonne par compagnie offre aussi une meilleure cible à l’artillerie ennemie, qui peut concentrer ses feux sur un front plus réduit, et dont chaque coup au but est assuré de faire plus de victimes. Des hauteurs où ils sont déployés, les canonniers sudistes ne ratent pas l’occasion que leur offre involontairement Mansfield. Dès que le XIIème Corps arrive à portée de tir, ils l’accablent de projectiles, lui infligeant des pertes non négligeables avant même qu’il ne soit effectivement entré dans la bataille. Autre erreur commise par Mansfield : les intervalles qu’il a laissés entre ses différentes unités sont insuffisants. Lorsqu’il leur ordonne, cette fois pour de bon, de passer à la ligne de bataille, régiments et brigades empiètent les uns sur les autres, et une confusion considérable paralyse momentanément le corps d’armée nordiste – le tout sous le feu de l’ennemi.

La troisième erreur de Mansfield lui coûtera plus cher encore. Le général nordiste ignore la position de réelle de l’ennemi. À sa décharge, il était déjà en marche lorsque Hood a déclenché son attaque, et peut difficilement être informé en temps réel de la progression adverse. Aussi est-il très surpris lorsque la brigade Crawford, en pointe, stoppe devant un petit champ de maïs situé juste au nord du bois Est et commence à ouvrir le feu. Craignant que ses soldats ne soient en train de tirer par erreur sur des unités du Ier Corps, Mansfield galope vers le front des troupes. Il lui faut plusieurs minutes pour s’assurer que ce sont bien des Sudistes – en l’occurrence les brigades Law et James Walker – que les soldats de Crawford affrontent. Quelques instants plus tard, il reçoit une balle dans la poitrine, du côté droit, qui lui cause une blessure fatale dont il décèdera le lendemain. C’était son troisième jour seulement à la tête du XIIème Corps. En-dessous de lui, toute la chaîne de commandement remonte d’un cran : Williams prend la tête du corps, Crawford récupère sa division, et la brigade de ce dernier échoit à Joseph Knipe.

Hood est repoussé

La blessure mortelle de Mansfield n’arrange pas les affaires, déjà mal engagées, de son corps d’armée. Pendant que Williams met de l’ordre dans ses lignes et commence à presser timidement l’ennemi qui lui fait face, un aide de camp, envoyé par le général Gibbon pour réclamer le premier renfort qui passera à sa portée, lui demande de l’aide. Williams lui confie aussitôt la brigade Goodrich, qui part vers la droite. La situation de la brigade Crawford n’est guère brillante. Trois régiments de recrues de Pennsylvanie, les 124ème, 125ème et 128èmeéprouvent les pires difficultés à se mettre en ligne. Le premier perd très vite le contact avec les autres et son chef est blessé. Le 128ème n’arrive pas à se déployer correctement alors qu’il est pris sous le feu de l’ennemi, et perd le colonel Croaksdale, tué d’une balle dans la tête, et le lieutenant-colonel Hammersly, blessé de deux balles dans le bras. Knipe vient à son secours avec son propre régiment, le 46ème Pennsylvanie, et suggère au major Wanner, qui commande désormais le 128ème, de l’accompagner dans la charge qu’il s’apprête à lancer : mieux vaut que les recrues aillent de l’avant, fût-ce en désordre, plutôt que de rester immobiles à se faire tuer.

Les deux régiments s’exécutent, mais le reste de la brigade ne leur fournit guère de soutien et le feu de l’ennemi – le 5ème Texas et ce qui reste des forces de James Walker – est trop intense. Les Pennsylvaniens doivent reculer. Pour ne rien arranger, la brigade G.H. Gordon arrive derrière celle de Crawford, et elle n’est guère moins confuse. Alors qu’il reforme ses rangs, le 46ème a la désagréable surprise de se faire tirer dans le dos par le 27ème Indiana, un des régiments de G.H. Gordon. La méprise est rapidement dissipée mais ajoute à la confusion. Williams préfère alors ramener la brigade Crawford en arrière pour qu’elle se mette en ligne correctement. Il va lui falloir un moment, et beaucoup d’efforts, avant que le XIIème Corps ne soit convenablement déployé et prêt à entrer efficacement dans le combat.

