Abraham_lincoln_inauguration_1861Le bombardement de Fort Sumter, dans la baie de Charleston (Caroline du Sud), est la première bataille de la guerre de Sécession (1861-1865). Le 12 avril 1861 en effet, les confédérés attaquent les nordistes qui tentaient de ravitailler le fort.

Des débuts difficiles

Le 4 mars 1861, Abraham Lincoln prêta serment sur le parvis du Capitole, le bâtiment qui abrite le Sénat et la Chambre des représentants, et prit ses fonctions de seizième président des États-Unis d’Amérique. La première mission de son nouveau gouvernement était des plus urgentes : après l’échec manifeste des diverses tentatives de résolution pacifique, il lui fallait trouver un moyen de désamorcer la crise qui avait abouti à la sécession des sept États du Vieux Sud, et éviter que le pays ne plonge dans la guerre civile.
 
Avant même son entrée en fonction, Lincoln passait pour le président élu le plus détesté de l’histoire des États-Unis. L’hostilité à son égard dans les États esclavagistes était telle que des menaces de mort avaient été formulées à son encontre. Lincoln avait prévu de se rendre de l’Illinois, son État d’origine, à Washington, par un voyage en train de deux semaines, durant lequel il comptait visiter pas moins de 70 villes et rassurer les foules sur ses intentions. Pour assurer sa sécurité face aux menaces grandissantes contre sa personne, il avait désigné un détective privé de Chicago, Allan Pinkerton.

Ce dernier, natif d’Écosse, avait fondé une agence de détectives aux méthodes novatrices, dont la réputation avait crû rapidement jusqu’à une échelle nationale. Ayant résolu plusieurs affaires d’attaques de train lors des années précédentes, Pinkerton passait pour un expert en matière de sécurité des chemins de fer. Le voyage se déroula sans histoires jusqu’à Baltimore, située dans l’État esclavagiste du Maryland, et qui comptait une forte proportion de sécessionnistes. Pinkerton se persuada rapidement qu’un complot s’y tramait contre Lincoln, et lui fit traverser la ville de nuit en toute discrétion, contrairement à ce qui avait été annoncé.

Ce complot probablement imaginaire – personne ne fut jamais inculpé de quoi que ce soit – endommagea sérieusement la réputation de Lincoln, taxé de lâcheté par l’ensemble de la presse américaine, journaux républicains inclus, et le président élu en resta mortifié jusqu’à la fin de ses jours. Toutefois, cette affaire fit au moins un heureux : Pinkerton, qui y gagna la confiance du président. Il se retrouva nommé à la tête des services secrets fédéraux, qui sous sa direction allaient se montrer très actifs durant les années de guerre, mais d’une efficacité globalement médiocre – Pinkerton et ses agents ayant une fâcheuse tendance à exagérer les rapports sur les forces ennemies et à se laisser « intoxiquer » par leurs homologues sudistes.

384px-Lincoln_in_a_cattle_carCe ne fut pas le seul membre contesté de l’administration Lincoln. Ce dernier avait dû choisir ses ministres aussi bien en fonction des luttes d’influence au sein du parti républicain que de leurs compétences réelles. Ainsi, ses quatre principaux adversaires lors de la primaire républicaine de 1860 furent tous quatre nommés ministres. William Seward devint secrétaire d’État (autrement dit, ministre des Affaires étrangères), Salmon Chase secrétaire au Trésor, Edward Bates fut nommé Attorney général (ministre de la Justice) et Simon Cameron hérita du secrétariat à la Guerre.

Si Seward et Chase firent merveille dans leur gestion, respectivement, de la diplomatie et des finances de l’Union (qui traversèrent le conflit sans jamais dévaluer le dollar), il n’en alla pas de même pour Cameron, aux compétences limitées, et qui passait surtout pour être notoirement corrompu. Entré au gouvernement pour contenter la frange la plus modérée du parti, celle des anciens whigs, il le quitta dès janvier 1862, remplacé par Edwin Stanton. Ce dernier, organisateur de talent, était un bourreau de travail infatigable, mais aussi un républicain nettement plus radical. Gideon Welles, le secrétaire à la Marine, s’avéra quant à lui du même niveau d’efficacité que Stanton.

La Confédération s’organise

Le Sud, lui aussi, s’était doté d’un gouvernement, actif dès le 25 février. Toutefois, sa tâche fut grandement compliquée par des dissensions internes, notamment entre le gouvernement confédéré et les différents États. De plus, la personnalité particulièrement rigide du président Jefferson Davis n’arrangeait pas les choses et créait des inimitiés personnelles, qui, elles-mêmes, alimentaient une instabilité ministérielle déjà patente. La Confédération connut ainsi, en quatre ans, trois secrétaires d’État, trois secrétaires au Trésor, quatre Attorneys généraux et cinq secrétaires à la Guerre.

