Amérique latine : entre coup d'État et dictatures

Histoire Universelle | Le XXe siècle

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Tout au long du XXe siècle, l'Amérique latine en crise est le théatre de multiples coups d'État, souvent orchestrés par les Etats-Unis, sur fond de Guerre froide. Dès le début des années 60, la situation de l'Amérique latine est critique. Cette dernière s’est endettée auprès des banques privées, et a détérioré sa balance agricole et industrielle. Les pays andins : comme le Pérou, l’Equateur et la Bolivie et ceux du cône sud : Brésil, Chili, Argentine et Uruguay, souffrent d’une crise économique et politique marquée notamment par des guerres civiles en Uruguay avec la guérilla des Tupamaros. Cette crise conduit à un vide politique favorable aux coups d'État et selon les régimes, aux dictatures.

  

Une multitude de contre-révolutions militaires

C’est au Brésil que commence la première contre-révolution antimarxiste des années 60. En 1964, le président populiste Joao Goulard, accusé de vouloir « cubaniser » le pays, se voit contraint d’être remplacé. Toutefois, il faut savoir que ce coup d’Etat se déroule sans résistance populaire car les industriels, les classes moyennes, les propriétaires terriens qui ne veulent pas d’une république syndicaliste, ont soutenu les militaires. Les populations défilent à leurs côtés, à Sao Paulo et à Recife. Le maréchal Castelo Branco est imposé par le haut commandement au congrès, comme général président.

Au Chili, le coup d’état a lieu le 11 septembre 1973. L’armé investit Santiago et bombarde le palais de Moneda. Le Président Allende voyant la menace grandir a préféré se donner la mort que de se rendre. Le soir même, les quatre corps de l’armée prennent le pouvoir et Pinochet devient Général Président. A l’instar du Brésil ; la population ne proteste pas et reste passive. En effet, face à la rapidité du Putsch, les syndicats n’ont pas eu le temps de lancer une grève.

En Uruguay, la militarisation de l’état est progressive en raison de la lutte des Tupamaros, groupe d’extrême gauche. L’ultime étape du coup d’état se déroule en janvier 1976 avec la destitution du président. Les contre-révolutions se poursuivent également en Argentine. Lors du coup d’état du 23 mars 1976, trois commandants en chef arrêtent la présidente et nomment le lendemain un nouveau président : le lieutenant général : Jorge Raphaël Videla.

Quant aux révolutions nationalistes et socialistes, elles ont lieu en Equateur en 1961 et 1972 où le dictateur Velasco Ibarra est destitué à deux reprises par Guillermo Rodríguez Lara et au Pérou en 1968 avec la junte militaire d’Alvarado. Au Pérou, il s'agit d'un coup d’état réformiste organisé par le général Juan Velasco Alvarado. Ces révolutions se justifient par la volonté de mettre en place un progrès économique et sociale. La motivation des contre-révolutions comprend aussi l'impératif de développement mais est caractéristique du contexte de la guerre froide et de l'influence américaine.

Des coups d'État motivés par la doctrine de la sécurité nationale

C’est la doctrine de la sécurité nationale qui pousse les militaires à vouloir reprendre le pouvoir pour imposer un nouveau régime. L'armée brésilienne fonde en 1949 l’Ecole Supérieure de Guerre du Brésil avec pour slogan Sécurité et développement. Elle instaure des cours sur la guerre contre-révolutionnaire. Cette doctrine s’est par la suite vulgarisée dans un ouvrage : Géopolitique du Brésil en 1957. Elle est pessimiste et voit dans le marxisme une menace absolue et une maladie contagieuse.

Cette idéologie est aussi un projet stratégique dans le but de préparer un état à une troisième guerre mondiale provoquée par l’expansion soviétique. Elle implique une action répressive par l’armée et une politique de développement par le biais d’un investissement international. Pour cela la société militaire domine la société civile en se voulant autoritaire et technicienne.

