Les précurseurs de l'ésotérisme nazi
Dans une société en crise marquée par le chômage, bouleversée par les progrès croissants de la science et de la technique, traumatisée par l'utilisation qui en fut faite durant la Première Guerre mondiale, chamboulée par le darwinisme, marquée par un fort sentiment antisémite international, l'émergence d'un mysticisme nazi germanique et raciste ne manque pas de causes. Certains ressentent le besoin de combattre ce monde jugé impure en renouant avec de pseudo-fondamentaux d'un temps où la germanité aurait été le summum d'une sorte d'aristocratie mondiale. Le mysticisme nazi ne nait pas ex nihilo quand les nationales socialistes prennent le pouvoir, il est le fruit d'un héritage ésotérique de la fin du XIXe.
En 1875, elle fonde la Théosophie qui accueillera entre autres des nationaux socialistes. La société a entre autres symboles une croix gammée, symbole d'un renouveau imminent. Cette Svastika est en fait un très ancien symbole que l'on retrouve dans de nombreuses cultures de part le monde depuis le néolithique. Dans l'hidouisme le mot Svastika est lié à l'idée de bonheur. En Inde, elle revet une conotation solaire. Au Japon, ce symbole est lié au bouddhisme. Elle est aussi omniprésente dans le jaïnismes. Autrement dit, il s'agit d'un symbole simple, largement utilisé sur tous les continents et qui n'a donc rien de spécifiquement germanique. Sa présence au quatre coins du globe permi parfois aux penseurs SS du justifier la présence d'ancêtres aryens.
L'Autrichien Guido Karl List est également l'un de ces précurseurs. Cet homme, poète, dramaturge et journaliste, prône le retour à un mysticisme germanique. Il sur-interprète de nombreux sites géologiques autrichiens pour en faire de soit disant vestiges d'un culte à Wotan (les blocs massifs ayant été déplacé par les géants Atlantes eux-mêmes) que le Christianisme a détruit, mais qui doivent ressusciter pour servir de ciment au pangermanisme. Il considère vrais les récits mythologiques, les combats de géants, qu'il réinterprète au prisme de ces Atlantes.
Ce mouvement de retour à des religiosités païennes pangermaniques annonçant la supériorité d'une race germanique par une forme de darwinisme social est appelé le mouvement Völkisch. Le mouvement Völkisch se concrétise par la création de sociétés secrètes qui célébraient différentes fêtes païennes lors des solstices tout en prônant la supériorité de la race aryenne sur toutes les autres en générales, et sur les Juifs en particulier. Parmi ces sociétés on trouve le Germanenorden (dont l'emblème est la croix gammée).
Le moine Cistercien Jörg Lanz von Liebenfels eu également une influence non négligeable. Après avoir découvert la tombe d'un Templier, il se lance dans des théories sur les races inférieures et publie en 1905 sa Theozoologie. Selon lui il y a une race pure, la race aryenne, et des races impures issues de l'union d'Ève et d'un démon. Pour lui il convient de désemmêler les races pour redonner à l'Aryen sa prééminence. Bien entendu ces théories ne sont en rien celles de l'Ordre Cistercien, qu'il quitte rapidement. Toutefois, von Liebenfels se donna les moyens de ses ambitions et fonda un magazine pour vulgariser ses théories, on trouvait parmi ses abonnés un certain Adolf Hitler. Selon Liebenfels, Hitler serait même venu le rencontrer pour se procurer deux numéros qui lui manquaient.
Hitler et la société de Thulé
En 1918 est créée la société de Thulé, un « groupe d'études germaniques » dédié au culte de Wotan. Cette société est alors dirigée par Walter Nauhaus, membre du Germanenorden. Pour les géographes grecs de l'Antiquité, Thulé est une île se trouvant à l'extrémité Nord du monde. Mais pour Guido von List, c'est surtout la capitale d'Hyperborea, une légendaire contrée polaire citée par Hérodote et dont les habitants seraient, pour List, les survivants de l'Atlantide !
