Rollon, le premier duc de Normandie

Histoire de France | Des Carolingiens aux Capétiens

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Rollon, chef scandinave devenu "duc" de Normandie par la grâce du roi de France Charles III le Simple, est un personnage en partie légendaire sur lequel les historiens continuent de débattre. À la tête d’une bande de pirates vikings, Rollon aurait pillé l’Angleterre, ainsi qu'une partie de la Hollande. Il attaque ensuite en à Bayeux puis à Lisieux en territoire franc, et pousse l'audace jusqu'à faire le siège de Paris en 892. Battu à Chartres par Charles le Simple, il finit par recevoir de celui-ci la partie de la Neustrie occupée par les Normands, au traité de Saint-Clair-sur-Epte (911). Il se fera baptiser en 912 en la cathédrale de Rouen.

 

Le personnage de Rollon 

Rollo, latinisation du nom Hrólfr, est un chef scandinave, danois ou norvégien, qui a pris part aux raids menés par les siens en Angleterre et dans le royaume franc depuis les années 841. L'origine exacte de ce guerrier est difficile à définir. La tradition normande fait de Rollon un Danois. Cette tradition est liée au texte que rédigea le chanoine Dudon de Saint-Quentin (960, †1043) au XIe siècle à la demande du duc Richard Ier : « Des mœurs et des actes des premiers ducs de Normandie ». Dudon raconte ceci : Rollon est le fils d'un puissant prince de « Dacie ». A la mort de celui-ci, Rollon et son frère doivent affronter le roi de Dacie. Gurim, le frère de Rollon, est tué et Rollon s'enfuit. Il fait voile avec sept autres navires vers l'Angleterre où il sert le roi Alstelmus, puis part pour la Frise, et enfin, en 876, il fait son entrée en Baie de Seine.

La tradition norroise fait de Rollon un Norvégien. Plusieurs textes évoquent le fondateur de la Normandie. Le livre de la colonisation (le Landnámabók) présente la généalogie des colonisateurs de l'île, ascendants et descendants respectifs. Ainsi, les lignes suivantes évoquent « Hrólfr le marcheur » (Göngu-Hrólfr en vieux norrois) qui conquit la Normandie :

Rögnvaldr, jarl de Møre, fils d'Eysteinn Glumra, fils d'Ívarr jarl des Upplönd, fils d'Hálfdan l'Ancien. Rögnvaldr avait épousé Ragnhildr, fille de Hrólfr le Nez. Leur fils était Ívarr, qui fut tué dans les Hébrides, alors qu'il accompagnait Haraldr aux Beaux Cheveux. Leur deuxième fils était Hrólfr le Marcheur, qui conquit la Normandie. De lui descendent les jarlar de Rouen et les rois d'Angleterre.

La Saga des Orcadiens (Orkneyinga saga) explique par ailleurs qu'il était surnommé « Hrólfr le marcheur », car il était si grand qu'aucun cheval ne pouvait le porter ! Une explication plus probable est que ce surnom fait référence à ses pérégrinations, Göngu pouvant venir de göngumadr, à savoir le vagabond.

Enfin Snorri Sturluson dans la Saga de Haraldr aux Beaux Cheveux (Haralds saga ins hárfagra dans Heimskringla) apporte les faits suivants : Rollon est un grand viking qui a fait de nombreux des raids en Baltique, mais il commet l'erreur de faire un coup de main dans le Vík (fjord d'Oslo), ce qui lui vaut d'être banni de Norvège par le roi Haraldr aux Beaux Cheveux. Rollon doit donc s'exiler ; il met le cap à l'ouest, vers les Orcades, puis au sud, jusqu'en Francie.

Le roi Haraldr ayant achevé l'unification de la Norvège aux alentours de 880, il est probable que Rollon ne soit seulement apparu en Baie de Seine qu'aux alentours de 900.

Poppa

Poppa est l'épouse de Rollon, une épouse « more danico », une concubine ou « frilla ». Tout comme Rollon, l'origine de cette jeune femme, mère de Guillaume Longue Epée, second duc de Normandie, diverge selon les sources et les deux traditions normande et norroise. La jeune femme donne deux enfants à Rollon :

- Une fille de nom scandinave Gerloc, qui prend le nom chrétien d'Adèle lorsqu'elle épouse Guillaume Tête d'Etoupe, comte de Poitiers ;
- Un fils Guillaume, qui succède à son père comme duc de Normandie.

