dames romaines fresquePendant des siècles, dans presque toutes les sociétés, les femmes n’ont pas bénéficié des mêmes droits que les hommes. Les femmes de la Rome antique, déclarées mineures vis-à-vis de la loi, en sont un parfait exemple. Il serait cependant réducteur et simpliste de vouloir dresser le portrait type de la femme romaine. En effet, si l'Histoire nous apprend bien une chose, c'est qu'il n'y a pas l'Homme et la Femme, mais des hommes et des femmes. L'Histoire se conjugue au pluriel. Sur une période aussi étendue, débutée en 753 av. J.C. et qui prend fin en 476, la condition féminine et le rôle de la femme dans la société romaine antique n'ont cessé d'évoluer et de prendre des formes diverses.

Quand le mythe devient réalité

Rome est comme façonnée par des légendes. Sa fondation même, en 753 av J.C. par Romulus, a donné lieu à la naissance d'un mythe éternel, celui de Remus et Romulus, jumeaux qui luttèrent pour donner naissance à la plus célèbre cité latine. Si, de prime abord, l'on remarque une chose, c'est bien l'absence totale de femme aux commencements de Rome. La louve éclipse la présence féminine de Rhéa Silva, mère des deux frères abandonnés au Tibre. D'ailleurs, dans les premiers temps, la future cité romaine se construit en l'absence totale de femmes. Cette dernière à Rome est - dès le début - comme mise entre parenthèse lorsqu'il s'agit d'affaires sérieuses. Le mythe fondateur se fera sans elles...

buste femme romeMais un autre évènement, qui deviendra légende à son tour, vient contrebalancer l'équilibre des sexes dans cette balance virile et romaine. L'enlèvement des Sabines marque l'entrée des femmes dans l'élaboration du futur Empire. Il servira d'ailleurs de modèle pour les générations suivantes. L'enlèvement aurait donc eu lieu peu de temps après la fondation de la cité par Romulus et ses frères d'armes. Le problème est tout simple : les romains manquent de romaines pour repeupler les lieux. Ceux-ci vont tenter de négocier avec les Sabins, un peuple voisin, afin d'obtenir l'échange de quelques femmes. Mais les Sabins voient d'un mauvais œil cette nouvelle cité naissante. Ils refusent catégoriquement. Romulus ordonne alors qu'on enlève les Sabines puisqu'on les lui refuse.

Ces dernières sont les premières femmes qui s'installent en terres romaines et qui interviennent dans la vie de la cité. Elles parviennent à stopper les hostilités entre leurs maris et leurs parents, on donne même le nom de certaines d'entres-elles aux Curies[i]. Les Sabines transmettent également des pratiques aux futures romaines, comme celles du filage et du tissage. En effet, lors de leur enlèvement, elles avaient accepté leur sort à condition qu'elles soient honorées au foyer de leur mari et qu'elles n'auraient d'autre travail que celui de filer la laine. Ainsi, ce sont ces fameuses Sabines qui vont influencer les mœurs de leurs descendantes, que l'on qualifiera alors de Romaines. Le mythe influence-t-il la réalité.

Débuts austères des femmes romaines

Dresser le portrait type de la femme romaine semble inenvisageable aux vues des multiples caractéristiques que développe la gent féminine latine. De la matrone à la noble épouse, un monde les sépare. De plus, de la Royauté jusqu'à l'Empire en passant par la République, la condition de ces dernières n'a cessé de se modifier avec le temps.

Au commencement, la rigueur et l'austérité sont de mises à Rome. Premier élément visible, l'habillement. En public, les femmes se couvrent la tête pour ne rien dévoiler d'elles. Sur leurs robes de laines, la stolla, les matrones jettent manteau appelé palla qui prend soin de dissimuler les deux épaules. Celle-ci tombe au niveau des pieds, pudeur oblige. En plus de cacher une partie du corps, elle a pour but d'entraver les mouvements. La force symbolique de l'habit est puissante !

Dès le début, la jeune fille est élevée dans le foyer. Il faudra attendre des siècles pour qu'elle suive un enseignement scolaire, bien que Tite-Live fasse mention d'une école pour filles au Ve siècle. La uirgo, c'est son nom, porte une toge brodée recouverte d'une bulla qui recouvre son cou. Ses cheveux sont ramenés en arrière et mis en chignon derrière sa tête. Lorsqu'elle prend un mari, la femme romaine se dissimule la quasi-totalité du corps, comme nous l'avons vu plus haut. La matrone a quelques bijoux, mais rien de trop luxueux, juste assez pour la différencier d'une esclave ou d'une courtisane. Il faudra attendre la fin de la République pour voir apparaitre maquillage et parfum en abondance. Au travers des habits de la matrone, on perçoit aisément le rôle social qu'on veut lui faire jouer : pas de place à l'originalité, pas le droit de se différencier. Aux commencements, les romains veulent des mères et non pas des femmes.

