Saint-Pétersbourg, ville d'histoire et de tourisme

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Capitale historique de la Russie, joyau architectural, centre intellectuel et universitaire, Saint-Pétersbourg est la deuxième ville du pays et l’un de ses principaux ports et carrefours ferroviaires. Saint-Pétersbourg, c’est d’abord l’idée d’un homme, le tsar de Russie Pierre Ier le Grand. Peu d’observateurs auraient déjà cru qu’à peine trois ans après avoir vu son armée détruite à Narva par son ennemi suédois Charles XII, Pierre parviendrait à prendre aux Suédois le contrôle de l’Ingrie. Voilà qu’à présent, en ce 27 mai 1703, le souverain posait la première pierre de ce qu’il entendait devenir le premier port de son empire, sa fenêtre sur le monde et, à terme, sa capitale.

En remontant l'avenue de Moscou à Saint-Pétersbourg

Un marécage insalubre bordant la Neva, tout au fond du golfe de Finlande (pris par les glaces en hiver), entouré de forêts qui ne sont encore qu’un territoire suédois occupé : tel est le site incongru choisi par Pierre. Un choix que d’aucuns auront appelé une folie, mais qui fera entrer malgré tout le tsar au rang des grands bâtisseurs de l’histoire. Car son entreprise va réussir et Saint-Pétersbourg, baptisée volontairement avec un nom à consonance occidentale et non russe, deviendra un des joyaux du patrimoine culturel et architectural mondial, en même temps qu’une métropole chargée d’histoire.

Les rêves de grandeur, toutefois, n’excluent pas le pragmatisme et la première chose à construire est une forteresse, afin d’empêcher les Suédois de reprendre le contrôle de la région. Dédiée aux saints Pierre et Paul, elle sera érigée sur un îlot du delta de la Neva, l’île du Lièvre (Zayachyy ostrov), qu’elle englobe entièrement. Le bois cèdera bientôt place à la pierre dans la construction des remparts – non sans que les fondations ne soient assurées par des pieux profondément enfoncés, pour éviter que le granit ne s’abîme dans le sol meuble du marais.
 
Ce marais, il faut d’ailleurs l’assécher et ce sont les paysans russes qui vont s’en charger. Réduits au statut de serfs, ceux-ci n’ont de toute façon pas leur mot à dire, et c’est par dizaines de milliers qu’ils sont purement et simplement déportés pour exécuter la volonté de leur maître. Le musée d’histoire de St-Pétersbourg conserve aujourd’hui des états numériques éloquents de ces « relogés », venus de Novgorod ou d’ailleurs, qui seront des milliers à mourir d’épuisement, de malnutrition et de maladie en drainant les marécages.
 
Le touriste qui débarque à l’aéroport de Pulkovo ne se doute guère de ces tourments en arrivant dans la deuxième ville de la Russie moderne (4,5 millions d’habitants). Son premier souci est d’arriver vivant à son hôtel après que son taxi ait remonté l’avenue de Moscou à tombeau ouvert – 90 km/h voire plus, les limitations de vitesse ne semblant guère avoir d’effet sur l’enthousiasme des automobilistes, pas plus que la neige ou la pluie lorsqu’il y en a. La course coûte entre 800 et 1200 roubles (20 et 30 euros) : prévoyez d’avoir le compte, car le chauffeur risquerait de vous faire le coup de celui qui n’a pas de monnaie. Bienvenue en Russie !

Néanmoins, la ville est immense et même à cette allure, remonter l’avenue de Moscou prend un bon quart d’heure avant de se retrouver englué dans la circulation de l’hypercentre. Cela laisse le temps au passager de contempler, par exemple, le monument érigé en mémoire de la Seconde guerre mondiale : plusieurs ensembles de statues (ouvriers, soldats, marins, civils) surplombés par un obélisque frappé des dates « 1941-1945 ». Exit, donc, la Pologne, les États baltes ou la Finlande : pas de guerre d’agression pour l’historiographie soviétique !

On retiendra aussi la statue de Lénine – elles n’ont pas toutes été déboulonnées, loin s’en faut – qui trône devant un vaste immeuble d’architecture typiquement stalinienne, ou encore les quelques clochers colorés qui apparaissent entre les arbres d’un vaste parc. Ou bien, plus prosaïquement, les énormes stalactites de glace qui pendent, l’hiver, des toits et des chenaux, menaçant silencieusement les clients des innombrables magasins et autres sushi-bars, devenus très à la mode, qui fleurissent le long de l’avenue. Des stalactites à l’image de la Russie : belles, mais parfois sans pitié. 

L'île Vassili et le palais Menchikov

Dans l’esprit de Pierre le Grand, le cœur de sa future capitale aurait dû se trouver à l’ouest de la forteresse Pierre-et-Paul (Petropavlovskaya krepost’), sur une autre île du delta de la Neva, l’île Vassili (Vassilievskyy ostrov). À terme, celle-ci était censée renfermer les principaux bâtiments administratifs et être entièrement ceinturée de remparts. Conçue sur le modèle d’Amsterdam, où Pierre avait vécu en 1697-98, elle devait aussi être sillonnée de canaux : trois principaux dans le sens est-ouest, nommés en fonction de leur taille, et coupés à angle droit par des « lignes », plus petites et numérotées par rapport à leurs quais.

