Monuments aux morts, lieux de mémoire

Histoire de France | D'une guerre mondiale à l'autre

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Après le traumatisme de la Première Guerre mondiale, la quasi totalité des communes de France érigent des monuments aux morts  pour commémorer le souvenir des hommes tombés au combat. Il existe un malentendu, ancien, quant à la véritable signification de ces monuments. Intégrés à la mémoire républicaine. Ces lieux de mémoire qui accueillent des hommes bardés de décorations, de drapeaux tricolores, entonnant La Marseillaise, laisse planer le doute sur la véritable interprétation qui doit être donnée à ces monuments. S'agit-il dès lors de monuments républicains ou de monuments nationalistes ?

L'édification des monuments aux morts

L'érection de monuments aux morts à l'issue de la guerre de 1914-1918, n'est pas un phénomène nouveau. Deux facteurs peuvent être avancés pour expliquer que pratiquement toutes les communes de France aient un monument aux morts. D'une part, la Première Guerre mondiale a été marqué par l'ampleur de la mobilisation et du nombre de décès. D'autre part, son issue favorable marquée par la victoire de 1918 semble pouvoir expliquer l'origine de l'édification des monuments aux morts, par contraste avec la guerre de 1870-1871 qui a mobilisé moins d'hommes et dont l'issue s'est soldée par une défaite. Durant ce conflit la construction de monuments aux morts a été le fruit d'initiatives privées (comités, association) et tardives, vingt à trente ans après la guerre.

Construits hors du contexte de la guerre, ces monuments reflètent une volonté de revanche qui n'englobe pas les autres acteurs tels que les représentants de la nation, les collectivités locales ou l'Etat. A contrario, la guerre de 1914-1918 associe différents acteurs, les citoyens, les municipalités ainsi que l'Etat pour l'édification de ces monuments. Par la loi, l'Etat s'engage à subventionner la construction des monuments au sein des communes. Elle permet une reconnaissance officielle mais n'impose pas la construction d'un monument, elle y incite par une aide financière.

Les populations ont été associées par les municipalités à l'édification de monuments aux morts. Leur édification tient aux actions municipales. Ce sont les citoyens issus de leurs communes qui rendent hommages aux morts de la guerre. L'inscription la plus commune aux monuments aux morts est la suivante : La commune de... à ses enfants, morts pour la France. Un lien persiste alors entre la commune de laquelle provient l'initiative collective, les citoyens, destinataires de l'hommage et la France, qui reçoit leur sacrifice et le justifie.

L'édification des monuments aux morts a été réalisée très rapidement, avant même la mise en place de la loi d'octobre 1919 et l'élection de la chambre bleue horizon en novembre 1919. Les monuments ont été édifiés dans pratiquement tous les villages de France avant 1922, toutefois, leur construction s'est révélé plus complexe et plus longue au sein des villes jalonnées de débats et dans lesquelles des monuments sont encore érigées au début des années 1930.

Surtout, la signification des monuments semblent avoir été élaboré avant même leur édification par le biais de manifestations aux morts de la guerre. Ce culte, né avant même l'armistice a été construit dans un contexte où l'issue de la guerre était encore incertaine. A travers l'ensemble de ces facteurs, une lecture nationaliste est t-elle une hypothèse soutenable ?

Typologie des monuments aux morts

Un préjugé, fort répandu à gauche de l'échiquier politique tend à soutenir que les monuments aux morts expriment le nationalisme à travers les poilus qui surmontent les monuments. Pourtant, ce type de représentation est peu répandu, voir minoritaire. Ainsi, à travers, ce type de préjugé, il apparaît que le décryptage des monuments aux morts s'avèrent plus complexe et qu'un certains nombres d'éléments entrent en ligne de compte afin de comprendre la réelle signification des monuments aux morts.

La première signification du monument au mort s'inscrit dans l'espace. Sa localisation est primordiale dans la grande majorité des villages, excepté quelques-uns. Le choix de la localisation n'est jamais innocent à travers les lieux de la Mairie, de l'Eglise où d'un carrefour fortement fréquenté. La présence ou non de statuaire, généralement un poilu même s'il existe d'autre représentation, est un élément important pour l'interprétation d'un monument au mort. Que ce soit dû à son coût ou pour des raisons idéologiques, ce type d'édifice est minoritaire. Le poilu représenté de façon réaliste ou idéalisé peut influer sur sa signification. Il peut être remplacé par une stèle nue, d'une urne ou d'une torche funéraire ainsi que d'une croix de guerre.

D'autres représentations ont été crée, tels que des veuves accompagnées d'orphelins, de vieux parents exprimant le deuil des survivants. Il existe une grande diversité d'inscriptions qui sont explicites et dans lesquelles résonnent des sentiments attristées, moralisateurs ou en signe d'hommage. Les noms des personnes inscrites sur les monuments apportent peu d'indications.