Les pays de l’Amérique latine ont subi l’influence de la politique des Etats-Unis qui depuis 1954 condamnent toute activité communiste en Amérique latine. Ainsi Pinochet se présente comme un protecteur suprême face à l’ennemi communiste. Avec cette doctrine, les militaires légitiment leur prise de pouvoir par la nécessité de garantir la défense de la patrie.

Entre régimes progressistes dans les pays andins…

Certains pays ont mis l’accent sur le développement et les coups d’état ont conduit à des politiques réformistes. Au Pérou, les militaires décident de moderniser le pays et de mettre en place une démocratie sociale. Le président Alvarado insiste sur le nécessaire développement de la solidarité. Ainsi, en 1969 la mise en place d’une réforme agraire permet de transformer de grands domaines en sociétés d’intérêt social. Le Pérou recherche la sécurité et la paix à travers le non alignement et est hostile à toute forme d’impérialisme.

En Equateur, le général Guillermo Rodriguez qui se définit comme social-humaniste améliore les infrastructures routières et entreprend une réforme agraire en introduisant le salariat dans les campagnes. Il intègre l’Equateur dans l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) en 1973 et bénéficie ainsi de la richesse pétrolière. Ce pays qui avait la chance de posséder le pétrole, s’est efforcé de développer sa production. Parmi les pays d'Amérique latine, il devient même le deuxième plus grand exporateur après le Vénézuela.

Malgré certains progrès en Bolivie, les mécontentements se font sentir. L’armée fait construire des écoles, des pistes d’atterrissage et des postes sanitaires mais la situation s'aggrave au milieu des années 70. L'inflation devient excessive, les réformes impopulaires et les grèves se multiplient. Ce pays a instauré une dictature avec le Général Banzer de 1971 à 1978. Ce dernier à l'image du Cône Sud appliqua la doctrine de la sécurité nationale. Par la suite, il est important de noter qu'en 1979, pour la première fois dans le pays, une femme : Lidia Gueiler Tejada est élue à la présidence de la république.

… et dictatures anticommunistes dans le Cône Sud

Apres le coup d’état au Brésil, l’armée supprime les garanties constitutionnelles et remplace les partis politiques par deux partis officiels : l’ARENA (Alliance Rénovatrice Nationale) parti au service du pouvoir et le MDB (Mouvement Démocratique Brésilien). Le régime particulièrement liberticide, suspend l’Habeas Corpus qui offrait aux citoyens le droit d’être jugé en cas d’arrestation, supprime les réunions publiques et exerce une censure au niveau de la presse. En outre, une nouvelle constitution voit le jour et allonge le mandat présidentiel à six ans.

En Uruguay, les militaires suspendent toute activité politique, interdisent la formation de partis de gauche et musellent la presse ainsi que l’université. Une tentative de résistance de la gauche révolutionnaire se concrétise par la création du JCR Junta coordinadora revolucionaria. Elle est formée au Chili en 1973 par certains militants Tupamaros, et le reste de la guérilla fondée par Ernesto Guevara. Ce mouvement est stoppé par le coup d’état chilien.

Des dictatures anti-communistes se mettent également en place au Chili et en Argentine. Pinochet installe une politique de terreur en créant la DINA (direction de l’Intelligence Nationale) et en 1977 la CNI Centrale Nationale d’Information. La DINA est la police chilienne chargée d'arrêter les opposants au pouvoir. En Argentine, un groupe para militaire est crée dans le but de repérer et d’éliminer les communistes. Il s’agit de l’Alliance Anticommuniste Argentine, escadron de la mort fondé par José López Rega. Cette alliance s’est notamment attaquée aux Montonéros Péronistes, groupe armé d’extrême gauche.

En pleine guerre froide, la menace d’une instabilité mondiale est pesante. Les coups d ‘Etat qui s’inscrivent dans une politique de sécurité et de développement ont conduit à deux scénarios différents. Il y a d’un coté les régimes progressistes anti-impérialistes et de l’autre les dictatures répressives et anticommunistes. L’armée représente une source de pouvoir en raison de son organisation institutionnelle. Elle est autonome financièrement et son contrôle de l’armement constitue un moyen de dissuasion efficace. Cet anticommunisme qui ne s’est pas uniquement manifesté au niveau étatique, agira également à l’échelle internationale à travers la collaboration américaine et l’union du Cône Sud.

