Deux hôtels jumeaux…mais distincts et différents
Transportons-nous sur la rive gauche de la Seine, à la campagne, non loin des portes de Paris. A quelques centaines de mètres de là, sous Louis XIII, tous ceux qui voulaient en découdre, se retrouvaient sur le Pré-aux-Clercs, l’actuel faubourg Saint Germain. Ce quartier devient en quelques 40 ans, un haut lieu de villégiature pour les nobles et entre 1720 et 1750, plus de 200 hôtels particuliers sont construits sur cette rive.
La duchesse de Bourbon, Mademoiselle de Nantes, fille légitime de Louis XIV et de Madame de Montespan acquiert des terrains près du futur quartier de St Germain. Elle y fait donc construire son palais et autorise son confident le marquis de Lassay à construire tout à côté sa maison d’agrément. Le marquis de Lassay, Léon de Madaillan de Lesparre (1683-1750) rencontre en 1711 la duchesse de Bourbon et devient « le maître de madame la duchesse et le directeur de toutes ses affaires » selon les propos de Saint Simon. C’est ainsi qu’au départ, il y a le Palais Bourbon et l’hôtel de Lassay, deux hôtels particuliers séparés par un jardin d’agrément. Fille de Louis XIV et aimant Versailles, elle fait en sorte que le Palais Bourbon ressemble beaucoup au Grand Trianon.
L’hôtel de Lassay est construit entre 1722 et 1728, dans le style italien en vogue au début de la Régence. Les 2 hôtels sont construits de plain pied et les façades sont ornées de fenêtres dans le style rocaille, le tout sans colonnades. D’extérieur les 2 bâtiments se ressemblent, mais l’intérieur n’est pas le même. Le Palais Bourbon, palais de la duchesse, mesure 40 toises de large, celui de Lassay seulement 25m. Le 1er est muni de bas relief et de frontons, le second est plus austère ; l’avant cour et la cour d’honneur du 1er n’a rien à voir avec la petite allée reliant le porche au perron du second. Tout est question de rang dans la société ! Malgré tout, ces 2 bâtiments vont de paire : le petit fils de la duchesse rachète l’hôtel de Lassay en 1768 et réunit officiellement les 2 bâtiments. Ils sont déclarés ensemble biens de la Nation en 1791. Vers 1800, le corps législatif s’installe au Palais Bourbon, le président de la nouvelle assemblée obtient le droit de résider à l’hôtel de Lassay. En 1832, l’Etat loue l’hôtel de Lassay pour loger le président de la Chambre des Députés et l’achète définitivement en 1843 : Lassay devient Résidence du Président de l’Assemblée Nationale.
Avec le temps, l’hôtel de Lassay subit des transformations : en 1846, un étage est construit, puis en 1848 la galerie des fêtes est inaugurée reliant ainsi l’hôtel au palais Bourbon. Les toiles de maître (Rubens, Rembrandt) ayant disparu, les œuvres de Heim les remplacent dans un style XVIII è.
La visite de l’hôtel de Lassay
Au plafond décoré par Heim, nous y admirons 4 scènes aux 4 coins : le concert, le concert champêtre, la lecture, la danse. Par la gauche, nous pénétrons dans le Salon des Saisons représentant à chaque coin les 4 saisons de l’année, puis au bout le Salon des Jeux. Au dessus de chaque porte de ce salon, Heim a représenté le jeu de boules, la main chaude, l’escarpolette, le saut de mouton, Colin-maillard et le volant. C’est à cet endroit que tous les mardis, le président convoque la Conférence des Présidents pour établir l’ordre du jour de l’Assemblée pour les 3 semaines à venir.
En retraversant en sens inverse ces 3 derniers salons, nous arrivons au Salon des Eléments. Remplaçant successivement une chambre puis une salle de billard, le nom provient des décorations d’Heim : le feu, l’eau, l’air et les sciences, la terre et les arts du feu. Vient ensuite le Cabinet de Départ. Il s’agit du bureau du Président doté d’un magnifique tapis de l’époque Louis XIV, les dessus de porte représente la médiation, l’éloquence, la politique. Le Président y travaille, vérifie l’ordre du jour de l’Assemblée, actionne la sonnette de son bureau annonçant dans tout le palais l’ouverture de la séance, puis en traversant la Salle des Fêtes, se trouve dans la Rotonde où la garde républicaine l’attend en lui faisant une haie d’honneur.
