Henri, enfant roi de Navarre
En cette fin de XVIe siècle, nul n’aurait parié sur l’extinction de la race régnante des Valois. Henri II, fils de François Ier, avait eu une nombreuse descendance de son union avec Catherine de Médicis. Cette nouvelle génération va cependant disparaître et jeter la couronne dans un sombre jeu et une bataille dynastique dont la France se relèvera exsangue.
Le rival des Valois
Rien, au départ, n’annonce le destin du futur Henri IV. Rejeton des deux plus illustres lignées ayant embrassé la Réforme, ce prince du sang apparaît d’abord, dans la France des guerres de Religion, comme le chef naturel du parti protestant. Un chef dont l’influence repose également sur de vastes domaines personnels : ceux des Albret, dans le Sud-Ouest, avec le titre royal de Navarre en Béarn ; ceux des Bourbon-Vendôme dans les Pays de Loire. Sa jeunesse s’est ressentie de la confusion du jeu politique qui a longtemps prévalu au temps des premières guerres.
Allié avec l’intriguant frère du roi et ses amis catholiques « malcontents », il apparaît alors comme un grand féodal, profitant des circonstances pour élargir son autorité personnelle. C’est seulement après que la mort de Monsieur l'eût désigné comme futur roi de France (1584) que les événements révéleront en lui, progressivement, l’homme d’État. Dans la guerre des trois Henri, le Béarnais se bat pour faire valoir ses droits mais s’efforce toujours, même contre le roi Henri III, d’apparaître en défenseur du bien public plutôt qu’en chef de parti, au risque même d’indisposer certains de ses coreligionnaires.
Henri IV : la Guerre, les Amours et la versatilité
Henri a passé plus de temps sur le cuir de sa selle que sur les velours d’un trône. La formation militaire assez spartiate de son enfance lui sera profitable. Chef des Huguenots dès 1569 lors de l’assemblée de La Rochelle, c’est à ce titre qu’il mène une guerre ouverte contre le roi de France. Pourtant, sans héritiers et menacé par la montée en puissance de la maison de Lorraine et des Guises, Henri III décide un rapprochement avec Henri de Navarre. Henri III a tout juste le temps de faire assassiner le Duc de Guise qu’il succombe au poignard du Moine Jacques Clément. Héritier désigné, Henri IV devra s’armer de patience pour reconquérir le trône de France à partir de 1589. Rusé et stratège, ces qualités feront de lui un chef de guerre craint et respecté. Seule Paris lui vaudra un véritable camouflet car la ville fanatisée par les moines et la Ligue ne rendra les armes qu’une fois qu’il sera converti, et le reconnaît pour roi en 1594.
A cette versatilité s’ajoute celle des femmes. Marié politiquement à Marguerite de Valois, Henri IV est prisonnier de ses sens et ne peut s’empêcher de promettre tout et n’importe quoi, y compris le mariage… il signe des contrats s’engageant à faire reine de France telle ou telle de ses aventures au rang desquelles Gabrielle d’Estrées par exemple. Henri est cependant marié et va entamer une longue procédure de séparation d’avec Margot. Recluse dans sa captivité, l’héritière des Valois refuse de laisser la place à des intrigantes et aventurières et fait tout pour faire traîner la procédure. Elle acceptera de s’incliner devant Marie de Médicis, la « banquière ».
La France en 1598
Au sortir de ces quarante années de crise et de guerre civile, la France se trouve dans un profond désordre matériel et moral. La saignée démographique est surtout grave parce qu’elle s’accompagne de ruines économiques. Le passage incessant des gens de guerre a ravagé les campagnes. Dans certaines provinces, les fermes et les villages sont à demi désertés, les champs délaissés, le cheptel anéanti, et la famine rôde. Les villes sont surchargées de réfugiés, de chômeurs, de malades, et les routes pleines de vagabonds, de mendiants, de soldats licenciés devenus brigands.
Si le peuple a particulièrement souffert, si la petite noblesse a sans doute plus perdu que gagné aux troubles, la grande aristocratie y a largement trouvé son compte, et les gens de finances ont fait de beaux profits. Mais le grand vainqueur, c’est la bourgeoisie robine : principal appui du tiers parti, qui a finalement imposé au nom du bien public une solution de compromis, elle y a gagné une certaine conscience de classe et un renforcement de son prestige social.
L’institution monarchique n’en sort pas moins très diminuée de la crise. Le royaume est comme éclaté. Les villes, disputées entre les partis, ont pris l’habitude et le goût de s’administrer elles-mêmes. Des provinces entières, aux mains de gouverneurs que les troubles ont faits tout-puissants, échappent à l’autorité du roi. Financièrement, la monarchie est aux abois. Sous Henri III, les impôts ont considérablement augmenté mais ils ne rentrent pas, soit qu’on refuse de les payer, soit que l’argent, intercepté dans l’anarchie générale, ne parvient pas jusqu’au trésor. Les officiers, qui ont l’impression d’avoir eu, plus que la royauté, le sens de la chose publique, sont tentés de s’en prévaloir pour augmenter leur rôle dans l’Etat, et les parlements ont des prétentions à contrôler le fonctionnement des institutions.