Pour Dudon de Saint-Quentin, Poppa est la fille du comte Béranger de Bayeux, ami du marquis Robert, frère du roi Eudes (860, †898), avec lequel il partage un commandement sur toute la Neustrie. Rollon la capture alors qu'il soumet la ville de Bayeux (886-890) et il fait d'elle sa concubine.

Les Annales de Jumièges en font une fille de Gui de Senlis, frère de Bernard de Senlis, d'ailleurs présenté par Dudon de Saint-Quentin comme l'oncle maternel de Guillaume Longue Epée. Pour concilier les deux hypothèses, Katharine Keats-Rohan [1] émet la solution suivante : la mère de Poppa aurait épousé en première noce Béranger de Bayeux et en seconde noce, Gui de Senlis, faisant ainsi de Gui de Senlis le beau-père de Poppa et non son père.

Il est tout simplement possible, comme le note « la complainte sur l'assassinat de Guillaume Longue Epée » que Poppa soit une jeune fille chrétienne et celte que Rollon rencontre alors que, banni par le roi Haraldr, il s'installe dans les Orcades.

Le traité de Saint Clair sur Epte

Le contexte

S'il est difficile de connaître la date à laquelle Rollon apparaît en Baie de Seine et quelles sont ses origines, il est tout aussi difficile de cerner quels sont les coups de main qu'il dirige en Francie, avant d'échouer devant la ville de Chartres, le 20 juillet 911. Dudon de Saint-Quentin affirme que Rollon participe au siège de Paris en 885-887, puis il attaque Bayeux. C'est là qu'il tue le comte Béranger, enlève Poppa et en fait sa concubine. Puis, il part durant plusieurs années pour l'Angleterre et c'est ainsi que Guillaume, son fils naît « outremer » tel que le stipule « la complainte sur l'assassinat de Guillaume Longue Epée ».

Rollon revient dans l'estuaire de la Seine sans doute aux alentours de 898. Il aurait alors passé un accord avec l'archevêque de Rouen, connu sous le nom de « pacte de Jumièges ». Rollon s'engage à épargner la ville de Rouen ; en échange, ses hommes et lui s'installent dans plusieurs « vicus » de la Basse-Seine. Il continue cependant sa vie de chef viking et lance plusieurs raids dans la région.

En 911, il échoue devant Paris et vient mettre le siège devant la ville de Chartres. L'évêque de la cité appelle les Grands du royaume à son secours. Une armée, menée par le marquis Robert (860, †923), le duc de Bourgogne Richard le Justicier ainsi que le comte de Dijon est levée et elle inflige une lourde défaite aux troupes de Rollon, le 20 juillet 911. La « petite histoire » ajoute que l'évêque a fait placer sur les remparts de la ville l'illustre relique de la cathédrale, la sainte Chemise de la Vierge, dite « Le Voile de la Vierge » donnée à l'Église de Chartres, vers 876, par Charles le Chauve (823, †877) et que celle-ci protège alors la ville.

En 898, le roi Eudes, farouchement opposé à tout compromis avec les Vikings, décède Charles le Simple (879, †929) lui succède. Le contexte est alors modifié, car le Carolingien est ouvert à la négociation.

Les clauses du traité

En s'unissant de gré ou de force avec Poppa, fille d'un seigneur de Francie, Rollon est entré dans le cercle de parenté des seigneurs francs. Il est solidement ancré en Basse Seine et l'état du royaume de permet pas de lutter efficacement contre les bandes de Vikings qui pénètrent dans celui-ci.

Toutes ces raisons amènent le roi Charles le Simple à négocier. Sans doute est-il aussi inspiré par l'exemple du roi anglais Alfred le Grand (871, †899) qui a accepté l'installation des Vikings dans le Danelaw, à condition que ceux-ci se convertissent au christianisme.

