La Maison Mantin (Moulins)

Patrimoine | France : Sud-Est

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« Nom de Zeus ! » vous exclamez-vous en pénétrant dans la Maison Mantin, car vous voilà propulsé plus de cent ans en arrière, en 1905, dans la maison d'un haut fonctionnaire de la IIIe République ayant fait le choix de finir sa vie en bourgeois érudit entouré de ses collections dans un manoir atypique sur les berges de l'Allier... En plein cœur historique de la ville de Moulins, cette maison n'a ré-ouvert ses portes qu'en 2010, révélant au public une demeure d'un autre temps laissée telle quel pour le visiteur ainsi que l'avait voulu son extravagant dernier occupant... Une visite atypique et originale qui s'impose à tout curieux et amateur d'Histoire, le plus dur sera pour vous de revenir vers le futur.

  

Louis Mantin

Louis Mantin (1851 – 1905) fut avocat puis haut fonctionnaire, sous-préfet dans les Hautes-Alpes, l'Hérault, la Nièvre et la Haute-Vienne, il est considéré d'un commun accord comme un individu sociable et intelligent. Au décès de ses parents, il quitte l'administration d'État pour retourner sur la propriété familiale, à Moulins, où ses parents et grands-parents avaient une maison sur les ruines de l'ancien palais ducal des Bourbons. Fils unique héritier de ses parents et d'un oncle, il mène alors une vie de rentier, bourgeois érudit sur les berges de l'Allier...

Sur ce terrain familial, à côté de la cathédrale et de la fameuse tour du Mal-Coiffé, il décide en 1894 de faire ériger une villa et en confie la réalisation à l'architecte René Moreau. Gardant les cuisines et salle à manger dans la maison de ses grands-parents, la villa apparait donc avant tout comme un lieu de vie, où il passe les vingt dernières années de son existence. Mais c'est aussi et avant tout un écrin, un écrin pour une formidable collection amassée par un fonctionnaire qui a voyagé dans toute l'Europe et qui, en curieux de son siècle, a accumulé mobilier, œuvres d'art et objets insolites de provenances diverses et variées.

Le bourgeois gentilhomme mène une vie demi-mondaine et savante, écrivant quelques articles pour la « Société d'Émulation du Bourbonnais » (dont il est vice-président), se rendant aux concerts donnés en la cathédrale, et cachant dans les murs de sa villa la relation illégitime qu'il entretient avec Louise-Gabrielle Alaire, femme mariée...

À sa mort en 1905, Louis Mantin ne laisse pas d'héritier direct, mais un testament qui lègue tous ses biens à plusieurs institutions : des œuvres d'art religieux pour la cathédrale, sa bibliothèque de 1.400 ouvrages pour l'Ordre des avocats, et enfin sa demeure pour la ville de Moulins !
Ainsi faisant, il espère que le joyau de sa vie se visitera dans le futur, manière peut-être pour lui de défier la mort :

« On devra, autant que possible, surtout dans la partie neuve, conserver l'aspect et la distribution actuels de façon à montrer aux visiteurs dans cent ans un spécimen d'habitation d'un bourgeois au 19e siècle. »

Mais, revers de la médaille, Louis Mantin contraint la ville à regrouper les deux musées existants en un seul, placé devant sa maison sur les ruines du palais ducal, condition sine qua non pour que son legs soit valide... Mantin fait ainsi d'une pierre deux coups et initie la création de deux des principaux pôles touristiques de la ville : le Musée Anne de Beaujeu inauguré en 1910 et sa propre maison. 

La Maison Mantin de 1905 à nos jours

Contrairement à une idée très répandue, la Maison Mantin ne fut pas complètement fermée pendant la centaine d'années qui nous sépare de son dernier occupant... Effectivement, la Maison est ouverte au public jusqu'à l'entre-deux-guerres puis, pour des raisons de conservation, les visites deviennent de plus en plus confidentielles. Il faut finalement attendre son rachat en 2004 par le Conseil Général de l'Allier pour que la bâtisse soit remise en valeur et ré-ouverte au public.

Seule une administration publique pouvait en effet disposer des fonds suffisants pour financer ce projet d'envergure. Car la demeure de la figure locale a énormément souffert des affres du temps, des infiltrations d'eau et d'un champignon destructeur : le mérule. S'en suit un chantier pharaonique qui va mobiliser des cohortes d'artisans apportant tout leur savoir-faire pour rendre à la villa son lustre d'antan : les boiseries sont traitées, les dorures, le mobilier sont restaurés, les tentures sont refaites à l'identique... 

