Soirées d'appartement : les jeux de hasard à l'honneur
Sans même se focaliser sur le couple royal, on constate que le jeu a bouleversé l'existence de nombreuses personnes à la Cour, ne serait-ce que par les fortunes qu'il a contribué à faire et surtout, défaire. La quasi-totalité des jeux étaient à mise, et les sommes pouvaient rapidement grimper dans l'ivresse des soirées.
Certains en ont profité pour s'enrichir considérablement : c'est par exemple le cas du marquis de Dangeau, connu pour son Journal narrant la vie de Louis XIV quotidiennement pendant 36 ans. Sa façon de jouer est à l'image de son style en littérature : froide, voire ennuyeuse, mais terriblement efficace. Des témoignages d'époque affirment qu'il était l'un des seuls membres de la Cour à « jouer sérieusement » pendant que les autres invités évoquaient bruyamment leurs cartes en main, sans se soucier le moins de monde du résultat de la partie. Pour reprendre des termes du poker actuel : il était l'un des premiers sharks dans un océan de fishes.
« Ce qu'on appelait appartement était le concours de toute la cour depuis sept heures du soir jusqu'à dix, que le Roi se mettait à table, dans le grand appartement, depuis un des salons du bout de la grande galerie [le Salon de Jupiter] jusque vers la tribune de la grande chapelle. D'abord il y avait une musique ; puis des tables par toutes les pièces, toutes prêtes pour toutes sortes de jeux ; un lansquenet où Monseigneur et Monsieur jouaient toujours ; un billard : en un mot, liberté entière de faire des parties avec qui on voulait, et de demander des tables si elles se trouvaient toutes remplies. Au-delà du billard, il y avait une pièce destinée aux rafraîchissements ; et tout parfaitement éclairé. Au commencement que cela fut établi, le Roi y allait, et y jouait quelque temps ; mais dès lors il y avait longtemps qu'il n'y allait plus, mais il voulait qu'on y fût assidu, et chacun s'empressait à lui plaire. »
Parmi les jeux évoqués par Saint-Simon, on reconnaît évidemment le billard, divertissement central à la Cour, très prisé notamment de Louis XIV qui pouvait y jouer des heures durant.
Lansquenet, basette et cavagnole
Le lansquenet, quant à lui, est moins célèbre de nos jours : il fait partie de la catégorie des jeux appelés « de hasard » en principe bannis au sein du Royaume, mais qui n'en étaient que plus populaires lors des soirées d'appartement. Le lansquenet est assez délicat à décrire : il peut être considéré comme l'un des ancêtres du black-jack ou 21, en cela que les joueurs sont opposés à la Banque. Cependant, au lansquenet, les banquiers sont multiples : le véritable précurseur du black-jack est plutôt la basette, également très populaire à l'époque.
Jeux de commerce : les neurones sollicités
A ces jeux de hasard s'opposent les « jeux de commerce » : ceux-ci sont autorisés et font appel à la réflexion et la déduction plutôt qu'à la chance. Parmi les plus en vogue, on peut évoquer le tric-trac, souvent considéré à tort comme une variante du backgammon. La confusion vient du fait que ces deux divertissement se jouent sur le même plateau de jeu (plateau à 24 flèches). Cependant, l'objectif final au trictrac n'est pas de sortir ses pions au plus vite de l'aire de jeu, mais de marquer des points à chaque étape du plateau. En cela, le jeu est beaucoup moins soumis au hasard que le backgammon, et il est très difficile de maîtriser toutes les subtilités pour remporter la victoire.
Parmi les autres jeux de commerce, le célèbre whist, jeu de cartes à levées, ancêtre du bridge selon certains. Comme il se jouait sans contrat, il se rapproche plutôt de jeux modernes comme le belote (non coinchée).
Quels que soient les jeux pratiqués, ces soirées représentent un moment à part entre le souverain et ses sujets : l'étiquette est suspendue durant quelques heures, et la bonne humeur est souvent de mise. Ces trop rares moments où chacun peut enfin s'amuser sans avoir toujours à l'esprit des convenances sont particulièrement appréciés des invités mais également du Roi. Pensez-y la prochaine fois que vous voudrez vous accorder une pause ludique : vous ne faites que perpétuer une longue tradition française !