Histoire de la caricature en France

Histoire de France | Histoire générale

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En France, c'est au XVIIIe siècle mais surtout à partir de la Révolution que l'art de la caricature, ce mode d'expression au graphisme assassin - quoique pas toujours - va enrichir les pages de la presse alors en plein essor, et fait depuis partie du jeu politique. La nourriture première de la caricature est l'observation. Savoir observer et déceler les traits physiques à partir desquels le coup de crayon de l'artiste fera passer un tout autre message...souvent moqueur, exagéré, grossier, évolutif, en adéquation avec son temps, ou même ravageur et explosif lorsqu'il s'agit de toucher aux croyances et aux dogmes. 

Le monde vu par la caricature

Le monde vu par la caricature ce sont : les soulèvements, les guerres, les accords de paix, les élections, les scandales, les hommes et les femmes qui font ce monde, ceux qui le défont, les Grands de la planète, ceux qui en sont partis, ceux dont on parle depuis plus de deux mille ans, ceux qui ne font qu'un mais qui changent de nom selon le rapport des hommes avec le Sacré, les personnalités, le quidam, les joies, le plaisir, les victoires, la vie, la mort, etc, etc. La caricature puise son inspiration non seulement dans des domaines infinis mais a trouvé de multiples moyens d'être relayée. Ses supports sont nombreux pour une visibilité maximum : terre-cuite, presse, bande-dessinée, murs, pièces de théâtre, fables, pamphlets, marionnettes, sites internet, télévision, et bien d'autres encore. Une caricature qui a finalement grandi au fil des siècles et ce depuis les gaulois ! En effet, pourquoi ne pas voir chez les « Artix » et autres « Humorix » du moment, des représentations caricaturales sur les poteries au corps humain mais à face de singe ?

Et que dire du Moyen Age, « La caricature destinée à ridiculiser certains défauts de l'Eglise existe depuis des siècles : le Moyen Age, avec son goût pour le monstrueux, en a donné des exemples fameux en particulier dans les manuscrits enluminés. Si ces images ont été, la plupart du temps, destinées à faire rire ou sourire, ces traits satiriques ont pris un tour de plus en plus humiliant, blessant voire dévastateur au moment des guerres de religion qui ont mis l'Europe à feu et à sang au XVIe siècle.

Gravures, feuilles volantes, médailles, objets de toutes sortes servent en effet alors de support à la satire parfois grossière, agressive voire scatologique, excitant les luttes violentes qui éclatent de toutes parts » rappelle le MIR, Musée international de la Réforme à Genève, en marge de son exposition Enfer ou Paradis en 2013. Il est vrai que les désaccords entre catholiques et protestants entraient en dualité par le biais d'images provocantes.

Rappelons que pour ce qui concerne la définition exacte de notre sujet, l'encyclopédie Larousse en ligne présente la caricature comme : « une représentation grotesque, en dessin, en peinture, etc, obtenue par l'exagération et la déformation des traits caractéristiques du visage ou des proportions du corps, dans une intention satirique » ; mais, une ancienne définition de 1798 produite par l'Académie Française indiquait seulement : « Terme de peinture, emprunté de l'italien. C'est la même chose que Charge en peinture. Voyez charge ».

Le mot caricature tel que nous le connaissons aujourd'hui en français est apparu pour la première fois dans un ouvrage intitulé « Les mémoires et le journal inédit du marquis d'Argenson » -rédigé par ce dernier – qui fut ministre des Affaires étrangères sous Louis XV. Recueil sorti en 1740, il s'agit d'un document bien précieux sur l'histoire morale et politique du moment...

Definitions, reproductions, réactions

Avant, le terme de caricatura et caricare s'inscrivait respectivement dans sa réalité italienne et latine. C'est d'Italie du reste, que la vision de déformation du visage humain serait partie au moment de la Renaissance. Léonard de Vinci en sait quelque chose, lui, l'observateur si fin, dont il suffit d'ailleurs de regarder le dessin nommé Grotesque.