Heureusement pour l’Union, George Meade, de son côté, est parvenu à reprendre ses hommes en main. La brigade de Robert Anderson se regroupe rapidement, et marche à nouveau sur la position tenue par le 1er Texas en approchant par sa gauche. Le régiment sudiste est toujours privé de soutien sur ses deux flancs, et la force nordiste qui l’assaille tient une ligne beaucoup plus longue que la sienne. Tant et si bien que les Texans se trouvent bientôt exposés à un tir croisé qui leur cause des pertes effrayantes, et n’ont plus d’autre choix que de retraiter au pas de course à travers le champ de maïs. Ils y laissent leur drapeau : son porteur est abattu au milieu du champ, où le maïs est encore suffisamment dense pour empêcher les autres survivants de s’en apercevoir. Lorsque les Sudistes se regroupent derrière le couvert précaire fourni par une hauteur immédiatement au sud du champ, le lieutenant-colonel Work n’a plus avec lui que 40 hommes. Ils étaient 226 le matin même. Cela représente un taux de pertes supérieur à 80%. Durant tout le reste de la guerre, aucun autre régiment ne perdra une telle proportion de ses effectifs en un seul engagement.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 7h30 - 8h.

1. L'attaque initiale du XIIème Corps s'effectue dans la confusion, Mansfield est mortellement blessé au bout de quelques minutes.

2. Alors que la brigade Crawford cale sous le feu ennemi, le 124ème Pennsylvanie perd le contact avec elle.

3. Le colonel Knipe parvient à rallier le 128ème Pennsylvanie et à le faire charger avec le 46ème New York, sans succès.

4. Le 27ème Indiana (brigade G.H. Gordon) tire dans le dos du 46ème New York, ajoutant à la confusion.

5. La brigade Robert Anderson se regroupe et attaque le 1er Texas, l'obligeant à s'enfuir.

6. Le reste de la brigade Wofford se replie et se rallie au sud du champ de maïs.

7. Gibbon retire le reste de sa brigade et la batterie Campbell sur le bois Nord.

8. Magilton regroupe ses forces et flanque la brigade Law, obligeant le reste des Confédérés à battre en retraite.

La retraite du 1er Texas entraîne rapidement celle du reste de la brigade Wofford, dont les régiments décrochent les uns après les autres pour se regrouper à l’orée du bois Ouest, juste au nord de l’église Dunker. Enfin soulagé de la pression exercée par les Confédérés, Gibbon fait d’abord replier les canons de la batterie Campbell, dont les pertes ont été à ce point élevées qu’une seule de ses trois sections peut être servie efficacement. Puis, ce qui reste de la brigade Gibbon recule jusqu’au bois Nord, sous la protection des hommes de Patrick – qui, eux, continuent à tenir les abords du bois Ouest. La brigade de Robert Anderson poussera jusqu’au sud du champ de maïs Miller, mais sera ensuite contenue par la Texas Brigade regroupée et ne poussera pas beaucoup plus loin.

Plus à l’est, la brigade Magilton s’est aussi ralliée, grâce au sang froid du 8ème Pennsylvania Reserves qui n’a pas craqué et a gardé sa cohésion. Tandis que Robert Anderson assaille le 1er Texas, Magilton s’abat sur la gauche de la brigade Law et l’oblige à reculer. Par effet d’entraînement, son repli entraîne avec lui la brigade de James Walker, et finalement le 5ème Texas. Alors que Magilton poursuit les Sudistes à travers le bois Est, la division Hood se concentre, dans un relatif bon ordre, à proximité de l’église Dunker. Elle y restera encore un moment, tenant en respect les tirailleurs avancés par la division Meade. Sur les quelques 2.000 soldats que Hood a emmenés au combat à peine une heure auparavant, la moitié d’entre eux git à présent, morts et blessés confondus, dans le champ de maïs et le bois Est. Plus tard dans la journée, lorsque Nathan Evans croisera John Hood sur le champ de bataille et lui demandera où se trouve sa division, le Texan d’adoption (Hood était né au Kentucky) lui répondra laconiquement « sur le terrain, morte ».

