La bataille d'Isandlwana (Afrique du Sud, 22 janvier 1879)

Les grandes batailles de l'histoire | Fin du XIXème siècle

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Des renforts sont donc envoyés en masse en Afrique du Sud. Vient alors le temps de la recherche des responsabilités. Chelmsford est assez rapidement pointé du doigt, mais il dispose de suffisamment d'appuis bien placés pour dévier le gros des critiques sur Pulleine et Durnford, deux boucs émissaires commodes puisqu'ils sont morts et ne peuvent se défendre. Après quelques hésitations, Garnet Wolseley est finalement envoyé en Afrique du Sud pour remplacer Chelmsford. Cet officier s'est rendu populaire pour sa victoire éclair sur les Ashantis de la Côte de l'Or – l'actuel Ghana – en 1874. Toutefois, il n'arrivera pas au Cap avant le mois de juin. Paradoxalement, la victoire des Zoulous plonge leur royaume dans le conflit majeur que Cetshwayo espérait éviter. L'ampleur de la défaite britannique à Isandlwana en fait certes un triomphe zoulou, mais elle est également trop grande pour ne pas appeler une contre-offensive d'envergure plus grande encore. Le roi rappelle son impi, qui rentre à Ulundi sans pousser son avantage. Ce faisant, elle manque l'occasion d'écraser totalement la colonne Chelmsford, amoindrie, et qui a perdu la majeure partie de ses approvisionnements à Isandlwana.

Ce fait tendrait à corroborer les affirmations de Cetshwayo sur son désir de maintenir le conflit dans un cadre limité, et d'éviter son extension au Natal voisin. Dans le même ordre d'idées, le retrait des forces qui assaillaient Rorke's Drift, alors que le poste semblait en mesure d'être pris, laisse à penser que Ntshingwayo a alors repris le contrôle des régiments de sa « croupe » et les a ramenés en territoire zoulou. Il y a toutefois un autre facteur à prendre compte : les Zoulous ont subi des pertes terribles. On estime généralement qu'Isandlwana leur a coûté près de 1.000 tués et peut-être le double de blessés. Parmi ces derniers, beaucoup, sans doute, sont atteints d'infections contre lesquelles la médecine traditionnelle zouloue ne peut pas grand-chose, et mourront de leurs blessures. Si l'on y ajoute les morts de Rorke's Drift et une proportion similaire de blessés, on peut en déduire que les pertes zouloues avoisinent les 4.000 hommes – environ 20% de l'effectif avant la bataille. Si l'on veut bien se souvenir que chaque ibutho comprend une classe d'âge entière de la population mâle du royaume, on comprendra aisément quelle saignée a pu représenter la bataille d'Isandlwana, même victorieuse, pour les Zoulous. Qu'elle ait eu ou non l'ordre de poursuivre l'offensive et d'entrer au Natal, l'impi commandée par Ntshingwayo était probablement trop affaiblie pour faire autre chose que regagner sa base.

Isandlwana et Rorke's Drift, 22-23 janvier 1879. Légende :

A- Camp britannique à Isandlwana.

B- Fugitive's Drift.

C- Les lieutenants Melville et Coghill sont tués à cet endroit.

D- Le drapeau perdu par Melville est retrouvé à cet endroit.

E- Après avoir franchi la Buffalo, la réserve zouloue attaque Rorke's Drift.