Les techniques européennes d'imprimerie, de gravure, de lithographie, en constante progression ont favorisé la notoriété et le développement sur notre vieux continent de la caricature. Caricature et techniques de reproduction sont liées. Si François Ier en autorise sa diffusion, lui qui apprécie tant les arts et les lettres, elle tombe très vite sous la censure vers 1520... Aujourd'hui, sur le site des Archives de la ville de Blois, nous pouvons lire ceci à propos d'une caricature du roi : « C'est dans le compte municipal de Blois pour 1517-1518 qu'est représenté le roi François Ier. Il y est figuré debout tenant un gant dans sa main droite et donnant du pied dans un objet rond, qui pourrait aussi bien être une balle de paume ou de soule qu'un globe de majesté, attribut du pouvoir royal. Ce dernier détail donnerait au dessin un caractère caricatural, renforcé par la légende qui le surmonte, "La force d'arcules" (La force d'Hercule), l'image de ce héros de l'Antiquité étant très tôt associée au roi pour en faire un symbole de vertu, de force et de courage.

Ce dessin est contemporain de la construction de la façade des Loges au château de Blois (1515-1524), décorée de bas-reliefs représentant les travaux d'Hercule »(I) . Seulement, un féru d'histoire habitué aux échanges sur le net – un certain Pierre de l'Estoile (sic) - a publié en septembre 2013 sur le site de passion-histoire.net une réponse aux Archivistes : « Le problème, c'est que le personnage est habillé à la mode des années 1550. Partant du principe que la datation est erronée, ..., Pourquoi s'agirait-il d'un dessin représentant François Ier ? Pourquoi s'agirait-il de la représentation d'un roi ? Pourquoi s'agirait-il spécifiquement d'une caricature ? Sur le document, il n'y a rien qui vient identifier le personnage. Strictement rien. Seule inscription au-dessus du dessin : La force d'Hercule... Il n'est pas rare de voir ce type de représentations sur les registres du XVIe siècle... des erreurs d'identification de ce type, fondées sur rien, on en ramasse à la pelle depuis cinq siècles ».

Caricature ou pas, elle fait réagir. Et c'est bien là le rôle de la représentation satirique... Cette dernière, dès Henri III en 1574 fait l'objet de destruction systématique – Henri IV fera de même pour qui ose caricaturer son règne- ce qui fait dire a Annie Duprat en 2000 dans Sociétés et représentations publié à la Sorbonne : « En 1866, Camille Lenient, spécialiste de l'étude de la caricature politique, formule la remarque suivante : Henri III, qui ne fut pas un saint, est à coup sûr un des plus grands martyrs du genre satirique »(II). De rajouter juste après : « Nous tenterons de vérifier la justesse de la remarque de Lenient qui, malgré une bonne connaissance des caricatures de la période révolutionnaire, pour le moins violentes à l'égard de Louis XVI considère Henri III comme la plus grande victime de la violence graphique. Ce jugement à l'emporte-pièce peut sans doute être nuancé par une étude comparée de la contestation du pouvoir royal par l'estampe et par les pamphlets, à la fois contre Henri III et contre Louis XVI ».

Au XVIIème siècle, s'exprimer librement est plus compliqué que le mythe de Sisyphe...En effet, la censure est légalisée dès 1629 à cause du cardinal Richelieu. Des personnages comme Gabriel Nicolas de la Reynie, lieutenant général de police à Paris, qui a occupé ce poste pendant trente ans, veille grâce à un réseau de mouchards à ce qu'aucune critique et représentations sur le pouvoir n'influence le peuple et ne soit publiée. Et les caricatures en premier lieu. Au cours de ce siècle en revanche, la satire se penche sur les mœurs et la bourgeoisie. Les comportements de la société sont décrits non pas sous forme de dessins mais sous forme de texte. En poésie, Jean de La Fontaine prenant exemple sur les fabulistes de l'Antiquité, propose des contes moralisateurs ou il met en scène des animaux...à la place des hommes. Il peut ainsi en toute liberté faire passer ses messages, ses observations. Sa créativité doublée de subtilité ne le place pas sous le joug des censeurs.