La date exacte du traité ainsi que ses clauses exactes sont également inconnues, car, sans doute, aucun document n'a alors été rédigé. S'il y en a eu un, il ne nous ai pas parvenu. Le récit de Dudon de Saint-Quentin permet d'en connaître les principaux éléments, mais celui-ci a été écrit près d'un siècle après les événements qu'il relate et certains faits sont sujets à caution.

Les négociations menées par l'archevêque de Rouen, Francon, aboutissent à une entrevue entre le roi Charles et Rollon qui se déroule sans doute à Saint-Clair-sur-Epte, un lieu situé au bord de la Seine, juste au confluent avec la rivière Epte, probablement à l'automne 911.

Rollon reçoit alors un territoire « situé entre l'Epte et la mer » qu'il peut transmettre à ses descendants. Le territoire est limité à l'est par la Bresle et l'Epte, au sud par l'Avre et à l'ouest par la Risle. En échange, Rollon et ses hommes acceptent de se faire baptiser et promettent de défendre la vallée de la Basse-Seine des incursions de leurs congénères.

Il semble que Rollon réclame également un autre territoire « pour qu'il en vive » et obtient la promesse de roi de disposer du Cotentin et de l'Avranchin après qu'il est refusé la Flandre. En outre, Charles le Simple accorde la main de sa fille Gisèle à Rollon. Cependant, ces deux derniers points sont mis en doute par les historiens.

C'est ici que se situe l'anecdote apparaissant dans de nombreuses images. Rollon prête serment de fidélité à Charles et place ses mains dans celles du roi. Puis, les évêques présents exigent que pour marquer sa soumission, Rollon baise le pied du roi. Rollon s'offusque et refuse, jugeant l'acte trop humiliant. Il délègue alors l'acte à l'un de ses hommes. Celui-ci, au lieu de se baisser, saisit le pied du roi et le lève pour le présenter à sa bouche, faisant ainsi chuter le roi à la renverse. Heureusement, l'épisode s'achève par une rigolade et n'a aucune conséquence.

Rollon est baptisé assez rapidement, le temps de catéchuménat étant écourté au maximum. Il est baptisé avec l'ensemble de ses hommes au début de l'année 912. Le comte Robert de Neustrie est son parrain et Rollon prend donc le nom chrétien de Robert.

Rollon, fondateur du duché de Normandie

L'intégration des Scandinaves parmi les Francs

Si nous avons coutume de qualifier Rollon de premier duc de Normandie, il n'est pour ses contemporains francs que le comte de Rouen et pour ses hommes, le Jarl de Rouen, « Rúđujarlar ». Il semble que Rollon est procédé au partage du territoire reçu entre ses hommes et ceux-ci se sont installés, « fondus dans le paysage », notamment en prenant femme dans la population locale, car nombre d'entre eux étaient venus seuls. Rollon n'a pas imposé d'état « viking ». Tout à la fois Jarl de Rouen et comte franc, il a assis son pouvoir sur le système carolingien place et puisé aux deux sources franques et scandinaves pour bâtir un état dans lequel règne l'ordre, au point d'en impressionner ses contemporains.
Dudon et Guillaume de Jumièges2 rapportent ainsi plusieurs anecdotes, pour illustrer ce point.

« Après avoir chassé dans la forêt qui s'élève sur les bords de la Seine tout près de Rouen, le duc, entouré de la foule de ses serviteurs, mangeait et était assis au-dessus du lac que nous appelons en langage familier la mare, lorsqu'il suspendit à un chêne des bracelets d'or. Ces bracelets demeurèrent trois ans à la même place et intacts, tant on avait une grande frayeur du duc ; et comme ce fait mémorable se passa auprès de la mare, aujourd'hui encore cette forêt est appelée la Mare de Rollon » (Guillaume de Jumièges, Histoire des Normands, Paléo)

Les apports scandinaves se retrouvent essentiellement en trois domaines :

- Le comte de Rouen instaure le bannissement, « l'ullac », châtiment suprême en Norvège dont lui-même avait peut-être été victime. Les biens sont confisqués et le coupable exilé pour punir toutes offenses faites au duc ;
- Les hommes et le duc en premier prennent des concubines aux côtés de leur femme épousée devant Dieu ;
- Le duc a le monopole des épaves marines, également pour la chasse à la baleine et à l'esturgeon.