C'est des cercles de discussion de la société de Thulé que nait en 1919 le Parti des Travailleurs Allemands (DAP), fondé par Karl Harrer et Anton Drexler. Dès l'origine donc, le DAP est imprégné du mouvement Völkisch. Et c'est à ce DAP (renommé NSDAP le 1er avril 1920) que s'inscrit Adolf Hitler. Toutefois, il ne faut pas conclure trop vite sur les liens qu'il pourrait y avoir entre la société de Thulé et Hitler. Si ce dernier s'exalte en écoutant la mythologie germanique dans les opéras de Wagner, s'il est un grand lecteur de Liebenfels, il n'a cependant jamais été membre de la société de Thulé. Il semble que si Hitler se satisfait pleinement des visions simplistes du mouvement Völkisch et de ses théories raciales, il n'éprouve aucun enthousiasme pour tout l'aspect rituel.
Himmler, bien plus qu'Hitler, fut le porteur du mysticisme nazi.
Himmler
Heinrich Himmler est un homme qui cumula les échecs et déceptions personnels, et qui trouva certainement du réconfort dans la place primordiale que pouvait lui offrir une croisade raciale sous l'égide du IIIe Reich. Refusé comme combattant durant la Première Guerre mondiale à cause de sa myopie, mobilisé trop tard pour voir le front, il fit des études d'agronomie et entra dans l'Artamanen, un mouvement de jeunes adeptes du Völkisch dont le slogan était : « le sang, le sol et le glaive ». Membre du NSDAP dès 1923, il s'impose dans les SA d'Hitler et devient sous le IIIe Reich Reichsführer-SS (chef de la SS), chef de la police allemande (dont la Gestapo) et en 1943 ministre de l'Intérieur et commandant en chef de l'armée de réserve de la Wehrmacht.
Himmler fait appel à Karl Maria Wiligut, qui avait été interné un temps pour schizophrénie. Wiligut, qui était en relation avec les membres de l'Ordre du Nouveau Temple de Liebenfels, entre dans la SS et est chargé de recherches préhistoriques entre 1933 et 1939. C'est notamment lui qui conseille le port par les SS d'un anneau d'argent à tête de mort : le SS-Ehrenring, gravé de runes censées renforcer le porteur. Il met au point les nouveaux rituels pour les mariages et les baptêmes nazis. Wiligut pensait descendre d'une antique tribu gothique et disait posséder le souvenir héréditaire qui lui permettait de reconstituer mieux que quiconque le passé de la race aryenne.
Fasciné par l'occultisme, Himmler se considérait lui-même comme la réincarnation d'Henri Ier dit l'Oiseleur, duc de Saxe et roi germanique au Xe siècle. La cathédrale de Quedlinburg, qui contient le tombeau d'Henri Ier, fut déchristianisée et transformée par la SS en lieu de culte païen. Himmler lui-même participait aux cérémonies qui s'y déroulaient lors de l'anniversaire du roi défunt.
Outre la mythologie germanique et l'histoire pré-chrétienne, Himmler est également fasciné par le mythe du Saint Graal, tel qu'il est rapporté par Wolfram von Eschenbach. Il assimile dans son esprit les Chevaliers de la Table ronde défendant la pierre lumineuse du Graal, à la SS défendant la lumière contre l'obscurantisme judéo-bolchévique.
Le Reichsführer-SS a ses quartiers personnels au Wewelsburg et fonde en 1935 l'Ahnenerbe.
Le Wewelsburg
Le château de Wewelsburg, en Westphalie, est un château du début du XVIIe bâti sur un plan triangulaire. En 1933, Himmler le fait rénover et y fonde une école SS. Il suit les travaux afin d'en faire un parfait lieu de célébration et en 1938 le château devient le lieu des prestations de serment de Gruppenführer. Le château devait aussi entretenir la mémoire des SS morts en exposant leur blason et réunir les vivants lors de réunions annuelles (une seule eu lieu, en 1941).
Au Wewelsburg, les officiers de la SS doivent recevoir un enseignement particulier en matière de mythologie, d'archéologie et d'histoire de l'art, afin de prendre conscience de leur statut et de l'importance du combat qu'ils mènent.
Pour appuyer cet enseignement, le château a aussi une réelle dimension muséographique, avec des pièces archéologiques (issues entre autres des fouilles de l'Ahnenerbe), des œuvres d'art, des reproductions des regalias de l'empereur germanique (couronne, globe et sceptre) et de la Lance de Saint-Longin qui aurait servie a percer le flanc du Christ. Le château était également doté d'une bibliothèque conséquente.
