Bataille de Las Navas de Tolosa (1212)

Les grandes batailles de l'histoire | Moyen Âge

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La bataille de Las Navas de Tolosa, le 16 juillet 1212, est une étape décisive pour la réussite de la Reconquista du sud de l'Espagne par les royaumes chrétiens. Après une première phase qui a culminé lors de la prise de Tolède en 1085, la Reconquista avait dû stopper face à la contre-offensive des Almoravides dès la bataille de Zallaqa en 1086. Il faut attendre le milieu du XIIe siècle pour que les royaumes chrétiens reprennent leur marche ; mais cette fois ils rencontrent sur leur chemin une autre dynastie berbère, les Almohades. La défaite de ces derniers à Las Navas de Tolosa va ouvrir l'Espagne du Sud aux rois chrétiens et provoquer l'éclatement de l'Empire almohade en d'éphémères petits royaumes de Taifas.

 

Les Almohades avant Las Navas de Tolosa

Ces derniers succèdent aux Almoravides (qu’ils ont vaincus au Maghreb) dont ils partagent à peu près la même origine et les mêmes motivations. Leur idéologie politique et religieuse est en revanche originale, à vocation universelle, et s’appuie sur la pensée d’un mahdi : Ibn Tûmart. Ses successeurs se proclament ainsi califes, et affirment une ambition plus vaste encore que les Almoravides. Mais cette doctrine se heurte justement au sunnisme malikite, et provoque lui aussi l’échec à mobiliser les populations andalouses.

Les Almohades prennent la place des Almoravides en Al Andalus, désireux de conduire le jihad : ils occupent Cordoue en 1148, Grenade en 1154 et surtout reprennent Almeria aux chrétiens en 1157. Ils tentent d’imposer, comme les Almoravides, une idéologie de Guerre Sainte, qui culmine avec la grande victoire d’Alarcos en 1195. Mais pourtant ces victoires cachent de vraies difficultés, en particulier face aux chrétiens de plus en plus unis. Ce qui va aboutir à la défaite de Las Navas de Tolosa.

Les chrétiens s'unissent autour des rois d'Aragon et de Castille

Depuis la prise de Tolède en 1085, il y a eu plusieurs tentatives pour unir les royaumes chrétiens de la péninsule ibérique. En 1109, Alphonse VI de Castille et Léon, sans héritier mâle, confie son trône à sa fille Urraca dont il arrange le mariage avec Alphonse Ier le Batailleur, roi d’Aragon. Le résultat est une guerre civile, qui conduit au retrait d’Alphonse Ier (son mariage est annulé par le pape) et à l’arrivée au pouvoir en Castille d’Alphonse VII, fils d’Urraca (morte en 1126) issu de son premier mariage avec Raymond de Bourgogne. Comme son grand-père, ses ambitions sont impériales et il parvient à obtenir le titre de la part d’Alphonse Ier d’Aragon. Ce dernier meurt en 1134 sans successeur, ce qui provoque une crise en Navarre et en Aragon…

Les vingt années qui suivent voient les tentatives d’Alphonse VII pour assoir son pouvoir impérial, grâce à l’allégeance des comtes de Barcelone, Toulouse puis de la Navarre. Cela ne dure guère à cause de l’intervention du pape qui réclame l’application du testament d’Alphonse Ier (ses Etats devaient être cédés aux ordres religieux militaires pour continuer la croisade !). La situation se complique en plus avec l’apparition à la même époque d’un nouveau royaume, celui du Portugal, reconnu par Alphonse VII. En 1139, Alphonse Henriquez est reconnu roi du Portugal par le pape.

La mort d’Alphonse VII en 1157 fait bouger les lignes, mais pas vers l’unité : son royaume est divisé entre ses deux fils, Sanche et Ferdinand, le premier recevant la Castille et le second le Léon. Pourtant, malgré ce morcellement, l’idéal de Reconquista ne semble pas avoir quitté les souverains concurrents.

Une « croisade » ?

Si la Reconquista est un objectif intangible pour les différents rois espagnols, ce n’est pas pour autant qu’ils s’entendent sur les objectifs et sur leurs propres possessions. En effet, ils se disputent eux-mêmes des territoires : le Léon et le Portugal s’étripent sur la Galice du Sud et l’Algarve ; l’Aragon (uni à la Catalogne en 1150) et la Castille, la rive gauche de l’Ebre et le royaume de Murcie ; la Castille et la Navarre, la Rioja, l’Alava et le Guipuzcoa. De plus, la Castille se tourne aussi vers le Nord, avec des visées sur la Gascogne suite au mariage d’Alphonse VIII avec la fille d’Henri II Plantagenêt. Voulant faire reconnaître ses droits sur ces terres, le roi de Castille se rapproche du roi de France Philippe Auguste au début du XIIIè siècle, en mariant  le fils de celui-ci, Louis, à sa fille Blanche (future mère d’un certain Saint Louis). Enfin, le Portugal est menacé par le Léon et la Castille qui veulent le dépecer et se le partager…

Heureusement, la Castille et l’Aragon sont bien plus proches lorsqu’il s’agit de poursuivre la Reconquista. Celle-ci ne redémarre vraiment qu’au début des années 1170, alors que les problèmes espagnols se calment un peu, tout comme les difficultés des Almohades à s’imposer sur une terre où les Andalous ne veulent pas d’eux, comme ils n’ont pas voulu des Almoravides. Le conflit se déroule essentiellement sur les plateaux du Tage, sans réel affrontement majeur mais plutôt des sièges de villes et de châteaux.

