Savinien de Cyrano de Bergerac, sa véritable biographie

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Cyrano de Bergerac, le héros de théâtre a réellement existé, mais le personnage imaginaire est plus vivant et plus crédible dans l’esprit du public que l’homme original. Bien loin du personnage dépeint par Edmond Rostand dans sa célèbre pièce, le véritable Savinien de Cyrano de Bergerac était écrivain, frondeur et libertin. Parisien et non d'origine gasconne, passionné de sciences et de philosophie, il a été l'auteur de plusieurs pièces de théâtre et d'un roman d'anticipation, Histoire comique contenant les États et Empires de la Lune (1657). Dans ce dernier, il décrit de futures inventions comme le phonographe ou la fusée à étage.

Qui est le véritable Cyrano de Bergerac ?

Savinien de Cyrano de Bergerac et de Manières est né à Paris dans le 2è arrondissement (quartier actuel des Halles) en mars 1619. « De Bergerac » et « De Manières » proviennent de fiefs que la famille détenait en vallée de Chevreuse. Savinien a quatre frères et une sœur. Son grand père était marchand vendeur de poissons de mer pour le Roi. Son père Abel de Cyrano était écuyer en 1636. Savinien passe une enfance à la campagne et gardera le nom de Bergerac afin d’entrer plus facilement dans les Cadets de Gascogne.

En 1631, Savinien revient à Paris pour faire ses études au Collège de Clermont. Ne poursuivant pas dans l’enseignement supérieur, il s’engage comme fantassin chez les Cadets de Gascogne, sous Louis XIII. Attitude curieuse puisque c’est à l’opposé de son caractère : peut-être n’avait-il plus de vivres ? peut-être avait-il eut des démêlés avec la justice ? Bien qu’il soit adroit tireur, ses blessures de guerre sont nombreuses (coups de mousquet, coups d’épée). Il participe à la Fronde, d’abord contre les Bourbons, puis il soutient le cardinal Mazarin même si Savinien est rétif à toute autorité. Tous deux sortis de chez les Jésuites, le cardinal reconnait en Savinien un esprit original. Soldat lors de la guerre de Trente Ans contre les Espagnols, il sert ensuite le roi de France Louis XIV.

De retour des armées en 1641, il ne cherche pas à obtenir une charge, il loge chez son père et redevient étudiant au Collège de Lisieux ; il suit des cours de danse et est inscrit chez un maître d’armes pour deux ans, dont les frais sont payés par son père.

Une vie privée peu renseignée

Sa vie privée et ses amours sont pratiquement inconnues : il s’abreuve de nourritures spirituelles plutôt que terrestres, buvant de l’eau, fréquentant non pas les tavernes mais les librairies, y dépensant son peu d’argent, plutôt qu’en beaux habits (peu coquet, pas de perruques, cheveux longs). Son ami d’enfance Henri Le Bret ne donne pas de détails sur son physique, nous n’en saurons donc pas plus sur son « nez ». Quelques gravures montrent un appendice sans être extravagant, quelques balafres et un visage de caractère.

A cette période, il fait la connaissance de Gassendi (sciences), Chapelle (littérature) et Campanella (philosophe). C’est un assemblage curieux d’amis, attirés les uns par les autres, pourtant Savinien n’a rien d’efféminé, c’est un solide gaillard, dur à cuire, mais avec une grande sensibilité à fleur de peau ; amoureux souvent blessé, passionné, jamais marié et n’ayant pas d’enfants. En 1648, ses parents n’étant plus de ce monde, il reçoit un petit pécule lui permettant de terminer sa tragédie « la mort d’Agrippine ».

En 1649, il écrit des « mazarinades », puis fait paraître une lettre contre les Frondeurs ; il s’installe rive gauche de Paris et se consacre uniquement à l’écriture, aux promenades dans les parcs, ce qu’il raconte dans ses lettres « contre l’Hiver » ou « de l’aqueduc ou la fontaine d’Arcueil ». L’argent se faisant rare, il ne mange pas toujours à sa faim et finit par accepter d’avoir un riche protecteur en la personne du duc d’Arpajon, Pair du royaume, lieutenant général des armées royales. Logeant dans le palais ducal, le gîte et le couvert lui sont assurés. Le duc fait publier à ses frais la « Mort d’Agrippine », mais Savinien est congédié à cause du ton libertin qu’il emploie dans sa tragédie.