Molière, lui, dresse dans ses comédies de mœurs, de savoureux portraits sur la dite « bonne société », sur les « ronds de jambe » de l'Ancien régime, sur le libertinage, sur la faiblesse des esprits et les faux-dévots, avec « Tartuffe », « l'Avare », « Dom Juan » par exemple. « Parti de la farce, il est clair que, dès 1664, il se sert du rire comme d'une arme au service de quelque chose et contre quelqu'un. Avec les moyens qui sont les siens, et sont sans doute plus efficaces que tous les pamphlets, il dénonce inlassablement l'éducation donnée aux filles, la fausse science, l'intolérance religieuse et les scandales de la bonne société.

Auteur engagé, Molière sera d'ailleurs censuré par le Pouvoir : Tartuffe interdit à deux reprises (en 1664 et en 1667) et Dom Juan interrompu à la quinzième représentation. Le cycle que l'on pourrait dire de dénonciation se clôt avec L'Avare, et ce fait mérite réflexion. Tout se passe comme si Molière avait pressenti que le pouvoir, lorsqu'il tomberait des mains des petits marquis, serait récupéré par les hommes d'argent. Harpagon, sous ses ridicules, annonce le règne de la bourgeoisie et de la déification de la propriété. D'ailleurs, pour parler de sa « chère cassette » et de l'argent qu'elle contient, il emploie les mêmes mots que les dévots implorant la Vierge et les saints : « Puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie.. »(iii).

Caricature vox populi

C'est avec le XVIIIème siècle, et la remise en cause des bases de la société, avec les idées révolutionnaires qui se mettent en place, ainsi qu'avec les auteurs et penseurs luttant pour la liberté d'expression, avec ce siècle des « Lumières », que la caricature va se trouver propulser. Le pays est fragilisé par une dette publique énorme (ça ne vous rappelle rien ?), Louis XVI accède au pouvoir alors que les caisses de l'Etat sont vides. Les impôts écrasent la population, il y a trop d'inégalités entre les classes, et des scandales (affaire du collier de la reine – dont il faut rappeler pour les générations d'aujourd'hui que Marie-Antoinette n'est en rien le commanditaire du fameux bijou, ni même le roi) attisent les braises d'une révolution naissante.

Dans ce contexte, l'image caricaturale revient au galop. Un galop porteur de message, à destination du Tiers-Etat. Si le roi ne peut normalement pas être visé par la caricature (la censure établit par la Monarchie est encore présente), le Clergé (classe sociale bien établie) devient une cible récurrente. Un événement donnera aux artistes du crayon, leur liberté d'agir pour railler le roi : Varennes, juin 1791. La fuite et l'arrestation.

Quoiqu'il en soit, la caricature a servi la révolution en information et mobilisation. Une influence évidente, un appel au peuple...

L'essor de la caricature est stoppé avec le couronnement de Napoléon Ier en 1804 sous peine d'emprisonnement. Les dessins le visant proviendront d'Angleterre, ou il est représenté comme un homme à l'appétit extraterritorial féroce. Pendant quelques mois en revanche, après son abdication en 1814, les artistes français taillent à nouveau leurs mines pour donner de la satire sur plusieurs supports.

Puis, vient la Restauration « cette curieuse période de transition, que les tableaux de Paris, de Jean-Henry Marlet , graveur et dessinateur, nous montrent avec ses types, mœurs et usages...Galeries de personnages pittoresques surtout, ou viennent prendre place les joueurs de boules, le marchand de mort-aux-rats,..., le tondeur de chiens au Pont-Neuf,...- particularités qui fourniront matière à des estampes amusantes et souvent comiques. Dans son ensemble, cette société est assoiffée de ridicule, de grotesque et surtout de rire, de ce rire gros et gras, légué par le régime défunt, dont elle est loin de refuser la succession »(IV).

La caricature en France : Philipon, Daumier, Gill, et les autres...