Le plus habile d’entre eux à rester en place fut Judah Benjamin, qui fut en charge, successivement, de la Justice, de la Guerre, puis des Affaires étrangères. C’est en cette qualité qu’il effectua le plus long travail, où il excella dans l’art de se procurer à l’étranger ce qui manquait à la Confédération sur son sol (à commencer par des armes), mais échoua à la faire reconnaître officiellement par les grandes puissances européennes, Royaume-Uni et France en tête.
CGM
Le père de la constitution confédérée, Christopher Memminger, hérita du secrétariat au Trésor. Il y resta trois ans, et fut confronté aux pires difficultés : privé de l’essentiel de sa richesse nationale (les exportations de coton) et de ses revenus (les droits de douanes sur les marchandises que l’argent du coton permettait d’importer), le Sud dût recourir à tous les expédients possibles pour financer son effort de guerre, le principal étant la planche à billets. Il en résulta une inflation galopante : en quatre ans, le dollar confédéré perdit 98% de sa valeur.

Compte tenu de l’ingérence permanente de Jefferson Davis dans les affaires militaires, le poste de secrétaire à la Guerre n’eut pas la même importance au Sud qu’au Nord. De fait, l’homme qui resta le plus longtemps à la tête de ce ministère, James Seddon, ne marqua pas particulièrement les esprits. Le chef du département des armes et munitions de l’armée confédérée, Josiah Gorgas, fut finalement l’organisateur le plus efficace de l’effort de guerre sudiste. Malgré l’absence quasi-totale d’industrie dans le Sud, il établit fonderies, manufactures et usines de munitions, si bien que grâce à son action, l’armée confédérée manqua pratiquement de tout, sauf d’armes pour se battre.

Le champion de la stabilité au sein de gouvernement confédéré fut sans doute le secrétaire à la Marine, Stephen Mallory, qui occupa ce poste de sa création jusqu’à la fin de la guerre. Davis étant à peu près ignorant des affaires navales, Mallory eut, contrairement à ses homologues du secrétariat à la Guerre, les coudées franches pour appliquer une administration réaliste et moderne à la marine confédérée. Compte tenu des faibles moyens alloués à celle-ci, Mallory s’attacha à compenser son infériorité numérique par des innovations techniques : mines (alors appelées « torpilles »), cuirassés, et même sous-marins. Cette stratégie échoua en fin de compte, mais elle donna malgré tout quelques sueurs froides à la marine nordiste, et contribua à transformer radicalement le visage de la guerre navale pour le siècle à venir.

Le nœud gordien du fort Sumter

En mars 1861, la question des forts restés sous contrôle fédéral sur le territoire confédéré, en particulier le fort Sumter dans la rade de Charleston, posait aux deux camps un dilemme politique pratiquement insoluble. La défense du territoire national étant une des prérogatives régaliennes d’un État, la question du fort Sumter générait un problème de souveraineté aigu, puisque la Confédération ne pouvait souffrir la présence de troupes considérées comme étrangères sur son sol, sans faire perdre leur crédibilité à ses velléités clairement exprimées d’indépendance.

452px-Smn_Cameron-SecofWarIl fallait donc que la garnison fédérale quittât le fort Sumter, mais il était évident qu’elle n’allait pas partir toute seule. Le gouvernement confédéré pouvait le prendre d’assaut ou le bombarder pour l’obliger à se rendre, mais c’était là une perspective hasardeuse – non sur le plan militaire, la garnison du fort étant minuscule, mais d’un point de vue politique. En effet, tirer le premier coup de feu ferait passer le Sud pour l’agresseur, ce qui risquait d’unir le Nord derrière le gouvernement fédéral, et de dissuader les autres États esclavagistes de faire sécession pour rejoindre la Confédération.

L’autre solution consistait à faire le blocus du fort jusqu’à ce que ses réserves de vivres soient totalement épuisées, ce qui obligerait à coup sûr les troupes qui l’occupaient à se rendre. Elle était certainement moins populaire auprès de l’opinion publique sécessionniste, mais elle avait le grand avantage d’obliger le Nord à agir en premier – et donc à passer pour l’agresseur dans le conflit. Déjà mis en place par la milice de Caroline du Sud, le blocus du fort était efficace, comme en avait témoigné la tentative manquée faite par le vapeur Star of the West de ravitailler sa garnison en janvier 1861.

Toutefois, cette efficacité devait surtout à la passivité de l’administration Buchanan et aux complicités dont y bénéficiait la cause sécessionniste. À présent que Lincoln et son cabinet étaient en place, ils n’allaient certainement pas rester dans l’attente, sachant que le temps jouait contre eux. Pour faire face à l’opération de relève qu’allaient très probablement tenter les Fédéraux dans les semaines à venir, les Sudistes concentrèrent à Charleston le gros de leur toute jeune armée, ainsi que les canons lourds que l’occupation des autres forts fédéraux avait permis d’obtenir.

À Washington, le cabinet Lincoln s’efforçait lui aussi de résoudre cette quadrature du cercle. L’affaire du Star of the West avait montré qu’une opération à petite échelle n’était pas viable, et qu’il faudrait une flotte entière pour pénétrer dans la rade de Charleston avec quelque chance de succès. D’un autre côté, tirer les premiers coups de feu de la guerre présentait le risque de perdre les États esclavagistes n’ayant pas encore fait sécession, sans parler des répercussions sur l’opinion publique nordiste elle-même.
Toombs
Début avril, il apparut que le fort Sumter n’en avait plus que pour quelques jours de vivres. Lincoln et ses ministres se décidèrent alors à agir, et le firent avec autant d’habileté politique que possible. Ainsi, l’opération ne serait pas secrète, mais annoncée aux Sudistes eux-mêmes. Le 6 avril, Lincoln informa Francis Pickens, gouverneur de Caroline du Sud, que la flotte nordiste ne débarquerait que du ravitaillement, et pas de renforts, mais uniquement si les Sudistes ne tentaient pas de s’y opposer par la force.