D.H. Hill entre dans la danse

À l’approche de 8 heures, le sursis que la division Hood a payé au prix fort est écoulé. Le Ier Corps nordiste est certes en grande partie hors de combat, mais la division Meade est toujours à pied d’œuvre. De surcroît, la situation du XIIème Corps s’améliore de minute en minute. L’attaque de Hood, puis son repli suit en fait un schéma qui deviendra récurrent tout au long de la journée : malgré son succès initial, elle n’apportera aucun avantage décisif faute de soutien. Les deux belligérants souffriront du même problème mais pour l’heure, c’est Jackson qui se retrouve de nouveau en difficulté. Les renforts promis par Lee ne sont pas encore arrivés, et Stonewall n’a plus d’autre choix que de jouer son va-tout : dégarnir le centre de l’armée confédérée, tenu par D.H. Hill, pour en soulager la gauche. Parallèlement, il racle aussi les fonds de tiroir, ordonnant à Early de faire avancer sa brigade et de rameuter ce qui reste de la division Lawton, dont il a désormais la charge, pour la faire remonter en ligne.

Ne laissant à Stuart qu’un seul de ses régiments – le 13ème de Virginie – pour couvrir ses batteries, Early emmène les six autres, dans un premier temps, vers l’arrière, derrière le bois Ouest. De sa division, il ne trouve nulle trace : les survivants sont éparpillés à travers la campagne et ne forment rien qui ressemble à une unité militaire. En revanche, il rejoint les quelques centaines d’hommes de la division J.R. Jones qui ont pu être reformés et que commande désormais le colonel Grigsby. Prenant la tête de cette petite division ad hoc, Jubal Early l’emmène à travers le bois Ouest, d’où elle débouche en arrière et sur la droite de la brigade Patrick, toujours appuyée sur l’affleurement rocheux d’où elle a affronté la brigade Wofford. Prise à revers, sa position n’est plus tenable, et Patrick se replie en bon ordre vers un muret de pierre qui court entre le bois Ouest et la ferme Miller. Early ne cherche pas à les y presser, de sorte que la première préoccupation des soldats nordistes, une fois en position, sera de… faire le café.

Dans l’intervalle, le mouvement d’Early a attiré l’attention de Hooker, qui a fait détacher un des régiments de Robert Anderson, le 10ème Pennsylvania Reserves, pour l’envoyer en flanc-garde sur la droite. L’unité se retrouve bientôt engagée par des tirailleurs confédérés, puis isolée, et l’officier qui la commande est blessé dans l’action. Le capitaine Jonathan Smith, qui lui succède, décide de sa propre initiative de continuer à avancer contre une batterie sudiste qui s’en prend à la brigade Patrick. Repoussant les hommes du 13ème Virginie, les soldats nordistes s’approchent suffisamment pour commencer à abattre les artilleurs confédérés. Ils reçoivent même le soutien inattendu d’une batterie fédérale qui prend les canons ennemis pour cible. Malheureusement, cette intervention se retourne contre eux, car le tir est trop court et les obus tombent dans leurs propres rangs. Smith n’a pas d’autre choix que de faire reculer ses hommes pour éviter qu’ils ne soient massacrés par leur propre artillerie.