Dans les mois qui suivent Isandlwana, en Grande-Bretagne, on n'est pas de cet avis. Pour les journaux comme pour le public, la résistance de Rorke's Drift a empêché les hordes zouloues de déferler sur le Natal. Nationalisme oblige, la défaite des forces armées de la figure de proue du monde industriel par des guerriers en pagne, armés seulement de lances et de boucliers, et noirs de surcroît, ne saurait être attribuée à une quelconque défaillance de caractère du soldat britannique. La presse abreuve donc de récits d'héroïsme un lectorat qui ne demande qu'à être rassuré sur la supériorité morale intrinsèque de la nation dont il fait partie. Les autorités militaires profitent de cette aubaine pour faire passer le désastre d'Isandlwana au second plan, et y vont de leur couplet. Onze des défenseurs de Rorke's Drift, choisis principalement parmi les hommes ayant combattu dans l'hôpital, se voient ainsi attribuer la plus haute décoration militaire britannique, la Victoria Cross. La presse monte aussi en épingle deux lieutenants tués à Isandlwana, Melville et Coghill, pour leur tentative de mettre à l'abri un des drapeaux du 24ème régiment à pied. En réalité, Melville a perdu le drapeau en traversant la Buffalo – il sera retrouvé sur ses rives quelques semaines plus tard – avant d'être secouru par Coghill ; les deux hommes ont ensuite été rattrapés et tués. Malgré tout, le mythe les entourant deviendra si fort qu'ils recevront la Victoria Cross en 1903, lorsqu'il sera devenu possible de la décerner à titre posthume. Garnet Wolseley lui-même n'était pas dupe de la dimension très politique de ces décorations et les critiquera ouvertement, les premières dans la mesure où les défenseurs de l'hôpital de Rorke's Drift ont été forcés à l'héroïsme parce que c'était la seule façon de sauver leur vie, et les secondes parce qu'il trouvait douteux de louer des officiers ayant tenté de s'échapper à cheval alors que leurs hommes à pied se faisaient massacrer. 

La guerre se poursuit

Fin janvier 1879, les préoccupations de Chelmsford sont à cent lieues des médailles éventuelles que pourraient recevoir ses soldats. Sa seule satisfaction provient de la colonne n°1 : le jour même de la bataille d'Isandlwana, ses éléments avancés ont repoussé, près de la rivière Inyezane, une force de 5 à 6.000 Zoulous qui tentait de lui barrer la route. Les pertes britanniques ont été minimes, tandis que les Zoulous ont laissé 350 morts sur le terrain – le feu de la mitrailleuse Gatling a été particulièrement meurtrier. Le lendemain, l'avant-garde de la colonne atteint une mission abandonnée à Eshowe. Pearson ne tarde pas à y recevoir un message de Chelmsford annonçant le désastre d'Isandlwana et lui ordonnant de se mettre sur la défensive. Plutôt que de risquer une embuscade en se repliant jusqu'au Natal, le chef de la colonne n°1 décide de résister sur place. Début février, il se retrouve isolé à Eshowe avec 1.700 hommes, et soumis à un siège distant. Les Zoulous, sans doute échaudés par leurs pertes précédentes, ne lancent aucune attaque d'envergure, mais attendent que la faim et les maladies fassent leur œuvre. De fait, Pearson n'a de provisions que pour tenir jusqu'au mois d'avril. Parallèlement, les colonnes n°4 et 5 reçoivent elles aussi l'ordre d'interrompre leurs opérations offensives. Moins d'un moins après son déclenchement, l'invasion britannique du Zoulouland est au point mort, et tout ou presque est à refaire.

Le mois de février ne voit aucune opération majeure : les Zoulous reprennent leur souffle tandis que Chelmsford renforce et réorganise son armée, dans l'optique de délivrer la colonne n°1 à Eshowe. Le 12 mars, les Britanniques reçoivent un nouveau camouflet, cette fois à la frontière entre le Zoulouland et le Transvaal : un convoi de ravitaillement bloqué par la rivière Intombe en crue est surpris et anéanti par les Zoulous, trois hommes seulement parvenant à s'échapper sur l'autre rive sur les 86 qui le défendaient. À la tête de la colonne n°4, le colonel Wood réagit en lançant des raids de représailles depuis le laager solidement fortifié qu'il a établi à Kambula. Il cherche également à affaiblir les Zoulous de la région en profitant de leur relative indépendance vis-à-vis de Cetshwayo. S'appuyant sur un beau-frère du roi, Hamu, il parvient à obtenir le ralliement de plusieurs centaines de Zoulous, qui viennent se placer sous la protection des Britanniques. Début mars, l'armée de secours qu'organise Chelmsford est prête à marcher sur Eshowe, et le général ordonne à Wood de passer à l'offensive pour drainer vers le nord autant de guerriers zoulous que possible. Parallèlement, Wood est averti par des sympathisants d'Hamu que Cetshwayo a envoyé contre lui le gros de ses troupes – dix amabutho dont neuf étaient présents à Isandlwana et Rorke's Drift – commandé par Ntshingwayo en personne. Il décide donc de prendre les devants en attaquant la position que les forces locales zouloues occupent sur la montagne de Hlobane, dans l'espoir d'obliger ensuite l'impi zouloue à venir se casser les dents sur Kambula.