La renaissance de la caricature viendra avec la Monarchie de Juillet dès 1830. La révolution libérale a porté au pouvoir Louis-Philippe. Le 7 Août de cette année-la, toutes les condamnations pour délits politiques sont annulées pour la presse, il est dit que « les français ont alors le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois, ..., la censure ne pourra jamais être rétablie »(V). Quelques mois plus tard, le roi ne supportant plus de voir tous ces dessins qui le brocardent, une nouvelle loi passe pour réprimer les écarts ! Il est interdit de reproduire le visage de Louis-Philippe...

Mais l'imagination des gens de presse est grande, du coup dès 1831, le roi sera représenté par une tête en forme de poire ! « A cette époque Charles Philipon et Balzac (qui s'étaient rencontrés chez un imprimeur quelques années plus tôt) s'associent pour fonder un nouveau journal : La caricature. Ils ont tous deux trente ans, et ont déjà collaboré à « La Silhouette », l'un des premiers périodiques en France à avoir associé l'image et le texte. Balzac et Philipon décident d'en reprendre la formule en accentuant la profondeur des analyses et la virulence des croquis.

« La caricature » eut d'emblée un immense succès. Pour toute l'Europe, elle devint le Journal des Républicains :"En vain le Parquet lâchait-il contre elle ses réquisitoires et ses limiers ; elle dessinait le Parquet et elle avait toujours le dernier mot !" (Pierre Larousse) En moins de deux ans La Caricature eut 7 procès et encourut quatre condamnations. On dit que Charles Philipon passa plus de temps à la prison de Sainte-Pélagie que dans son bureau ! Balzac fournit une trentaine d'articles au journal, tous sous des pseudonymes à particule mais qui servaient aussi à d'autres membres de la rédaction. A partir de 1831, Balzac se plonge avec la Peau de chagrin dans l'élaboration de La Comédie humaine ; il prend ses distances avec le journalisme, (sans y renoncer toutefois absolument). En 1834 « La Caricature » est interdite, Philipon lance « Le Charivari » où se retrouvent ses plus fidèles collaborateurs, notamment Honoré Daumier »(VI) . Avec plus de 250 numéros et 520 lithographies, notons que le dernier numéro de « La Caricature » date de 1843, dix ans après la loi de septembre 1833 qui rétablissait la censure pour les ouvrages dramatiques, les médailles, les dessins et lithographies.

Les meilleurs caricaturistes comme Casati, Numa, Le Petit, Daumier sont employés dans ces journaux. Notez que les célèbres « Têtes en poires » proviennent du journal, les croquis, réalisés par Charles Philipon datent du 14 novembre 1831 lors d'une audience à la Cour d'assises, il est d'ailleurs bon de rappeler que ce n'est pas à cause de ces croquis que Philipon est jeté en prison ! Ces fameuses « poires » sont sorties sur des feuilles volantes vendues pour régler une grosse amende de 6000 francs du Charivari.

Une opération de soutien à l'homme qui a osé

Le spécialiste Guillaume Doizy - Auteur d'ouvrages sur la caricature (Marianne dans tous ses états, À bas la calotte !), fondateur du site Internet www.caricaturesetcaricature.com) tient à ce qu'aucune confusion ne soit faite sur ces poires historiques qui ne sont pas à l'origine des mesures d'emprisonnement du dessinateur.

« Sous le règne de Louis-Philippe le Charivari soutiendra 20 procès, en août 1847 le gouvernement de Guizot saisit plusieurs journaux, avec parmi eux Le Charivari, La Réforme et La Gazette de France. La loi du 2 juillet 1861 abroge le 1er paragraphe de l'article 32 du décret du 17 février 1852, qui supprimait tout journal ayant eu dans un délai de deux ans deux condamnations ou contraventions, tandis que le senatus-consulte du 18 juillet 1866 interdit toute remise en cause de la constitution ainsi que la publication de pétitions ayant pour objet sa modification. En mai, Le Charivari comme bien d'autres journaux est averti, subissant ainsi les sanctions du gouvernement : l'Empereur ne voulant entendre parler d'une possible liberté de la presse »(VII).