D.H. Hill, lui, prépare son entrée en jeu avec trois de ses cinq brigades, les plus avancées. Elles sont commandées par Roswell Ripley, Alfred Colquitt et Duncan McRae, ce dernier ayant remplacé Garland tué à South Mountain. Préservant leur ligne de bataille, les trois unités se décalent vers l’ouest, puis montent à l’assaut. Le général sudiste l’ignore, mais le moment est particulièrement bien choisi : Magilton, en effet, a commencé à reculer, conformément aux instructions de Hooker, pour être relevé par des éléments du XIIème Corps. Son repli ouvre une brèche dans la ligne nordiste, de sorte que Robert Anderson va devoir soutenir seul le choc de l’attaque sudiste. Pendant que Ripley l’assaille de front, Colquitt passe dans le champ de maïs et s’abat sur sa gauche. C’en est trop pour la brigade nordiste, qui se replie en désordre à travers le champ. La brigade Goodrich avance alors pour s’interposer, mais son chef est tué, et les hommes de Robert Anderson en pleine déroute la font paniquer elle aussi. Elle ne sera que partiellement et difficilement ralliée.
 

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 8h - 8h30.
 
1. Laissant un de ses régiments en soutien de batteries, Early va rejoindre les fores de Grigsby.
 
2. Les deux unités combinées attaquent la brigade Patrick.
 
3. Prise à revers, la brigade Patrick se reforme juste au sud de la ferme Miller.
 
4. Envoyé en flanc-garde, le 10ème Pennsylvania Reserves approche d'une batterie avancée sudiste, mais doit se replier à cause de sa propre artillerie.
 
5. Pendant que la division Williams se réorganise, la brigade Magilton se retire en vue d'être relevée par le XIIème Corps.
 
6. Privé de soutien, Robert Anderson est assailli de front et de flanc par les brigades de D.H. Hill.
 
7. Envoyée vers la droite, la brigade Goodrich tente d'intervenir, mais son chef est tué et elle se replie également.
 
8. Le reste de la division Greene se déploie sur la gauche des Nordistes.
 
 

Il est 8 heures 30, et le champ Miller est à nouveau sous contrôle sudiste. Toutefois, Hooker, qui est l’officier nordiste le plus élevé en grade à être toujours en vie dans ce secteur du champ de bataille, a encore des cartes dans sa manche. Ce sont à présent quatre batteries avancées qui sont déployées au nord du champ. En dépit de la déroute prématurée de la brigade Goodrich, le XIIème Corps est à présent convenablement déployé, et ses unités les moins sûres ont été laissées en soutien de batteries, en arrière. La division Williams s’est décalée vers la droite, la brigade Crawford ayant sa droite ancrée sur la route à péage de Hagerstown, et celle de G.H. Gordon prolongeant la ligne jusqu’à celle de Smoketown. La division Greene a pris sa place face au bois Est, avec les brigades Tyndale à droite et Stainrook à gauche. D’autres soutiens sont attendus : deux des trois divisions du puissant IIème Corps sont en train de traverser l’Antietam au pont supérieur.

Le XIIème Corps se reprend

Les troupes sudistes ne sont pas dans une situation idéale pour soutenir cette nouvelle contre-attaque. Quelques minutes plus tôt, Roswell Ripley a reçu une balle dans le cou, et ne doit qu’à la chance d’avoir la vie sauve : le projectile a été amorti par son nœud de cravate. Bien qu’évacué, il reprendra le commandement de sa brigade au bout d’une heure et demie, après s’être fait soigner. Mais pour l’heure, son absence entraîne l’arrêt de sa brigade, qui laisse ainsi celle de Colquitt sans soutien sur sa gauche. La situation de McRae est moins enviable encore. Ses hommes, qui ont été durement éprouvés à South Mountain et y ont subi de grosses pertes, sont inquiets et leur moral est vacillant. Le terrain sur lequel ils se trouvent n’arrange pas les choses : le bois Est, avec ses épais fourrés et les affleurements rocheux typiques de la région, désorganise encore un peu plus une brigade dont la cohésion est déjà incertaine.

