Cicéron, une grande figure de Rome - Biographie

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Marcus Tullius Cicero, dit Cicéron (106-43 av. J.-C.) est un écrivain, philosophe, avocat, orateur prodigieux et homme d’État romain, et l’une des plus grandes figures de l’histoire de la Rome antique. Fervent défenseur des valeurs de la Res publica née quatre siècles avant lui, sa vie s’inscrit dans la période de crises et de guerres civiles que traverse la République romaine et s’achève par son assassinat. Considérable, l'influence de Cicéron sur la culture latine s'est exercée autant dans le domaine de l'art oratoire, dont il est le premier théoricien, que dans la philosophie politique et morale.

La jeunesse de Cicéron

Issu d’une famille plébéienne élevée au rang équestre, Marcus Tullius Cicero est né en 106 av. J.-C. à Arpinum, une petite ville située à mi-chemin entre Rome et Naples. Il est envoyé à Rome pour ses études, où il est formé aux classiques grecs et initié aux activités publiques. La guerre sociale (90-88 av. J.-C.) éclate durant sa période de formation et il s’engage dans l’armée, à l’âge de dix-sept ans. Il est placé sous les ordres de Sylla et il fait la connaissance de Pompée, auquel il restera très lié. Le passage dans l’armée est indispensable pour faire une carrière politique à Rome, mais Cicéron n’est guère attiré par la vie militaire. Il quitte l’armée à la fin du conflit, en 88 av. J.-C., pour retourner à ses études, tandis que Marius et Sylla se disputent le pouvoir, plongeant la République dans sa première guerre civile.

Cicéron complète sa formation par l'étude du droit, de l’histoire, de la philosophie, de la dialectique et de la rhétorique. Il suit les enseignements épicuriens, stoïciens, platoniciens et se rend quelques années à Athènes pour parfaire sa formation. Il devient un maître de l’art oratoire autant par sa diction que par la qualité de son argumentation. Cicéron est un Homo novus, un citoyen dont aucun aïeul n’a occupé de charge publique, mais son mariage avec Terentia, une femme issue d’une famille romaine riche et influente, les Terentii, lui a ouvert les portes de la haute aristocratie, réseau d’alliances indispensable pour s’élever dans le Cursus honorum, l’ordre d’accès aux magistratures publiques de Rome.

Un citoyen romain engagé

Cicéron gagne son premier procès en 81 av. J.-C. lors d’une affaire succession avec un parricide à la clé. Lorsqu’il a l’âge requis pour postuler aux magistratures, il se lance dans le Cursus honorum. En 75 av. J.-C., il est élu questeur en Sicile. En 70 av. J.-C., il se rend populaire en défendant les Siciliens et gagnant son procès contre l’homme d’État romain Caius Licinius Verres, impliqué dans de nombreuses affaires de vol et de corruption.

C’est cette affaire qui marque vraiment son entrée dans la vie judiciaire et politique. Cicéron se pose en avocat engagé contre la corruption et fait publier les Verrines, l’ensemble des discours prononcés contre Verres.

En 66 av. J.-C., il devient préteur, l’une des plus hautes magistratures romaines, incarnant la voie "centriste" des Viri boni, « hommes de bien », entre les optimates, plutôt conservateurs et proches de la grande aristocratie et les populares, plutôt réformateurs et sensibles aux revendications populaires et sociales, les premiers défendant des intérêts de classe et les seconds cédant souvent aux sirènes du populisme. De nos jours, on pourrait, pour simplifier, dire la droite et la gauche.

La conjuration de Catilina

En 63 av. J.-C., Cicéron est élu consul, au détriment du sénateur Lucius Sergius Catilina. L’homme a déjà un passé ombrageux. En 66 av. J.-C., il avait fomenté une première conspiration dans le but de donner la dictature à Marcus Licinius Crassus, le général vainqueur de Spartacus et l’homme le plus riche de Rome. Furieux de son échec au consulat, cette fois-ci Catilina veut s’emparer personnellement du pouvoir. Se présentant comme le défenseur des opprimés, il profite de l’absence de Pompée, en campagne en Asie et il s’appuie sur les frustrations d’une partie de la nobilitas romaine et de notables provinciaux pour organiser un coup d’État.

Cicéron en est informé et le 8 novembre 63 av. J.-C., il prend la parole, apostrophant sèchement Catalina en pleine session du Sénat: « Jusqu’à quand, Catalina, abuseras-tu de notre patience? ». C’est dans cette allocution, dans laquelle il dénonce les détails de la conjuration et de la menace qu'elle fait peser sur la sécurité de l’État, que l’on trouve la célèbre expression proverbiale O tempora ! O mores!, « Quelle époque ! Quelles mœurs ! ».