Suivez le guide !

Les visites de la Maison Mantin se font aujourd'hui sur rendez-vous, accompagné d'un guide conférencier qui vous invite à découvrir chaque pièce de la demeure et s'attache à répondre à toutes vos questions. Sur ce point, nous tenons à préciser la qualité de visite, l'équipe d'HpT ayant profité de la prestation d'une guide talentueuse et avenante, maitrisant parfaitement son sujet ! D'aspect extérieur, la villa de Louis Mantin prend des airs de manoir néo-normand, demeure à cheval entre la maison bourgeoise et le château, pour une bourgeoisie romantique du XIXe qui se rêve en châtelain d'un autre temps.

À l'intérieur, le goût est à l'éclectisme, avec une recherche nette de l'accumulation, une peur du vide et un mélange constant des genres et des styles. Salué dès son entrée par un SALVE tout ce qu'il y a de plus latin sur le seuil de la porte, le visiteur découvre en bas du grand escalier, merveille d'ébénisterie, un loup empaillé dont on dit qu'il fut le dernier abattu dans le département (Louis Mantin était chasseur et plusieurs trophées ornent les murs de la demeure). Passant devant les tapisseries de Felletin et d'Aubusson, nous poursuivons notre chemin et nous arrêtons devant une magnifique vitrine très inspirée de l'art cynégétique de Forêt-Noire où est exposée une belle collection d'armes blanches (sabre Premier Empire...), évocation de la grande collection dont disposait Mr Mantin. On remarque au sol les grilles d'un calorifère à charbon et sur les murs des ampoules, la demeure étant alors l'une des rares à disposer de l'électricité.

Passant une porte nous entrons dans le salon d'apparat, où domine un superbe lustre en cristal de Baccarat où l'on retrouve, espièglerie d'un fonctionnaire de la IIIe République, trois ampoules aux couleurs nationales... Dans cette profusion de luxe les styles se mélangent harmonieusement : mobilier Louis XIII, Louis XVI, colonnes torsadées inspirées des églises baroques, vases de Sèvres et émaux de Limoges, statue d'Esméralda de style classique, copie du Faune de Pompéi... Au-dessus de la cheminée, une vitre nous dévoile déjà les beautés du bureau du maitre de maison...

Ce bureau de travail est, à nos yeux, une des pièces qui représente le mieux cet éclectisme et ce goût de l'accumulation qui caractérise la fin du XIXe siècle. Horloge hollandaise en marqueterie, faïence bleue de Delft, crabe articulé en bronze provenant du Japon, basson d'église russe à tête serpentine, horloge veilleuse pouvant accueillir une petite bougie... Au milieu de ce cabinet de travail et de plaisirs où s'accumulent savoir humain et symbole du temps qui passe, un crâne humain posé en évidence sur le bureau vient compléter cette composition digne d'une Vanité hollandaise du XVIIe...

Sur ce memento mori une phrase interpellait l'érudit bourbonnais : « Je fus ce que tu es, tu seras ce que je suis ». Témoignage s'il en faut du questionnement existentiel de cet homme marqué par un siècle romantique finissant... Qui sait si ce n'est dans ce face à face avec la Mort que Louis Mantin pris la décision de braver le temps par son lègue exceptionnel qui devait lui offrir ici bas une forme d'immortalité, vaniteux mais au combien réconfortant complément à l'immortalité de l'âme qu'espérait ce fervent catholique.

Après être passé devant la bibliothèque, où Michelet le dispute à Zola, nous passons devant une collection de faïences de Nevers, de Moulins et de Lunéville, placée en vis-à-vis d'une collection d'histoire naturelle où un petit alligator naturalisé se retrouve encerclé par les coraux, coquillages, poissons et autres merveilles des profondeurs. Nous portons aussi une attention toute particulière aux fenêtres de la demeure, elles aussi marquées par des styles très différents, avec des vitraux d'inspirations médiévales, des figures saintes dignes des plus belles églises du Bourbonnais, mais aussi des vitres peintes dans un style art nouveau où l'on croise narcisses et coquelicots qui répondent aux tournesols des tentures.