La matrone, gardienne du foyer, est cantonnée à l'intérieur de sa demeure tandis que l'homme vit à l'extérieur. Flâner dans les rues pour une femme est indécent. Cependant chez elle, elle est dispensée des tâches serviles. La matrone dirige ses servantes et tisse des toges ou file la laine, comme ses ancêtres les Sabines. Femme d'ordre et de devoir, elle vit pour son mari et ses enfants. Sa vie sociale est limitée. Autre trait significatif, elle dîne assise, alors que l'homme commence, à la fin de la Royauté, à s'étendre pour manger.

Même si de nos jours, cette condition nous paraît rude, la période ne connait pas de soulèvements ni de révoltes féminines de grande ampleur. Cela est peut-être aussi dû au grand respect qui les entoure, ce qui redore légèrement leur situation.

La tutelle masculine

D'un point de vue juridique, la Romaine ne dispose pas du droit de vote, ni bien sûr de l'éligibilité. Elle « appartient » toujours à un homme de sa famille, tantôt à son père tantôt à son mari. Le rassemblement leur est formellement interdit. Si elles ont une requête à présenter c'est par l'intermédiaire de leurs époux qu'elles doivent passer. Elles ne sont pas non plus comptées parmi les citoyens. D'après Lactance [ii] dans son Epitone, Cicéron aurait prononcé cette phrase d'un ton sentencieux : « Quelle sera l'infortune d'une cité où les femmes occuperont les charges des hommes ! ». C'est dire le crédit qu'on leur accorde...

Ce n'est pas un hasard si la femme ne s'appartient par à elle-même. Dans tous les textes elle est toujours définie par rapport à son mari ou à ses fils. Filia pour son père, uxor de son époux ou encore mater d'un tel. Il faudra attendre des siècles et la République pour que l'on commence à parler d'elles en tant que femina.

En ce qui concerne le rapport de couple, la fille est mariée très jeune. Les rapports sexuels sont donc très précoces – vers 12 ans – et bien qu'ils facilitent ensuite les menstruations, ils provoquent souvent des souffrances physiques inscrites à vie dans la chair du corps. Il est vraisemblable que le romain ne s'attarde pas aux subtilités de l'amour. L'acte sexuel se déroule dans le noir, la femme se place more ferarum, à quatre pattes, car la tradition veut que cette position soit plus féconde. L'acte sexuel entre époux n'a d'autres buts que celui de procréer.

Dans La Constance du sage, Sénèque résume parfaitement la conception que les romains se font des romaines « Le sexe féminin est fait pour obéir, le masculin pour commander ». Ainsi à Rome, le sexe « faible » est aux ordres des hommes.

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Femme romaine et rapport à l'enfant

Les liens qui unissent mère et jeune enfant sont faibles, voire inexistants. La grossesse est vécue comme une véritable épreuve. Les naissances sont fréquentes. Les fausses-couches sont redoutées, surtout parce que la romaine craint qu'on ne la soupçonne d'avortement, véritable crime à Rome ! Les médecins n'assistent quasiment pas les femmes enceintes à cause de leur pudeur et surtout de leur relative incompétence en ce domaine. On estime qu'une naissance sur cinq est fatale pour la mère.

Quand au rapport même avec l'enfant, il est complexe à définir. La romaine ressent d'avantage de fierté que d'affection. Celle-ci est fière d'avoir en elle le pouvoir d'enfanter. En effet, la vie de l'enfant est fragile, peu d'entre eux atteignent l'âge d'un an. Ainsi, père et mère évitent l'attachement affectif. C'est seulement lorsque l'enfant parvient à franchir les premières années de sa vie, que l'on se permet d'avoir de l'intérêt et même de l'amour pour lui.

La matrone règne en maître sur ses enfants, même lorsque ces derniers ont atteint l'âge adulte. A ce propos, Rome se met à respecter la femme lorsque celle-ci devient mère. Aussi injuste que cela puisse nous sembler de nos jours, à Rome, une femme sans enfants est jugée inutile.

Les femmes de Rome

Aux débuts de la Royauté, la population de Rome est relativement homogène. Mais, à mesure que la cité s'agrandisse, de nouveaux groupes émergent. Certains se hissent sur le haut du pavé, d'autres demeurent – comme toujours - dans la fosse. Ainsi voit-on apparaître des groupes aux mœurs et pratiques différentes. Les sources historiques dépeignent, en général, la vie se déroulant dans les hautes sphères, rarement celle du peuple même. C'est pourquoi, surtout à partir de la République, il convient de bien différencier la patricienne issue des milieux aisés, à la plébéienne qui connaît des conditions plus dures. Cette dernière reste plus fidèle aux traditions, tandis que la patricienne tend vers une certaine émancipation.