Démasqué, Catilina se défend maladroitement et il est contraint de quitter précipitamment l’assemblée sous les huées des sénateurs. Le soir même, il quitte Rome pour rejoindre un camp en Étrurie où il avait commencé à rassembler des troupes. Dans les semaines qui suivent, les noms et les desseins des conjurés sont rapidement dévoilés par les enquêtes et ils sont tous arrêtés, à l’exception de Catilina, qui organise un soulèvement en Étrurie. Les séances au Sénat s’enchaînent pour décider de leur sort et le 5 décembre, après un ultime débat, ils sont condamnés à mort sans procès.

L’exécution eut lieu immédiatement après la séance et Cicéron envoya l’armée pour écraser le soulèvement de Catilina. Ne parvenant à réunir suffisamment de troupes, celui-ci prit la fuite en direction de la Gaule transalpine. Il trouve la mort le 5 janvier 62 av. J.-C. lors d’un combat violent au cours duquel tous les conjurés sont massacrés sur le champ de bataille. Se présentant comme le sauveur de la patrie, Cicéron annonça au peuple que, grâce à lui, la conjuration avait été vaincue.

Cicéron sur le chemin de l’exil

Qualifié de Pater patriae, « Père de la patrie », Cicéron tire une grande popularité de ces événements et la publication des Catilinaires, les discours qu’il a prononcés au Sénat à cette occasion, renforce son prestige. Devenu membre du Sénat romain, c’est aussi un homme fortuné qui possède une somptueuse domus (palais) sur le Palatin, plusieurs villae rusticae (exploitations agricoles) dans la campagne et quelques confortables villae urbanae (résidences secondaires) en province.

Mais sa fortune, essentiellement basée sur un patrimoine foncier estimé à 13 millions de sesterces, est très loin d’égaler celle des Romains les plus riches, comme Crassus, qui dépassent parfois les cent millions de sesterces et son statut de sénateur l’empêche de mener des activités de nature commerciale ou financière.

Bien qu’il soit alors en retrait de la vie politique, Cicéron essuie de plus en plus de critiques. On lui reproche sa vanité excessive et les louanges qu’il s’adresse lui-même exaspèrent les Romains. Lors de la constitution du premier triumvirat, association politique secrète entre Pompée, César et Crassus, il refuse d’y être associé. Il a aussi des ennemis politiques, notamment le tribun de la plèbe Publius Clodius Pulcher qui lui voue une haine tenace. En 58 av. J.-C., ceux-ci déposent un projet de loi condamnant tout magistrat ayant fait exécuter un citoyen sans procès régulier, ce qui vise explicitement Cicéron pour l’exécution des partisans de Catilina.

Privé de soutien, Cicéron quitte précipitamment Rome la veille du vote de cette loi et se réfugie à Dyrrachium, dans l’actuelle Albanie. Sa domus est détruite, alors que des affrontements sanglants opposent ses partisans et ses adversaires. Pompée obtient finalement le vote d’une loi annulant le bannissement de Cicéron et la restitution de ses biens. Après seize mois d’exil, le 5 septembre 56 av. J.-C., il est de retour à Rome, où il reçoit un accueil triomphal.

Le retour en politique

Cicéron tente de revenir en politique et sans attaquer les triumvirs de front, il s’en prend à leurs protégés. Il appelle à une République d’union de tous les « bons citoyens » où ceux-ci n’auraient pas le premier rôle. Dans De oratore, il souligne qu’un grand orateur doit occuper une place de premier plan dans la cité et dans De Republica, il laisse entendre qu’il se verrait bien l’un des tuteurs, sinon le tuteur, de la République. Ce qui n’est guère du goût des triumvirs qui le mettent au pas. Pompée lui rappelle la protection qu’il lui doit et Cicéron doit soutenir devant le Sénat la prolongation du pouvoir proconsulaire de Jules César sur la Gaule.

En 51 av. J.-C., il obtient un mandat de proconsul en Cilicie, petite province romaine d’Asie Mineure, qu’il gouverne, selon Plutarque, avec son sens de l’intégrité et de la justice, même s’il prend cette magistrature sans grand enthousiasme. Il y met en pratique sa philosophie de gouvernement des provinces, basée sur la paix et sur la justice, essentiellement fiscale, supprimant des charges injustifiées. Il doit néanmoins mater une révolte et lève des troupes. Après deux mois de siège, les insurgés capitulent et pour ce fait d’armes qui reste modeste, Cicéron est proclamé imperator par ses soldats.

