Si le cuirassé de poche Graf Spee a vécu une courte mais glorieuse vie, si le Bismarck s’est illustré en détruisant le navire fétiche de la marine britannique et en mobilisant la moitié de ses effectifs pour sa destruction, d’autres bâtiments allemands se sont faits remarquer, en particulier dans la course contre les convois alliés en Atlantique et en mer du Nord. Parmi eux, le Scharnhorst et le Gneisenau, qui donnèrent de nombreuses sueurs froides à la Home Fleet…
Course-éclair en Atlantique Nord (novembre 1939)
Le Scharnhorst et son sistership le Gneisenau étaient des croiseurs de bataille d’un nouveau genre. Lancés en 1936, ils déplaçaient plus de 30 000 tonnes, possédaient comme armement principal neuf pièces de 280 mm, et pouvaient se déplacer à plus de 30 nœuds. Au contraire des cuirassés lourds Bismarck et Tirpitz, ils étaient directement destinés au harcèlement des convois ennemis, de véritables corsaires du XXe siècle.
Le Scharnhorst et le Gneisenau en Norvège (avril-juin 1940)
Le deuxième fait d’armes du Scharnhorst et du Gneisenau intervient durant la campagne de Narvik en avril 1940. Les deux navires sont chargés d’escorter le régiment de la 3e division de montagne, direction Narvik justement. Immédiatement, la Home Fleet envoie une escadre pour les intercepter. C’est le 9 avril, alors qu’ils ont commencé à pénétrer dans les fjords norvégiens, que le Scharnhorst et le Gneisenau sont repérés et pris en chasse par le croiseur de bataille britannique Renown. Mais, bien qu’ils aient été largement à la hauteur pour venir à bout du vieux navire, les corsaires allemands préfèrent la fuite…
Toutefois, la campagne de Norvège n’en est qu’à ses débuts, et il ne faut attendre qu’un petit mois pour que le Gneisenau et le Scharnhorst soient de retour dans les fjords. Narvik a déjà été évacuée par les Alliés, et l’Allemagne veut enfoncer le clou pendant qu’en France ses panzers balaient tout sur leur passage. L’escadre des deux croiseurs de bataille tombe sur des éléments de la flotte britannique, qui sont loin de s’attendre à ça ! Un pétrolier et un paquebot sont coulés, un navire-hôpital épargné, puis c’est le porte-avions Glorious qui se trouve au bout des canons allemands. Le bâtiment anglais s’était avancé vers la mort sans avoir lancé d’éclaireur aérien, et il est bien trop tard au moment où il voit apparaître les prédateurs ; malgré une résistance héroïque et l’aide de ses deux destroyers, il est coulé et son escorte avec lui.
Mais l’un des deux destroyers, l’Acasta, a tout de même réussi à torpiller le Scharnhorst, et celui-ci doit rentrer au port, escorté par son frère jumeau le Gneisenau. Ils sont à leur tour pris en chasse par les Britanniques, et des appareils de l’Ark Royal les attaquent ; mais c’est peine perdue à cause de conditions climatiques épouvantables, et la seule bombe qui touche le Scharnhorst…n’explose pas ! En revanche, quelques jours plus tard, le Gneisenau est torpillé cette fois par un sous-marin. Les deux corsaires sont donc destinés à rester en cale sèche quelques temps. Pire, à peine remis en service ils doivent annuler leur nouvelle sortie, à cause d’une mer démontée qui endommage le Gneisenau…
Dans l’ombre du Bismarck (avril-mai 1941)
Les mois suivants ne sont guère glorieux pour les deux bâtiments jumeaux ! Ils tentent un nouveau raid, mais rebroussent chemin en constatant que le convoi visé est escorté par le cuirassé Ramillies, qui n’est pourtant pas de toute première jeunesse. Toutefois, en mars 1941, une autre attaque corsaire leur permet de couler vingt-deux navires marchands alliés.