Mais lorsque Pierre mourut en 1725, rien de tout cela n’avait été achevé. Le centre névralgique de la ville allait demeurer là où se trouvaient les palais des tsars, sur la rive sud de la Neva. Jamais mis en eau, les canaux principaux allaient s’y muer en avenues : la Grande (Bolchoï prospekt, prononcer « balchoï praspiekt »), la Moyenne (Srednyy) et, très originalement, la petite (Malyy). Les « lignes » allaient devenir autant de rues, tout en gardant la numérotation qu’elles auraient dû porter en tant que canaux. Ainsi, la Sixième et le Septième ligne, par exemple, sont en fait les deux côtés d’une même rue – une particularité qu’on ne retrouve pas ailleurs dans St-Pétersbourg.

Si l’île Vassili n’allait pas jouer son rôle voulu de centre-ville, elle n’allait pas en être délaissée pour autant, accueillant de nombreux édifices, en particulier à la pointe orientale de l’île, où la Neva, qui mesure à cet endroit près d’un kilomètre de large, donne naissance à ses deux bras principaux. Parmi eux, l’un des tout premiers bâtiments en pierre de la ville, le palais Menchikov. S’il a pu être construit en pierre, d’ailleurs, c’est en premier lieu parce que le tsar avait interdit qu’on construise avec ce matériau ailleurs qu’à St-Pétersbourg, afin d’assurer que le chantier de la nouvelle capitale soit approvisionné tant en pierres qu’en maçons.

Le palais, comme son nom l’indique, fut la demeure d’Alexander Menchikov, compagnon de jeunesse de Pierre le Grand devenu son bras droit. Cet homme aux origines incertaines – on ignore s’il était roturier ou de petite noblesse – devint même régent de fait à la mort de Catherine Ière, la veuve de Pierre le Grand qui lui avait succédé, avant que les grandes familles de la noblesse russe ne parviennent à le renverser. Dépossédé de tous ses biens, Menchikov fut exilé en Sibérie avec sa famille ; il y mourut dans la misère en 1729.

Son palais, bien restauré après avoir été longtemps négligé, est aujourd’hui un musée. La décoration y est parfois faste, entre carreaux de faïence de Hollande et tapisseries de soie chinoises, mais il reste un palais d’habitation plutôt que d’apparat. De ce fait, il offre un contraste important avec les autres édifices, plus tardifs et plus ostentatoires, qu’on peut trouver sur la rive sud.

Ici, un petit aparté sur les musées russes s’impose. Sachez en effet que, sauf exception, prendre des photos à l’intérieur nécessite de payer un supplément à l’entrée (généralement 200 à 400 roubles, soit entre 5 et 10 euros). Si l’on peut s’en dispenser dans les grands musées, où l’affluence rend tout contrôle impossible, en revanche il vaut mieux ne pas y penser dans les plus petits : chaque salle renferme une surveillante, le plus souvent une dame âgée qui n’est pas là pour son plaisir, mais pour compléter sa maigre retraite (généralement entre 5.000 et 10.000 roubles mensuels). Ces dames veillent au grain avec une sévérité toute russe, qui peut se muer en une amabilité presque désarmante si vous connaissez sa langue et daignez lui adresser quelques mots. Ceci explique pourquoi cette série d’articles sera plus volontiers illustrée de photos d’extérieur que d’intérieur… 

Musées en série

Un peu plus loin que le palais Menchikov, le square dédié à Mikhaïl Lomonossov (1711-1765) donne le ton. Lomonossov était en effet un polymathe, génial touche-à-tout à l’aise aussi bien en poésie qu’en mathématiques ou en confection de mosaïque. À l’instar de son génie, une grande partie de la pointe de l’île Vassili est dédiée aux sciences et aux arts. Ainsi, les Douze Collèges, qui devaient selon le plan de Pierre le Grand accueillir les ministères, ont finalement hébergé une université – ainsi que, dans un bâtiment contigu et jusqu’en 2009, le Collège universitaire français de St-Pétersbourg.

La continuation du quai, en amont vers la pointe de l’île, n’est qu’une suite de musées : à celui de zoologie succède celui d’anthropologie et d’ethnologie, installé dans la Kounstkamera : l’édifice où Pierre Ier avait implanté, dans la plus pure tradition du XVIIIème siècle, son cabinet de curiosités – parfois morbides, allant du fœtus à deux têtes au squelette de géant. L’édifice est surmonté d’une tour qui abritait un observatoire astronomique. Les deux édifices emplissent le quai jusqu’au pont du Palais (Dvortsovyy most) et la pointe de l’île Vassili proprement dite.

De part et d’autre de cette dernière – aménagée en esplanade – deux colonnes rostrales ont été érigées à la gloire de la marine de guerre russe. Le site offre une vue remarquable sur la rive sud et l’amont de la Neva, avec notamment la forteresse Pierre-et-Paul et le Palais d’Hiver. Il est très prisé des Pétersbourgeois, en particulier lors des mariages, et il n’est pratiquement pas un jour sans qu’on n’y croise, effectivement, un couple de jeunes mariés en train de se faire photographier, Monsieur en costume et Madame en robe blanche – ce quels que soient le temps et la saison. On dit qu’y boire le champagne (ou, faute de mieux, le champanskoyé, vin mousseux excessivement sucré qui en tient généralement lieu en Russie) porte chance, et assure au voyageur de revenir à St-Pétersbourg.