Rumeurs et contrordres imaginaires se répandent dans les rangs avec une rapidité déconcertante. Le capitaine Thomas Garrett, du 5ème régiment de Caroline du Nord, décrira ainsi l’atmosphère qui règne alors au sein de la brigade : « Un état de confusion difficile à décrire s’ensuivit. Différents ordres contradictoires (ou plutôt des suggestions prenant cette forme, peut-être) se diffusèrent le long de la ligne, les hommes du rang étant laissés libres de les relayer par leurs officiers, de sorte qu’il devint complètement impossible de discerner lesquels émanaient de la bonne autorité. » Les marches et contremarches qui en résultent, alors que le couvert végétal empêche les différents éléments de la brigade de se voir entre eux, ralentissent sensiblement les hommes de McRae. Ceux-ci se retrouvent du coup très en arrière par rapport à Colquitt, et celui-ci n’est donc pas non plus couvert sur sa droite.

Par conséquent, lorsque les Nordistes passent de nouveau à l’attaque, Colquitt et ses hommes doivent soutenir tout le poids de la division Williams. Le premier échappe miraculeusement aux balles, mais tous les officiers supérieurs de sa brigade sont tués ou blessés. Ses cinq régiments termineront la bataille avec des capitaines ou des lieutenants à leur tête. La brigade McRae tente d’avancer pour le soutenir, et ne tarde pas à entrer en contact avec les hommes de Greene, qui ont déjà pénétré dans le bois Est. Une fusillade éclate, mais le bruit se répand dans les lignes sudistes qu’il s’agit de la brigade Ripley – qui se trouve en réalité beaucoup plus à gauche et en avant – et les soldats confédérés cessent de tirer. Mal leur en prend, car leur silence permet aux Fédéraux de les flanquer sans opposition.

Lorsque les hommes de McRae le réalisent, c’est la panique. Certains officiers sont aussi nerveux que leurs soldats, ce qui aggrave encore le problème. Thomas Garrett : « À ce moment, et pendant que je dirigeais ce mouvement, le capitaine Thomson, compagnie G, vint à moi, et d’une manière et sur un ton très excités me cria "Ils nous flanquent ! Regardez, il doit y avoir une brigade entière !" Je lui ordonnai de garder le silence et de regagner sa place. Les hommes, jusque-là, étaient loin d’être calmes, mais quand cette indiscrétion eut lieu une panique se déclencha, et malgré les efforts des serre-files et des officiers, ils commencèrent à craquer et à s’enfuir. » La brigade s’écroule. McRae tente d’organiser une résistance à la lisière sud du bois. Il est blessé – atteint superficiellement au front – mais, bien qu’il refuse de se faire soigner, ses efforts sont vains et il ne peut tenir ses hommes plus longtemps. Ceux-ci ne s’arrêteront pas avant d’avoir atteint les premières maisons de Sharpsburg, où ils seront « cueillis » plus tard dans la journée, et ralliés en petits groupes ad hoc.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 8h30 - 8h45.