Par ailleurs, Rollon rétablit le siège archiépiscopal de Rouen et rappelle l'archevêque de Rouen. Il fait de nombreux dons aux églises de Bayeux, Rouen, Evreux. En 917, lorsque les reliques de saint Ouen, mises en lieu sûr en Picardie, reviennent, il porte lui-même la chasse sur ses épaules et restitue aux moines leurs nombreux biens.

Conformément aux clauses du traité, aucune flotte scandinave ne remonte plus la Seine pour piller le royaume franc.

Rollon comte de Rouen

En 923, le roi Charles le Simple est déchu, mais Rollon refuse de soutenir le marquis Robert, son parrain, qui prend le pouvoir. Ce dernier meurt lors de la bataille de Soissons (le 15 juin 923) et Raoul, le gendre de Robert, devient roi. En représailles du soutien de Rollon envers Charles le Simple, Raoul franchit l'Epte en 924 et ravage le pays concédé au comte de Rouen. Rollon contre-attaque, envahit les territoires au-delà de l'Oise. Grâce à des médiateurs, la paix est conclue ; Rollon reçoit un tribut ainsi que de nouveaux territoires : le Bessin et l'Hiémois.

L'année suivante, la paix est rompue. Les Normands s'avancent au sein du comté de Flandre ; Beauvais, Amiens et Noyon sont incendiées. Hugues le Grand, le fils du marquis Robert, pille le territoire normand jusqu'aux alentours de Rouen tandis que le comte Arnoul Ier de Flandre prend la forteresse d'Eu.

Ces événements sont les derniers à parler du comte Rollon. Les causes de son décès sont obscures. Riche, moine de l'abbaye Saint-Remi de Reims, écrit dans ses ouvrages « Quatre livres d'histoire (991-998) » qu'il a été tué lors de la prise d'Eu. Dudon de Saint-Quentin explique quant à lui que celui-ci est victime en 933 d'une attaque cérébrale.

Une tradition rapporte que peu de temps avant sa mort Rollon serait retombé dans la paganisme et aurait sacrifié une centaine de chrétiens en l'honneur des dieux scandinaves. Ceci est sans doute faux ; il n'empêche que Rollon devait être de foi « mêlée ». Le comte est enterré dans la cathédrale de Rouen. Richard Ier, son petit-fils, fera transférer sa dépouille dans l'abbaye de Fécamp.

La tapisserie de Rollon


Tenture de lin écru longue de 22 mètres, pour une hauteur de 60 centimètres, la « Tapisserie de Rollon » est entièrement brodée à la main sur la base du point d'orient. Elle a été confectionnée à l'occasion du onzième centenaire de la Normandie et relate les exploits du duc Rollon, en 30 scènes brodées par 21 brodeuses, dans un style très proche de la Tapisserie de Bayeux.

Bibliographie

[1] Liliane IRLENBUSCH-REYNARD, « La tradition norvégo-islandaise sur Rollon : Un témoignage convaincant ? » in La Fabrique de la Normandie, Actes du colloque international organisé à l'Université de Rouen en décembre 2011, publiés par Michèle Guéret-Laferté et Nicolas Lenoir (CÉRÉdI).(c) Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloques et journées d'étude (ISSN 1775-4054) », n° 5, 2013. 
[2] Jean Renaud, les Vikings et la Normandie, éditions OREP
[3] Pierre Efratas, Marue-Catherine Nobécourt, Gilles Pivard, Jean Renaud, La tapisserie de Rollon, Orep Editions
[4] Louis de Saint Pierre, Rollon devant l'histoire, J. Peyronnet et Cie
[5] Lot Ferdinand. La Loire, l'Aquitaine et la Seine de 862 à 866. Robert le Fort. In : Bibliothèque de l'école des chartes. 1915, tome 76. pp. 473-510.
[6] Annie Fettu, Les premiers ducs de Normandie, Orep Editions
[7] Les fondations scandinaves en Occident et les débuts du duché de Normandie, Actes publiés sous la direction de Pierre Bauduin, Colloque de Cerisy-la-Salle, publications du Crahm, 2005
[8] François Neveux, L'aventure des Normands, éditions Perrin.

 

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