Face aux colonnes rostrales se trouve l’ancienne Bourse. Achevée en 1811, elle porte le poids de la mode architecturale d’alors : colonnade néo-classique grecque de rigueur, donc. L’ensemble (la Bourse et les colonnes rostrales) a été conçu par un architecte français, Thomas de Thomon. Après la Révolution d’Octobre, le bâtiment a évidemment perdu sa raison d’être, devenant fort originalement un… musée, en l’occurrence (et tout naturellement compte tenu de sa localisation) celui de la Marine de guerre – comme l’indique le pavillon blanc frappé d’une croix de St-André bleue, symbole de la marine russe, qui le surplombe.

À l’intérieur, la grande salle principale vous plonge dans trois siècles d’histoire navale russe, du botik, petit bateau sur lequel Pierre le Grand apprit à naviguer, à la Première guerre mondiale. Bustes et décorations d’amiraux, maquettes de navires et matériels en tous genres s’offrent à vous, tandis qu’au plafond pendent de grands trophées : drapeaux des navires pris aux Suédois à Gangut (aujourd’hui Hankö en Finlande) en 1714, victoire qui allait assurer aux Russes le contrôle de la mer Baltique ; puis plus tard, aux Turcs, lors des innombrables guerres ayant opposé la Russie à l’Empire Ottoman.

L’exposition, toutefois, ne s’arrête pas là : une série de salles latérales, plus petites, permet de continuer le voyage dans le temps, de la Révolution d’Octobre à nos jours. Plusieurs d’entre elles sont consacrées aux opérations souvent méconnues menées par la flotte soviétique durant la Seconde guerre mondiale, que ce soit dans la Baltique ou en mer Noire. On verra ainsi un des obus de 305 mm – énorme projectile à la pointe acérée, presque aussi haut que vous – que les cuirassés Marat et Oktyabrskaya Revolutsiya tiraient sur les lignes allemandes durant le siège de Leningrad, ou encore un chasseur Polikarpov I-16 de l’aviation navale pendu au plafond.

L’amateur d’histoire navale, c’est sûr, en aura pour son compte. Tout au plus pourra-t-on lui recommander, pour profiter au mieux de sa visite, d’y aller de bonne heure – le musée ferme à 17 heures – et de ne pas hésiter, contrairement à l’auteur du présent article, à débourser les 350 roubles correspondant à l’autorisation de photographier, quitte à baragouiner les quelques mots de russe qu’il connaîtra ou à se faire comprendre gestes à l’appui.
 
St-Pétersbourg est donc née là, sur cette « île du Lièvre » aujourd’hui occupée toute entière par la massive forteresse Pierre-et-Paul. D’un plan typique de son époque, elle forme un hexagone irrégulier, aux angles duquel saillissent des bastions, chacun portant un nom. Deux demi-lunes (sortes de positions avancées) en couvrent les extrémités est et ouest et surtout, les deux entrées principales. Les hauts murs de granit rose, percés de meurtrières et hérissés de canons, avaient pour mission tant de repousser un assaut depuis la terre, que d’empêcher une flotte adverse de forcer le cours de la Neva. L’occasion ne s’est jamais présentée et, dès la fin du XVIIIème siècle, l’édifice avait essentiellement perdu sa fonction défensive originelle.

Sur la plage...

Le visiteur qui arrive de l’île Vassili a plusieurs choix possibles s’il veut pénétrer dans la forteresse. Il peut aller au plus près et y rentrer directement, mais il est plus intéressant d’en faire le tour par les bords de la Neva. Spectacle peu commun en plein cœur d’une ville de cette envergure, une fois contourné le bastion Troubetskoï, on y trouve… une plage. L’espace sous les remparts est souvent utilisé pour y dresser chapiteaux et tribunes, et l’été, la plage se transforme en un lieu de loisirs très prisé des Pétersbourgeois.

On s’y baigne volontiers, en dépit de l’aspect peu engageant des eaux brunâtres et notoirement polluées du fleuve. L’hiver aussi, d’ailleurs : c’est ici que les « Morses », comme on les appelle, se dénudent avant de plonger brièvement par un trou préalablement pratiqué dans la glace. Il paraîtrait que le plus dur serait de sortir de l’eau, étant donné que la température de l’air est généralement, en hiver, inférieure à celle de l’eau. Quoiqu’il en soit, la plupart des gens qui s’aventurent sur la Neva gelée pour y percer un trou se contentent d’y pêcher – un loisir très apprécié en Russie, quelle que soit la saison.

La plage s’arrête au pied du bastion Narychkine, qui fait face au Palais d’Hiver. Le bastion est surmonté d’une petite tour, qui permettait d’observer la navigation sur la Neva, et d’un mât de bateau en haut duquel flotte le drapeau du gouverneur de la forteresse – qui est aussi l’autre étendard de la marine russe, en complément de celui à la croix de St-André bleue. Le touriste qui s’y trouverait aux environs de midi, s’il n’est pas averti, aurait, sitôt sonné le douzième coup de l’horloge de la basilique Pierre-et-Paul, la surprise d’avoir les tympans déchirés par l’explosion d’un énorme pétard, à l’intensité surprenante pour quiconque n’aurait pas eu, jusque-là, l’opportunité d’entendre un canon de campagne de près.

C’est en effet une des deux pièces de 10,5 cm – des canons pris aux Allemands durant la Seconde guerre mondiale – installées sur le bastion Narychkine, qui sonne chaque jour la mi-journée à sa façon. Quelques secondes plus tard, le visiteur encore abasourdi par la pénétrante déflagration en reçoit l’écho, renvoyé par la façade des palais sur l’autre rive. En hiver, l’effet est saisissant car étant relativement éloigné de l’incessante circulation automobile du centre-ville, l’endroit est assez silencieux.