Rappelons tout de même, que « La courte révolution de 1848 aura beau proclamer les libertés de presse et de réunion (en même temps qu'elle annonce la République et le suffrage universel), dans les mois qui suivent, la forte majorité conservatrice de l'Assemblée, craignant le retour de l'instabilité révolutionnaire, décide la fermeture des clubs, impose un droit de timbre qui augmente le prix de journaux, et durcit la censure. Ce sont les fameuses lois sur la presse de 1850. Le coup d'Etat du 2 décembre de Louis Napoléon ne rendra pas aux journaux de meilleures conditions de diffusion. La caricature délaisse les personnalités politiques trop protégées pour développer une satire plus sociale, qui traque le ridicule et l'injustice dans les scènes de la vie ordinaire.

Honoré Daumier passe en revue les gens de justice, les médecins, l'école, les velléités d'instruction de celles qu'on appelle alors les "bas-bleus". Il campe aussi les aventures de l'escroc Robert Macaire et de l'informateur de police Ratapoil »(VIII). Durant la période, ou la France vit sous le second-empire (1852-1870), une autorisation préalable à diffusion est exigée auprès des personnes qui seraient visées par une caricature...Du coup c'est seulement après Napoléon III, que les caricatures puissantes comme celles de Paul Hadol (série de la ménagerie impériale ou l'on voit par exemple l'empereur en vautour, assimilation à l'animal et ses vices) font leur apparition.

André Gill tentera en plein second-empire, de faire vivre son journal satirique « La Lune », puis « L'éclipse ».

«Quant à Baudelaire, qui..., a légendé une soixantaine de caricatures pour Le Salon caricatural, il écrit dans son essai, De l'essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques (1855), qu'« il est clair qu'un ouvrage sur la caricature [...] est une histoire des faits, une immense galerie anecdotique », et il ajoute que de telles publications « ont droit sans doute à l'attention de l'historien, de l'archéologue et même du philosophe; elles doivent prendre leur rang dans les archives nationales, dans les registres biographiques de la pensée humaine»

L'essor des journaux de caricatures au XIXe siècle

Du coup, il est intéressant de se pencher sur ces lignes d'un spécialiste –Gérard Pouchain- d'un grand auteur français, Victor Hugo, caricaturé à tout va : « On comprend mieux l'essor des journaux de caricatures au XIXe siècle quand on pense au nombre de régimes qui l'ont parcouru, depuis l'Empire jusqu'à la Troisième République, en passant par les règnes de Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe, la Deuxième République et le Second Empire, sans oublier des moments aussi importants que le coup d'État de Louis Bonaparte ou la Commune et les très nombreuses guerres, ni les grands courants littéraires, tels le romantisme ou le naturalisme, ni les hommes politiques (Thiers, Gambetta, Mac-Mahon, Jules Grévy...), les artistes (Mademoiselle George, Frédérick-Lemaître, Sarah-Bernardt, Liszt, Wagner...) et les écrivains (Chateaubriand, Vigny, Balzac, Dumas, Flaubert, Zola...).

Les dessinateurs (Daumier, Grandville, Nadar, Doré, Gill, Cham, Faustin, Le Petit, Gilbert-Martin, Pilotell, Bertall, Roubaud, Philipon, etc.) ont donc devant eux un immense champ d'action, une très ample «comédie-humaine» toujours renouvelée. Victor Hugo, homme politique profondément engagé dans les luttes de son temps, écrivain prolifique et à nombreux succès, véritable « géant des lettres françaises », ne pouvait être oublié par les caricaturistes. Si l'on ajoute aux charges qui le représentent, celles qui accompagnent la publication de ses œuvres, de leurs parodies, et les reprises de ses drames, on doit approcher, voire dépasser, le millier »(IX) .

