La navigation sur le Rhône au XIXe siècle

Histoire de France | Le XIXème siècle

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De l'Antiquité au XIXe siècle, le Rhône est un fleuve naturel sur lequel s'engagent les mariniers, un fleuve aux courants violents et quasiment impraticable sur son cours supérieur. Il faut attendre les années 1830-1840 pour voir débuter les premiers travaux d'envergure visant à rendre la navigation plus aisée. On commence par canaliser le fleuve pour garantir des hauteurs d'eau suffisantes en toute saison, mais bientôt l'idée d'un aménagement global prend forme et l'on entreprend la construction de barrages. Ainsi le « Rhône fougueux » devient un « grand escalier vers la mer » capable d'emmener des convois de barges de 4 000 tonnes de Chalons à Fos sur Mer en 48h.

 

Le Rhône avant les aménagements

Le Rhône du début du XIXe siècle présente des berges aux contours flous, des méandres, des bras secondaires, des bancs de sables et de graviers, des ilots... Formant autant d'obstacles à éviter, sous peine d'avarie sévère, voire de naufrage. A cela s'ajoutent : des pentes, des vitesses de courant différentes et une hauteur d'eau qui peut varier de 70cm à 5m de profond.

Aux obstacles naturels s'ajoutent ceux issus des activités humaines : moulins, bac à traille et pont. Mais l'on ne peut se passer de naviguer, les bateaux à vapeurs prévoient donc une cheminée articulée pour permettre leur passage sous les ponts. Une autre solution consiste à rehausser les ponts trop bas.

Enfin, les mariniers doivent sans cesse composer avec les aléas du climat et passent beaucoup de temps à guetter les signes d'accalmie dans le mouvement des nuages et les tourbillons de l'eau. Le gel, la sècheresse, les tempêtes, les crues, conduisent à des interruptions de navigation récurrentes. Au XIXe siècle, en moyenne, le Rhône n'est praticable que 270 jours par an.

Les aménagements

Le Rhône endigué

Depuis le XVIIIe siècle les Rhodaniens réclament l'aménagement du fleuve mais l'Etat recule devant le cout faramineux des travaux. Malgré les espoirs suscités par l'arrivée de la vapeur, l'irrégularité du chenal demeure l'obstacle principal. Ainsi, selon un rapport de Henry Dupuy de Lome, en 1878, de Lyon à la mer les difficultés sont nombreuses : des rapides, des pentes forte, un lit non fixé, un chenal variable du au déplacement des graviers, un tirant d'eau minimal trop faible.

Au final, le chargement maximal des bateaux n'est possible que la moitié de l'année à peine. En ce temps, les difficultés sont telles qu'on envisage même de creuser un canal latéral au Rhône ! A titre d'exemple, pour l'année 1853-1854, les agents du ministère des Travaux publics ont comptabilisé sur le Rhône 49 accidents dont 33 échouages sur bas-fond sans gravité et 10 navires coulés.... et 27 incidents dus aux difficultés de navigation. Heureusement les progrès de la science vont bientôt pouvoir permettre l'élaboration d'une solution révolutionnaire.

Les premières tentatives d'amélioration de secteur du cours du Rhône, entreprises dès 1845 par le Service spécial du Rhône (qui dépendait du ministère des travaux publics), notamment dans le passage par Donzère. Par un système de digues longitudinales, il s'agissait de resserrer le cours d'eau au sein d'un chenal unique, le courant creusant naturellement son lit pour atteindre le tirant d'eau minimum nécessaire pour le passage des bateaux à vapeur (1,20m).

L'entreprise est un succès, mais la jonction des lignes de chemin de fer entre Lyon et Avignon, signe la fin des espoirs des ingénieurs. En effet, Napoléon III se prononce en faveur du rail et néglige la voie d'eau. Faute d'argent disponible, l'endiguement ne peut être développé tout au long de la vallée, il faut attendre 1878 et le plan Freycinet pour que le Service spécial du Rhône bénéficie de nouveau crédits conséquents.