Le Scharnhorst et le Gneisenau sont ensuite envoyés à Brest pour radouber, port idéal pour lancer des attaques sur les convois entrant dans la Manche, mais aussi pour être –théoriquement- mieux protégés contre les attaques aériennes. L’amiral Raeder a alors un projet encore plus ambitieux pour eux : il veut les associer au tout nouveau cuirassé lourd Bismarck et à son navire d’escorte, le croiseur Prinz Eugen, pour un raid corsaire d’envergure en Atlantique Nord ; l’opération est nommée « Rheinübung » et planifiée pour avril 1941. Malheureusement, le sort semble s’acharner sur eux : le Scharnhorst souffre de problèmes de machinerie qui nécessitent plus de travail que prévu, et le Gneisenau est torpillé en pleine rade de Brest par un appareil britannique, puis à nouveau touché par quatre bombes quelques jours plus tard ; en effet, contrairement à ce qui était escompté par l’état-major allemand, le déplacement des deux navires à Brest n’a fait qu’attiser l’appétit du Bomber Command, qui a lancé près de mille raids leur étant spécialement destinés !
L’opération « Rheinübung » est reportée, mais pas la sortie du Bismarck. Celui-ci, après un raid héroïque qui le voit couler le vénérable Hood, est envoyé par le fond un mois plus tard par la Home Fleet, le 24 mai 1941. Mais le Bismarck a connu son heure de gloire, ce qui n’est pas encore le cas du Scharnhorst et du Gneisenau.
La folle évasion (février 1942)
Le temps est peut-être venu quand la décision est prise de rapatrier les deux croiseurs de bataille vers l’Allemagne. Les raids qu’ils subissent commencent à gravement les handicaper, le Scharnhorst ayant été touché à son tour par les bombes anglaises. Ils ont cependant été rejoints en rade de Brest par le Prinz Eugen, orphelin du Bismarck.
Le coup allemand, plein d’audace et mené par le vice-amiral Ciliax, se déroule en plusieurs phases : le 11 février au soir, le Scharnhorst, le Gneisenau, le Prinz Eugen et leur escorte se réunissent dans la rade de Brest, et sortent en pleine nuit en échappant aux patrouilles ennemies ; les navires allemands sont repérés le lendemain vers midi alors qu’ils ont franchi 300 milles, et ils passent un premier barrage de mines, puis ils sont engagés d’abord par les batteries de Douvres et ensuite par des vedettes lance-torpilles : c’est un échec. Les Britanniques tentent alors une attaque aérienne : des Swordfish (ceux qui avaient tant fait de mal au Bismarck) se ruent à l’attaque…mais ils sont tous abattus !
En effet, ils sont escortés par moins de Spitfire que prévu, et tombent sous les coups de la DCA des navires, et surtout de la chasse allemande. Deux heures plus tard, on croit que la chance a tourné en faveur des Anglais quand une mine touche le Scharnhorst : le croiseur de bataille n’est que peu endommagé, mais le vice-amiral Ciliax transfère son pavillon sur un destroyer ; celui-ci est alors pris pour cible par les bombardiers Beaufort…en vain ! Les navires allemands, le Scharnhorst y compris, sont rapidement sortis du détroit et se retrouvent aidés par des vedettes, les E-Boot, qui repoussent leurs rivales, les MTB. Les dernières attaques britanniques, par mer ou par air, continuent d’échouer lamentablement. Seules les mines parviennent à provoquer quelques dégâts alors que l’escadre du Scharnhorst et du Gneisenau atteint les eaux allemandes.
Le Scharnhorst orphelin
L’incroyable évasion de Brest fait beaucoup de bruit, mais avec le recul le bilan est contrasté. Certes, les Britanniques ont échoué dans leur tentative de détruire trois des plus importants bâtiments de ce qui reste de la marine allemande ; mais ces mêmes bâtiments sont à présent bloqués en Allemagne, et ne risquent plus de menacer les intérêts alliés en Atlantique. Surtout, la réussite finit par fuir les navires de Ciliax : dix jours après l’évasion de Brest, le Prinz Eugen est torpillé à mort ; puis quelques jours plus tard, le Gneisenau est bombardé dans le port de Kiel et mis définitivement hors de combat pour le reste de la guerre ! Son frère jumeau le Scharnhorst se retrouve alors orphelin…
L’intérêt que semble avoir Hitler pour le théâtre nordique en cette année 1942 semble pouvoir bénéficier au Scharnhorst. Surtout, les Britanniques ont décidé de passer par la mer de Barents pour ravitailler leur allié soviétique. Malheureusement, une fois encore, le Scharnhorst, à nouveau endommagé par des mines, doit renoncer à participer à l’attaque lancée sur les convois alliés (dont le fameux PQ-17) aux côtés du Tirpitz, du Scheer et du Hipper. Ce n’est peut-être finalement pas un mal, car la marine allemande connaît un échec cuisant en mer de Barents fin 1942, qui rend fou furieux Hitler, prêt à envoyer toute la flotte à la casse ! L’amiral Raeder démissionne, remplacé par Doenitz qui persuade toutefois le führer de garder le Tirpitz, le Lützow et le Scharnhorst en Norvège.