Mais Himmler souhaite aussi faire de ce château quelque chose de plus grand, de plus profond spirituellement. Il y fait célébrer des cérémonies néo-païennes et dans la crypte sous la tour Nord où brule en permanence la flamme de la SS. Himmler souhaitait après la victoire finale que ce château devienne le centre du nouveau monde, le château sur son éperon aurait dû être entouré d'une agglomération en arc de cercle s'appuyant sur un vaste lac artificiel. Jusqu'en 1943, les travaux sont effectués par des prisonniers des camps de concentration. La tour Nord est la plus chargée symboliquement, on trouve dans son sous-sol une crypte pour la prière des morts, mais aussi à l'étage la salle des généraux avec au sol une mosaïque en marbre avec une roue solaire que l'on appellera après guerre le « Soleil noir ».
Mais même le Wewelsburg n'était qu'une étape dans la concrétisation monumentale du mysticisme nazi. Berlin par exemple devait un jour accueillir un immense bâtiment avec une coupole de 220m de haut ! Un bâtiment de culte à la race nordique qui aurait pu accueillir 180.000 personnes...
L'Ahnenerbe
Les travaux archéologiques menés en Allemagne aboutissent entre autres à la découverte et à l'étude du site viking d'Haithabu et du tumulus d'Hohichele. Les Externsteine, formations géologiques de la fôret de Teutobourg, que l'on chercha à tout prix à présenter comme un ancien lieu de culte solaire germanique. Les travaux en climatologie et en astronomie sont également très suivis par Himmler qui est convaincu par la théorie des glaces éternelles. Selon cette théorie la Lune serait formée de glace, comme la Voie lactée et des météorites qui entrant dans l'atmosphère formeraient la pluie et la grêle...
Mais l'Ahnenerbe mène également des expéditions hors d'Allemagne. En 1936, elle est présente en Suède pour étudier l'art pariétal, Wirth étant persuadé d'y avoir trouvé la première écriture au monde, fruit bien entendu d'une antique civilisation nordique issue de l'Atlantide.
La Société est également présente en Finlande, pour étudier les chants et incantations des sorciers finlandais. En France, Assien Bohmers obtient de l'abbé Breuil l'autorisation de visiter plusieurs grottes préhistoriques. En 1935/6 des membres de l'Ahnenerbe sont au Brésil. En 1937, l'archéologue Franz Altheim est en Italie pour étudier des inscriptions rupestres préhistoriques pseudo-runiques. En 1938, la Société a des hommes en Roumanie pour étudier les vestiges des royaumes daces.
Les membres de l'Ahnenerbe parcourent le monde, des expéditions sont même proposées à l'Iran, aux îles Canaries (où des momies avec des tresses blondes auraient été retrouvées), en Islande... Le Tibet attira tout particulièrement l'attention des nazis puisqu'ils le considéraient comme le berceau de la race aryenne (les hauts plateaux ayant servi de refuge pendant les déluges). Une expédition est cofinancée en 1938, et un spécialiste des races se mêle à l'expédition pour chercher parmi les Tibétains des traces de Nordiques primitifs.
En définitive, les cadres du parti nazi baignent dans une ambiance néo-païenne pangermanique et anti-chrétienne qui s'est développée dans une Allemagne en crise qui rêvait du retour à un âge d'or par le recouvrement de la pureté de la race.
Néanmoins ce fond mystique n'eut qu'un succès limité auprès de la population qui, si elle pouvait recevoir favorablement l'imaginaire de la mythologie nordique, n'en demeurait pas moins empreinte de culture et de convictions judéo-chrétiennes. Toutefois, une frange de la sphère nazie dont Himmler est un des ténors avait la réelle volonté de baser l'homme nouveau sur une nouvelle forme de spiritualité purement nazie avec ses mythes fondateurs, ses héros, ses lieux de cultes, ses rites... Le tout basé sur des mises en scène grandioses et le détournement de la recherche pour se parer d'une légitimité scientifique.
Pour aller plus loin
• Chapoutot Johann, Le national-socialisme et l'Antiquité, PUF, 2008.
• Laurent Olivier, Nos ancêtres les Germains, Les archéologues au service du nazisme, Paris, Tallandier, 2012
• Heather Pringle, Opération Ahnenerbe, Comment Himmler mit la pseudo-science au service de la Solution finale, Presses de la Cité, Paris, 2007
Quelques BD autour de ce thème
- Hindenburg: la menace d'un crépuscule
- Mens Magna, tome 1 : Les Loups de Kiev
- Hindenburg: la menace d'un crépuscule