Le statut de dhimmi charrie avec lui nombre de fantasmes opposés : certains y voient la preuve d’une grande tolérance des musulmans envers les non-musulmans, allant jusqu’à une idéalisation transposée à la période tout aussi fantasmée d’Al Andalus ; d’autres y voient la preuve d’une volonté des musulmans d’assimiler petit à petit les non-musulmans, les poussant à se convertir pour sortir de ce statut de minorité. Evidemment, c’est bien plus complexe.
Les origines, du Coran à la Sunna
La dhimma est « un contrat indéfiniment reconduit par lequel la communauté musulmane accorde hospitalité et protection aux membres des autres religions révélées, s’ils respectent la domination de l’islam » (cf Encyclopédie de l’Islam).
Le Coran est la base (avec
Les actes du prophète sont eux aussi décisifs. Après l’Hégire, Mahomet tente de convertir les juifs de Médine ; les trois tribus sont vaincues, deux ont le choix entre conversion et exil, une troisième (les Banu Quraysa) entre conversion et mort. Il y a ensuite, et surtout, la conquête en l’an 7 de l’Hégire (629) de l’oasis de Khaybar, avec le premier cas de soumission d’une tribu juive à l’islam : les juifs seront « protégés » (dhimmis) par les Musulmans, mais doivent leur verser la moitié de leur récolte. C’est sans doute le premier cas de « tribut » (référence à IX, 29) et donc aussi l’une des sources de la dhimma. Pour les chrétiens, les relations sont moins nombreuses et moins conflictuelles, ils sont ainsi mieux vus que les juifs, comme le montre la sourate V, 82 : « Tu constateras que les hommes les plus hostiles aux croyants sont les Juifs et les polythéistes. Tu constateras que les hommes les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent : « Oui, nous sommes Chrétiens » […] ». Mahomet passe par exemple des accords avec les chrétiens de Nadjran. Pourtant, il nous faut noter que par la suite, la distinction entre les deux ne sera plus de mise au sujet de la dhimma, et que même la vision qu’auront les Musulmans vis-à-vis des juifs et des chrétiens aura tendance à s’inverser, à cause des affrontements entre Islam et Occident chrétien.
On le voit, le point de vue du Coran et de
L’évolution juridique de la dhimma
Il existe d’autres sources qui ont contribué à mettre en forme le statut de dhimmi ; on doit citer le « Pacte d’Umar » pour commencer. La tradition en fait l’origine de la dhimma, à partir d’un événement qui aurait concerné le deuxième calife, Umar (634-644), et des chrétiens de Syrie. Ceux-ci lui auraient adressé une lettre où ils donnaient les conditions de leur soumission ! Ce document est sans doute apocryphe, car on voit mal les vaincus imposer leurs conditions...D’ailleurs, la trace de ce pacte n’intervient qu’au XIè siècle. Plus véridique sans doute sont les dispositions à l’égard des dhimmis prises par l’omeyyade Umar II (717-720) : celui-ci aurait introduit les différences au niveau vestimentaire, ou encore la défense de monter un cheval, de porter des armes,…Des mesures qui prirent par la suite valeur de Loi. On peut citer aussi le mystérieux Edit du Prophète aux Chrétiens, qui fait sans doute référence aux accords avec les chrétiens de Nadjran.
Quoiqu’il en soit, les différentes versions et applications nous permettent de définir les modalités de la dhimma. Il faut d’abord insister sur la symbolique : nous l’avons vu plus haut, l’une des sourates ayant inspiré le contrat (IX, 29) insiste sur le caractère humiliant de la dhimma et du paiement du tribut. Selon l’exégète Mahmud ibn ‘Umar al-Zamakhshari (1075-1144), « le recouvrement de la djizya doit s’accompagner de mépris et d’humiliation. [Le dhimmi] viendra en personne, à pied et non à cheval. Pour payer, il se tiendra debout, tandis que le percepteur restera assis. Le percepteur l’empoignera par le collet et le secouera en lui disant : « Acquitte-toi de la djizya ! » ; et quand il aura payé, il lui donnera une tape sur la nuque. » D’autres sources exigent que le dhimmi se présente dos courbé, que le percepteur le traite avec dédain et mépris, ou que la main du dhimmi se trouve en dessous de celle du percepteur au moment de l’échange.
Pourtant, cette interprétation ne fait pas l’unanimité, en particulier au sein des juristes. Ceux-ci sont avant tout intéressés par le paiement de la djizya ; ainsi, Abu ‘Ubayd (770-838) dans son Traité sur les impôts (Kitab al-Amwal) affirme qu’on ne doit « pas imposer les dhimmis au-delà de leurs capacités, ni leur infliger des souffrances. » De même Abu Yusuf (731-808), qadi d’Harûn al-Rashîd (786-809) dans son Kitab al-Kharaj : « Aucun ressortissant de la dhimma ne sera battu afin d’exiger de lui le paiement de la djizya ; on ne le fera pas attendre sous la chaleur ardente du soleil, on ne lui infligera pas de châtiments corporels haïssables, ni d’autres sévices du même genre. Il convient, au contraire, de le traiter avec clémence. » En revanche, un dhimmi qui n’aura pas payé la djizya sera bien sûr sévèrement puni, et devra la payer. Ce même Abu Yusuf insiste sur l’interdiction de traiter le dhimmi comme du butin, mais pour des raisons plus pragmatiques qu’humanistes : « Dès lors [quand ils ont payé le tribut], tu n’as plus aucun titre ni aucun droit sur eux. Pense donc ! Si nous les prenons et les distribuons, que restera-t-il aux musulmans qui viendront après nous ? » L’impôt de capitation est, on le voit, primordial. D’origine coranique (IX, 29), la djizya est un impôt de capitation qui s’ajoute au kharadj (impôt foncier).
D’après la source juive de
Quelles sont les autres principales dispositions juridiques ? Un musulman peut épouser une dhimmie, mais un dhimmi ne peut épouser une musulmane ; un dhimmi ne peut posséder d’esclave musulman, mais un musulman peut posséder un esclave dhimmi. En ce qui concerne la justice, le dhimmi peut être jugé par les siens (droit interne) sauf si un musulman est concerné ; il peut aussi demander l’arbitrage d’un juge musulman, mais ce sera bien sûr
Enfin, nous l’avons déjà évoqué, certaines différences vestimentaires et de comportement étaient imposées. Etant plus liées au contexte qu’à une base juridique, nous le verrons dans la partie suivante.
La dhimma, qui prend donc son origine dans le Coran,
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