Cette fois, c’était au gouvernement confédéré de réagir, et vite. Tous les membres du cabinet Davis s’accordèrent sur l’usage de la force, sauf le secrétaire d'État Robert Toombs, qui mit le président en garde contre les conséquences à long terme d’une telle décision : « Vous ne ferez que frapper un nid de frelons… Des légions entières, aujourd’hui calmes, se mueront en essaims et nous piqueront à mort. » Mais le camouflet qu’aurait représenté un ravitaillement du fort Sumter, et donc le maintien indéfini de la garnison fédérale qui s’y trouvait, l’emporta sur toute autre considération et le 9 avril, Davis ordonna aux troupes confédérées de Charleston d’adresser au fort Sumter un ultimatum exigeant sa reddition, et en cas de refus, de le bombarder...
 

L’affrontement qui se préparait à Charleston n’était que l’aboutissement d’une crise de près de quatre mois. Il y avait une grande différence de perception entre les dirigeants, l’opinion publique, et la presse, qui y avaient assisté à l’échelle nationale, « macro-historique », et ceux qui se trouvaient au cœur même de l’événement, la garnison du fort Sumter et les autres acteurs de l’événement qui allait déclencher la guerre de Sécession. Cette vision « micro-historique » n’est pas dénuée de tout intérêt pour l’historien. 

Un fort inachevé

En dehors du Texas, où environ un quart de l’armée fédérale stationnait pour sécuriser la frontière avec l’instable Mexique (avant de le quitter sur ordre du général Twiggs, qui passa dans le camp confédéré), les futurs États confédérés étaient pratiquement dépourvus de toute concentrations de troupes fédérales. Charleston faisait figure de notable exception, toutes proportions gardées. Le cœur économique et culturel de la Caroline du Sud était en effet un port majeur sur l’océan Atlantique, et le principal point de départ pour l’exportation du coton récolté dans cet État.

Les Américains avaient cherché à fortifier Charleston dès la guerre d’Indépendance, ce qui n’empêcha pas, du reste, les Britanniques de s’en emparer. Une fois la paix revenue, la ville allait devenir l’un des points d’appui majeurs du système de fortifications côtières du pays. Deux forts, baptisés Moultrie et Johnson, furent établis aux entrées nord et sud de la rade, respectivement, tandis que le port proprement dit fut protégé par un troisième, le château Pinckney.

Toutefois, la guerre de 1812 et le bombardement de Baltimore par la marine britannique en septembre 1814, démontrèrent que face aux progrès techniques et à la portée accrue de l’artillerie navale, cette disposition était insuffisante pour protéger efficacement les ports à défendre. À Charleston, il fut donc décidé de bâtir un nouveau fort plus près de l’entrée de la rade, sur une île artificielle créée à partir d’un banc de sable. Baptisé Sumter en l’honneur d’un héros de la guerre d’Indépendance, le général Thomas Sumter, sa construction débuta en 1827.

Anderson-Robert-002Ambitieux sur le plan technique, le fort Sumter représentait en outre un lourd investissement financier que les budgets étriqués alors alloués au secrétariat à la Guerre ne permirent de payer que très lentement, si bien que les travaux traînèrent en longueur et qu’en 1860, le fort était toujours inachevé. Ce pentagone de briques et de pierre de taille, long d’une soixantaine de mètres et haut de dix-huit, était théoriquement conçu pour accueillir une garnison de 650 hommes servant 135 canons. Toutefois, en décembre 1860, il était inoccupé et moins de la moitié des pièces d’artillerie étaient en place.

Comparativement à d’autres installations fédérales dans le Sud, qui n’étaient parfois gardées que par un simple concierge, Charleston était plutôt bien pourvue en troupes fédérales – relativement. Y étaient stationnées deux compagnies du 1er régiment d’artillerie, la E et la H, respectivement commandées par les capitaines Abner Doubleday et Truman Seymour ; en tout, 6 officiers et 68 sous-officiers et soldats, les deux unités étant en sévère sous-effectif. Un détachement du génie, sous le capitaine John Foster, était également présent, avec deux autres officiers et plusieurs centaines d’ouvriers civils sous contrat. Toutefois, la plupart d’entre eux étaient sécessionnistes et seuls 43 choisiront d’aider la garnison. Enfin, il convient d’y ajouter les 8 hommes de la… fanfare du 1er régiment d’artillerie, pour un total de 128 hommes.

Cette force était initialement commandée par le colonel John Gardner. Toutefois, dans les semaines qui suivirent l’élection de Lincoln, le secrétaire à la Guerre de l’administration Buchanan, John Floyd, partisan de la sécession, s’efforça de noyauter les installations militaires du Sud. En plaçant des officiers sudistes à leur tête, il espérait ainsi en faciliter la prise de contrôle par les sécessionnistes. Il confia ainsi le commandement de la garnison de Charleston à un soldat originaire du Kentucky, le major Robert Anderson, qui arriva sur place le 21 novembre 1860. Malheureusement pour Floyd, Anderson allait se révéler d’une loyauté indéfectible à l’Union.