Des travaux d'une ampleur sans précédent, débutent en 1884. Le système Girardon (du nom de son ingénieur Henri Girardon) utilisé, repose sur un réseau d'épi, de traverse, de digues et seuils qui concentrent le courant en une veine d'eau unique. Ainsi le fleuve creuse lui-même son lit et la hauteur d'eau minimum nécessaire pour la navigation (1,60m) est atteinte. Il faut attendre 5 ans pour que les premiers effets se fassent sentir et en 1890, le chômage des eaux est ramené à 7jours par an. Les mariniers peuvent enfin bénéficier d'un chenal navigable continu de Lyon à la mer.

Les ponts

Au début du 19e siècle, le rythme des constructions de pont est toujours très modeste : aucun nouvel ouvrage n'est construit sur le Rhône en région Rhône-Alpes entre 1780 et 1823-1825 ; période qui ne connaît que quelques restaurations obligées de ponts emportés par les eaux.

En 1820, l'équipement du Rhône est inférieur à celui du 13e siècle et les premières constructions ne voient le jour que dans ces année-là. Le pont du Sault à Sault-Brénaz (01), prévu dès 1820, est construit de 1825 à 1829 ; à Seyssel, l'ancien pont connaît une ultime - et éphémère - reconstruction en 1823-1827.

La reconstruction de ce pont en bois contraste avec l´édification du premier pont suspendu français qui marque l'entrée dans la modernité: le pont suspendu de Tournon-sur-Rhône (07), érigé à partir de 1824 (ouvert en août 1825) par l'entreprise ardéchoise de la famille Seguin (Marc-François le père et ses cinq fils, Marc l'ingénieur, Camille, Jules, Paul et Charles), avec la collaboration de l'ingénieur des Ponts et Chaussées de l'Ardèche, Plagniol.

À partir du deuxième quart du 19e siècle et grâce aux progrès techniques, la volonté de multiplier les franchissements en dur, qui existe depuis plus d'un siècle, va pouvoir aboutir à des réalisations concrètes. La construction "traditionnelle" en pierre butait sur deux difficultés : les faibles portées possibles (les voûtes ne peuvent dépasser 30-35 mètres de large) et le coût très élevé de ces ouvrages massifs, aux piles immergées nombreuses. Par la suite, et pendant près d'un demi-siècle, le pont suspendu a dominé sur le Rhône: les ponts à câbles permettent de grandes portées et ne nécessitent pas de fondations dans ce fleuve rapide.

En outre, leur coût de réalisation est deux à trois fois moindre que pour les ponts maçonnés. Leur réalisation résulte des progrès dans la connaissance sur les lois de l'équilibre, de la flexion et de l'élasticité des solides, rassemblées par Henri Navier (1785-1836), professeur à l'École des Ponts et Chaussées, à qui l'on doit la théorie générale de l'élasticité (1821) et un traité sur les ponts suspendus (1832).

Les progrès de la métallurgie en France après 1820 influent également sur ces nouveaux procédés. À cette date, les ingénieurs et bâtisseurs anglais sont plus avancés que leurs homologues du Continent. Navier avait été chargé, au début des années 1820, "d'étudier les réalisations britanniques" et Marc Seguin lui-même s'inspirera des ouvrages vus en Angleterre. La technique anglaise est basée sur la suspension par chaînes, rapidement améliorée par Marc Seguin avec l'adoption de câbles de fils de fer en lieu et place des chaînes; cette évolution permit de doubler la résistance des suspensions.

Le chantier du pont de Tournon avait été précédé par des essais des Seguin de moindre ampleur, entre 1822 et 1824 et est marqué par de nombreuses innovations sans lesquelles le pont suspendu n'aurait pu voir le jour (utilisation du béton hydraulique pour la pile immergée, armature de fer dans le béton des piles et culées). Le succès du pont de Tournon fut immédiat. Presque tous les ponts entrepris sur le Rhône à partir de 1827, et jusqu'au milieu du siècle, seront des ponts suspendus de type Seguin. Sur les 24 ponts suspendus mis en place sur le fleuve dans la région dans le 2e quart du 19e siècle, 11 sont à pile unique (comme celui de Tournon), 11 à piles multiples et 2 à travée unique. Les Seguin sont d'ailleurs associés directement ou indirectement à la réalisation des six premiers ponts suspendus construits jusqu'en 1835. Pendant cette période de nombreuses constructions sont liées aux aménagements du fleuve. De nouveaux ouvrages devaient être installés notamment afin d'assurer le franchissement des canaux de dérivation alimentant les aménagements hydroélectriques du Rhône

Le développement économique

L'hydroélectricité découverte à la fin du 19e siècle apparaît comme un formidable vecteur de développement économique. Aristide Berges, se distingue dès 1878 à Grenoble en qualifiant cette nouvelle ressource de « Houille blanche » en référence au charbon, combustible qui a permis la révolution industrielle.

