marché Saint GermainL'éventail, tel que défini dans le Dictionnaire françois en 1680 est une « petite peau, parfumée et enjolivée, qui est soutenue de petits bâtons plats qui servent à l'étendre, et à la fermer, et que les dames portent à la main l'été pour se rafraichir le visage ». Cent ans plus tard, dans l'Encyclopédie méthodique, il est un « instrument qui sert à exciter le vent, et à rafraîchir l'air en l'agitant », produisant une sensation de fraicheur au visage. Mais l'éventail ne se réduit pas qu'à cela.

 

Origine de l'éventail

Importé d'Asie à la Renaissance, il est peu utilisé, bien qu'on le trouve parfois dans l'inventaire des biens après décès. Catherine de Médicis est l'une des premières à s'en servir régulièrement et dès 1594 les « doreurs, garnisseurs et faiseurs d'éventails de Paris » sont habilités à les produire. De plus en plus utilisé par les dames dans la société, le roi Louis XIV va fixer les règles de fabrication et de commercialisation en fondant en 1678 la communauté des « maîtres-éventaillistes, faiseurs et compositeurs d'éventails » composée de 60 membres.

Paris devient la capitale de cet objet aristocratique et artistique, les artisans dominent le marché et participent à la diffusion de l'art français en Europe avec 253 maîtres en 1782 : c'est le siècle d'or de l'éventail.

Les maîtres éventaillistes

mariage du dauphin Louis FerdinandCe savoir-faire artisanal ainsi que sa créativité et un constant renouvellement permettent la création de l'Ecole Royale en 1766. Au bout de 6 ans, ayant suivi un enseignement gratuit en géométrie et architecture, figure et animaux, fleurs et ornements, l'apprenti sort « maître ». Le métier d'éventailliste n'est que coordinateur et non créateur à lui seul, les peintres et tabletiers sont là pour travailler tous les matériaux constituant la monture et les colleuses, plisseuses et monteuses interviennent pour la préparation de la feuille. C'est ainsi que les éventails au XVIIIe siècle restent anonymes : pas de signature, pas de poinçon, pas de marque, ce que Diderot critique. Pourtant on retient des noms comme Tiquet qui a fourni la corbeille de mariage de Marie Leszczynska en 1725, composée de 25 éventails ; Gaillard fournisseur de Marie Antoinette en 1770 ; Louis-René Boquet ou encore Josse l'Aîné qui vend des éventails de « toutes sortes de goût et de prix en gros et en détail pour la France et les pays étrangers ».

Les français vont pourtant devoir partager le commerce de l'éventail avec les Anglais, les Italiens qui produisent des éventails à peaux odoriférantes et ceux du Nord qui les décorent avec des sujets bibliques. Les maîtres éventaillistes ne sont pas seuls sur le marché et la concurrence est rude avec les marchands-merciers, gantiers, parfumeurs, rubaniers, joailliers et orfèvres. Le prix de l'éventail varie en fonction de leur qualification de « commun » ou « enrichi » allant en 1750 de une livre et quatre sols à 144 livres pour un éventail avec lunette et 200 livres pour celui représentant des oiseaux dont les plumes sont naturelles.

Confection d'un éventail

précieux décoré à la feuille dor et dargentL'éventail allie savoir-faire et création artistique pour se renouveler sans cesse, soumis aux caprices de la mode. Classé en deux sortes, on découvre le « plié » dont la monture est formée de brins sur lesquels une feuille est plissée et collée ou le « brisé » constitué de brins, mais sans feuille, les lames sont retenues par un ruban en haut et un clou à l'extrémité ; la feuille est en peau et pour les meilleurs artisans en soie et en dentelles. Les ouvrières entrent en action avec chacune une fonction de « colleuse, leveuse, étendeuse, coupeuse et arrondisseuse ». Les feuilles sont ensuite tendues sur des cadres, suspendus au plafond pour qu'elles sèchent. Une fois découpées, elles passent à la peinture et au décor, à la gouache, selon un modèle sous verre appelé « verrier ». Même si les peintres sont souvent des femmes, la majeure partie est composée d'hommes.