La nécropole des tsars

Passons le bastion Narychkine pour arriver à la porte de la Neva : en plus des deux entrées principales, celle-ci permettait d’accéder à la forteresse par voie fluviale. Les massives pierres grises qui la constituent tranchent avec le reste des remparts. Entrons maintenant dans la forteresse proprement dite. Sur la gauche, un escalier permet de monter sur le bastion Narychkine, un des rares endroits de la ville d’où il est possible d’avoir un panorama large. L’accès, toutefois, est payant, comme pour le reste de ce qu’on peut trouver à l’intérieur de la forteresse Pierre-et-Paul.

En effet, l’îlot fortifié est rempli à ras-bord de musées. La billetterie, située dans un petit pavillon faisant face à la basilique, propose une formule intéressante et économique : un « passe » donnant l’accès aux cinq principaux sites de la forteresse, photos comprises – chose rare. Petite anecdote, la billetterie abrite elle aussi une reproduction du botik de Pierre le Grand, dans lequel il semble d’usage de jeter de menues piécettes. En toute sincérité, l’auteur de ses lignes ignore si cette coutume a une vocation bien précise, ou s’il s’agit juste d’un moyen pour les Russes de se débarrasser opportunément de leurs pièces de 1 et 5 kopecks, plus encombrantes qu’autre chose compte tenu de leur valeur faciale extrêmement réduite : elles vaudraient plus cher au prix de la ferraille.

Si l’usage premier de la forteresse Pierre-et-Paul était militaire, elle avait aussi vocation à devenir un sanctuaire. Ce qui allait devenir la basilique éponyme fut d’ailleurs l’une des toutes premières choses construites, une fois posée la première pierre, dans le but de devenir la nécropole de la famille impériale russe. Sous l’immense flèche dorée, surmontée d’une emblématique figure d’archange, reposent plusieurs dizaines de grands-ducs et de grandes-duchesses – tous apparentés aux tsars – et surtout, presque tous les souverains ayant régné sur la Russie entre 1689 et 1917, à l'exception des éphémères et peu connus Pierre II et Ivan VI, morts et enterrés ailleurs.

Le lieu est faste, dans l’absolu. Mais le faste est tel dans les palais et les églises de St-Pétersbourg qu’on s’y habitue très vite, et pour peu qu’on ait visité le musée de l’Ermitage la veille, la basilique paraîtrait presque sobre. Tout est relatif : on parle ici de marbres colorés, de lustres cristallins et de dorures omniprésentes. En dessous, les tombes paraissent presque humbles : marbre blanc surmonté d’une croix orthodoxe dorée, une plaque du même aloi rappelant l’identité de l’illustre défunt enterré là. Les seuls qui échappent à cette règle sont Alexandre II et sa femme, qui reposent dans de grands sarcophages de porphyre, rouge pour le tsar, noir pour la tsarine.

Compte tenu de l’histoire tumultueuse de la dynastie Romanov, le sort a parfois réservé un destin pour le moins ironique aux restes des feus souverains de toutes les Russies. On peut ainsi voir Catherine II reposer aux côtés de son mari Pierre III, renversé en 1763 par un coup d’État orchestré par elle et occis peu après ; ou bien Alexandre Ier gésir aux côtés de son père Paul Ier, assassiné en 1801 à la suite d’un complot dont Alexandre savait tout, mais ne révéla rien. La culpabilité devait le poursuivre jusqu’à sa propre mort, en 1825.

Le dernier tsar, lui, se trouve ailleurs. Une petite chapelle située à l’écart de la nef principale accueille les restes de Nicolas II, sa femme Alexandra, leur fils Alexis et leurs quatre filles Olga, Tatiana, Maria et Anastasia, ainsi que des quatre personnes de leur suite qui furent brutalement assassinées avec eux, dans la nuit du 17 au 18 juillet 1918. D’abord brûlés et abandonnés dans un puits de mine désaffecté de la région d’Iekaterinbourg dans le lointain Oural, leurs corps furent transférés là 80 ans plus tard ; ou du moins neuf d’entre eux, car les restes d’Alexis et Maria ne furent retrouvés qu’en 2007 sur un autre site. La famille du tsar a été canonisée par l’église orthodoxe de Russie et la chapelle des « saints Romanov » ne se visite pas : elle peut seulement être prise en photo au travers de la porte.

Silencieuse forteresse Pierre-et-Paul

C’est en méditant sur cette fin tragique et sordide que l’on ressort de la basilique. La frise frappée de la faucille et du marteau qui décore l’Hôtel des Monnaies (Monetny Dvor), situé face à la basilique et où l’on frappe encore des pièces de collection, rappelle le choc meurtrier entre l’ancien régime et le nouveau. De l’autre côté de l’édifice religieux figure un autre cimetière, celui des gouverneurs de la forteresse. En juin l’endroit est presque charmant, avec sa verdure et ses lilas en fleurs ; on y oublierait plus facilement ces sombres pensées.

Mais en février l’ambiance est toute autre : les pierres tombales sont recouvertes d’abris de tôle pour les protéger de l’action du gel, et le carillon de la basilique, qui sonne toutes les demi-heures son obsédante musique, épaissit encore une atmosphère presque lugubre. Même la statue de Pierre le Grand, créée récemment, est inquiétante : le tsar y est représenté assis, vieux et chauve, l’air sévère, le corps disproportionné, les doigts squelettiques. Il ne manque plus à ce sinistre et irréel tableau que quelques corbeaux, qui à St-Pétersbourg sont plus gris que noirs, d’ailleurs.