Signe manifeste de l’affaiblissement du pouvoir royal, il a fallu à quatre reprises (1560, 1576, 1588 et 1593) réunir les états généraux, qu’on n’avait pas convoqués depuis 1484. Une contestation théorique s’est développée contre l’absolutisme. Les protestants, dès 1573, ont proclamé le droit des sujets à l’insurrection contre un souverain tyrannique. Et, dans les rangs de la Ligue, il s’est trouvé des théoriciens du tyrannicide pour légitimer le meurtre d’un roi lorsque celui-ci manque à son serment, fait lors du sacre, de défendre la loi catholique.
L’œuvre d’Henri IV
A son arrivée aux affaires, Henri IV décide en premier lieu le rattachement de la Navarre à la France, entités qui fusionneront lors de la Révolution. Mais le plus urgent est de rassurer ses anciens coreligionnaires huguenots et d’établir une coexistence pacifique des deux confessions. L’édit de Nantes (1598) accorde aux réformés l’égalité civile, une pleine liberté de conscience, l’exercice réglementé de leur culte et d’importants privilèges politiques, en particulier des chambres de justice « mi-partie » et une centaine de « places de sûreté ».
Cette solution fait du protestantisme un particularisme comme les autres, noyé en quelque sorte dans l’immense masse des particularismes et des privilèges constituant la société d’Ancien Régime. Les huguenots y gagnent un statut, mais le protestantisme risque d’y perdre son âme : enfermé dans un carcan juridique, il va se démobiliser, s’endormir, au moment où la Contre-Réforme tridentine est en train de porter ses fruits et de donner naissance à un catholicisme rénové, dynamique et militant.
Ce gentilhomme terrien encourage surtout l’agriculture et, comme grand voyer, patronne une politique de grands travaux (routes, ponts, canaux, etc.). Parallèlement, Barthélémy de Laffemas pose les principes du mercantilisme industriel et commercial qui, systématisés par Antoine de Montchrestien (1615), inspireront la pensée et l’action économiques de Richelieu, puis de Colbert. De tout cela restent surtout un grand œuvre d’urbanisme à Paris avec l’aménagement du Marais, la place Royale (des Vosges), le Pont-Neuf, la place Dauphine, et de belles réalisations architecturales poursuivant la tradition des Valois, au Louvre ou aux Tuileries, et surtout à Fontainebleau et à Saint-Germain.
À l’extérieur, le Béarnais continue la politique anti-Habsbourg de ses prédécesseurs. En 1601, il contraint la Savoie, alliée traditionnelle de l’Espagne, à lui céder la Bresse et le pays de Gex, et s’il ne peut empêcher en 1609 les Provinces-Unies de signer la trêve de Douze Ans avec l’Espagne, il profite du moindre incident dans l’Empire pour renforcer son alliance avec les princes protestants. Il était sans doute sur le point de reprendre la guerre contre les Habsbourg quand il est assassiné par Ravaillac.
La légende du « bon roi Henri »
Le 14 mai 1610, rue de la Ferronnerie à Paris, Henri IV a en effet rendez vous avec la légende. François Ravaillac a commis le crime suprême d’assassiner un roi sacré et oint du Seigneur. Si son châtiment a fait l’objet de nombreuses correspondances, la mort d’Henri IV est accueilli avec un certain calme en France. Il faut dire qu’en 1610 beaucoup de français avaient à se plaindre du Roi. La poule au pot n’est pas tous les dimanches dans les assiettes des français et malgré son bon sens et sa simplicité, Henri IV est loin d’être fédérateur et bien aimé. L'agitation paysanne, l'opposition des ultras catholiques et protestants non désarmés expliquent pour beaucoup la fin tragique du "Vert galant".
L’opinion reproche au roi cette inconduite, mais elle a bien d’autres griefs. Les grands et les nobles, pourtant bénéficiaires du règne, se trouvent bridés de trop près. Les robins se plaignent de son autoritarisme et les parlements, traditionnels défenseurs des libertés de l’Église gallicane, tergiversent pour enregistrer aussi bien l’édit de Nantes que les concessions faites au pape et aux Jésuites. Le bon peuple, qui, en 1598, s’est réjoui de la fin des guerres civiles, trouve en 1610 le fardeau fiscal trop lourd, la poule au pot bien rare et les bruits de guerre fort alarmants.
Si les protestants reprochent au roi d’avoir « trahi sa foi », beaucoup de catholiques soupçonnent la sincérité de sa conversion. Quant aux nostalgiques de la Ligue, ils dénoncent dans les projets contre l’Espagne un coup fourré contre le catholicisme et font l’apologie des tyrannicides. La preuve la plus sûre de l’animosité persistante contre le Béarnais, c’est le nombre des complots et des attentats auxquels il a échappé avant de tomber sous le poignard de Ravaillac. Mais sa mort, en lui conférant l’auréole du martyr, lui a redonné l’amour de son peuple et l’a fait entrer dans la légende.
Bibliographie non exhaustive
- Henri IV, de Jean-Christian Petitfils. Perrin Biographie, 2021.
- Henri IV : Roi de cœur, de Jean-Paul Desprat. Tallandier, 2018.
- Henri IV et la Providence, de Simone Bertière. Le Livre de Poche, 2022.