Après la peinture, la phase de pliage ou plissage est le moment le plus délicat, car de cette action, l'éventail s'ouvrira correctement ou non. Il faut de la dextérité mais surtout respecter un intervalle régulier et ce travail en fut facilité à partir de 1760 avec l'invention d'un moule à plier. Simultanément, les tabletiers exécutent les montures, en bois ou en os pour les objets de peu de valeur ; en matériaux rares comme l'écaille brune ou blonde, l'ivoire, la nacre, avec incrustation d'or et d'argent ou de pierres précieuses pour les objets de luxe réservés à une élite. Le montage se fait à « l'anglaise » avec une feuille simple et les bouts apparents ou « double » si les bouts disparaissent entre deux feuilles bordées en haut pour consolider le collage. Pour un éventail « parfait », la bordure doit être peinte.

Le décor principal ornant la face présentée à la vue de tous est le plus riche, tandis que le revers est moins orné. Le maître éventailliste sculpte délicatement les brins et utilise des matières nobles comme la feuille d'or et la feuille d'argent. Il décore avec finesse les têtes de personnages en ivoire et les habille de vêtements de soie. Les fleurs, feuillages ou arbustes sur lesquels viennent se poser des oiseaux aux corps en plumes naturelles sont réalisées avec de la paille blonde ou colorée.

Les décors et les thèmes

Carnaval rue Saint AntoineLes peintres utilisent des modèles trouvés dans des fascicules et l'on reconnait assez facilement les œuvres de Charles Le Brun, Watteau, Coypel et Boucher, sans que jamais ces artistes n'aient réellement peint les feuilles. L'image est choisie en fonction de la valeur artistique mais surtout pour sa symbolique. Les décors sont empruntés à la vie quotidienne comme le marché aux fleurs, la Seine ou le carnaval ; le Pont-Neuf, le Louvre ou la fontaine de la Samaritaine permettent de reconnaitre Paris ; les sciences et inventions comme le premier aérostat s'envolant du jardin des Tuileries en décembre 1783 couvrent presque tous les éventails offerts aux étrennes cette année là ; l'actualité du royaume comme la naissance du dauphin Louis-Joseph en 1781 ou le mariage princier de Louis Ferdinand ainsi que les grands événements militaires comme le traité de Nimègue suscitent l'enthousiasme du peuple ; certains éventails sont « exceptionnels » retraçant un moment d'intimité de la famille royale ; les bergers et bergères sont les nouveaux acteurs des scènes galantes qui connaissent un succès sans faille au XVIII è siècle.

Rivalisant dans les détails, on découvre des éventails coulissants ou pliants au format de poche ; des lunettes et loupes, des thermomètres ; des tubes à parfum miniatures pour laisser un délicat sillage derrière soi ; des animations où l'on voit les visages se modifier comme Actéon se métamorphosant en cerf devant Diane ou une personne âgée retrouvant la fraîcheur de la jeunesse près de la fontaine de jouvence.

Usage de l'éventail dans l'histoire

éventail à animationQu'il soit objet de mode ou objet de luxe, l'éventail est fragile et discret tout en étant somptueux. Mythique et pourtant familier, il est l'accessoire privilégié des dames de la haute société et emblématique des grâces de l'Ancien régime, pourtant toujours fermé en présence de la reine. Devenant un outil de communication sociale et compagnon des confidences, la femme ne se promène plus sans son éventail. Pouvant servir à cacher un sourire ou masquer une gêne, Sébastien Mercier en fait un « paravent pour sourire gâté ou clairsemé ».

L'éventail passe un peu de mode à la fin du XVIII è siècle ; à la Restauration, les collectionneurs recherchent particulièrement ceux des collections royales, car rappelons-le les autres n'ont ni origine ni marque.

Au XIX è siècle, l'éventail est produit en grand nombre jusqu'à « inonder le marché » alors qu'apparaît en même temps « l'éventail de l'artiste » : Degas, Gauguin, Toulouse-Lautrec peignent et signent les feuilles d'éventail, y ajoutant parfois des dédicaces et des vers. La feuille est raffinée mais la monture devient des plus simples, gageons que cet éventail ne servira pas beaucoup à s'éventer !

Pour aller plus loin

Le siècle d'or de l'éventail, de Georgina Letourmy Bordier et José de Los Llanos. Editons Faton, novembre 2013.

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