Non loin de là, le musée d’histoire de la forteresse se visite assez rapidement. Celui consacré à l’histoire de la ville proprement dite, installé dans l’ancienne résidence du gouverneur de la forteresse, est beaucoup plus fourni et vaut le détour. Tous deux présentent une muséographie refaite à neuf depuis peu, avec des expositions modernes, didactiques et bien mises en valeur. Les salles consacrées aux différents objets de la vie quotidienne présentent un intérêt certain.

De par sa nature fermée et insulaire, la forteresse Pierre-et-Paul se prêtait à merveille à accueillir des prisonniers « importants » qu’on désirait garder au secret. Cette habitude fut officialisée dans la première moitié du XIXème siècle, lorsque le bastion Troubetskoï fut aménagé en prison d'État. Il reçut ainsi, dans des conditions très difficiles, les ennemis politiques du régime tsariste, et quelques prisonniers de marque, comme l’écrivain Fédor (prénom qui, en russe, se prononce en fait « Fiodor » - autrement dit Théodore) Dostoïevski durant sa jeunesse « rebelle », ou encore Léon Trotsky, pendant une courte période en 1907.

À la Révolution, la prison servit naturellement à héberger les opposants des Bolchéviques, avant d’être abandonnée dans les années 1920 et transformée en musée. L’aménagement en est un peu monotone – une suite de cellules avec de sommaires biographies de leurs principaux occupants – mais laissent bien entrevoir les très dures conditions de leur emprisonnement, du confort spartiate des lits de planches jusqu’au système d’isolation sonore, censé empêcher les détenus de communiquer entre eux par des coups frappés aux murs.

Avant de ressortir, il reste encore à voir le musée de la conquête spatiale. C’est un peu le parent pauvre de la forteresse : légèrement à l’écart, il n’a pas bénéficié des aménagements récents des autres musées. Il n’en reste pas moins intéressant à visiter, entre le buste de Constantin Tsiolkovski (le père de la théorie du voyage spatial), la maquette à l’échelle 1 du Spoutnik, ou la nourriture fournie aux cosmonautes de la station Mir. L’occasion de constater que même dans l’espace, les Russes emportaient (en tube) leur tvorog, crème sucrée à base de lait caillé légèrement acide et qui – du moins sur Terre – sert de base à d’excellents desserts.
 
Le cœur de St-Pétersbourg n’allait être ni l’île Vassili, comme l’avait imaginé Pierre le Grand, ni la forteresse Pierre-et-Paul où avait été posée la première pierre de la ville. De fait, c’est sur la rive sud de la Neva que se trouve le centre-ville. La raison en est essentiellement pratique : dans une monarchie absolue et très centralisée, il était finalement logique que le palais du tsar et autocrate de toutes les Russies devienne le centre névralgique de la capitale impériale. 

Par-dessus la Neva

Deux ponts permettent de passer de l’île Vassili à la rive gauche de la Neva : celui du Palais, déjà mentionné, et le pont du Lieutenant Schmidt (Most Leytenanta Schmita, parfois appelé aussi Blagovechtchenskyy Most, le pont de l'Annonciation). Empruntons ce dernier. Le visiteur non averti remarquera au milieu du pont des sortes de guérites. Ce sont là des postes de commandes, pour la simple et bonne raison que ce pont se lève, comme tous les autres ponts sur la Neva – ce qui explique en partie pourquoi on en trouve si peu, comparativement à des villes françaises comme Lyon ou Paris, et relativement à l’échelle de la ville.

En effet, la Neva relie la mer Baltique au lac Ladoga, qui est lui-même connecté par divers canaux au reste des voies navigables russes, notamment le bassin de la Volga. Il s’agit donc d’un axe de communication important, avec le passage de navires de fort tonnage. Bloquée par les glaces quasiment la moitié de l’année, la navigation est rouverte sitôt que le fleuve est dégelé. Évidemment, les ponts ne peuvent pas être relevés au coup par coup, compte tenu de l’impact que cela aurait sur la circulation automobile.

Il y a donc des créneaux horaires durant lesquels les ponts sont relevés, la nuit, généralement entre une heure et cinq heures du matin. Cela peut s’avérer problématique pour circuler dans la ville, car le métro étant fermé de minuit à sept heures, il n’y a alors plus aucun moyen de passer d’une rive à l’autre. Le fêtard qui, par exemple, aura voulu quitter son hôtel de l’île Vassili pour aller s’amuser dans une des nombreuses boîtes de nuit de la rive sud n’aura plus qu’à patienter pour rentrer.

Dans le pire des cas, si l’on est en juin, il pourra toujours se consoler en contemplant le spectacle féérique des ponts levés se détachant dans la clarté laiteuse et humide des fameuses « nuits blanches » : la période du solstice d’été où, la latitude aidant, le soleil ne se couche pratiquement pas, et où la nuit se limite à deux ou trois heures de crépuscule. Évidemment, autour du solstice d’hiver en décembre, c’est l’inverse : des « jours noirs » où l’on ne voit pas le soleil.
Heureusement pour le noctambule, la Russie n’est pas la France : il n’y a pas de fermeture par arrêté préfectoral à une heure du matin et la plupart des établissements nocturnes pétersbourgeois ferment bien plus tard. Il en est de même des cafés ou des restaurants, voire de certains magasins, fréquemment ouverts à des heures que nous jugerions parfaitement incongrues. St-Pétersbourg est une ville qui ne s’arrête jamais vraiment : on peut y manger un poulet à six heures du matin – ce qui ne sera pas nécessairement superflu si vous avez bu une trop grande quantité de l’excellente bière locale (piva en russe), boisson bien plus massivement consommée en Russie que la vodka. 