La tension monteDoubledayo

Lorsque la Caroline du Sud fit sécession le 20 décembre, Anderson et sa troupe hétéroclite occupaient le fort Moultrie. Il était vétuste et mal entretenu. Floyd avait donné l’ordre de le mettre en état de défense, toujours avec l’arrière-pensée que les troupes sécessionnistes pourraient ensuite s’emparer sans coup férir d’un fort remis gratuitement en état. Anderson convint toutefois rapidement que le fort Moultrie était indéfendable : selon Doubleday, « le sable s’était accumulé contre les murs, si bien que des vaches auraient pu les escalader », et les maisons construites alentours offraient à d’éventuels assaillants des postes de tir surplombant le fort.

Anderson prépara donc son évacuation dans le plus grand secret, ne mettant ses officiers dans la confidence qu’au tout dernier moment. Le 26 décembre, les soldats fédéraux enclouèrent les canons du fort Moultrie, puis embarquèrent dans les quelques bateaux que le détachement du génie utilisait pour déplacer ses équipes d’ouvriers, et parvinrent à rallier le fort Sumter sans opposition, ayant pris la milice de Charleston au dépourvu. Ainsi positionnés, ils étaient à l’abri de tout coup de main hostile.

Ce mouvement suscita la colère des Caroliniens, qui exigèrent sans succès qu’Anderson et ses hommes regagnent le fort Moultrie. À défaut, miliciens et volontaires furent mobilisés pour organiser le blocus du fort Sumter, blocus dont l’efficacité et la détermination furent très vite démontrées par l’incident du Star of the West le 8 janvier 1861. Le problème des vivres allait donc se poser tôt ou tard : les défenseurs avaient quelques mois d’avance, mais les stocks ne permettraient pas de tenir au-delà du mois d’avril.

Plus préoccupante était la question des munitions en cas d’attaque ennemie. Le capitaine Seymour et ses hommes avaient tenté d’en récupérer à l’arsenal situé dans le port de Charleston, mais un attroupement de sympathisants sécessionnistes avait fait échouer ce plan et les soldats avaient dû rebrousser chemin pour éviter une émeute. On fit fabriquer des gargousses – charges de poudre pré-dosées – supplémentaires avec les couvertures et les uniformes de rechange, mais ces réserves ne permettraient probablement pas de maintenir un feu soutenu durant plus de quelques heures.

John_G._Foster_-_Brady-HandyLes Fédéraux firent aussi de leur mieux pour mettre le fort inachevé en état de défense. Le rapport rédigé en octobre 1861 par le capitaine Foster, une fois rapatrié dans le Nord, consigne minutieusement ces travaux. Avec le récit de Doubleday, c’est la principale source de première main sur la crise du fort Sumter. Leur examen croisé est riche d’enseignements, notamment sur la rivalité manifeste entre l’artillerie et le génie : pendant que Foster (qui ne dépendait pas formellement du commandement d’Anderson, mais répondait directement au secrétaire à la Guerre) s’applique à démontrer l’efficacité de son travail, le capitaine d’artillerie Doubleday estime pour sa part que Foster « avait mal évalué la situation globale » quant à la gravité de la crise.

Début avril, les défenseurs du fort avaient à leur disposition 53 canons lourds et 700 gargousses, mais le faible nombre de servants ne leur permettrait pas d’employer plus d’une dizaine de pièces à la fois. De leur côté, les Caroliniens avaient été renforcés par des éléments venus des quatre coins de la Confédération. Le président Davis avait confié le commandement de ces troupes à un Cajun (un Louisianais d’ascendance francophone), Pierre Beauregard. Ironie du sort, Beauregard avait servi durant 23 ans dans l’armée fédérale, dont plusieurs années sous les ordres de Robert Anderson, si bien que les deux hommes étaient devenus amis. Le général confédéré avait sous ses ordres, en tout, environ 6.000 hommes et une cinquantaine de canons et mortiers lourds.

Le 6 avril, les navires de l’expédition de secours destinée à ravitailler le fort Sumter appareillèrent des ports nordistes. Quatre jours plus tard, l’intendance du fort distribua aux soldats ses dernières rations de pain. Il ne restait alors plus que trois jours de riz, après quoi la garnison devrait se contenter de lard et d’eau, seules denrées comestibles encore présentes dans le fort, mais qui ne permettraient pas de tenir bien davantage.
map-charleston-harbor

Carte de la rade de Charleston en 1861. Document légendé par l'auteur, à partir d'une carte parue dans le journal nordiste Harper's Weekly du 27 avril 1861.

Dans l’après-midi du 11 avril 1861, trois officiers sudistes se présentèrent avec un drapeau blanc à l’entrée du fort Sumter. Menée par le colonel Chesnut, dont l’épouse Mary allait se rendre célèbre après la publication de son journal de guerre, la délégation amenait au major Anderson l’ultimatum par lequel, conformément aux ordres du gouvernement confédéré, le général Beauregard exigeait la reddition du fort. L’ultime compte à rebours avant le déclenchement de la guerre de Sécession venait de commencer.

