Baptisé en l'honneur d'Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV, le « Chemin des Dames », encore appelé « bataille de l'Aisne » ou « offensive Nivelle », fut avant tout une immense bataille de la Première Guerre mondiale. C'est sur ce plateau calcaire que le général Nivelle, commandant en chef des armées françaises, a choisi de faire porter son effort, mobilisant un million d'hommes pour percer les lignes allemandes. Le généralissime se veut confiant : « l'heure est venue, confiance, courage et Vive la France ! » L'offensive du Chemin des Dames tournera pourtant au fiasco et coûtera son commandement à Nivelle, remplacé par Pétain. Elle sera pour une bonne part responsable des mutineries de l’année 1917.
Le chemin des Dames : un projet symbole d'espoir
La guerre durait depuis plus de deux ans et demi et la situation de la France était préoccupante. Alors que son allié américain ne possédait pas encore de véritable armée, le gouvernement français vit la Russie en pleine révolution abandonner le combat. Le moral tant à l'avant qu'à l'arrière du front était en berne lorsqu'il n'était pas carrément assombri ou ébranlé. Robert Nivelle, simple colonel commandant un groupement d'artillerie en 1914, gravit rapidement les échelons de la hiérarchie militaire grâce à ses hauts faits d'armes.
Il se distingua notamment à Verdun en 1916. Charismatique, d'un naturel optimiste et confiant, il fut choisi pour succéder à Joffre à la tête des armées en décembre 1916. Il portait avec lui un audacieux plan visant à mettre un terme à la guerre. Disposant une supériorité numérique sur le front occidental, Nivelle souhaitait frapper au plus vite. Il voulait rompre le front de matière brutale et massive notamment grâce à une nouvelle arme : le char d'assaut. Il cherchait à effectuer une percée avançant sous la protection d'un feu roulant pour détruire l'artillerie et les voies de ravitaillement des Allemands.
Le général Nivelle, confiant dans la supériorité numérique des Alliés, décide donc une grande offensive afin de percer les lignes allemandes. Son plan prévoit une première offensive franco-britannique en Artois qui aurait pour but de fixer une partie importante des forces allemandes. Mais l'attaque principale se déroulerait en fait dans l'Aisne, l'objectif étant de s'emparer du Chemin des Dames, une route de crêtes entre les rivières Aisne et Ailette.
Une offensive mal engagée
Après que les armées des généraux Micheler et Mangin auront percé les lignes, et que l'artillerie lourde aura détruit les arrières allemands sur plusieurs kilomètres de profondeur, une armée française tenue jusqu'alors en réserve, exploitera la percée. Cependant, avant même que l'offensive soit lancée, deux événements viennent en compromettre le succès. En effet, le 16 mars, le général Ludendorff décide de raccourcir le front allemand et fait reculer ses troupes d'une quarantaine de kilomètres, modifiant ainsi complètement le terrain d'assaut prévu. De plus, nombre de généraux français, tel Pétain, et de politiques, ne croient pas en ce plan et contribuent à affaiblir la position de Nivelle. Mais la décision de lancer l'offensive est néanmoins maintenue.
Le plan de cette offensive qui doit briser le front d’une armée allemande que l’on pense épuisée après la saignée de la bataille de Verdun, est somme toute classique. Après une intense préparation d’artillerie, les forces concentrées sur un espace de 30 km doivent enfoncer les lignes ennemies et avancer sous la protection d’un feu roulant. L’exploitation est confiée à une armée abondamment fournie en troupes de cavalerie. Dés le départ la réussite d’un tel plan est compromise.
L’armée allemande est parfaitement au courant des intentions françaises et jouit d’excellentes positions défensives puisque tenant les pentes et surplombant les unités françaises. D’autre part le temps couvert a rendu hasardeuse la planification de la préparation d’artillerie qui va se révéler bien moins efficace que prévue.
La bataille du Chemin des Dames
Tout commença après deux assauts menés le 9 avril par l'armée anglaise puis le 12 avril par l'armée française pour évaluer la résistance de l'ennemie que l'on pensait épuisé après la bataille de Verdun. Une grande offensive se préparait entre l'Oise et la montagne de Reims, principalement sur les hauteurs du Chemin des Dames. Les longues préparations de l'artillerie française donnèrent tout loisir à l'armée allemande de se renforcer d'autant qu'elle avait eu connaissance d'une partie des plans de Nivelle. Il était prévu d'attaquer par beau temps.
Cependant, ce fut le froid, la brume et la boue qui prédominèrent le matin du 16 avril 1917. Envers et contre tous, l'assaut fut donné à 6h du matin. Les fantassins et cavaliers de la 5e et 6e armées devaient franchir l'Aisne, monter la pente du Chemin des Dames puis traverser le plateau pour redescendre par le nord et atteindre la vallée de l'Ailette. L'État-major français escomptait faire arriver ses troupes aux environs de Laon coupant les voies de ravitaillements des Allemands entre Reims et Soisson.
Face à une armée allemande bien préparée, en contre-haut dans un dédale de galeries et de cavernes, et face à des conditions météorologiques gênant les réglages de l'artillerie et le mouvement des troupes, le premier jour de combat se solda par une avancée de 500 mètres au lieu des 10 kilomètres escomptés. Seulement 10 000 prisonniers à la place des 100 000 estimés. À l'issu de cette première journée, Nivelle prit conscience de l'échec de sa stratégie, la percée recherchée n'aboutirait pas. Mais il voulu tout de même prendre le Chemin des Dames et envoya en renfort la 10e armée. Malgré l'opprobre de l'opinion publique, Il poursuivit sans succès les opérations jusqu'au 9 mai.
Un funeste bilan
En quinze jours, l'armée française comptait quelque 40 000 morts et 90 000 blessés sans parler des prisonniers et des disparus. Sans atteindre les chiffres atroces de Verdun, c'en était trop pour l'opinion publique et pour les soldats. Le grand mouvement d'espoir que Nivelle avait suscité s'était transformé en une désillusion totale provoquant une effroyable crise à la fois politique, sociale et surtout militaire.
En effet, les mutineries furent la suite immédiate de cette défaite. Au moins Pétain qui remplaça Nivelle à la tête des armées ne lança plus (ou n'osa plus lancer) ses troupes aveuglément à l'attaque à moins de disposer d'une supériorité absolue en matériel. Ce ne fut malheureusement pas le cas de l'armée britannique qui sacrifia inutilement plusieurs centaines de milliers d'hommes à la bataille de Passchendaele à l'automne 1917.
Et que cela soit aux côtés de Passchendaele, de Verdun ou de la bataille de la Somme, le Chemin des Dames demeure l'un des épisodes les plus tragiques de la Grande Guerre.
Bibliographie
- Le chemin des Dames: Printemps 1917, de Yves Buffetaut. Ysec Editions, 2017.
- Le chemin des dames, de Pierre Miquel. Editions Retrouvées, 2018.
- Le chemin des Dames, de l'événement à la mémoire, Éditions Stock, Paris, 2004.