Le Cavalier de Bronze

Bien qu’elles aient aussi leur importance, laissons là ces quelques considérations sur ce qui fait l’âme de St-Pétersbourg – que ses habitants appellent plus simplement Piter – et poursuivons notre chemin. À gauche après le pont, en remontant le quai des Anglais (Naberejnaïa Angliski), on longe bientôt un imposant bâtiment jaune : c’est l’ancien Sénat. À l’époque des tsars, ce n’était pas un organe législatif à proprement parler, mais simplement le lieu où se réunissaient les plus proches conseillers du souverain. Il abrite aujourd’hui la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, la plus haute instance judiciaire du pays, transférée tout récemment de Moscou à St-Pétersbourg.

Aussitôt après le Sénat, on tombe nez à nez avec un des symboles les plus connus de St-Pétersbourg, la monumentale statue équestre de Pierre le Grand. Juché sur un monolithe de granit rose de plus de mille tonnes, le tsar étend son bras vers les terres nouvellement conquises dans une posture impérieuse, pendant que son cheval cabré piétine le serpent suédois. L’ensemble a été conçu par un artiste français, Falconet, mais le socle porte pour toute légende une simple dédicace (en russe et en latin) : « À Pierre Ier, Catherine II ». L’œuvre a été inaugurée en 1782, et les habitants de la ville l’appellent simplement « le Cavalier de Bronze ».
Elle doit ce surnom au poème éponyme d’Alexandre Pouchkine, écrit en 1833, et que des générations d’écoliers russes ont appris par cœur – la pédagogie russe est d’ailleurs basée sur ce type d’apprentissage, essentiellement. Le poète y chante son amour pour sa ville, et de fait, St-Pétersbourg est une cité dont on tombe aisément amoureux. Il y rappelle également les meurtrières inondations de 1827, qui avaient dévasté une grande partie de la ville. Pouchkine et la statue sont devenus, dans la culture russes, indissociables de la ville et, par la même occasion, en sont considérés par les Pétersbourgeois eux-mêmes comme des figures emblématiques.

La grande place qui accueille la statue se nomme « place des Décembristes ». C’est en effet ici qu’en décembre 1825, un groupe d’officiers de l’armée tenta un coup d’État libéral, à la mort d’Alexandre Ier. En lieu et place de son successeur légitime, son frère Nicolas Ier, les putschistes placèrent sur le trône un autre frère d’Alexandre, Constantin. Leurs soldats s’assemblèrent sur ce qui était alors la place du Sénat, aujourd’hui plantée d’arbres, mais qui à l’époque était nue. Toutefois, leur manœuvre échoua et leurs partisans furent écrasés dans le sang sur cette même place. Certains meneurs furent condamnés à mort et exécutés, les autres déportés en Sibérie avec leurs familles. Sous le régime soviétique, l’endroit fut rebaptisé place des Décembristes (Plochtchad’ Dekabristov), bien que leur coup d’État n’eût rien d’une révolution populaire.

Panorama de Saint-Pétersbourg

De l’autre côté de la place, on débouche sur la cathédrale Saint-Isaac (Isaakievskyy Sobor – prononcer ce dernier mot « sabor » car le premier « o » n’est pas accentué : une caractéristique récurrente, et assez déroutante, de la langue russe), tout à fait représentative d’une démesure, tant dans le luxe que dans la taille, typique de St-Pétersbourg. Son large dôme doré culmine à plus de cent mètres au-dessus du sol, et chacun des quatre bras de son plan en croix grecque est flanqué de colonnes de granit rose – omniprésent à St-Pétersbourg car c’était la roche la plus rapidement disponible, les carrières se situant en Finlande – hautes de 17 mètres. On passera sur les lourdes portes de bronze, face auxquelles le visiteur se sent bien petit.

Pour éviter que sa colossale création ne s’enfonce dans le sol meuble de l’ancien marécage, l’architecte français – encore – Auguste de Montferrand le fit stabiliser en y insérant des milliers de pieux, chacun sur plusieurs mètres de profondeur. La construction s’échelonna sur quarante ans et s’acheva en 1858. Outre le musée qui s’y trouve, le principal intérêt de St-Isaac est l’escalier de quelques 200 marches qui, moyennant moins de 200 roubles, permet de monter jusqu’à la colonnade qui soutient le dôme. C’est là que vous aurez le meilleur panorama sur un centre-ville qui, autrement, est uniformément plat, et où les immeubles dépassent rarement cinq ou six étages.

On pourra découvrir à cette occasion… encore une autre place, avec une autre statue équestre, à l’opposé du Cavalier de Bronze : celle de Nicolas Ier, le pourfendeur des Décembristes. Ce dernier fit construire face à celle-ci un palais pour sa fille Marie, d’où son nom de palais Mariinski. Celui-ci abrite aujourd’hui l’hôtel de ville de St-Pétersbourg. Sa façade arbore fièrement, comme un militaire le ferait sur sa poitrine, les décorations gagnées durant la Seconde guerre mondiale : Ordre du Drapeau Rouge, Ordre de Lénine, ville-héroïne de l’Union Soviétique…
 

Des jardins de l'Amirauté à la place du Palais

Repartons à présent de l’hôtel de ville, faisons demi-tour et dirigeons-nous de nouveau vers la Neva. À l’est de la place des Décembristes s’étendent l’Amirauté et ses jardins. Le bâtiment de l’Amirauté, lui aussi peint en jaune, n’avait pas seulement vocation à servir de quartier général (fonction qu’il remplit encore aujourd’hui, pour la flotte de la Baltique), mais également de chantier naval. Il adopte ainsi la forme d’un rectangle incomplet, avec le quatrième côté ouvert sur la Neva. Dans l’espace ainsi délimité étaient construits les bâtiments de la marine russe, jusqu’à ce que la sophistication croissante de l’ingénierie navale au XIXème siècle ne conduise à installer les chantiers navals plus près du golfe de Finlande, là où ils se trouvent encore actuellement. On en profita pour construire des immeubles dans l’espace ainsi laissé libre entre l’Amirauté et le fleuve.