La guerre commence

Après une brève et formelle consultation de ses officiers, Anderson répondit par la négative. En retour, Beauregard ordonna à ses artilleurs de se préparer à ouvrir le feu contre le fort Sumter, préparations qui occupèrent les heures suivantes. Vers une heure du matin, le 12 avril, les trois officiers confédérés, accompagnés cette fois d’un civil, revinrent une dernière fois demander à Anderson s’il souhaitait se rendre et si oui, quelles étaient ses conditions. À en croire le capitaine Foster, le major rétorqua simplement qu’il « attendrait le premier coup de canon, et s’il n’était pas réduit en pièces, serait de toute façon affamé d’ici quelques jours ».

À la suite de ce second refus, les délégués sudistes quittèrent le fort pour de bon, à 3h20, en indiquant aux défenseurs que leurs batteries ouvriraient le feu dans l’heure qui suivrait. À 4h30, la batterie de mortiers installée près du fort Johnson tira un obus dont la fusée avait été délibérément réglée pour une distance trop courte : explosant au-dessus du fort, le projectile servit de signal à la douzaine d’autres batteries affectées à l’opération, qui ne tardèrent pas à se déchaîner à leur tour.

Ainsi qu’elle l’écrira plus tard dans son journal avec beaucoup de vivacité, Mary Chesnut fut réveillée par le bruit des tirs et tomba à genoux, en prière, avant de se précipiter dans la rue pour assister au bombardement. Nombre de ses concitoyens l’imitèrent. Les lueurs jaillissant des bouches à feu, le bruit des explosions et des coups de départ, les trajectoires illuminées des projectiles, donnaient aux habitants de Charleston un singulier son et lumière auquel ils assistaient depuis les quais du port. Ce dernier, situé à quatre kilomètres environ du fort Sumter, offrait une vue imprenable sur le spectacle guerrier qui s’y jouait.
10inSeacoastMortarsLe feu confédéré suivait en fait un plan de tir rigoureusement conçu par Beauregard. Ce dernier craignait en effet, lui aussi, de manquer de munitions – il estimait que ses réserves de poudre n’autorisaient que 48 heures de bombardement. Ainsi, les canons confédérés tirèrent chacun leur tour, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, à deux minutes d’intervalle. Comme le remarquera Beauregard dans ses différents rapports au secrétariat confédéré à la Guerre, ce plan de feu sera exécuté avec beaucoup de discipline par ses artilleurs.

Le crédit du premier coup de canon fait l’objet d’une controverse durable. S’il est certain que le signal a été donné par le mortier côtier de 10 pouces du lieutenant Henry Farley, il n’en est pas de même du premier tir visant effectivement le fort Sumter. On l’attribue généralement, sans qu’il y ait de certitude à ce sujet, à un militant sécessionniste radical de Virginie, Edmund Ruffin, qui avait fait le déplacement tout exprès pour assister à l’ouverture des hostilités.

Dans les entrailles du fort Sumter

De son côté, Anderson retarda autant que possible l’ouverture du feu par ses propres canons, essentiellement pour économiser ses munitions. Ce n’est qu’après avoir pris un frugal petit déjeuner que ses hommes gagnèrent leurs pièces et commencèrent à riposter, vers 7 heures. Leur tir fut largement inefficace : d’après Foster, son effet se limita à endommager temporairement un canon ennemi, blesser un servant, et toucher à trois reprises le drapeau du fort Moultrie.

Columbiad_at_Fort_DonelsonLe feu confédéré ne fut guère meilleur durant les premières heures du bombardement, les coups de plein fouet des canons n’endommageant guère la maçonnerie du fort Sumter. En revanche, le tir vertical des mortiers sudistes s’avéra bien plus précis, déclenchant notamment trois débuts d’incendie que la garnison nordiste parvint à maîtriser – notamment parce que les projectiles ennemis avaient crevé les citernes d’eau installées dans les combles, inondant les bâtiments. Les obus de mortier, dont la trajectoire courbe passait par-dessus les murs de la forteresse, s’abattaient sur les parties vulnérables du fort, en particulier les baraquements prévus pour héberger les soldats.

Pour cette raison, les canons installés en barbette, c’est-à-dire en haut des murs, devinrent rapidement intenables. Le major Anderson, soucieux de ménager un effectif déjà étriqué en limitant les pertes humaines, consentit à y envoyer une équipe d’artilleurs ; mais l’intensité du bombardement la faisant œuvrer dans la précipitation, celle-ci commit une erreur qui mit deux canons hors de combat et conduisit le commandant nordiste à rappeler ses hommes. L’abandon de la barbette privait le fort Sumter de ses meilleures armes, car les canons installés plus bas, en casemate, étaient certes à l’abri derrières les épais murs du fort, mais n’avaient qu’une portée limitée, étant obligés de tirer pour ainsi dire au ras de l’eau.

attack-fort-sumterPendant ce temps, l’expédition de secours approchait de Charleston et, en début d’après-midi, tant les assaillants que les défenseurs du fort repérèrent trois navires à l’entrée de la rade. Malheureusement pour la garnison du fort Sumter, les conditions météorologiques se dégradaient rapidement et le mauvais temps empêcha la flottille de l’Union de tenter de s’approcher du fort. Dans le même temps, la réserve de munitions à la disposition des artilleurs se réduisait déjà fortement. Anderson fut contraint de limiter à six le nombre de canons employés, réduisant d’autant l’efficacité déjà limitée de sa riposte.