Ce titre, donné durant la République romaine aux généraux romains victorieux lors de leur retour de campagne militaire, lui donne l’idée de demander la célébration du triomphe à son retour à Rome, mais il n’en sera pas question. Il revient à Rome un an plus tard, au moment où la guerre civile entre César et Pompée est sur le point d’éclater. Crassus avait trouvé la mort contre les Parthes en 53 av. J.-C. et Pompée avait profité de l’absence de César, retenu par sa conquête de la Gaule, pour se faire nommer consul unique par le Sénat.

La guerre civile

En janvier 49 av. J.-C., déclaré hors-la-loi par le Sénat, Jules César franchit le Rubicon à la tête de ses légions et marche sur Rome, tandis que Pompée et ses partisans s’enfuient. Il installe un Sénat à ses ordres, dont il obtient le consulat puis la dictature et propose à Cicéron, qui, comme la plupart des sénateurs, a fui Rome et s’est réfugié dans une de ses maisons de campagne, d’être médiateur. Affligé par la guerre civile, qu’il considère comme une calamité, celui-ci refuse, mais il prend le parti de Pompée, qu’il rejoint en Grèce, sans prendre part aux opérations militaires.

Après la victoire décisive de César sur Pompée à Pharsale en 48 av. J.-C., Cicéron abandonne le camp des Pompéiens et retourne à Rome. César se montre bienveillant à son égard et Cicéron fait l’éloge de sa clémence. Ses relations avec César restent cordiales, mais devant l’évidence de son pouvoir absolu et de la fin de la République, il préfère se retirer de la politique.

Il rédige néanmoins l’Éloge de Caton, qu’il qualifie de « dernier républicain », auquel César répondit par son Anti-Caton. Mais sa vie privée est perturbée. En 46 av. J.-C., il répudie son épouse Terentia et épouse peu après Publilia, une jeune fille fort riche, qu’il répudie à son tour après le décès de sa fille Tullia, qui lui cause un profond chagrin.

La mort de Cicéron

Cicéron réside alors le plus souvent dans sa villa de Tusculum et se consacre à la littérature, la philosophie et même à la poésie. L’assassinat de César, le 15 mars 44 av. J.-C., va mettre un terme à cette retraite paisible. Détestant Marc Antoine, qui se pose en exécuteur testamentaire de César et prend le pouvoir, il défend la cause républicaine et l’attaque dans une série de discours de plus en plus violents, les Philippiques, et tente de le faire proclamer ennemi public par le Sénat.

Cicéron tente d’influencer le jeune Octave, mais celui-ci s’allie avec Marc Antoine et Lépide pour former le second triumvirat. Les trois hommes s’entendent pour venger César de ses meurtriers, mais aussi pour éliminer leurs ennemis personnels. Marc Antoine veut la tête de Cicéron et Octave le laisse faire.

Le 7 décembre 43 av. J.-C., Cicéron est assassiné dans sa villa de Formia. Sa tête et ses mains coupées sont exposées au forum à Rome sur ordre de Marc Antoine. Son frère et son neveu sont exécutés peu de temps après et seul son fils, alors en Macédoine, échappe à la fureur de Marc Antoine.

L’œuvre de Cicéron

Grâce à l’étendue, la variété et la qualité de son œuvre littéraire, Cicéron est considéré comme le plus grand auteur latin classique. Il nous a légué une œuvre considérable, constituée de ses plaidoiries et discours, de traités de rhétorique, d’œuvres philosophiques, une abondante correspondance privée et même des œuvres de poésie. Orateur exceptionnel, son art oratoire a exercé une influence considérable sur la culture occidentale, de l’Antiquité jusqu’à l'époque moderne.

Souvent considéré comme un simple compilateur des philosophes grecs, il s’était donné pour mission de vulgariser la philosophie grecque en latin pour le public romain. Dans le domaine politique, les jugements sont plus sévères et certains historiens l’ont considéré comme un intellectuel égaré au milieu d’un panier de crabes.

Pourfendeur des politiciens corrompus et des ennemis de l’État, tel Catilina, il croyait aux valeurs de la République romaine et il a cherché à la préserver des ambitieux et des dérives totalitaires. Mais il n’a pu qu’assister impuissant à l’ascension de Pompée et de César...

Bibliographie

Cicéron: Un philosophe en politique, de Charles Guérin. Calype, 2023.

Cicéron, de Yves Roman. Fayard, 2020.

Oeuvres Complètes de Cicéron, de Marcus Tullius Cicero. Nabu Press, 2010.

 

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