L’entrée du bâtiment (évidemment interdite au public de par sa fonction militaire) est surmontée d’une flèche dorée, au sommet de laquelle figure l’effigie du premier navire fabriqué ici, la frégate Standart. En-dessous s’étendent d’agréables jardins, qui fournissent au promeneur un havre de tranquillité relative au cœur d’une ville hyperactive : une fontaine, des massifs de fleurs, les bustes d’hommes de lettres, et celui de l’explorateur de la Sibérie et de l’Asie centrale, Prjewalski. Juste en-dessous de lui a été représenté le plus fidèle compagnon de ses voyages, un chameau. Un grand classique pétersbourgeois consiste à se faire photographier aux côtés du camélidé, comme en témoigne le bronze, poli et dépourvu de patine, du haut de la statue.
 
Couvrant tout le côté nord de la place éponyme, le Palais d’Hiver y étale sa façade verte bardée de dorures, de statues et de colonnades blanches. Le gigantesque édifice est à l’échelle de sa ville et de son pays, et il faut compter un bon quart d’heure de marche soutenue pour en faire le tour complet, le palais donnant également sur la Neva. Ce n’est pas de trop pour abriter une des plus grands et des plus beaux musées de la planète, l’Ermitage. Avant d’y pénétrer, commençons d’abord par en faire le tour. 

Ermitage et Palais d'Hiver

La première demeure de Pierre le Grand à St-Pétersbourg fut une modeste cabane de bois au confort plutôt spartiate, construite sur le modèle des isbas de la campagne russe. Le tsar n’était guère incommodé par ce type d’expédient et vécut dans cette demeure pendant huit ans – bien qu’il passât alors le plus clair de son temps ailleurs, dirigeant ses campagnes militaires contre les Suédois. Pieusement conservée jusqu’à nos jours, sa cabane se situe ailleurs dans la ville et se visite encore.

C’est en 1711 qu’un premier palais fut construit sur le site actuel. Plusieurs autres suivirent, et ce n’est qu’après la mort de Pierre Ier qu’ils furent réunis pour former la base de ce qui allait devenir le Palais sous sa forme actuelle. Entre temps, St-Pétersbourg avait connu les atermoiements liés aux intrigues de cour. Quand Pierre le Grand mourut en 1725, c’est sa veuve, Catherine Ière, qui lui succéda. Elle lui survécut deux ans, laissant sa place au petit-fils du défunt tsar, Pierre II. Mineur, placé sous la tutelle de princes conservateurs et opposés à la politique d’occidentalisation voulue par son grand-père, il fit revenir la Cour à Moscou, où il mourut prématurément en 1730.

La tsarine Anne, qui lui succéda, fit marche arrière et rétablit St-Pétersbourg comme capitale de l’empire. C’est elle qui fera raser les divers palais établis sur la rive sud de la Neva pour n’en former qu’un seul. Elle en confiera la construction à l’architecte italien Bartolomeo Rastrelli, dont le père avait déjà été l’un des principaux architectes de la ville sous Pierre le Grand. La mort d’Anne en 1740 et le coup d’État qui mit sur le trône, l’année suivante (après le bref règne d’Ivan VI), la fille de Pierre le Grand, Élisabeth, ne remit pas en cause le statut de capitale de St-Pétersbourg, ni celui du Palais d’Hiver.

C’est essentiellement sous le règne d’Élisabeth qu’il sera achevé. Plus tard, Catherine II fera construire une annexe au palais, dans le but avoué de s’y retirer lorsque les obligations de l’État lui devenaient trop pesantes. Grande amatrice d’art – et collectionneuse quasi compulsive, c’est là qu’elle commença à entreposer les œuvres dont elle faisait l’acquisition. Cette collection allait former le noyau du futur musée de l’Ermitage, qui occupe aujourd’hui tout le palais – si bien qu’on ne fait plus guère la distinction entre les deux et que « l’Ermitage » désigne le Palais d’Hiver, et inversement.

Le Palais devait rester la résidence officielle des tsars jusqu’en 1917, hormis un bref épisode sous le règne de Paul Ier. Il fut dévasté par un incendie en 1837 ; la reconstruction qui s’ensuivit lui donna sa configuration actuelle. La collection d’œuvres d’art des souverains avait atteint une telle ampleur que l’Ermitage était désormais ouvert au public, dès la fin du XIXème siècle. Le Palais, pour sa part, joua encore un rôle politique de premier plan en 1917. Lorsque Nicolas II fut contraint d’abdiquer à la suite de la révolution de Février, le gouvernement provisoire qui lui succéda s’y installa. Il constitua donc tout naturellement la cible principale des Bolchéviques lors de la révolution suivante, celle d’Octobre, durant laquelle il fut pris d’assaut.