La Salle des Fêtes a été construite pour relier le Palais Bourbon à l’hôtel de Lassay en 1845 en remplacement de la galerie existante en bois depuis 1799. Dans le pur style de la Galerie des Glaces de Versailles - les miroirs faisant face aux fenêtres donnant sur le jardin - elle accueille tous les grands invités de l’Assemblée.
Les petits plus de la visite :
Dans l’une des ouvertures, se trouve une copie des trois Grâces commandées par Catherine de Médicis pour orner le tombeau d’Henri II.
Avant de quitter le Cabinet de Départ, le Président touche l’un des statues de femme près de la porte en signe de porte bonheur afin que la séance de l’Assemblée se passe correctement…l’une des statues est un peu usée, à force !
Les étages supérieurs sont réservés aux députés ainsi qu’à leur secrétariat…curieusement les couloirs sont « classés » selon l’appartenance politique, ainsi tout un couloir pour les députés socialistes, tout un couloir pour les députés UMP, etc.
Dans quelques instants, nous nous retrouvons dans la Rotonde d’Alechinsky, passage obligé pour rejoindre le Palais Bourbon.
La visite du Palais Bourbon
Nous retrouvons le président dans la Rotonde d’ Alechinsky, reliant l’hôtel de Lassay et le Palais Bourbon. En sortant de la salle des Fêtes, nous pouvons être bien surpris par les fresques modernes. De là, traversant la Grande Rotonde, nous arrivons dans la Salle des Pas Perdus où chaque député, à la fin de la séance, se montre aux caméras des journalistes. Vous savez, cette salle que l’on voit toujours sur le poste de TV… Horace Vernet a peint le plafond au motif de la paix, en y apposant les génies de la vapeur sur terre et sur mer. Dans le prolongement, se trouve la Salle des Quatre Colonnes traversée par les parlementaires pour faire la liaison entre les salles de réunion et l’hémicycle. Les éléments décoratifs sont plus d’actualités : une statue en marbre en hommage aux morts de 1939, faisant face à une table de marbre portant les noms des députés morts lors de la 1ère guerre mondiale. Cette salle a le même usage que la salle des Pas Perdus, c'est-à-dire la rencontre avec les journalistes.
Au fond du salon, ils peuvent s’arrêter devant le bronze de Dalou rappelant la séance des Etats Généraux du 23 juin 1789 où Mirabeau disait au marquis de Dreux-Brézé « nous sommes ici par la volonté du peuple et n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes ». Le bronze a été coulé en une fois et mesure 6.5m sur 2.3m. Quant au salon Pujol, du nom de son décorateur, il a une raison identique au salon Delacroix : les députés viennent y travailler pendant les suspensions de séance et rencontrer leur secrétariat et membres des cabinets de ministres. Les peintures sont toutes dans les tons gris-beige représentant entre autre les capitulaires de Charlemagne, la loi salique et la charte constitutionnelle de 1830 avec une petite particularité : les peintures sont toutes en trompe-l’œil.
Nous traversons la salle des Mariane où un exemplaire des bustes est conservé. Mais attention les bustes anciens…pas les bustes récents représentant des artistes de cinéma ! Autrefois, c’était le vestibule du Palais du prince de Condé, puis cette salle a porté plusieurs dénominations : vestiaires des députés, salle des Drapeaux. Notons les deux expositions actuelles : les bustes de Daumier (petites statues humoristiques de certains anciens députés) et les bustes de Marianne.
Enfin nous aboutissons sur la gauche à la Salle des Conférences. Nous y retrouvons les peintures de Heim portant sur le moyen-âge avec Louis VI le Gros affranchissant les communes et Louis XII organisant la chambre des comptes, ainsi que des médaillons sur la prudence, la justice, la tempérance. Nous pouvons aussi voir la statue d’Henri IV et une belle peinture représentant Mathieu Mollé lors de la Fronde en 1648. Cette salle, ancienne salle à manger du Prince de Condé, sert de lieu de lecture et de correspondance pour les parlementaires. A cet endroit, ils récupèrent aussi leurs messages dans « le piano ».
