Le contexte de la deuxième croisade
La campagne des croisés avait été une surprise de taille pour les différents pouvoirs de la région, qui plus est, le plus souvent en conflit les uns avec les autres. La victoire turque à Harran en 1105 est le premier signe d’un possible réveil musulman ; cette offensive, et celles des années suivantes, sont menées par Mawdud, atabeg de Mossoul, envoyé par le sultan Muhammad qui contrôle l’Iran occidental et la Mésopotamie. Il s’attaque principalement au comté d’Edesse, autour des années 1110, mais échoue à chaque fois, en particulier à cause des interventions du roi de Jérusalem.
Les Turcs doivent aussi faire face à des divisions internes, qui tournent autour de la possession d’Alep, et aux rivalités avec les Syriens et les Ismaéliens. On commence même à voir des alliances entre certains émirs et les Francs pour contrer les velléités du général du sultan ! Mawdud est assassiné par…un Assassin en 1115, et son successeur est battu par Roger d’Antioche à Tall Danîth, en étant allié à des…Syriens !
Les Fatimides impuissants
L’autre grande force musulmane de la région est le califat fatimide, établi au Caire. Même s’il a dû céder du terrain face aux Turcs, il est encore présent au Sud de Jérusalem et sur la côte, en particulier à Ascalon. Ce port stratégique est assiégé en vain en 1102 par Baudouin Ier, même s’il parvient à empêcher que sa garnison ne soit renforcée. Le calife lance cinq offensives contre les Francs entre 1101 et 1105, sans succès, même si les croisés se retrouvent en grand danger et doivent mobiliser toutes leurs forces.
Entre 1105 et 1108, la situation semble se stabiliser, on assiste même à quelques échanges entre Jérusalem et le Caire, mais c’est surtout en mer que la décision (provisoire) est faite : la flotte égyptienne peine à soutenir ses places encore présentes sur les côtes, et doit s’incliner devant la puissance montante des flottes italiennes venues soutenir les Etats croisés. Entre-temps, Baudouin Ier s’est assuré le soutien des Bédouins du désert, et a mis en place un système de places fortes (dont Montréal) qui coupe l’Egypte de la Palestine ; il occupe aussi en 1116 le port d’Aïlah sur la Mer Rouge. La perte de la maîtrise maritime et la coupure de la route Damas-Le Caire rendent les Fatimides impuissants, pour le moment, à mener des attaques décisives sur les Etats latins.
Le jihad des Zankîdes
Paradoxalement, ce sont les divisions turques qui vont provoquer le renouveau musulman. Le début des années 1120 voit Balak, neveu d’Ilghazi, obtenir plusieurs victoires importantes sur les Francs, qui lui permettent de faire prisonnier le comte d’Edesse et surtout Baudouin II, nouveau roi de Jérusalem ! Mais, alors que les Francs ont pris Tyr (grâce au soutien des flottes italiennes) et qu’il tente de la secourir, il est tué…Commence une autre période de divisions au sein des Turcs. Pourtant, les premières victoires ont montré qu’avec l’unité, les croisés étaient battables. C’est pour cela que les ulémas (les religieux) soutiennent dans les luttes qui suivent la famille des Zankîdes, seule capable de fédérer.
Au même moment, l’empereur byzantin Jean II Comnène a décidé de faire valoir les droits de l’Empire sur Antioche, et menace fortement la principauté. Ces divisions entre chrétiens, ainsi que la volonté du comte d’Edesse, Jocelyn, d’étendre son territoire à l’Ouest, laissent Edesse à la merci d’une attaque. Zankî ne se fait pas prier, et après un siège d’à peine un mois, il prend la ville en 1144. La capitale du premier Etat latin est aussi la première à tomber…
L’appel à la Croisade de Bernard de Clairvaux
La victoire de Zankî a un grand retentissement, d’abord dans le camp musulman. L’atabeg a conduit sa campagne dans l’esprit du jihad, et il est pour cela reconnu comme un combattant et un défenseur de la foi. Mais, nous l’avons évoqué, les chiites ne se sentent guère concernés par le jihad des sunnites et les rivalités n’ont cessé, en particulier avec les ismaéliens (et la secte des Assassins). Malgré sa victoire à Edesse, Zankî est donc assassiné en 1146, alors qu’il avait décidé de régler ses affaires en Irak en tentant de mater les chiites Uqaylides…
En Occident, la chute d’Edesse fait aussi son effet ; l’annonce est faite par des Arméniens à Rome, où le pape Eugène III, par la bulle Quantum praedecessores, appelle alors à la Croisade (1145) ; il charge Bernard de Clairvaux de sa prédication. On ne peut pas dire, pourtant, que les volontaires se bousculent…Il faut en fait attendre la décision de Louis VII, roi capétien désireux de partir en pèlerinage à Jérusalem, pour que la machine se mette en marche.