Participent alors les ordres militaires religieux tels les Templiers et les Hospitaliers mais, surtout, les Espagnols en créent eux-mêmes : l’Ordre de Calatrava par exemple, qui obtient la reconnaissance du pape Alexandre III en 1164. C’est par ce biais que l’on peut rapprocher la Reconquista de la croisade en Orient, à ce tournant de la moitié du XIIè siècle : les souverains n’ont plus le monopole de la lutte, ils sont « concurrencés » par les ordres religieux, des clercs aussi importants que Bernard de Clairvaux et ses successeurs à Cîteaux, et par les papes. La Reconquista n’est plus seulement temporelle, mais aussi spirituelle.

Les almohades, une nouvelle menace

Pourtant, cela ne suffit pas ! En 1195, le nouveau calife almohade débarque à Tarifa et écrase les armées d’Alphonse VIII à la bataille d’Alarcos, une défaite comparable à celle de Zallaqa en 1086, qui a tant ralenti la Reconquista. Les chrétiens doivent plier, d’abord Sanche VII de Navarre et Alphonse IX de Léon, qui acceptent de payer un tribut aux Almohades, puis Alphonse VIII de Castille lui-même qui signe une trêve avec le calife al-Nasir. Le conflit continue entre la Castille et la Navarre…

Les chrétiens ne doivent en fait leur salut qu’aux ambitions du calife qui, grisé par ses réussites en Ifriqiya et dans les Baléares (prise de Majorque en 1203), décide de reprendre l’offensive en Al Andalus, et de briser la trêve. Il faut toutefois la médiation de l’archevêque de Tolède, Rodrigo Jimenez de Rada, pour que les royaumes espagnols fassent la paix en 1208. L’Ordre de Calatrava résiste plus de cinquante jours face aux armées almohades dans la forteresse de Salvatierra, mais les moines-guerriers doivent finalement se rendre.

C’est l’occasion alors pour Alphonse VIII de lever une grande armée de Croisade, le jour de la Pentecôte en 1212 : y participe des Castillans, mais aussi des armées des autres royaumes espagnols et des chevaliers français. L’esprit des combattants est alors bien religieux, plus seulement la volonté de défendre un territoire. Néanmoins, suite à la reconquête de la forteresse de Calatrava le 30 juin, les contingents français reprochent à Alphonse VIII d’avoir été trop clément avec les prisonniers musulmans, et décident de quitter l’armée. Celle-ci est alors rejointe par d’autres troupes espagnoles et se dirige vers Las Navas de Tolosa…

La bataille de Las Navas de Tolosa et ses conséquences

Le roi de Castille a finalement réussi à réunir autour de lui les rois d’Aragon et de Navarre. Ce 16 juillet 1212, ils décident de contourner les montagnes de la passe de Losa pour prendre les Almohades à revers. Les forces en présence sont disproportionnées : on estime à 70 000 les troupes chrétiennes, alors que les sources parlent de trois fois et demi d’Almohades de plus…Même s’il faut toujours se méfier des chiffres dans les sources médiévales, on peut quand même s’accorder à dire que le nombre de combattants est bien inégal.
 
Les armées chrétiennes se placent ainsi : Pierre II d’Aragon sur l’aile gauche, Sanche VII de Navarre à l’aile droite, et Alphonse VIII de Castille au centre. Les débuts de la bataille sont difficiles pour les chrétiens, assaillis par les flèches ennemies puis par la cavalerie légère des Berbères et des Andalous. Il faut l’intervention de la cavalerie d’Alphonse VIII pour inverser le cours de la bataille et mettre en fuite les armées musulmanes par une charge en plein cœur. La victoire est totale, et décisive à court comme à long terme.
 

On ne mesure pas de suite l’impact de la victoire chrétienne à Las Navas de Tolosa, mais elle fait grand bruit en Occident. C’est Alphonse VIII qui en sort grand vainqueur du côté espagnol, alors que du côté almohade c’est le début de l’effritement du pouvoir : les années suivantes, les califes doivent même demander l’aide des souverains chrétiens contre leurs rivaux du Maghreb !

La Reconquista reprend vraiment après plusieurs années, le temps pour les royaumes chrétiens de se réorganiser. Les Almohades ont dû quitter Al Andalus à cause de leurs problèmes au Maghreb (face aux Mérinides par exemple), et les chrétiens doivent affronter des émirs de taïfas qui résistent un temps. Mais une à une les villes andalouses les plus importantes tombent : Cordoue en 1236, Séville en 1248, Cadiz en 1263,…Finalement, seul l’émirat de Grenade, où s’installe la dynastie nasride dans les années 1230 résiste aux coups, et profite même de nouvelles rivalités entre royaumes chrétiens pour résister jusqu’en…1492 !

Cela n’empêche pas le fait que la bataille de Las Navas de Tolosa est une date-clé de la Reconquista, car elle marque vraiment l’arrêt et même le reflux des musulmans en terre andalouse. De plus, elle est symbolique de l’esprit religieux, que certains qualifie d’esprit de croisade, qui a marqué la Reconquista à partir de la seconde moitié du XIIè siècle.

Bibliographie

- D. MENJOT, Les Espagnes médiévales (409-1474), Hachette, 2006.

La bataille de las Navas de Tolosa : 16 juillet 1212, de Béatrice Leroy. Lemme Edit, 2012.

Grandes Heures du Beau XIIème Siecle : D'Hastings à Bouvines en passant par Canossa, Constantinople et Las Navas de Tolosa de Jean-Jacques Tijet. 2008.

- Les plus sanglantes batailles de l'Histoire, Famot, 1997.

 

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