En 1654, peu de temps avant sa fin, Savinien confesse sa lassitude de croiser le fer, préférant les joutes oratoires du Quartier Latin. Il subit un accident qui lui sera fatal. Une dangereuse blessure à la tête le laisse alité de longs mois avec une forte fièvre, chez son cousin Pierre II de Cyrano où il meurt en juillet 1655. Son ami Le Bret parle d'un morceau de bois reçu sur la tête : attentat ? crime ? tout est possible, puisqu’à l’hôtel d’Arpajon, des faits étranges étaient survenus (incendie et attaque de carrosse). Aucune enquête n’est réalisée, aucun écrit officiel n’est publié, il n’existe que le témoignage du curé «  décédé en bon chrétien ». Sa mort est une énigme non élucidée.

Le caractère de Cyrano de Bergerac

D’après son ami d’enfance, Savinien avait « la langue bien pendue » mais pourvu d’une passion pour l’étude, la lecture, l’écriture et la liberté de penser. Récalcitrant à la discipline, il fait l’école buissonnière, se promenant en forêt, écoutant le chant des oiseaux et les divers bruits, se baignant dans les étangs comme il le racontera dans ses romans. Amoureux, philosophe épicurien, fin lettré, érudit en sciences et en lettres, inventeur de la littérature de science-fiction, original, incompris dans son époque, il a une grande soif de liberté, refusant l’ordre établi et exprimant sa révolte avec de l’humour.

Croyant « obligé » avec des idées rebelles, tout en étant plutôt sceptique en matière de religion, on retrouve souvent son hostilité au patriarcat, au chef de famille comme dans sa comédie « le Pédant joué ». Avançant dans l’âge, il défend avec hargne les textes grecs et latins ne tolérant aucunes plaisanteries à ce sujet. Il a des connaissances et des aptitudes dans tous les domaines.

Ses écrits et sa légende

Nombres de personnalités sont favorables à Cyrano « il est terriblement écrivain » avec ses lettres privées ou publiées, des textes commandés, des romans d’anticipation. Et bien qu’il existe les « œuvres libertines de Cyrano de Bergerac » publiées au début du XX è siècle, son œuvre ne contient que fort peu de textes grivois ou érotiques.

Suite à ses promenades, Savinien a écrit deux romans « les Etats et Empires de la Lune » et « les Etats et Empires du Soleil ». Ce sont des ouvrages prisés des universitaires, racontant les mystères de la condition humaine sur d’autres planètes, s’insurgeant contre les idées reçues ici-bas, imaginant la vie extraterrestre comme une évidence naturelle, un beau mélange où les arbres et les animaux raisonnent, la nature étant mère nourricière comme l’écrivait déjà Montaigne quelques décennies plus tôt. Ces deux textes vont vraiment inspirer Hergé, Jules Verne, Orson Welles.

Savinien est également auteur d’une tragédie « la mort d’Agrippine », écrite en 1647-1648, jouée une seule fois quelques années plus tard, portant sur la triple histoire d’amour : un chef d’œuvre de la langue classique. Enfin sa comédie « le Pédant joué », écrite en 1645-1646, jouée en 1654, sans succès, est basée sur un fait réel passé au Collège de Beauvais dont le personnage principal est le directeur de l’école. La comédie n’a pas pu être imprimée pour cause « d’irrévérence religieuse », Cyrano se moquant de la messe catholique. Savinien est mort, Cyrano nait.

Cyrano de Bergerac nait grâce à Edmond Rostand. La première représentation a lieu en décembre 1897 : quarante rappels, une heure d’applaudissements, des cris de joie et les spectateurs qui refusent de quitter la salle. Une vraie réussite. Depuis, une multitude d’acteurs veut jouer le rôle de Cyrano, malgré des erreurs de date ou de situation et malgré les critiques parues dans les journaux comme le « Mercure de France » estimant que cette comédie est « l’art de mal écrire »…

Pour aller plus loin

Cyrano de Paris. Le mystère Bergerac, de Yonnick Flot. La Bisquine, 2018

Histoire comique contenant les États et Empires de la Lune, de Savinien de Cyrano de Bergerac. Hachette Livre BNF, 2012.

 

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