À l'étage se trouvent deux chambres tout ce qu'il y a de plus « royales ». Celle de Louise Alaire baigne dans une ambiance bonbonneuse caractérisée par un style Louis XV, des tons framboise, un plafond peint figurant le ciel et des médaillons représentant le cycle des quatre saisons. Juste à côté se trouve la chambre de Louis Mantin avec ses fenêtres à double vitrage décorées de grisaille, son lit à baldaquin avec tentures et, sur les murs, des cuirs dits de Cordoue (fait en réalité à Avignon) du XVIIIe comme on n'en connait aucun autre exemple en Europe pour un habitat privé ! L'origine de ces cuirs décorés, généralement destinés aux demeures royales et princières, reste mystérieuse. La basane est recouverte de feuilles d'argent vernies de jaune, sur lesquelles sont peintes des scènes éxotiques, historiques, mythologiques ou allégoriques.

Au même étage, la salle de bain avec ses décors japonisants montre l'habile volonté du maitre des lieux d'allier progrès technique et beauté.Enfin, le dernier étage est réservé au cabinet de curiosité, chauffé par une cheminée atypique incrustée d'assiettes de la Compagnie des Indes, décorée de natures mortes cynégétiques en biscuit et ornée en son centre d'une intrigante lutte entre le Diable et un dragon tout d'eux affublés pour plus de réalisme d'éléments naturalistes (véritables serres de rapace, ergots de coq...). Dans ce petit musée privé entouré de vitraux, Louis Mantin avait placé sa collection de médailles, des vitrines d'archéologie, de taxidermie, de verrerie, de ferronnerie, de coutellerie, d'armes à feu (pistolets à coffre, à silex...), maquette de l'escalier à double volute de Chambord réalisé selon les plans de Léonard de Vinci et de nombreux objets insolites comme ces grenouilles naturalisées représentées en plein duel à l'épée !

Au fond, derrière une porte, une passerelle nous permet d'accéder au sommet de la tourelle. Là, sur ce point haut de la bâtisse érigée sur les cendres du palais ducal, entouré du serpent qui se mort la queue, de l'Alpha et de l'Oméga, un quatrain en latin vient rappeler à l'amateur éclairé qui visite ces lieux que tout ici bas est voué à disparaitre... 

Parvula pars quondam ingentis atque superbi
nunc alium, se denim mirum, conficio
Limen : Tempus edax me flamma dirvit olim
quod hodie relevat, rursus diruerit.

Moi qui fus autrefois une faible partie d'une demeure considérable et orgueilleuse, voilà que je parachève une habitation bizarre : je fus naguère détruite par le feu ; ce que le temps qui dévore tout relève aujourd'hui, demain le temps l'aura de nouveau détruit.

Nous finissons la visite sur ces mots où Mantin lui-même relativise son œuvre. Nous n'avons, volontairement, pas évoqué tous les trésors qui font l'intérêt et le plaisir que l'on prend à visiter la Maison Mantin. Nous laissons à nos lecteurs le soin d'aller par eux-mêmes les découvrir en mettant leurs pas dans ceux d'un érudit du siècle passé. 

À voir aux environs...

Autour de la Maison Mantin, la ville de Moulins offre plusieurs hauts lieux qui méritent de s'y arrêter. Pour commencer, mitoyen à la demeure, le Musée Anne de Beaujeu. Ce dernier comporte une importante collection d'art et de mobilier archéologique régional et national. À noter également la nouvelle salle qui vient d'ouvrir, consacrée aux momies de l'Égypte Antique. Actuellement, cette salle est complétée à l'étage par une exposition temporaire consacrée aux momies et qui présente les techniques d'embaumement et le rapport des Européens à la civilisation égyptienne depuis la campagne d'Égypte de Bonaparte : vague d'intérêt pour l'égyptologie, puis égyptomanie allant des porcelaines commandées par l'Empereur jusqu'au cinéma et aux playmobils de nos rayons de jouets.

Juste en face, l'église cathédrale renferme un des joyaux de l'art de la Renaissance française : le fameux triptyque du XVe siècle réalisé par le Maitre de Moulins, parfois identifié comme étant le peintre néerlandais Jean Hey.
Enfin, notons avec intérêt le Musée de la Visitation présentant le patrimoine monastique des sœurs de la Visitation Sainte-Marie, le Musée de l'illustration jeunesse et le fameux Centre National du Costume de Scène, de quoi occuper un week-end dans la région...

Pour aller plus loin

 - La maison Mantin : Une demeure d'atmosphère. Bleu autour, 2011.

- Site de l'Office de Tourisme de Moulins

 

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