Nous avons « loupé » les mythiques séances des députés…mais ce n’est que partie remise !
Les petits plus de la visite :
Les fresques de la Rotonde, passage entre le Palais-Bourbon et l’hôtel de Lassay ont été peintes par Pierre Alechinsky en 1992. Peintures modernes représentant l’inscription « les hommes cherchent la lumière dans un jardin fragile où frissonnent les couleurs », mais qui surprend à la sortie de l’hôtel de Lassay…
Le salon Delacroix est plutôt réservé pour ces messieurs de la gauche, tandis que le salon Pujol est réservé à ceux de la droite ! Dans le couloir accédant à ce salon, on aperçoit une œuvre de la main de l'oncle de Mr Debré, l’ancien président de l’Assemblée.
Dans la salle des Conférences, nous marchons sur une magnifique moquette moelleuse et découvrons les très larges fauteuils réservés au repos des députés….
Dans l’Hémicycle, les députés décédés ont leur siège à leur nom avec date de naissance et de décès.
En raison des horaires souvent tardifs des séances, la coupole est éclairée par des néons afin que la luminosité soit constante.
La Bibliothèque de l’Assemblée Nationale
Eugène Delacroix fut chargé de peindre les plafonds entre 1839 et 1947 (travail qu’il effectuait entre deux sessions parlementaires, donc démonter et remonter les échafaudages !) sur les thèmes de la législation, la philosophie, la théologie, la science et la poésie. De part et d’autres de ces coupoles, il a dessiné la paix et la guerre.
A la création de cette bibliothèque, elle reçut 12 000 livres provenant de mise sous séquestre de biens appartenant entre autre aux religieux. Les bibliothécaires successifs firent en sorte que cet endroit soit un lieu de documentation ainsi qu’un « cabinet de pièces rares ». Bibliothèque où chaque député ainsi que les collaborateurs et secrétaires parlementaires peuvent faire des recherches dans le domaine juridique, social, économique et politique ; certains chercheurs en cas de recherche infructueuse dans d’autres établissements peuvent demander l’autorisation de venir consulter les ouvrages en dehors des jours où l’Assemblée ne siège pas. « Cabinet de pièces rares » car il détient deux documents exceptionnels : le manuscrit du procès de Jeanne d’Arc et le Codex Borbonicus étant le calendrier religieux et divinatoire aztèque de la fin du XVè siècle, ce manuscrit est sur écorce et fut acheté en 1826. Ces deux documents sous vitre, sont visibles lors des visites.
Aujourd’hui, la Bibliothèque dispose de 700 000 ouvrages entreposés sur 18 kms dans les sous sols de la Cour d’Honneur ; toute la collection des journaux du Monde ainsi qu’une collection de la Gazette Nationale appelée également le Moniteur Universel dont le premier numéro date de novembre 1789 ; des incunables (documents imprimés avant le XVIè siècle) dont deux exemplaires du Roman de La Rose l’un datant de 1490 imprimé sur bois et un manuscrit du XIVè siècle sur parchemin ; un ensemble de versions manuscrites entrées à la Bibliothèque en 1794, versions précédent celles que nous connaissons de nos jours de la Nouvelle Héloïse de Jean Jacques Rousseau ; deux journaux de navigateurs portugais du XVIè siècle ; un livre d’heures enluminé du XVe siècle ayant appartenu à la famille de Croÿ.
Une mine de renseignements dans un endroit très feutré.
Pour aller plus loin
- Visiter l'Assemblée nationale.
- Petite histoire du Palais-Bourbon, de Emmanuelle Gatulle. elytis, 2011.
- Le Palais Bourbon - Trois siècles d'histoire d'après un manuscrit inédit. Editions du patrimoine, 2020.
- L'Hôtel de Lassay, de Frédéric Turpin. Editions du palais, 2018.