Au XIX ème siècle, revenons sur celui évoqué un peu plus haut, André Gill, qui fonde « La Lune rousse » et publie ses dessins. Régulièrement ses couvertures seront censurées : le 15 juillet 1877 , le 24 octobre, le 11 novembre, et à intervalles réguliers jusqu'en décembre 1879 où, faute de lecteurs cette année-là, le journal meurt. De plus en plus, les caricatures sont demandées par la vox-populi. Le quidam se sent proche des messages caricaturaux, et adhère à l'humour grinçant, piquant, féroce des artistes dessinateurs. En 1881, une loi sur la liberté de la presse et de la caricature est à nouveau votée.

Du Canard Enchainé à Charlie Hebdo en passant par le Crapouillot

Il s'ensuit une palette de journaux chez les libraires, comme « le Grelot », « Le Chambard », La Charge ». Sorte de Belle Epoque, pour cette presse satirique, elle va cependant péricliter avec la grande guerre. Durant ces années, « L'assiette au beurre » avec sa ligne particulièrement virulente apparaitra, les illustrations étaient fort travaillées. Le public du magazine correspondait à ce que l'on pourrait appeler aujourd'hui « les bobos ». 1915 voit la première naissance du « Canard enchaîné » pour cinq numéros seulement afin de répondre à la propagande guerrière. Mais ce n'est qu'un an plus tard, que le journal paraitra avec son style défini. 1915 c'est aussi l'arrivée du « Crapouillot » créé par Jean Galtier-Boissière. Imaginé dans les tranchées et d'orientation anarcho-pacifiste, qui commença par quelques feuilles ronéotypées et devint un journal majeur de l'après-guerre.

Pacifiste et homme de gauche, Galtier-Boissière a de bons rapports avec la Lica (ou Licra), rappelle sa notice sur Wikipédia. Un journal qui « dit des vérités sur certain nombre de sujets » écrit le fondateur dans ses « mémoires d'un parisien ». Et les participants à ce journal sont issus de toutes les sensibilités. La aussi, de nombreux dessins sont censurés ; plus quatre numéros d'un spécial sur les Anglais sont « enlevés des kiosques le 6 novembre 1931 pour répondre à la plainte d'une ambassade britannique outragée » explique Jean-Michel Renault dans son ouvrage si riche, cité en référence. Pendant la seconde guerre mondiale « Le Crapouillot » a cessé de paraitre. Il revient plus tard très politisé et penchant largement sur l'extrême droite avant de disparaitre en 1996.

Mais par temps de conflits, rappelons encore que les dessinateurs montrent des soldats engagés, des caricatures qui ne déforment pas mais incitent à suivre l'idée de victoire. Sur le journal « l'illustration », les combattants sont les armes en main, bien rangés, prêts à combattre. Il faut mettre en avant les poilus. Puis, entre les deux-guerres, c'est le temps de la reconstruction. Il faut se changer les idées, rire, oublier. Six quotidiens français parmi lesquels « Le Matin », « Paris-Soir », « Le Petit Parisien » embauchent des caricaturistes. C'est alors une multitude de petits dessins qui apparaissent dans la presse, avec plus ou moins d'intentions, réussis ou non, mais visant à faire rire et vite. Le trait se veut simple. Quand la seconde guerre éclate, la censure revient. Sous Pétain, exit la publication des dessins. La presse et leurs caricaturistes se divisent. Je parlerai de schisme du crayon ! Les extrêmes se dévoilent chez les auteurs. Les Allemands contrôlent tout et les caricatures antisémites inondent les publications. On voit sur les murs de la capitale, des affiches signées Michel Jacquot(1941) pour une exposition boulevard des italiens, intitulée « Le Juif et la France » avec un visage d'homme joufflu au nez bien courbé, des lèvres pendantes, reprenant « le visage prétendu caractéristique du juif » comme évoqué depuis l'affaire Dreyfus (datant de la Troisième République)!