Une fois la nuit tombée, de violentes averses s’abattirent sur la rade de Charleston, offrant un répit aux défenseurs du fort Sumter en limitant les risques d’incendie. Les confédérés réduisirent le rythme de leur bombardement à quatre tirs par heure, tandis que les canons de l’Union se turent presque totalement. L’infanterie sudiste, quant à elle, subit stoïquement les effets de la pluie en attendant de pied ferme un débarquement ennemi qui ne viendrait jamais. D’après Beauregard, ces soldats s’occupèrent en regardant le bombardement du fort, en acclamant très « sportivement » les défenseurs à chaque fois que leurs canons donnaient de la voix tout en fustigeant les équipages de la flotte pour leur incapacité à intervenir.

Dénouement à Charleston

Le bombardement reprit à l’aube du 13 avril, cette fois avec plus d’intensité : confronté à la présence de la flotte fédérale, Beauregard voulait en finir, même si la météo jouait en sa faveur. La violence du tir confédéré – désormais presque systématiquement mené à boulets rouges – ne tarda pas à faire sentir ses effets. Un employé civil du génie fut blessé dans la cour du fort, et quatre artilleurs furent légèrement atteints par un coup ayant touché l’embrasure de leur casemate.

C’est toutefois sur le plan matériel que la situation devint préoccupante. Leurs toits dépassant légèrement la hauteur des murs d’enceinte, les cantonnements étaient particulièrement exposés et vers 9 heures, un projectile sudiste mit le feu au quartier des officiers. Pour combattre ce nouvel incendie, il aurait fallu monter en barbette, chose impossible sous les tirs ennemis. Aidé par un vent violent, le feu se communiqua rapidement aux autres casernements, malgré les efforts de la garnison pour en empêcher la propagation aux étages inférieurs. Au bout de trois heures, tous les logements étaient en flammes.

L’incendie eut de fâcheuses conséquences sur le stock de munitions des défenseurs. En progressant, les flammes s’approchèrent dangereusement de la poudrière principale du fort, obligeant les défenseurs à en fermer la porte et à la sceller avec des sacs de sable. Quelques dizaines de barils de poudre avaient pu en être retirés auparavant, mais la plupart durent être jetés à la mer lorsque l’incendie menaça la pièce où ils avaient été déplacés. À midi, le rythme des tirs nordistes s’était réduit à un coup toutes les dix minutes, tandis qu’une des réserves d’obus était atteinte à son tour par l’incendie et explosait.

LTWigfallLes éclats et les braises, propagés par le vent et les déflagrations, étaient en train de transformer le fort Sumter en un véritable enfer. Vers 13 heures, la hampe du drapeau, déjà atteinte à plusieurs reprises, fut abattue. Croyant à une reddition, les Confédérés suspendirent aussitôt leur bombardement, pour le reprendre quelques minutes plus tard lorsque le drapeau de l’Union fut à nouveau hissé sur un mât de fortune. Malgré cette ultime bravade, il était clair pour les assaillants, compte tenu de l’épaisse fumée qui s’en dégageait et du faible rythme de sa riposte, que la situation du fort Sumter était maintenant désespérée.

Le général Beauregard détacha donc un autre de ses aides de camp, l’ancien sénateur du Texas Louis Wigfall, et lui ordonna d’aller renouveler sa demande de reddition. Une fois transporté à Sumter en barque, Wigfall assura à Anderson que la capitulation du fort serait acceptée quelles que soient les conditions qu’il demanderait. Le major nordiste accepta donc, aux conditions déjà proposées par Beauregard dans son ultimatum du 11 avril : évacuation du fort par sa garnison avec armes et bagages, autorisation de tirer un salut au drapeau de cent coups de canon avant de quitter le fort et transport vers un port nordiste. Peu après 14 heures, le drapeau blanc de fortune que Wigfall avait amené avec lui fut hissé. La bataille du fort Sumter était terminée.

Fort_sumter_1861En dépit de sa violence (plus de 3.000 projectiles avaient été tirés), cet engagement aux accents surréalistes n’avait fait qu’une poignée de blessés légers. L’ironie voulut que ce fût seulement après la fin du combat que la guerre de Sécession fit ses premiers morts. Le salut au drapeau demandé par Anderson fut exécuté l’après-midi même, dans des conditions précaires – de fait, le fort était toujours plus ou moins en feu et les divers incendies ne seraient complètement maîtrisés que plusieurs jours après. Des brandons portés par le vent provoquèrent l’explosion prématurée d’une gargousse pendant qu’on rechargeait le canon. La détonation se propagea aux charges entreposées à proximité, tuant un artilleur nordiste et en blessant cinq autres, dont un mortellement.

