Aliénor d'Aquitaine, une princesse convoitée
Fille de Guillaume X, Aliénor d'Aquitaine est née aux environs de 1123 près de Bordeaux. Par son père, elle sera l’héritière d’un immense domaine recouvrant tout le sud-ouest de la France : La Gascogne, la Guyenne, le Périgord, le Limousin, le Poitou.... Son grand-père, le duc de Poitiers, Guillaume IX, est sans doute le plus illustre des princes d’Aquitaine, également connu pour ses talents de troubadour. Initiateur d’un mouvement culturel qui s’épanouit au XIIe siècle, Guillaume a permis l’émergence d’une littérature en langue d’Oc parallèlement à l’extension de la poésie lyrique.
Aliénor, reine de France
Louis VII le jeune est un roi faible, très dévot. Peu respecté par ses vassaux, dont les possessions sont souvent plus importantes que le domaine royal, il se met à l’écart de tout, ne participant plus à rien, confiant en partie le gouvernement à l’abbé Suger. Aliénor dit « il est plus moine que roi », mais leur première fille Marie de France nait en 1145 (elle épouse le comte de Champagne Henri Ier et meurt en 1198). Le seul salut du roi réside dans la croisade demandée par le pape Eugène III en mars 1146. Convaincu par les paroles de Saint Bernard, Louis VII prend la route pour les terres saintes, suivie de sa cour et d’une Aliénor « légère et dissipée » occupée à s’amuser. De Constantinople vers l’Asie Mineure, Aliénor découvre de magnifiques paysages mais… est prise dans une embuscade par les Sarrasins près d’Iconium. Grâce aux chevaliers, elle en réchappe et pourtant le gros de l’armée est défait.
La reine refuse de partir et parle de séparation, la situation s’envenime ….mais elle doit pourtant obéir. La rumeur est lancée sur les aventures extra conjugales de la reine…avec son oncle. Le roi s’embarque pour l’Europe grâce aux vaisseaux du roi de Sicile. S’arrêtant ensuite à Rome, il se confie au pape, au sujet d’Aliénor : il veut la répudier…
L'échec du mariage avec Louis VII
De retour en France, après quatre ans d’absence, Louis VII retrouve son ami l’abbé Suger qui le calme, l’aide dans ses soucis et lui explique qu’il est fortement contre cette répudiation. Le couple royal se réconcilie et une seconde fille nait en 1150 : Alix qui épousera le comte de Blois Thibault le Bon et qui mourra en 1195. Mais Suger meurt en janvier 1152, le roi perd un ami plein de sagesse et la situation s’aggrave à nouveau dans le couple. Enfin, à Pâques 1152, il présente sa demande devant une assemblée de prélats : une requête pour la nullité du mariage.
Le chancelier a ce discours : « Il est inutile, dit-il, d'insister sur les chagrins du roi, et sur ce qui s'est passé en Palestine ; il n'est personne qui ne connaisse les bruits qui ont couru, et le roi, qui veut respecter l'honneur de cette grande princesse, ne doit pas approfondir la vérité des faits dont la certitude l'obligerait à déployer toute sa sévérité. Il s'en rapporte à la reine elle-même. Lorsqu'elle a voulu à Antioche se séparer du roi son époux, elle a invoqué la parenté comme un témoignage de la nullité de son mariage ; c'est ce que le roi soumet au jugement de l'Assemblée. Si la parenté est prouvée, l'union de Louis avec Aliénor sera annulée ».
L’archevêque de Bordeaux admet alors que la parenté existe bien au quatrième degré par les femmes de Bourgogne. La nullité est prononcée de suite pendant ce concile de Beaugency. A l’annonce de cette nouvelle, Aliénor s’évanouit, puis se reprenant elle est surprise de la décision du roi « Ah ! Messieurs, qu'ai-je fais au roi pourquoi il me veut délaisser ? En quoi l'ai-je offensé ? Quel défaut a-t-il trouvé en ma personne ? Je suis jeune assez pour lui, je ne suis point stérile... Je suis riche assez ; je lui ai toujours obéi… ».