Au niveau religieux, certains cultes sont soit réservés à la patricienne soit à la plébéienne. C'est le cas de la Pudicita, culte habituellement réservé aux patriciens. Tite-Live raconte qu'une patricienne, mariée à un plébéien, fâchée qu'on lui refuse ce culte en raison de son union, fit introduire chez elle une Pureté plébéienne. Par ce geste fort, cette dernière put montrer que, même chez les patriciennes, la vertu était haute, n'en déplaise aux matrones. Au passage, on remarque le climat de tension entre ces deux classes de femmes. Notons également la volonté chez les gens de la plèbe d'imiter les gens de la haute société, mais la réciproque est aussi vraie lorsqu'il s'agit de la vertu, tout cela au profit de mœurs sévères.

Vers la fin de la République, Rome règne en maître sur quasiment tout le bassin méditerranéen. Une armée de métier apparaît et nombre d'hommes s'engagent. Ces derniers sont couverts d'honneurs. Les hommes qui ne s'engagent pas, ou qui sont dispensés de service, sont relégués au second plan, ils deviennent des togatus, autrement dit de simples civils. Ce changement est important puisqu'il modifie la condition de la femme. En effet, lorsque son mari est parti en campagne, celle-ci doit prendre la direction de son foyer. Si l'homme ne part pas, l'épouse ne comprend pas pourquoi elle ne bénéficierait pas d'un pouvoir équivalent.

De plus, les femmes-esclaves que l'on fait venir de l'étranger, bouleversent les habitudes. C'est d'ailleurs un phénomène courant. L'afflux d'étrangères a toujours profité aux autochtones. Ces nouvelles arrivantes sont destinées aux tâches les plus serviles. Ainsi, le travail des matrones est considérablement allégé et favorise leur libération.

A la fin de la République, une autre catégorie de femmes prend de l'ampleur, celle des courtisanes et des prostituées. Bien qu'elles aient toujours existé, la nouveauté réside dans le fait que, dorénavant, ce n'est plus un secret. Les facilités qu'il y a désormais à faire et défaire une union, multiplient de fait le nombre de courtisanes. Cicéron encourage même les hommes à laisser passer la « fièvre des passions juvéniles [iii]». Beaucoup de ces femmes « vénales » sont des esclaves ou des affranchies. Les plus convoitées sont danseuses, musiciennes ou encore actrices. Quelques-unes parviennent même à se hisser haut dans la société auprès d'importants patriciens. Quoi qu'il en soit, cette catégorie de femmes traduit bien une évolution des mœurs de la gent féminine à Rome et de la place qu'on lui accorde.

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Une mise en beauté, physique et intellectuelle

D'un corps qu'on dissimule sous la Royauté à un corps qu'on expose sous l'Empire, l'évolution « physique » qu'ont connue les femmes est remarquable. La toilette de la femme romaine devient un art. Le maquillage et les parfums prennent de plus en plus de place dans l'attirail de beauté dont dispose la romaine. De même, l'habillement évolue et cherche désormais à mettre en valeur ces courbes généreuses. Autre élément significatif, les miroirs deviennent des instruments obligés. Les bijoux se portent fièrement, ils sont à la fois la marque d'un grand raffinement mais aussi le signe d'une puissante richesse.

Comme nous l'avons dit, la façon de s'habiller se perfectionne. On se met à travailler avec plus de précision la teinture, plus particulièrement le pourpre, très apprécié. On l'extrait, par exemple, d'un mollusque appelé murex. Cet animal possède en son corps un liquide blanchâtre. A sa mort et sous l'action du soleil, il tourne au pourpre jusqu'à l'indigo. Ainsi ces teintes sont extrêmement recherchées, donc couteuses. En ce qui concerne la coupe du vêtement, on continue de porter des stola et des palla. Mais de nouvelles matières comme la soie apparaissent. Tout cela à évidement un coût.

Un des signes les plus révélateurs est, sans doute, celui de l'évolution que connaît la coiffure. Si les matrones ont longtemps conservé leurs nattes serrées derrière leurs têtes, on se met à imaginer toutes sortes de fantaisies capillaires. Pour caricaturer, chaque dynastie connaît sa coiffure ! Les unes aiment les bouclettes, d'autres forment des diadèmes parés d'épingles et d'autres dressent de véritables sculptures au-dessus de leurs cranes. L'étape « coiffure » du matin s'étend dans la durée et devient inévitable. Bien sûr, ce sont les servantes qui se chargent de ce dur labeur...