Le premier tué de la guerre de Sécession, le soldat Daniel Hough, fut enterré le lendemain par les Confédérés dans la cour du fort, avec les honneurs militaires. Ses camarades, pendant ce temps, furent transférés du navire où ils avaient passé la nuit vers un autre qui les ramena à New York. Ils y furent accueillis en héros, le 17 avril. Des années plus tard, Doubleday se rappellerait encore : « Quand nous achetions quoi que ce fût, les marchands refusaient généralement d’être payés. » Au Nord comme au Sud, la guerre civile avait débuté dans la liesse.

Avec le bombardement et la capitulation du fort Sumter, la crise de la Sécession prenait fin – la guerre de Sécession, elle, commençait. Les circonstances de ce premier combat ne laissaient guère présager les atrocités de la guerre à venir : une reddition avec les honneurs de la guerre, digne de la « guerre réglée » des siècles passés ; des combats n’ayant fait que quelques blessés, menés par des officiers soucieux de limiter les pertes humaines ; et si deux morts il y eut, ce fut juste par… accident. Si les conséquences à long terme étaient encore bien floues pour les contemporains, les résultats immédiats de l’engagement étaient faciles à anticiper.

Réaction en chaîne

L’acte de guerre que représentait le bombardement du fort Sumter ne laissait guère le choix au président Lincoln. L’armée fédérale avait été attaquée, la riposte ne pouvait donc qu’être militaire. Comme ses prérogatives en matière de défense l’y autorisaient, il décréta la formation, le 15 avril, d’une armée de volontaires pour réduire la rébellion. Ces forces devaient être fournies par les États de l’Union, suivant des quotas déterminés. En tout, elles devaient être composées de 75.000 hommes répartis en 94 régiments. Ce service armé était limité à 90 jours, durée naïvement jugée suffisante pour mener le conflit à son terme.

La participation de chaque État avait été calculée afin de solliciter aussi peu que possible les huit États esclavagistes qui n’avaient pas quitté l’Union, dans l’espoir de ne pas les pousser dans le camp sudiste. Cette stratégie échoua : hormis le minuscule Delaware, qui n’avait qu’un seul régiment à fournir et ne comptait que quelques centaines de propriétaires d’esclaves, tous les autres refusèrent violemment de prendre les armes contre leurs concitoyens.

JohnLetcherLa Virginie fut la première à montrer l’exemple. Dès le 17 avril, elle vota la sécession. Son gouverneur John Letcher avait beaucoup œuvré pour dissuader les États du Haut Sud de faire sécession, mais il estimait illégal le recours à la force contre les États Confédérés et se trouvait bien décidé à faire respecter la souveraineté de son État. Il mobilisa la milice virginienne et lui fit occuper les arsenaux fédéraux de Harper’s Ferry et Norfolk. En signe de reconnaissance pour ce geste, le gouvernement confédéré décida, le 6 mai, de s’installer à Richmond, capitale de la Virginie, à 160 kilomètres seulement de Washington.

La réaction virginienne poussa les autres États esclavagistes à faire de même. L’Arkansas fit sécession le 6 mai, et la Caroline du Nord le 20. Le Tennessee était divisé, l’est de l’État, montagneux et pratiquement dépourvu d’esclaves, étant fortement attaché à l’Union. Son gouverneur Isham Harris contourna le problème en signant une alliance militaire avec la Confédération, avant qu’un référendum populaire ne tranche en faveur de la sécession, qui devint effective le 8 juin.

Le dilemme des États-frontière

La situation fut plus confuse dans les autres États. Celle du Maryland était particulièrement cruciale : l’État, de par sa position géographique, isolait la capitale fédérale Washington du reste du territoire nordiste. La sécession y était très populaire, en particulier à Baltimore, la plus grande ville de l’État. Le gouverneur Thomas Hicks s’efforça dans un premier temps d’en préserver la neutralité, mais ses demandes répétées pour empêcher les troupes fédérales de transiter par son territoire poussèrent le gouvernement nordiste à faire occuper militairement le Maryland, courant mai. L’instauration de la loi martiale empêcha la législature de l’État de voter la sécession.

395px-Beriah_Magoffin_-_Brady-HandySous l’égide de son gouverneur Beriah Magoffin, le Kentucky opta pour une stricte neutralité et mobilisa sa milice pour la faire respecter. Profondément sudiste, Magoffin répondit à l’appel de Lincoln du 15 avril « Je n’enverrai ni un homme, ni un dollar pour contribuer à l’infâme dessein de soumettre mes frères du Sud ». La neutralité du Kentucky fut assez rapidement violée, d’abord par l’établissement d’un camp d’entraînement nordiste aux premiers jours de l’été, puis par l’occupation de la ville de Columbus par les Sudistes le 4 septembre. Ce dernier élément poussa la législature de l’État à se ranger dans le camp de l’Union, ce que Magoffin ne put empêcher.

Le Missouri, enfin, connut une situation similaire, avec un gouverneur favorable à la sécession (Claiborne Jackson) et une législature qui y était plutôt hostile. Néanmoins, la population y était très divisée sur la question, et la proximité, tant dans le temps que dans l’espace, des troubles du « Kansas sanglant » (la controverse, teintée de violence, qui avait entouré le statut de l’esclavage dans le futur État du Kansas) y avait exacerbé les tensions.
Celles-ci débouchèrent sur une véritable guerre civile à l’intérieur même de l’État après qu’un imbroglio autour de l’arsenal fédéral de St-Louis eût amené les troupes fédérales à arrêter des miliciens missouriens. L’émeute qui s’ensuivit poussa le gouverneur Jackson à se rapprocher de la Confédération, et les forces nordistes à envahir l’État. Chassé manu militari de la capitale, Jefferson City, Jackson appela les troupes sudistes à l’aide, tandis que les unionistes du Missouri le rangèrent formellement dans le camp nordiste.