Tout un ensemble de monuments existent et parsèment la vie quotidienne de millions de personnes.

Monuments civiques et patriotiques

Le monument civique est constitué d'une stèle nue, édifié dans un espace dans lequel se trouve la mairie. Sur ce monument est inscrit les noms des morts accompagnés d'une formule très souvent usitée, « La commune de...à ses enfants morts pour la France ». Il existe une variante, « ...mort pour la Patrie ». Cette expression renvoie à un langage plus national et ne se réfère pas à une tradition locale. Ce monument est caractérisé par son dépouillement marqué par l'absence de représentation allégorique, hormis la croix de guerre. Il exprime l'hommage de la commune et de ses citoyens vivants aux citoyens morts à la guerre.

Ce type de monument, par son grand dépouillement ne préjuge pas des opinions des citoyens. Chacun est libre d'exprimer ses sentiments. Un monument républicain et laïc qui évite toute distinction religieuse. Ce monument se situe entre celui, plus patriotique et un autre plus funéraire. Le glissement vers l'un ou vers l'autre est relativement aisé.

Un autre type de monument, patriotique celui-ci, se situe sur une place publique, à un carrefour et visible de tous. Il dispose d'une iconographie et d'inscriptions différentes. La formule, « ... mort pour la Patrie » est ici bien présente accompagnée de formule emprunter aux champs sémantiques de l'honneur, de la gloire et de l'héroïsme. S'adjoint à l'inscription frontale, d'autres inscriptions à connotation patriotique sur les autres faces du monument.

Des monuments aux morts portent les vers de Victor Hugo par exemple qui affirme ainsi sa dimension républicaine. Un monument patriotique qui peut basculer vers le nationalisme par le biais de certains signes tels que le coq gaulois, les statues du poilu triomphant, la présence d'un drapeau, celui d'un casque à pointe ou d'un aigle impérial foulé. Des symboles constituent un nationalisme exacerbé avec la représentation d'une victoire ailée tenant une couronne.

Certains de ces éléments s'ajoutent sur un même monument. Ces représentations allégoriques sont toutefois plus complexes. La couronne ne symbolise pas forcément la victoire, elle peut également représenter le deuil. Les figures féminines également. Une femme sans ailes peut symboliser une France ou une République. La statue du Poilu n'est pas forcément patriotique. Un poilu montant la garde telle une sentinelle existe sur certains monuments. Il y a une idéalisation qui constitue le premier élément du patriotisme.

La sentinelle dans la façon dont elle est représentée peut glisser du patriotisme républicain vers le nationalisme exacerbé selon la pose, le regard....Cependant d'autres poilus expriment un patriotisme sans équivoque à travers l'image d'un soldat sur le point de mourir se servant du drapeau comme un linceul. Cette catégorie de représentation montre que ce monument patriotique glisse également vers le monument funéraire.

Monuments funéraires et pacifistes

Le monument funéraire quant à lui se situe à proximité de l'Eglise ou se dressent au sein des cimetières marqué par la présence d'une croix. Ce type de monument glorifie le sacrifice des morts et rompt avec les représentations évoquées précédemment. Il présente l'obligation de l'accomplissement du devoir par l'amour voué à la Patrie, comme à une religion. A ce titre, elle justifie le sacrifice. Ce monument semble trancher avec l'esprit républicain pour qui l'individu est la fin de la société. Les monuments funéraires ne possède pas forcément de statue et contienne une inscription dans laquelle la connotation patriotique est absente, « La commune de... à ses enfants morts ».

Le monument pacifiste est quant à lui relativement rare. L'iconographie est dans ce cas précieuse pour identifier ces monuments pacifistes. Le cas de Levallois-Perret sur lequel un ouvrier brise une épée, représentation du prolétariat brisant la guerre, est à ce titre évocateur. L'ensemble de cette typologie est lié directement aux sensibilités politiques locales à l'époque où ces monuments furent édifiés.

L'objectif des monuments aux morts est de conserver le nom de chacun des morts de la commune ce qui démontre l'esprit républicain de ces édifices qui veut que les citoyens soient égaux en droit y compris devant la mort. Au delà de la réalité matérielle, l'histoire a également joué un rôle dans l'interprétation des monuments aux morts par rapport à l'évolution de la société et certains évènements marquants. Les cérémonies effectuées par les citoyens ont pu donner un sens nouveau quant aux significations des monuments aux morts.

Bibliographie

- Antoine PROST, « Les monuments aux morts, Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique ? », Pierre NORA (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984, pp. 195-225.

- Annette BECKER, les monuments aux morts. 1991.

 

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