Une fois au pouvoir, le régime bolchévique s’en alla pour Moscou, et entreprit d’installer le musée de l’Ermitage dans l’ensemble de l’ancien palais impérial. Ce dernier allait beaucoup souffrir durant la Seconde guerre mondiale. Placé sous le feu quasi constant de l’artillerie allemande à partir de septembre 1941, il allait subir, pendant les 900 jours qu’allait durer le blocus, des dégâts considérables. Il fallut ensuite de longues années de restauration, une fois la guerre terminée, pour que les touristes puissent aujourd’hui en admirer la splendeur. 

Le musée Pouchkine à Saint-Pétersbourg

Le rappel de ces événements tragiques est l’occasion d’une brève digression sur les divers noms de la ville. On a vu que Pierre avait délibérément choisi un nom à consonance étrangère – en l’occurrence, germanique – pour en marquer l’ouverture vers l’Occident. De fait, Sankt-Peterburg est un nom complètement exotique pour un Russe. S’il existe en Russie de nombreuses villes dédiées à un ou plusieurs saints, l’épithète « Saint » n’y est jamais utilisé et de toute manière, ce mot se dit en russe sviatoï et non sankt, qui est un mot typiquement allemand.

Pour cette raison, la poussée nationaliste et germanophobe qui accompagna en Russie le début de la Première guerre mondiale, poussa le tsar Nicolas II à rebaptiser sa capitale Petrograd en 1914. Ce n’était ni plus ni moins que la traduction littérale de Saint-Pétersbourg en russe, grad étant une altération de gorod (« ville »), un mot qui désignait initialement une cité fortifiée ou un château – exactement comme burg en allemand. À la mort de Lénine en 1924, la ville fut rebaptisée Leningrad pour lui rendre hommage, et garda ce nom durant toute la période soviétique. C’est en 1991 qu’elle retrouvera son nom initial, à la suite d’un référendum.

Délaissons le musée pour le moment – nous aurons l’occasion d’y revenir longuement. Après avoir longé la façade de l’Ermitage proprement dit, et la colonnade d’atlantes qui en marque l’ancienne entrée, on rejoint le quai de la Moïka. Contrairement à ce qui s’est produit sur l’île Vassili, la rive sud de la Neva a bien été dotée d’un réseau de canaux. Le centre-ville de St-Pétersbourg est délimité par trois canaux concentriques, baptisés (en allant du centre vers la périphérie) Moïka, Griboïedov et Fontanka, ce dernier étant le plus large.

Le quartier situé autour du cours supérieur de la Moïka abrite de nombreux consulats, dont celui de France. C’est donc par là-bas, amis touristes, qu’il vous faudra aller si par malheur vous auriez un problème suffisamment sérieux. Parmi les demeures qui s’étalent sur les rives de la Moïka, figure le dernier appartement qu’occupa le poète Alexandre Pouchkine. Meublé avec les objets ayant appartenu à l’homme de lettres, ou reconstitué à l’aide de la documentation disponible, il est devenu un musée qui lui est entièrement consacré.

Il n’est pas exagéré de dire que Pouchkine est vénéré comme un saint à Pétersbourg – il nous a même été donné de voir, avec étonnement, une vieille dame se signer avant de pénétrer dans la cour menant à son appartement-musée. De fait, la capitale des tsars fut la principale source d’inspiration du poète, et les habitants de la ville lui reconnaissent d’avoir décrit et loué Saint-Pétersbourg mieux que personne. Sa mort tragique, à 37 ans, contribua encore à asseoir sa légende.

Il se trouve en effet qu’Alexandre Pouchkine a été tué en duel par un Français, en 1837. Officier légitimiste auto-exilé en Russie en 1830, Georges d’Anthès avait été admis au sein de l’élite de la garde impériale russe, le régiment des Chevaliers-Gardes. Il avait eu le mauvais goût de courtiser la femme de Pouchkine tout en épousant la sœur de celle-ci et les deux hommes, d’invectives en lettres d’insultes, avaient fini par se battre en duel au pistolet, Pouchkine recevant une blessure mortelle à l’estomac. Quant à d’Anthès, il fut expulsé vers la France, terminant sa carrière comme sénateur sous le Second Empire.

Ces événements sont relatés par les audioguides multilingues qui sont automatiquement remis aux visiteurs de l’appartement-musée par un personnel très aimable – les Russes sont généralement très fiers de leur culture, et le sont plus encore de la partager. Compte tenu de la relative exiguïté des lieux, il est parfois nécessaire d’attendre avant de commencer la visite ou de passer d’une pièce à l’autre. Le port de chaussons de feutre est obligatoire afin de préserver le parquet, qui porte déjà de trop nombreuses marques de talons-aiguilles, accessoire féminin par excellence en Russie.

Le Château des Ingénieurs

Avant de poursuivre sa route vers l’Est, le visiteur aura l’opportunité de s’arrêter prendre un thé et grignoter quelque chose, ce qui sera souvent bienvenu étant donné les distances à couvrir, et plus encore en cas de pluie ou de neige. Un salon de thé Stolle, enseigne très à la mode, se trouve à quelques centaines de mètres du musée Pouchkine. Les Stolle sont spécialisés dans les pirogi (singulier pirog), délicieuses tourtes qui peuvent être fourrées à n’importe quoi, du chou aux airelles en passant par les champignons ou le tvorog.

Pour aller plus loin

La magie de Saint-Pétersbourg: Promenades insolites et splendeurs éternelles, de Vladimir Fedorovski. Editions du Rocher, 2012. 

 

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