Mais pour la produire, il faut barrer le cours du fleuve ce qui pose des problèmes pour la navigation et oblige à créer de nouveaux bâtiments comme le Barrage de Cusset qui est alimenté par le canal de Jonage et qui est construit entre 1894 et 1899 par la Société Lyonnaise des forces Motrices du Rhône. La centrale hydroélectrique de Cusset est alors la plus puissante du monde et cette houille blanche produite aux portes de Lyon jouera un rôle décisif dans son développement économique permettant aux métiers à tisser des canuts de devenir électrique et à de nouvelles industries de s'installer.

En 1899, les travaux de Girardon et ses confrères ont couté 51 millions de franc pour un résultat relatif : le trafic moyen n'a augmenté que de 121 000 à 353 000 tonnes (l'Elbe à un accroissement constaté 10 fois supérieur). L'idée de François de Neufchateau (ministre de l'intérieur) de construire un canal latéral est alors reprise avec une mission complémentaire à la navigation : l'irrigation. Mais l'arrivée de l'hydroélectricité ouvre encore de nouvelles perspectives. En 1899, 27 chambres de commerce du Sud-est de la France créent l'Office des transports qui milite en faveur d'un aménagement devant faire du Rhône un outil de développement régional grâce à la production hydroélectrique, le transport fluvial à grand gabarit et l'irrigation des terres agricoles.

Cette triple fonction assignée au fleuve se concrétisera dans la loi de 1921 qui créé la Compagnie Nationale du Rhône et dont le plan général d'aménagement est défini et sera suivi pendant plus de 50 ans. De 1926 à 1939, Les Fêtes du Rhône, fondées par Gustave Toursier (créateur de l'Union générale des Rhodaniens), rassemblèrent dans différentes villes riveraines des milliers de personnes et donneront un nouveau regard sur le fleuve.

Le programme d'aménagement du Rhône entre Lyon et la mer est achevé en 1980 lors de la mise en service du barrage de Vaugris.

L'évolution du transport fluvial

Les mariniers et le chemin de fer

Le marinier désigne à l'origine la personne travaillant sur les convois de la batellerie halée, hérités des nautes de l'Antiquité. Puis ce terme s'est étendu à l'ensemble des professionnels de la navigation sur le fleuve. Aujourd'hui, le marinier est une personne salariée par opposition au batelier qui, lui, est propriétaire de son bateau.

Dès l'Antiquité, les Romains domptent ses flots pour y transporter des denrées, mais aussi, déjà, des passagers. Très vite, les mariniers composent une société très organisée, avec ses matelots, artisans, entreprises et ses corporations : les nautes.

Le travail est saisonnier. Jusqu'au XIXe siècle, où le Rhône sera aménagé, on ne navigue qu'entre six et neuf mois dans l'année, quand le fleuve n'est ni trop bas, ni trop haut. Jusqu'à l'arrivée des bateaux à vapeur, vers 1830, le courant est également le maître : il entraîne les embarcations à la descente, mais il faut le contrer à « la remonte », en halant les bateaux depuis la rive.

D'abord humain – esclaves des Romains ou haleurs médiévaux –, le halage est assuré par des chevaux au XVe siècle. Toute une économie se développe alors autour du fleuve pour restaurer hommes et bêtes. Début XIXe, à l'apogée du transport fluvial, « les bateliers sont de vrais maîtres sur le Rhône », note André Vincent. La vapeur, en 1830, met fin au halage. Trente ans plus tard, elle est à son tour dépassée par le rail. Les entreprises fluviales se regroupent et recrutent des mariniers, tandis que des artisans se maintiennent sur de plus petites rivières.

Le Halage fut la seule technique de transport des marchandises par le fleuve à la « remonte » de l'époque romaine jusqu'au développement de la vapeur.