Une nouvelle bulle est promulguée en mars 1146, et saint Bernard lance officiellement la nouvelle croisade à Vézelay à la fin du même mois. Louis VII et plusieurs seigneurs francs sont présents, et le roi parvient également à convaincre Conrad III, empereur germanique, de l’accompagner. Contrairement à la Première croisade, la seconde est donc une croisade de souverains…Ils voyagent en deux armées séparées, et la croisade « germanique » provoque le même genre de dégâts en Europe centrale que la croisade des paysans en 1096, en particulier pour les juifs.
La deuxième croisade : mal partie et mal terminée
Cependant, les croisés partent avec quelques cailloux dans leurs chaussures. D’abord, le nouveau basileus, Manuel Ier, craint que l’expédition ne vienne renforcer la principauté d’Antioche, qu’il revendique comme son père Jean ; de plus, la participation de Conrad III risque aussi de mettre à mal l’alliance germano-byzantine contre le Normand Roger II de Sicile ! L’intuition de l’empereur est bonne, car le roi de Sicile profite du fait que l’armée byzantine soit coincée à Constantinople à surveiller les croisés, pour prendre à Byzance Corfou, et piller Thèbes et Athènes (1147) ! De plus, les souverains latins refusent de prêter allégeance au Byzantin…
Dans le camp musulman, la mort de Zankî n’a pas fait renaître les vieux démons. Lui succèdent deux de ses fils ; l’un obtient la région de Mossoul, l’autre –et c’est le plus important- obtient Alep. Son nom est Nûr al-Dîn, et il va devenir encore plus célèbre que son père. Sa volonté est d’abord de soumettre Damas, toujours aux mains d’un atabeg indépendant, pour ainsi unifier la Syrie. Il obtient alors le concours inattendu (et involontaire) des croisés !
Ces derniers ont fait de la ville leur objectif (sans doute sous la pression des barons les plus belliqueux), mais ils préparent très mal leur siège, et Nûr al-Dîn peut venir les prendre dans le dos et leur infliger une cuisante défaite ! La retraite est décidée le 28 juillet 1148 : Conrad III quitte la Terre Sainte trois mois plus tard ; Louis VII, lui, y reste jusqu’au printemps 1149. Cela lui permet, malgré l’échec de la croisade, de ne pas voir son prestige trop terni, au contraire : il passe pour un roi pieux grâce à son pèlerinage à Jérusalem et sa visite (et ses dons) aux Lieux Saints.
Nûr al-Dîn enfonce le clou
L’échec des croisés lors du siège de Damas, puis le départ de Louis VII et Conrad III, permettent au fils de Zankî d’accroître son avantage. D’abord sur ses rivaux musulmans : il joue de sa victoire sur les croisés pour mettre au tribut l’atabeg de Damas, puis entre solennellement dans la ville en 1154 ; il est parvenu à unifier la Syrie ! Il décide ensuite de s’attaquer à ses ennemis de toujours, les chiites : il impose le sunnisme à Alep, et multiplie les constructions de madrasas sunnites dans cette ville et à Damas.
Les années suivantes sont plus contrastées ; d’abord il perd Harim au profit du prince d’Antioche (1157), puis doit attendre 1160 pour pouvoir reprendre son offensive. S’il échoue néanmoins devant le Krak des Chevaliers en 1163, il parvient à capturer Renaud de Châtillon et à reprendre la plupart des places qu’il avait brièvement perdues les années précédentes. De plus, Nûr al-Dîn étend son influence au Nord de l’Irak et jusqu’en Arménie et en Cilicie, en intervenant dans les divisions entre Arméniens, Byzantins et Francs. Il fait également tomber quelques places fortes des Templiers.
Pourtant, c’est alors qu’il se tourne vers l’Egypte, profitant de l’affaiblissement fatimide face au roi de Jérusalem Amaury Ier, qu’il va se trouver face à son rival le plus dangereux, qu’il a pourtant promu : un certain Saladin…
Bibliographie
- M. BALARD, Les Latins en Orient, XIè-XVè siècle, PUF, 2006.
- René Grousset , Histoire des croisades : 1131-1187. Tempus, 2006.
- C. MORRISSON, Les Croisades, Que-sais-je, 2020.