Les noms des parfums de cette époque gardent, encore aujourd'hui, un certain prestige : cinnamome d'Egypte, nard, myrrhe, amome indienne... Autant de senteurs venues d'Orient et adaptées à la romaine, parfois agrémentées d'huile de rose ou de safran. Les fards ont aussi connu leur heure de gloire. Le plus prisé : le purpurissum, toujours élaboré à partir du murex. Les yeux connaissaient aussi leurs petits secrets pour encore mieux briller.

Les changements concernent aussi l'éducation. Les filles reçoivent désormais les connaissances de base que sont le calcul et la lecture. Quelques-unes sont même initiées à la musique et à la littérature. Dans la haute société, certaines d'entre-elles pratiquent même l'éloquence et la littérature. Cicéron aime à philosopher avec son épouse...

Quoi qu'il en soit, les romains ne jugent plus leurs épouses de la même manière que sous la Royauté ou même sous les débuts de la République. Cicéron écrit même qu'il est mal vu d'être « un homme dont le regard dédaigne la beauté, dont l'odorat, le toucher... sont insensibles, qui ferme les oreilles à toute douceur [iv]». Auparavant, était estimée une romaine selon sa vertu. Désormais on décerne des prix de beauté et sait apprécier l'intelligence des femmes.

Une femme romaine célèbre : Agrippine

A Rome, le rapport femme/pouvoir a toujours été ambigu, en commençant par le foyer pour aller jusqu'au sommet de l'Empire. D'un point de vue législatif, cette dernière n'a que peu de droits. Mais la réalité est toute autre. Avec cette prise d'autonomie sous la République, la matrone se met à posséder des servantes et commande en l'absence de son mari. De même, dans les sphères socialement plus hautes, de nombreuses femmes se mêlent au pouvoir, souvent de manière directe. Ces femmes de l'ombre, qui dirigent en sous-main, jouent de leur influence auprès des plus grands.

agrippine la jeuneAgrippine s'empare du cœur de l'empereur Claude et parvient à le dominer totalement. Il est probable qu'elle l'empoissonne même pour gérer son héritage. De ce fait, elle met en avant Néron, fruit de son union précédente, en reléguant dans les méandres de l'oubli Britannicus, fils héritier de Claude. Un exemple parmi d'autres qui traduit assez bien l'évolution des femmes dans les hautes couches.

Les relations qu'entretiennent entre-elles ces femmes puissantes, font et défont même l'histoire. Chacune y va de sa ruse pour parvenir à sa fin. Tour à tour, elles accusent leur adversaire de se livrer à des pratiques d'envoutement ou de consulter des astrologues ! Si cela ne marche pas, qu'à cela ne tienne, elles dénoncent un adultère !

Mais Rome n'échappe pas au machisme qui coule dans ses artères. Ainsi les propos terribles de Valère Maxime dans ses Faits et paroles mémorables à propos d'une femme remarquable « que son âme virile, par une perfide erreur de la fortune, avait reçu un corps de femme ». Ainsi, on autorise le droit aux femmes de s'immiscer dans les affaires les plus hautes, sans toutefois y prendre assez de place pour devenir visible et surtout attirer la reconnaissance. La virilité et l'héroïsme chez la femme ne sont admis que lorsque celle-ci est étrangère, à l'exemple de Tacite qui fait parler Bouddica, générale bretonne : « Femme, c'est mon destin arrêté de vaincre ou de périr à la guerre. Libre aux hommes de vivre et d'être esclaves. »

Entre ombre et lumière, admiration et crainte, ce sont les paradoxes et les contraires qui peuvent esquisser un semblant type du portrait de la femme romaine. Mais, ce « portrait » demeure impossible à réaliser parfaitement, tant les dualités sont nombreuses : patricienne/plébéienne, ville/campagne, esclave/affranchie, matrone/courtisane...

Pour entrer dans l'univers de la romaine il faut se débarrasser de notre vision du monde et des rapports qu'entretiennent les hommes et les femmes d'aujourd'hui. Mais c'est aussi ce mystère, cette obscure clarté qui enveloppe les Vénus de Rome, qui font qu'elles sont éternelles et fascinantes, encore même aujourd'hui.

Bibliographie indicative

- Pierre Grimal, La Vie à Rome dans l'Antiquité, PUF, 1994.

- Guy Achard, La Femme à Rome, PUF, 1995.

- Joel Schmidt, Femmes de pouvoir dans la Rome antique. Perrin, 2012.

- A.-M. Verilhac et C. Vial, La femme dans le monde méditerranéen, Travaux de la Maison d'Orient, n°19, Lyon.

[i] Trente unités constitutives de la ville

[ii] 250-325

[iii] Pour Caelius, 48

[iv] Pour Caelius, 42

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