1. La division Williams se redéploie au nord du champ de maïs.

2. La division Greene marche sur le bois Est.

3. Ripley blessé, sa brigade est à l'arrêt.

4. Ralentie par des ordres contradictoires, la brigade McRae est isolée dans le bois Est.

5. La division Williams attaque la brigade Colquitt qui résiste.

6. La brigade McRae tente d'avancer mais elle est interceptée par Stainrook, flanquée et mise en fuite.

7. Colquitt est finalement flanqué par Tyndale et déroute après un bref corps-à-corps.

En dépit de l’absence de tout soutien et des pertes considérables qu’elle subit, la brigade Colquitt continue à résister. Les hommes de G.H. Gordon ont même dû suspendre momentanément leur feu, au début de l’engagement, pour attendre que les rescapés de la brigade de Robert Anderson se mettent à l’abri, et ont subi des pertes sans pouvoir riposter. C’est finalement une charge de Tyndale contre la droite de Colquitt qui emporte la décision. Le bref corps-à-corps qui s’ensuit ajoute à la violence du baptême du feu pour les soldats du XIIème Corps, dont certains ne sont même pas encore complètement équipés. Le major John Collins, du 5ème Ohio, rapporte ainsi : « […] au milieu du maïs, notre régiment engagea un régiment de Géorgie dans un combat au corps à corps, usant de la crosse des fusils, une partie des hommes n’ayant pas de baïonnettes. » Le repli de Colquitt entraîne avec lui la brigade Ripley avant qu’elle puisse se ressaisir, alors que G.H. Gordon et ses hommes poursuivent les Confédérés à travers le champ de maïs, au pas de charge et baïonnette au canon. Colquitt parviendra à regrouper ses hommes en partie et rejoindra rapidement D.H. Hill. Quant à Ripley, il ralliera une fraction de sa brigade en revenant de l’ambulance où il s’est fait soigner.

Nouveau commandant

Joe Hooker accompagne au plus près la nouvelle avancée nordiste à travers le champ Miller. Depuis le début de la bataille, les Fédéraux ne sont jamais allés aussi loin au sud, et leur général voudrait bien exploiter leur élan victorieux. Toutefois, il ignore le déploiement des forces ennemies face à la division Williams. Il se dirige alors vers le secteur tenu par un des régiments de recrues de la brigade Crawford, le 125ème Pennsylvanie du colonel Jacob Higgins, auquel il demande s’il y a des troupes quelconques dans le bois qui leur fait face – en l’occurrence, la portion la plus orientale du bois Ouest. Il y en a effectivement : les restes de la division Hood y sont toujours positionnés. Dans son rapport sur la bataille, Higgins situe alors un incident en apparence anodin : « Pendant qu’il me parlait, son cheval fut blessé par quelque tireur d’élite ennemi. Je lui fis remarquer que son cheval avait été blessé. Il répondit, "Je le vois", fit demi-tour et s’en alla. »

Ce que Hooker n’a, en revanche, pas remarqué, c’est que la même balle – ou peut-être une autre – l’a également blessé lui, au pied. Il continue à chevaucher pendant plusieurs minutes, s’informant sur la situation et donnant ses ordres, puis finit par s’effondrer : il perd du sang, et l’hémorragie l’a affaibli. Le commandant du Ier Corps doit être évacué. Sa blessure s’avérera finalement sans conséquences graves, mais elle prive l’aile droite nordiste de son coordinateur à un moment crucial. Après une courte pause, le XIIème Corps reprend néanmoins sa marche en avant. La division Williams disperse les derniers restes des brigades Colquitt et Ripley qui se trouvent encore devant elle, puis se rapproche de la division Hood. Celle-ci est trop affaiblie pour soutenir une nouvelle attaque, aussi Lee préfère-t-il temporiser en sachant que McLaws et R.H. Anderson ne sont plus qu’à quelques minutes de marche de la zone des combats. Plutôt que de laisser Hood exposé sans soutien, il le fait reculer de quelques centaines de mètres.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 8h45 - 9h15.

1. Menacé par la progression du XIIème Corps, Hood est replié hors du bois Ouest.

2. Sumner fait reculer la division Williams jusqu'au bois Est, pour laisser la place à la division Sedgwick.

3. Le 125ème Pennsylvanie du colonel Higgins poursuit sur sa lancée et entre dans le bois Ouest, désormais vide.

4. La division Sedgwick approche en direction de l'ouest, avec pour objectif de tourner l'aile gauche confédérée.

5. Sumner envoie des renforts à Higgins et déploie des éléments de la brigade Goodrich dans le bois Ouest pour couvrir les flancs de Sedgwick.

6. Confronté à l'avancée simultanée de la brigade Goodrich au nord et de la division Sedgwick à l'est, Early manoeuvre pour y faire face, puis se replie en deux temps sur la ferme A. Poffenberger.