Il y parvient, mais cette réussite lui coûte cher. Alors qu'il mène moins de 700 hommes dans un mouvement d'encerclement contre Hlobane, le 28 mars, Wood a la désagréable surprise de voir l'armée de Ntshingwayo arriver au secours des défenseurs, retranchés dans des grottes. La retraite qu'il ordonne tourne vite à la fuite, et 225 réguliers britanniques, soldats coloniaux, supplétifs indigènes et Zoulous ralliés sont massacrés. Renforcée par les tribus locales, l'impi zouloue, désormais forte de 20.000 guerriers, marche le lendemain sur Kambula. La stratégie zouloue, dictée par Cetshwayo lui-même, consiste à s'interposer entre Kambula et la base arrière des Britanniques à Utrecht, de manière à obliger Wood à quitter les retranchements de son laager et à l'écraser en rase campagne. L'officier britannique, qui n'a que 2.000 hommes avec lui et craint justement une attaque contre Utrecht, lance une sortie destinée à attirer les Zoulous contre ses fortifications. Le régiment inGobamakhosi se laisse prendre au piège et attaque, entraînant le reste de l'impi à sa suite. Les Zoulous réussissent à s'emparer de l'enclos à bestiaux du camp, mais l'infanterie et l'artillerie britanniques leur causent de lourdes pertes, et ils ne parviennent pas à prendre pied à l'intérieur du laager. Une contre-attaque de Wood reprend le terrain perdu, après quoi une sortie de la cavalerie britannique transforme la retraite zouloue en débâcle. Près de 800 guerriers sont tués à Kambula et plusieurs centaines d'autres durant la poursuite, sans compter les blessés zoulous abandonnés et achevés par les Britanniques durant les ratissages qui s'ensuivent. Par comparaison, les défenseurs n'ont eu que 29 morts et 54 blessés. Hlobane et Kambula rejouent les scènes d'horreur d'Isandlwana et Rorke's Drift, mais cette fois les Britanniques ont remporté une victoire majeure. Assortie à leurs pertes, la défaite des Zoulous brisent le moral de leur impi, qui se retire, meurtrie, vers Ulundi.

Le 13 mars, l'armée chargée de secourir Eshowe, commandée par Chelmsford en personne, se met en route. C'est une force imposante : elle comprend 2.600 fantassins réguliers britanniques, 2.000 hommes du NNC, environ 400 cavaliers coloniaux et africains, 600 matelots et fusiliers marins débarqués de leurs navires (une pratique courante dans les conflits coloniaux), sans compter les artilleurs – servant deux canons, quatre lance-fusées et deux mitrailleuses. Il lui faut plusieurs jours pour franchir la Tugela en crue mais le 29 mars, elle entame sa marche vers Eshowe. Cette fois, Chelmsford ne tient pas à renouveler son erreur d'Isandlwana et applique à la lettre ses propres recommandations, faisant établir un solide laager à chaque bivouac. Cetshwayo a envoyé les amabutho qui ne sont pas partis vers Kambula lui barrer la route. Le 2 avril, à Gingindlovu, les Zoulous assaillent la colonne à l'heure où elle devrait lever le camp mais, par chance, Chelmsford a décidé de ne pas avancer ce jour-là. Les 11.000 assaillants se brisent sur le rempart de chariots, le feu de leurs ennemis ne leur permettant même pas de l'atteindre. En à peine plus d'une heure, un millier de Zoulous sont tués dans de vaines attaques, et la sortie que Chelmsford lance au moment opportun – avec, de nouveau, l'absence de pitié envers les blessés. Les Britanniques, eux, n'ont eu que 11 tués et 62 blessés. La colonne rejoint les forces de Pearson le lendemain et le 6 avril, ils évacuent Eshowe pour se replier au Natal.

Les Zoulous sont alors trop affaiblis pour lancer de nouvelles attaques et se mettent sur la défensive. Cetshwayo multiplie les propositions de paix à Chelmsford, mais celui-ci les rejette. Le général est bien décidé à restaurer intégralement sa réputation, mise à mal par les revers ayant marqué le début de sa campagne, en remportant une victoire décisive avant que Wolseley n'arrive pour le remplacer. Il fait donc accélérer les préparatifs pour une offensive renouvelée, en dépit des protestations de John Colenso, l'évêque anglican du Natal, qui a pris fait et cause pour les Zoulous.

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