L'émotion
Le visage pourtant fixe et hiératique de Mads Mikkelsen ponctue la plupart des scènes. Fermé dans un rictus transpirant admirablement une haine froide et méthodique, l'acteur se fond à merveille dans ce rôle, pourtant terriblement complexe. En effet, il se plonge dans le personnage d'un guerrier muet et borgne, poursuivant un chemin violent et sans but, mais sur lequel il avance de manière résolue. One eye, ce personnage central est totalement baigné de mystère ; aucune information n'est donné sur son passé, son origine.
On sait seulement qu'il est dangereux, très dangereux et l'histoire nous montre a quel point. L'acteur en tout cas, pourtant si souriant au quotidien, réussit un véritable tour de force en habitant littéralement le guerrier scandinave. On redécouvre avec plaisir pour les amateurs, un jeu d'acteur épuré dont les messages sont transmis avec des regards, des attitudes... On se plait à suivre un mouvement lent et progressif, qui outre le fait de nous plonger un peu dans la patience, ce qui est rare dans nos sociétés modernes, mais nous amène a décortiquer plus profondément chaque scène, intelligemment filmée et riche de sens.
L'enfant qui accompagne le sanguinaire One eye, est l'élément d'humanité, de tendresse dans cet enfer mental. Il est positionné à l'antithèse du premier. Il apparaît pur, mais non sans passé, sensible mais courageux... Il complète et accompagne le guerrier, dans un duo improbable et pourtant indissociable. Pour le reste dans ce domaine, l'univers tendu et dangereux, ne laisse la place qu'au fanatisme religieux et à l'avidité guerrière, les deux héros se positionnant ici totalement en porte à faux.
Le guerrier silencieux : un film de genre
Comme nous l'avons dit, le rythme est terriblement lent, ce qui a tôt fait de détourner ceux qui préfèrent de l'animation, de l'action, mais les autres peuvent y prendre un plaisir véritable, perdus dans les brumes et les forêts. Les hommes sont crasseux, rudes, et solides. Ils marquent la dureté de l'époque sans nous amener dans le domaine épique ; en effet, l'horreur de la violence apparaissant à l'écran n'exalte pas l'envie d'héroïsme guerrier chez le spectateur, mais provoque au contraire une sensation étrange, mêlée de dégoût et de crainte. C'est justement ce que ce réalisme ambiant, ou plutôt ce vraisemblable, donne comme résultat. On est donc loin d'un hymne à la violence.
Un film historique?
Il n'y a que peu d'éléments permettant de situer chronologiquement l'œuvre ; le seul étant donné par les chrétiens qui souhaitent aller délivrer Jérusalem et qui portent encore la voix christique dans les terres scandinaves encore imparfaitement évangélisées. Nous sommes donc à la toute fin du XIe siècle au moment de la première croisade (1095-1099). Les costumes sont parfois un peu étranges mais dans l'ensemble le rendu est tout à fait satisfaisant.
Au niveau des armes, les haches sont plutôt réussies, de même que quelques épées. Par contre toutes celles qui possèdent une garde large sont tout à fait anachroniques. Il est pourtant étonnant dans un film de relever des éléments aussi positifs dans ce domaine tant certaines armes sont pertinentes. En tout cas l'absence de grandes actions mettant en scène des personnages célèbres évite complètement les erreurs les plus souvent répétées dans les films ayant pour thème l'histoire. La trame n'a pas d'immenses prétentions, passe littéralement par les « chemins détournés », bien loin encore une fois de la fresque romantique ce que nous avons trouvé très plaisante.
L'intimisme
On est toujours à proximité des hommes, dans un cercle intime, très souvent à moins de deux mètres d'eux ce qui nous immerge complètement dans leur groupe. On y partage tout et lorsque le brouillard rend l'image presque opaque on ressent presque une impression humide sur nous même. Les moments d'inertie à l'écran sont également vécus de façon très intense car détaillé au plus près de la tension des guerriers. On est alors comme calfeutré dans du coton, l'esprit embrumé et hagard.
En somme
Il est très délicat de parler de ce film sans en dévoiler l'intrigue, mais il est indéniable qu'il convient avant tout de le regarder dégagé de toute influence extérieure ce qui permet d'en ressentir toute la puissance émotionnelle. Mais il ne faut pas non plus s'y tromper, c'est une œuvre très particulière qui ne peut pas plaire à tous. Ce n'est pas du grand spectacle, ni une histoire bourrée de rebondissements.
Tout y est lent, contemplatif avec une tension sous-jacente forte mais subtile qui ne fonctionne que si l'on s'immerge complètement dans les images qui apparaissent à l'écran. Tout n'est qu'une question de goûts personnels, domaine fort divers parmi les gens et la seule chose que nous pouvons en dire est que c'est un fort bel ouvrage pour ceux qui y trouvent leur compte. Pour les autres, il ne présente guère d'intérêt.
Valhalla rising, le guerrier silencieux, de Nicolas Winding Refn. En DVD, juillet 2010.