Il ne sera pas poursuivi très longtemps. Juste avant 9 heures, Crawford – qui commande, rappelons-le, la division Williams – reçoit l’ordre de se replier jusqu’à la lisière occidentale du bois Est. Cette instruction émane vraisemblablement d’Edwin Sumner, dont le IIème Corps est en train d’arriver. Croisant un Hooker à demi inconscient en train d’être transporté sur une civière, Sumner prend la direction des opérations. Les renseignements que lui fournissent les officiers du XIIème Corps indiquent que le bois Ouest est pratiquement vide de troupes. Une exploitation vigoureuse de la situation lui permettrait de s’en emparer, puis de pousser vers la colline où Stuart a déployé son artillerie. Une fois celle-ci sous contrôle nordiste, toute la gauche confédérée pourrait être tournée. D’où l’ordre de faire relever la division Williams par celle, fraîche, de Sedgwick. Afin de sécuriser le flanc droit de ce mouvement, deux régiments de la brigade Goodrich ayant pu être ralliés sont avancés vers la partie septentrionale du bois Ouest.

Toutefois, le repli de la division Williams ne se déroule pas entièrement comme prévu. Ses deux brigades ne sont pas inquiétées par l’ennemi, mais le 125ème Pennsylvanie, pour sa part, prend position dans le bois Ouest, à proximité immédiate de l’église Dunker. Assez symétrique à l’avancée de la brigade Goodrich, ce mouvement laisse à penser qu’il s’agit là d’une décision délibérée de Sumner afin de sécuriser la gauche de l’attaque à venir. Toutefois, dans son rapport sur la bataille, le colonel Knipe suggère plutôt que le 125ème n’a pas reçu l’ordre de se replier et a simplement poursuivi sur sa lancée jusqu’à ce que son chef réalise sa position isolée. Le colonel Higgins, lui, reste muet sur ce point. Le fait qu’il ait été renforcé, par un autre régiment de la brigade Crawford (le 124ème Pennsylvanie) et par la légion Purnell (un élément de la brigade Goodrich) est plutôt de nature à faire incliner vers la première hypothèse, en suggérant que Sumner a estimé que le seul 125ème était insuffisant pour cette tâche. Le propre rapport de Sumner n’est quant à lui pas assez détaillé pour permettre de trancher la question.


Un peu plus à gauche du dispositif nordiste, la division Greene, elle, va rester en place. Dépassant la lisière méridionale du bois Est, elle s’est emparée de la ferme Mumma, que les Sudistes ont incendiée plus tôt dans la matinée, pour éviter qu’elle ne serve de repaire aux tireurs d’élite fédéraux. Continuant sa progression, Greene a atteint une éminence située juste à l’est de l’église Dunker. Cette position constitue un excellent emplacement pour de l’artillerie et Greene a donc reçu l’ordre de le tenir. Une batterie lui est envoyée mais malheureusement pour les Nordistes, ses caissons à munitions sont presque vides et il faut en envoyer une autre la relever. Pendant ce temps, les canons sudistes ont commencé à prendre pour cible les fantassins fédéraux. Greene les fait alors reculer de quelques dizaines de mètres afin qu’ils bénéficient du couvert fourni par la ligne de crête, et dispose ses deux brigades en chevron pour éviter qu’elles ne soient prises en enfilade.

Manœuvres dans le bois Ouest

Alors que la division Williams recule, la division de tête du IIème Corps fait son apparition sur le champ de bataille. Les trois brigades de Sedgwick, commandées respectivement par Willis Gorman, Napoleon Dana et Oliver Howard (qui revient de convalescence après la perte de son bras droit à Seven Pines), passent derrière la division Greene et marchent droit vers l’ouest. Elles forment trois lignes de bataille successives séparées par des intervalles de 50 mètres environ. En dépit des obstacles en tous genres – barrières, rochers, déclivités, et même une portion du bois Est – qu’elle traverse, la division Sedgwick avance au pas de course, ce qui finit par affecter la qualité de son déploiement et par distendre les intervalles. À 9 heures, la seule force d’infanterie sudiste qui s’interpose entre elle et l’artillerie de Stuart est celle que Jubal Early a amalgamé à sa brigade.