La fin solitaire du Scharnhorst (décembre 1943)
Ce dernier quitte la Baltique en février 1943, il est à présent le deuxième navire le plus puissant de la flotte, après le sistership du Bismarck. Le fait de trouver les trois bâtiments allemands bientôt réunis à Narvik donne quelques inquiétudes à l’Amirauté, échaudée par les pertes des convois pour Mourmansk. Certains lient d’ailleurs l’arrêt de ces convois au danger que le Tirpitz et ses deux acolytes font peser alors.
Les opérations communes commencent dès l’automne 1943 : le Scharnhorst et le Tirpitz bombardent des bases norvégiennes du Spitzberg. A peine de retour au port, le Scharnhorst repart pour des exercices de tir ; bien lui en prend, car il échappe à l’attaque des X-crafts britanniques, des sous-marins de poche qui parviennent à endommager le Tirpitz !
La décision de reprendre les convois vers la Russie doit donner enfin de vraies cibles au Scharnhorst, mais ce dernier est attendu de pied ferme par le nouvel amiral britannique, Fraser, impatient de l’affronter. De son côté, Doenitz sait qu’il doit enfin lâcher la laisse de son navire et obtenir des résultats pour qu’Hitler ne songe pas à nouveau à tout envoyer à la décharge. L’amiral allemand est prêt à prendre tous les risques.
Le 25 décembre, c’est la nuit polaire et le Scharnhorst, commandé par le contre-amiral Bey, prend la mer avec une escorte de cinq destroyers, et pour but d’intercepter et de détruire le convoi JW-55B. Sur le navire allemand, Bey est rapidement en difficulté, incapable de savoir où sont la proie et l’ennemi, et il enchaine les erreurs. Tôt le matin du 27, et sans prévenir ses destroyers, il met cap au Nord et se retrouve rapidement repéré par la flotte britannique, en l’occurrence le radar du croiseur Belfast. Un peu plus tard, c’est le Sheffield qui l’aperçoit puis le Norfolk, premier à faire feu mais en vain.
Le contre-amiral Bey ne sait toujours pas combien de navires sont engagés contre lui, ce qui explique sans doute qu’il n’ait pas insisté dans le combat contre les croiseurs, alors qu’il avait les moyens de résister, voire de vaincre. Il s’est en outre maladroitement séparé de l’appui non négligeable de ses destroyers, en les envoyant chercher le convoi.
Un nouvel engagement intervient autour de midi, et cette fois le Norfolk souffre face aux tirs du Scharnhorst, qui une fois encore n’insiste pas. Sa chance est passée et, toujours privé de ses destroyers, le navire allemand fonce droit dans la gueule du Duke of York, le cuirassé de l’amiral Fraser. Peu avant 17 heures, le bâtiment anglais et son croiseur d’escorte le Jamaica ouvrent le feu à une distance de 25 km. Cette fois, Bey doit accepter le combat. Les coups du Duke of York pleuvent pendant près d’une heure, et le Scharnhorst est contraint à ralentir son allure. Il est alors à la merci des autres navires britanniques, en particulier les destroyers qui l’attaquent à la torpille. Le Duke of York et le Jamaica se rapprochent à moins de dix kilomètres pour terminer le travail. Comme son grand cousin le Bismarck, le Scharnhorst résiste vaillamment mais en vain. A 19h45, ce 27 décembre 1943, il coule avec près de 1800 marins.
De la puissante flotte de surface allemande, il ne reste en cette fin de l’année 1943 que « le roi solitaire du Nord », le cuirassé Tirpitz.
Bibliographie
- Le Croiseur de bataille Scharnhorst : Son épopée et sa fin tragique, de Philippe Caresse. Lela Press, 2005.
- Histoire navale de la seconde Guerre mondiale, de Craig L. Symonds. Perrin, 2020.
- Scharnhorst and Gneisenau, de Daniel Knowles. Edition en anglais, 2023.