Reprenant vite ses esprits, à la tête du Poitou et de toute l'Aquitaine, elle se sent menacée d’enlèvement (le comte d’Anjou, Geoffroy Plantagenêt voulait l’arrêter afin de l’épouser), fuit Blois, passe par Tours et se réfugie à Poitiers, dans l’espoir d’épouser Henri Plantagenêt, duc de Normandie, frère de Geoffroy. Leur première rencontre avait eu lieu en 1151 et avait été très réussie. Il a tout pour plaire à la riche héritière : un maintien annonçant sa haute naissance, des cheveux blonds doré, un regard doux, une adresse pour tous les exercices du corps, à l’aise à la cour, il a vingt ans. Six semaines après la répudiation, Henri la demande en mariage.
Aliénor, reine d'Angleterre
Furieuse, Aliénor fait des scènes à son époux, passant de la colère à la tendresse, entrainant même les enfants contre leur père, en leur fournissant des armes, en les poussant à s’allier avec l’Ecosse contre lui. Elle quitte l’Angleterre et se retire à Poitiers, au milieu de sa cour de poètes. Henri II, suspectant Aliénor d’être à l’origine de la mort de son ancienne maitresse Rosemonde et à bout de patience, l’enferme en prison pendant seize ans, à Chinon, et dans divers châteaux en Angleterre.
Elle n’en sort que lorsque son fils aîné Richard Cœur de Lion, une fois sur le trône après la mort d’Henri II en juillet 1189, la libère. De ce jour, gouvernant toujours l’Aquitaine et le Poitou, elle visite ses contrées et décide d’ouvrir toutes les prisons. Pendant que Richard Coeur de Lion est en croisade, elle assure la Régence et reçoit un accueil plus que chaleureux à chacun de ses passages dans les diverses régions. Mais par jalousie et besoin de pouvoir, elle évince la jeune promise de Richard, sœur de Philippe Auguste : elle ne veut personne d’autre qu’elle sur le trône ! Elle finit malgré tout par accepter et négocier le mariage de Bérangère d’Aragon et de Richard.
Un peu plus tard, elle se démène et se dévoue corps et âme pour libérer Richard qui vient d’être capturé et livré à l’empereur Henri VI, à son retour de croisade. Elle ne ménage pas sa peine pour réunir l’énorme rançon demandée. Richard est libéré en février 1194, mais quelques années plus tard, il est blessé et meurt en Limousin en 1199.
Fin de vie d'Aliénor d'Aquitaine à Fontrevaud
Parvenue à la fin de sa vie, elle laisse son héritage à son petit fils Henri III, puis se retire définitivement à l’abbaye de Fontevraud dans le Maine. Il y prend le voile tout en faisant des dons et des aumônes aux pauvres. Après une vie bien mouvementée, « la plus belle et la plus riche fleur d’Aquitaine, la perle incomparable du Midi » meurt en mars 1204 à l’âge de 82 ans. Elle repose à Fontevraud, d’abord aux côtés de son époux, puis de son fils Richard et de sa belle-fille Isabelle d’Angoulême (épouse de Jean sans Terre). On peut aujourd’hui voir leurs quatre gisants polychromes face au maître-autel de l’abbatiale.
Considérée un temps par les historiens comme la cause, par sa conduite, son divorce et son remariage, de trois siècles de conflits avec l’Angleterre, on perçoit aujourd’hui cette figure célèbre de façon différente. Aliénor d'Aquitaine incarne la femme libérée du XIIIe siècle, symbole d’un Moyen Age éclairé et plaisant ; cependant, d’aucuns voudraient la présenter comme l’archétype de la princesse médiévale, plus à plaindre qu’à admirer. Si Aliénor continue de susciter des prises de position aussi tranchées, c’est parce qu’elle reste avant tout une figure féminine centrale de notre histoire.
Bibliographie
- Aliénor d'Aquitaine : La Reine insoumise, de Jean Flori. Biographie Payot, 2004.
- Aliénor d'Aquitaine, de Martin Aurell. PUF, 2020.
- Aliénor d'Aquitaine, de Régine Pernoud. Le Livre de Poche, 1983.