Les bateaux à vapeur

Grâce à la vapeur on pense dompter le Rhône, mais en vain. Le marquis Claude de Jouffroy d'Abbans, ingénieur et architecte naval invente le Pyroscaphe ou « bateau de feu », premier bateau à vapeur en bois. Les essais ont lieu le 15 juillet 1783 remontant la Saône entre la Cathédrale Saint-Jean et l'Ile Barbe. Ils durent quinze minutes environ. Par manque de moyens financiers, ce type de bateau est abandonné. Dès le premier tiers du 19ème siècle, les bateaux à vapeur commencent à se substituer sur le Rhône, aux trains d'embarcation que des chevaux remorquent à la remonte, portant un coup fatal aux diligences à eau. Le nombre de chevaux parcourant les chemins de halage du Bas-Rhône passe de 6000 en 1830, à 840 en 1843, et à 120 dix ans plus tard.

Mais ces débuts ne sont pas sans risque. En effet les bateaux ayant une coque en bois semblent trop fragiles pour supporter les machines à vapeur. Il faut attendre 1833 et les premiers bateaux avec une coque en fer, construits par deux Lyonnais, les frères Bonnardel, pour transporter des chargements plus lourds. La période de 1840 à 1850 marque l'apogée de la navigation à vapeur avec l'apparition de bateaux munis de machines françaises issues du Creusot (Saône et Loire). Les navires dont les roues de moulin tournent par la force de la vapeur, suscitent un rapide engouement parmi les voyageurs et les affréteurs. Les nombreuses compagnies de navigation se livrent alors à une véritable concurrence entre elles afin d'attirer la toute nouvelle clientèle des voyages fluviaux.

L'utilisation de la vapeur a aussi fait doubler, sur le Haut-Rhône, le tonnage de fret entre la fin du 18ème et le milieu du 19ème siècle. La seconde moitié du 19ème siècle voit l'apogée des transports fluviaux, non encore concurrencés par le rail, la route. Mais la vapeur ne tarde pas à permettre le développement du rail et le 16 avril 1855 est mis en service le tronçon ferroviaire de Valence à Lyon. Plus tard le mode de transport par route, puis par autoroute, accapare toute l'attention des politiques et les voies navigables sont alors négligées.

Des inventions spécifiques

Les bateaux-anguilles

Tout à fait typique du Rhône vers le milieu du XIXème siècle, le bateau-anguille mesure 160m de long pour seulement 6,50m de large. C'est une embarcation très puissante (1200 chevaux) emmenée par un moteur à vapeur entrainant des roues à aubes. Il se jouait des courants rapides et avait une cheminée escamotable pour pouvoir passer sous les ponts.

Le remorqueur Grappin

Aussi appelé « bateau-crabe », ce remorqueur est mis au point en 1840 par les frères Verpilleux de Rive-de-Gier. Il est équipé d'une puissante machine à vapeur et d'une hélice de grand diamètre (6,50 m). Sur ce bateau, la machine à vapeur entraîne une grande roue à dents s'appuyant sur le fond du lit du fleuve pour propulser l'embarcation. Lorsque le niveau d'eau est trop important, la roue dentée est relevée.
En construisant son bateau grappin, Jean Claude Verpilleux met à profit une des caractéristiques naturelles les plus contraignantes du Rhône de l'époque, son faible tirant d'eau. L'énorme roue permet le remorquage d'importantes charges avec une dépense d'énergie moindre qu'un bateau à roue classique.
Ce type d'embarcation n'a existé que sur le Rhône entre Lyon et Port-Saint-Louis du Rhône et a grandement participe au lancement du remorquage sur ce fleuve.

Malgré une apparente stabilité, durant les années 1850-1870, le trafic des voies navigables françaises a connu un déclin indéniable.

L'activité fluviale redémarre sur le Rhône en 1977 grâce à la mise à grand gabarit du Rhône et la construction de la centrale nucléaire de Tricastin.

Pour aller plus loin....

- Romain Charbonnier, Sujets bateaux, Embarcations sur le Rhône et la Saône en région lyonnaise, Lyon, 2011
- Idées Barges, l'expo qui vous transporte, Catalogue d'exposition à Maison du fleuve Rhône, Denis Tardy (dir), Lyon, 2012
- Exposition sur « Joseph-Xavier Mallet, le peintre ordinaire du Rhône » au Château musée de Tournon sur Rhône, jusqu'au 20 décembre 2015
- Le Musée des mariniers de Serrières 

 

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