Dans les années 70, la mise en place des dictatures anticommunistes en Amérique latine est encouragée et soutenue par les Etats-Unis. Les régimes militaires influencés par le maccarthysme et la doctrine de la sécurité nationale vont développer une répression locale puis continentale. L’aide financière et militaire a permis aux pays du Cône sud d’imposer des dictatures mais aussi de s’unir à travers le plan Condor pour chasser les communistes à un échelon plus important. Enlèvements, tortures et assassinats prémédités marquent cette période noire.

L’appui secret des Etats-Unis lors des coups d'État

Il est important de noter que le soutien des Etats-Unis ne s’est pas seulement manifesté à partir des années 60 et 70. D’après, Franck Gaudichaud auteur de l’article intitulé « L’ombre du Condor Contre-révolution et Terrorisme d’Etat International dans le Cône Sud », cette coopération est le fruit d’un long travail déjà présent à travers l’idéologie de la doctrine nationale mais aussi par des « accords bilatéraux d’assistance militaire (à partir de 1951) destinées à fournir aux officiers latino-américains un entraînement militaire et une formation théorique ». L’assistance militaire s’est concrétisée par des formations mais aussi par la fourniture d’ équipements électriques visant à torturer les subversifs.

Les Etats-Unis sont suspectés d’avoir été favorables aux coups d’état brésilien et chilien et d’y être intervenus. Selon un historien de l’université de Rio de Janeiro, l’ambassadeur américain de l’époque, Lincoln Gordon craignait le risque d’une révolte d’extrême gauche et aurait rédigé un rapport dans l’éventualité d’intervenir au Brésil. Afin de faciliter la contre-révolution chilienne, la CIA est soupçonnée d’avoir versé 35 000 dollars à un groupe de militaires chiliens en récompense de l'assassinat d’un commandant en chef loyal à Allende : le général René Schneider. Ce dernier a été mortellement blessé en 1970.

La CIA qui voyait d’un mauvais œil le régime socialiste de Salvador Allende et le soutien du Parti Communiste Chilien, aurait aidé les militaires à prendre le pouvoir au Chili lors du coup d’Etat de 1973. Ainsi, le mouvement de la grève des camionneurs d’octobre 1972 a été soutenu financièrement par la centrale de renseignement américaine. Le conseiller d'État Henry Kissinger a toujours démenti l’implication des Etats-Unis dans le coup d’état bien que les rapports de la CIA prouvent que le chef de la police secrète (DINA) de Pinochet, Manuel Contreras, a travaillé pour elle en 1975.

Union du Cône Sud et anticommunisme international : l’opération Condor

Les dictatures latines se sont unies pour éliminer le communisme en Amérique latine. Le Chili, Paraguay, l’Argentine, l’Uruguay, le Brésil et la Bolivie ont décidé de coopérer pour chasser les partisans d’extrême gauche à travers l’opération Condor. Selon un attaché du FBI à buenos Aires Robert Scherrer, envoyé le 28 septembre 1976 à la direction de Washington, l’opération condor est « le nom de code pour la collecte, l'échange et l'enregistrement d'informations concernant des soi-disant « activistes de gauche », des communistes et des marxistes, qui ont été récemment mis en commun, en coopération entre des services de renseignement en Amérique du Sud, dans l'objectif d'éliminer les activités terroristes marxistes dans la région. ».