Dans un premier temps, le général confédéré découvre, de sa position bien dissimulée dans le bois Ouest, les 60ème et 78ème New York en approche. C’est en replaçant ses troupes pour y faire face qu’il découvre la division Sedgwick en train de marcher droit sur lui en menaçant son flanc. Laissant Grigsby tenir le front, il déplace sa brigade de manière à couvrir sa droite, puis recule légèrement. Early réclame des renforts : Lee lui fait dire que l’arrivée de McLaws et R.H. Anderson est à présent imminente. Parallèlement, le chef de l’armée de Virginie septentrionale, constatant que la pression sur son aile droite n’est pas encore forte, décide d’y prélever une autre unité, en comptant sur l’immobilisme habituel de son adversaire. Ce sera la division J.G. Walker, forte de deux brigades. Mais pour l’instant, Early ne peut encore compter que sur lui-même. Il recule à nouveau jusqu’à la limite occidentale du bois Ouest, de manière à se trouver à portée immédiate du soutien de l’artillerie déployée juste en arrière.

Bataille d'Antietam (17 septembre 1862), 9h15 - 9h30.

1. La brigade Gorman débouche du bois Ouest et affronte l'artillerie de Stuart et ses soutiens ainsi que les hommes de Grigsby.

2. Early manoeuvre pour flanquer le 34ème New York.

3. Désorganisée par l'attaque d'Early, la gauche de Gorman stoppe et le 59ème New York vient tirer dans son dos, accroissant la confusion.

4. La brigade G.T. Anderson arrive au son du canon et attaque le 125ème Pennsylvanie près de l'église Dunker.

Ses hommes prennent appui sur les bâtiments et les clôtures de la ferme A. Poffenberger – un patronyme courant, dans cette région peuplée majoritairement, comme la Pennsylvanie voisine, de colons d’ascendance allemande ou néerlandaise. Grigsby fait face au nord-est, Early à l’est. La masse bleue finit par s’engouffrer dans le bois Ouest. Lorsque Gorman en sort quelques minutes plus tard, il est immédiatement pris à partie, face à lui par l’artillerie sudiste, sur sa droite par les tirailleurs du 13ème Virginie, auxquels se sont joints quelques cavaliers de la brigade de Fitzhugh Lee, et sur sa gauche par les hommes de Grigsby. Ces derniers opposant la plus forte résistance, la progression nordiste s’infléchit légèrement vers la gauche. Par effet d’entraînement, puisque la gauche de Gorman « cale », celle de deux autres brigades nordistes bute sur elle, entraînant une certaine confusion. D’autant plus que Jubal Early n’est pas resté inactif : pendant que les soldats de Grigsby servent d’enclume, il fait manœuvrer sa propre brigade comme un marteau pour flanquer la gauche de la progression nordiste.

La manœuvre s’avère payante. Le 34ème New York, assailli, se retrouve vite à l’arrêt et isolé du reste de la brigade Gorman. Un autre régiment de cette dernière, le 15ème Massachusetts, a la désagréable surprise de se faire tirer dans le dos par le 59ème New York, de la brigade Dana, qui ouvre le feu sur l’ennemi à travers ses propres rangs. Edwin Sumner, qui chevauche en position très avancée, doit intervenir en personne pour rétablir l’ordre. En quelques minutes, la belle avance des Nordistes tourne au cauchemar, et la division Sedgwick est embouteillée dans le bois Ouest. C’est à cet instant critique que les réserves sudistes entrent en jeu. George T. Anderson est le premier arrivé. Ne trouvant personne pour le guider, il s’oriente au bruit de la fusillade. Sa brigade finit par atteindre les abords de l’église Dunker, où elle prend à partie le 125ème Pennsylvanie. Ce dernier se trouve bientôt en difficulté, et le colonel Higgins, en désespoir de cause, cède son cheval – le dernier encore indemne du régiment – à une estafette pour qu’elle puisse aller chercher du renfort.
 

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