Alors que des commissions de contrôle sévissent en France et s'attaquent même à la presse pour jeunes (Mickey s'est trouvé dans la tourmente !), les caricatures poursuivent leur ascension vers la liberté. Sous la Vème République : rien n'est encore joué ! Hara-Kiri arrive en 1960. Le Canard est bien implanté, ses lecteurs attendent toujours avec impatience sa sortie, Charlie-Hebdo (en 1970) fait de la satire sociale. Les signatures du moment sont celles de Gébé, Siné, Wolinski, Cabu, Reiser, Willem. Mais les procès restent nombreux face aux publications. La censure est présente sur les croquis portant sur les mœurs, sur les affiches tendancieuses, sur les Unes trop caustiques (Hara-Kiri censuré pour son titre sur la mort du Général De Gaulle), sur un album de Cabu s'attaquant à Mme Pompidou, censure aussi sur le mensuel Pilote, etc, etc.

Les temps changent ... Valéry, François, Jacques, et les autres, n'osent plus vraiment faire censurer ce qui peut les toucher. La peur d'être brocardé ringard, has-been, pas branché, ridicule, agît comme une épée de Damoclès au dessus de leur tête. « De crainte d'être la risée de tous, aucun élu ne se risquerait aujourd'hui à faire interdire une caricature désobligeante, mais la réaction, cette fois, est organisée par des associations de diverses confessions religieuses, des complexés de l'irrationnel qui instrumentent les dessins humoristiques pour hurler au blasphème devant la presse et les tribunaux »(X).

Qui plus est, l'opinion publique a changé ces trente dernières années, les médias aussi, et la télévision y va de ses caricatures (« Bébêtes-Show », « Guignols », parodies diverses), les technologies liées à l'info avec les moyens de transmission favorisent le buzz, etc. Mais il n'en reste pas moins que les humoristes, caricaturistes, vous diront qu'il n'est plus aussi aisé de faire de l'humour décapant, piquant. Des signes, des moustaches, des étoiles, des surnoms, des Dieux, ou des allusions de potache uniquement faites pour prêter à sourire, et plein d'autres expressions sont aujourd'hui bannies du langage des artistes du croquis.

Tout doit être propret, lisse, sans religion, sans propos sexuels ciblés, sans soucis, sans ceci, sans cela, que je me demande si dans le mot CARICATURE aujourd'hui, il ne faudrait pas enlever la syllabe « ri » qui fait penser à rire bien sur !


Honoré DAUMIER : né à Marseille en 1808, prend des cours dans une académie de dessin à Paris où il est remarqué par Alexandre Lenoir, fondateur du Musée des Monuments Français. L'homme s'engage résolument en faveur de la cause républicaine. En 1828, Daumier réalise ses premières lithographies pour le journal "La Silhouette". En 1830, il dessine ses premières caricatures pour "La Caricature". C'est en 1832 qu'il entame sa longue collaboration avec "Le Charivari". journal fondé par Philipon.

Bibliographie

- Censure et Caricatures, les images interdites et de combat de l'histoire de la presse en France et dans le monde, de Jean-Michel Renault, éditions Pat à Pan. Une référence exhaustive sur la caricature. Très plaisant à lire, et très riche en iconographie.
- La Caricature contre-révolutionnaire, de Claude Langlois, éditions Cnrs, 1988.
- Balzac et Philipon associés, grands fabricants de caricatures en tous genres, de Martine Contensou Paris Musées, Maison de Balzac, 2001.
Daumier : L'écriture du lithographe, de Valérie Sueur-Hermel. BNF, 2008.

Notes

(I) archives de Blois

(II) Camille Lenient, La Satire en France ou la littérature militante au XVIe siècle, Paris, 1866, p. 359.

(III) Comédie française.

(IV) Les moeurs et la caricature en France » p. 119, Paris, 1888, par John Grand-Carteret.

(V) Censure et caricatures » p.46 chronologie, de Jean-Michel Renault, éd. Pat a Pan / Reporters sans frontières.

(VI) http://www.philophil.com/philosophie/representation/Analyse/caricature.htm

(VII) http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Charivari#Historique

(VIII) http://www.philophil.com

(IX) Victor Hugo par la caricature », par Gérard Pouchain, Vice-président de la Société des Amis de Victor Hugo, Présence de la littérature, cndp

(X) Censure Caricature » op.cit, 4ème de couverture.

 

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