Le projet de l’opération condor est orchestré par Manuel Contreras, le directeur de la DINA. Début mars 1974, les représentants de la police du Chili, d’Uruguay et de Bolivie se réunissent afin d’organiser l’éradication des réfugiés dans l’Argentine de Péron. Pendant l’année 1975, les réunions se multiplient et débouchent sur la constitution formelle de l’opération Condor le 25 novembre 1975. Les activités commencent toutefois avant avec des échanges de prisonniers en 1974 et par des arrestations en 1975. Le 16 mai 1975 a lieu l'arrestation au Paraguay de deux membres de la Junte de coordination révolutionnaire  Almicar Santucho et Jorge Fuentes.

La même année, 119 militants chiliens du parti d’extrême gauche : Le Mouvement de la Gauche Révolutionnaire, sont retrouvés morts. L’Alliance Anticommuniste Argentine qui est à l’origine de ce massacre a essayé de maquiller ce meurtre en règlement interne et de brouiller les pistes à travers une campagne de désinformation : l’Opération Colombo. Les assassinats se déroulent en dehors de l'Amérique latine, en Europe à Rome mais aussi en Amérique du nord.  Le 21 septembre 1976, Orlando Letelier, ancien ministre de Salvador Allende est assassiné à Washington lors d'un attentat à la bombe commis par Michael Townley, ancien agent de la CIA ayant travaillé pour la DINA. En 1977,  la DINA est dissoute et remplacée par la CNI , la Central Nacional de Informaciones.

La fin du plan Condor ?

Officiellement, la dernière opération a lieu au Pérou, en juin 1980 avec l’enlèvement de militaires argentins : les Montoneros, groupe politico-militaire péroniste souhaitant rétablir un régime national socialiste. Il est difficile de chiffrer avec exactitude le nombre de victimes du plan Condor. D’après la Commission des Droits de l’homme Argentin, le bilan s’élèverait à 50 000 assassinats, 35 000 disparus et 400 000 emprisonnés.

Néanmoins, des doutes subsistent quant à la fin du plan condor. Au milieu des années 90’s, l’Amérique latine entretien toujours des échanges bilatéraux en matière de renseignement. En effet, les réunions de la CEA continuent de se dérouler en Argentine en 1995 et en Equateur en 1997. En outre, une conférence militaire sur le renseignement  a été organisée en mars 1999 par l’armée bolivienne et a reçu les Etats-Unis et certains pays du cône sud. Il faut savoir que la CEA est la Conférences des armées américaines. Elle a été créée par le général américain Theodore F. Bogart en 1960, suite à la révolution castriste dans le but de défendre le continent contre le communisme.

D’autres éléments laissent à penser que cette organisation est toujours en activité. D’après Franck Gaudichaud « les événements en cours, notamment au Venezuela, en Colombie et au Pérou, ou encore le « plan Colombie», soulignent le maintien de violences politiques de type « contre-insurrectionnelles » d'Etat ou paramilitaires ». Le plan Colombie, créé en 1999 est un plan pour la paix et la prospérité de l’Etat notamment financé par les Etats-Unis. Les objectifs portent sur le renforcement des institutions, la lutte contre la production de drogue, le désarmement et l’aide aux paysans mais ils se concentrent aussi sur la guérilla marxiste.

Les dictatures anticommunistes ont repris les moyens arbitraires des Etats-Unis à l’image du maccarthysme pour lutter contre le communisme et ont mis en œuvre un terrorisme international. Les régimes ont eu recours à des menaces, des multitudes enlèvements et de meurtres organisés officieusement. Les pays du Cône sud passèrent ainsi d’une phase de politisation sociale avec une montée en puissance des partis révolutionnaires à une ère de destruction de ces derniers aussi bien physique qu’idéologique.

Bibliographie

- GAUDICHAU,Franck, L’ombre du Condor. Le terrorisme d’Etat en Amérique latine, Revue Amnis, Université de Brest, octobre 2003, pp. 91-120.

- PONCE Nestor, L'Argentine : crise et utopies, Ed. du Temps, 2001

- DABENE Olivier, L’Amérique latine au XXe siècle, Armand Colin, Paris, 1997

- LANCHA Charles, Histoire de l'Amérique hispanique de Bolívar à nos jours, l'Harmattan, Paris, 2003

 

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