Claiborne_fox_jacksonCes deux derniers États rejoignirent pourtant la Confédération, par le biais de législatures « croupion », constituées de délégués sécessionnistes en exil. Le Missouri fit ainsi « sécession » le 31 octobre 1861 et le Kentucky le 20 novembre. Aucunes de ces législatures dissidentes n’exerça jamais de contrôle significatif sur le territoire de leurs États, et bien que la Confédération les considérât officiellement comme ses membres (d’où le fait que le drapeau sudiste compta in fine 13 étoiles), leurs sécessions respectives ne furent jamais tenues pour valides – les délégués sécessionnistes étant initialement minoritaires dans les deux cas.

Funeste enthousiasme

Si la réaction des États esclavagistes, avec la sécession de quatre d’entre eux et l’attitude ambiguë de trois autres, donna quelques nuits de cauchemars à Lincoln, celle des États libres dut fortement le soulager. L’agression sudiste contre le fort Sumter avait ressoudé derrière lui ce qui restait de l’Union, et le président et son cabinet furent habiles à exploiter cette situation inespérée.

Fort_Sumter_storm_flag_1861Le major (et bientôt brigadier-général) Anderson et ses officiers furent largement mis à contribution dans des meetings destinés à exciter l’ardeur patriotique des foules et à susciter le volontariat chez les hommes en âge de porter les armes. De telles réunions servirent aussi à lever des fonds, en vendant aux enchères le drapeau, passablement déchiquetés par les obus sudistes, du fort Sumter. Il était bien sûr entendu que l’acheteur, en bon patriote, se devait de redonner aussitôt son bien à peine acquis au gouvernement, afin que la précieuse relique puisse être revendue dans une autre ville.

Le recrutement des volontaires dépassa toutes les espérances. Il y avait tout simplement trop d’engagés. La Pennsylvanie, qui devait fournir initialement 16 régiments, vit rapidement son quota ramené à 14 par Cameron, mais en envoya pratiquement le double. Le gouverneur de l’Ohio, William Dennison, qui devait fournir 13 régiments, annonça rapidement que compte tenu du nombre de volontaires, il ne saurait en armer moins de 20. Même le plus petit État de l’Union, le Rhode Island, recruta quatre régiments au lieu d’un seul.

497px-William_Dennison_JrL’enthousiasme pour la « suppression de la rébellion » ne se limita pas à cela. Non sollicité de par son statut particulier, le District de Columbia (le minuscule territoire, administré directement par le gouvernement fédéral, qui abrite Washington) recruta six régiments de volontaires. Quant au Kansas, récemment intégré à l’Union et encore largement sous-peuplé, il parvint néanmoins à mettre sur pied un petit régiment de 650 hommes. Enfin, en dépit de la neutralité de leur État, plus de 10.000 Missouriens constituèrent des unités de volontaires de leur propre chef.

Tant et si bien qu’en tout, malgré la sécession ou la neutralité de sept États, ce premier effort de recrutement nordiste porta les effectifs de l’armée des volontaires à près de 92.000 hommes. C’était théoriquement assez pour combattre les armées rebelles : les Confédérés avaient mis sur pied une force comptant théoriquement 100.000 hommes, mais beaucoup étaient dispersés à travers tout le territoire sudiste. Toutefois, c’étaient là des chiffres impressionnants sur le papier. Dans les faits, il faudrait plusieurs semaines pour en faire un semblant d’armées organisées, d’une valeur militaire encore douteuse.
Au final, les deux camps bénéficièrent à court terme de la bataille du fort Sumter. Le Nord, scandalisé par l’attaque sudiste, avait fait corps derrière un gouvernement qui, jusque-là, était loin de faire l’unanimité, même si cet enthousiasme n’allait pas tarder à s’émousser. La Confédération, pour sa part, y avait gagné quatre États et reculé ses frontières de plusieurs centaines de kilomètres vers le nord, une profondeur stratégique qui retarderait d’autant l’invasion nordiste.

Toutefois, à long terme, ce fut bien le Sud qui fut perdant, et l’avertissement lancé par Robert Toombs à Jefferson Davis au moment de prendre la décision d’attaquer le fort Sumter allait s’avérer pétri de clairvoyance. Au printemps 1861, l’issue du conflit était cependant loin d’être évidente. La lutte pour les États-frontière, qui allait occuper l’essentiel des mois à venir, serait à ce titre décisive.
cartejuin1861

La situation en juin 1861. Marron : États ayant fait sécession avant le début de la guerre. Rouge : États ayant fait sécession après l'appel aux volontaires du 15 avril 1861. Jaune : États "neutres", ayant refusé d'envoyer des troupes au gouvernement fédéral mais sans faire sécession. Bleu : États restés fidèles à l'Union.

.