Archives_nationales_Paris_hotel_de_RohanProjet né de l’initiative du Président de la République, Nicolas Sarkozy, la Maison de l’Histoire de France ne cesse depuis de provoquer une vive polémique, notamment au sein de la communauté des historiens. Polémique sur la pertinence d’un tel projet, sur les angles choisis, et même sur le lieu. Cette controverse plus que jamais d’actualité pose une fois de plus la question des rapports entre l’histoire et le politique, la légitimité des uns et des autres à dire l’histoire (et quelle histoire ?), ou à légiférer sur des débats historiques.

 

 

Chronologie de la Maison de l’histoire de France

 

Dès 2007, Nicolas Sarkozy, élu Président de la République, lance l’idée d’un « projet de centre de recherche et de collections permanentes dédié à l’histoire civile et militaire de la France ». C’est la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel, qui reçoit la lettre de mission. En novembre, la ministre et Hervé Morin, ministre de la Défense, demandent à Hervé Lemoine, conservateur du patrimoine, de leur proposer « des solutions concrètes en vue de la réalisation de (ce) centre (…) ». Le rapport Lemoine est remis en avril 2008 ; il préconise entre autres « de doter la France du grand musée d'histoire nationale qui lui fait aujourd'hui défaut » ; « d'en faire, grâce aux collections qui y seront rassemblées et à une muséographie évolutive et interactive, un outil pédagogique de diffusion des connaissances sur l'histoire de France » ; « d'assurer la plus large audience possible aux débats critiques sur notre histoire ».

 

En 2009, Nicolas Sarkozy confirme la création d’une « Maison de l’histoire de France » et, dès février, Christine Albanel charge l’historien et ancien Inspecteur général de l’Education Nationale, Jean-Pierre Rioux, de trouver « les sites susceptibles d’accueillir (la) nouvelle institution […] ». Sont proposés les Invalides, le château de Versailles, l’hôtel de Soubise, le château de Vincennes et le château de Fontainebleau.

Le successeur de Christine Albanel, Frédéric Mitterrand, charge Jean-François Hebert, président du château de Fontainebleau, de la préfiguration de la Maison de l’histoire de France. En septembre 2010, Nicolas Sarkozy annonce que le choix du lieu se porte sur le quadrilatère des hôtels de Rohan et de Soubise, aux côtés des Archives nationales.

 

L’année 2011 est décisive : Frédéric Mitterrand met en place le Comité d’orientation scientifique, et en juin est publié l’avant-projet de la Maison de l’histoire de France. Parmi les principaux points, on peut noter l’insistance sur l’ouverture au « grand public » de cette « maison commune » où devront être mis en valeur « des domaines de recherche et des questionnements qui renouvellent l’approche générale de l’histoire de France » à travers différents thèmes (« l’homme et la nature, les faits religieux, l’histoire de l’entreprise, l’histoire des colonies et de l’outremer,… »). Devrait aussi être présentée une « galerie des temps » avec une « dorsale chronologique signalant temps et espaces » et des cellules présentant des « moments d’histoire ». Cet avant-projet se veut également influencé par l’histoire culturelle et postcoloniale, ouvert sur les histoires du monde, tout en valorisant la culture historique française à l’étranger. Le 21 décembre 2011 est présenté au conseil des ministres le décret portant la création de l’établissement public administratif de la Maison de l’histoire de France.

 

Le 10 janvier 2012, le projet définitif de la Maison de l’histoire de France est remis au ministre de la Culture par le Comité d’orientation scientifique. Le 18 janvier, débute au Grand Palais l’exposition « La France en reliefs, de Louis XIV à Napoléon III ».

 

L’ouverture de la Maison de l’histoire de France est prévue pour 2015.

 

La Maison de l’histoire de France, « un projet dangereux » ?

 

Les oppositions au projet apparaissent très rapidement, provenant essentiellement d’historiens, notamment du CVUH. C’est d’abord le rapport Lemoine qui est attaqué, particulièrement la notion – inspirée de Max Gallo- « d’âme de la France ». Dans L’histoire bling-bling (Stock, 2009), Nicolas Offenstadt critique cet « essentialisme étonnant – la France en soi – [qui ramène] le tout […] à une unité psychologique qui relève de la croyance et non de l’exercice du travail historien ». Plus largement, l’historien situe ce projet dans l’action de Nicolas Sarkozy pour « faire renaître le roman national », dans le contexte du débat sur l’identité nationale, entre autres.

 

En avril 2008, Denis Woronoff publie sur le site du CVUH une tribune intitulée « Un Musée pour l’histoire de France ? ». Il s’étonne tout d’abord du fait que l’initiative vient directement du chef de l’Etat, puis il nuance la « crise identitaire » que vivrait la France, et qui serait en grande partie l’une des raisons d’être de cette Maison de l’histoire de France. Selon Woronoff, ce projet est même « ambigu » : « s’agit-il de donner des matériaux et du sens à l’éducation civique ou bien, plus ambitieusement, de construire une histoire démonstrative de la France, sous le patronage un peu erratique de Braudel ? ». De même, il trouve « étrange la notion d’histoire civile et militaire ».210391-offenstadtrioux-une-jpg_104117

 

La fin de l’année 2010 marque une nouvelle offensive contre le projet. Tout d’abord, la publication dans Le Monde d’une tribune, « La Maison de l’histoire de France est un projet dangereux », signée par Isabelle Backouche (EHESS), Christophe Charle (Paris 1), Roger Chartier (Collège de France), Arlette Farge (EHESS), Jacques Le Goff (EHESS), Gérard Noiriel (EHESS), Nicolas Offenstadt (Paris 1), Michèle Riot-Sarcey (Paris 8), Daniel Roche (Collège de France), Pierre Toubert (Collège de France) et Denis Woronoff (Paris 1). Le texte voit un danger dans les trois options du projet : « celle d'une France étriquée, celle du discours rétrograde qui sous-tend la Maison de l'histoire de France, et enfin, celle résultant du lieu d'implantation ». Ainsi, dans le contexte de la mondialisation, « comment penser une "maison de l'histoire" sans travail sur la notion d'Europe, sur ses inflexions, constructions et variations, de même que ses impensés ? ». Cette Maison n’est-elle pas également « la vitrine historique de l'"identité nationale" » ? Enfin, le choix du site qui « se ferait au détriment des politiques de développement actuel des archives qui ont tant besoin de cet espace ». Quelques semaines plus tard, c’est Pierre Nora qui vient ajouter sa voix aux critiques, par le biais d’une lettre ouverte à Frédéric Mitterrand publiée dans Le Monde et sur le site Liberté pour l’histoire (pourtant souvent en désaccord avec le CVUH sur d’autres sujets). L’historien et éditeur se démarque de « l’hostilité de principe de beaucoup d’historiens qui la [la Maison de l’histoire de France] considèrent comme maudite parce qu’elle vient de Nicolas Sarkozy et surtout la déclarent criminelle parce que consacrée à la France et à son histoire ». Pour autant, il considère ce projet coûteux comme « inutile », et surtout pointe « son origine impure et strictement politicienne », rejoignant ici l’avis de Nicolas Offenstadt sur le lien avec le débat sur l’identité nationale. Enfin, il s’oppose lui aussi au choix du lieu d’implantation.

 

Ces deux textes sont suivis par d’autres tribunes, puis en 2011 par l’ouvrage collectif Quel musée pour l’histoire de France ? (A. Colin, 2011), qui appelle non pas à la suppression du projet, mais à un autre projet. Toutefois, la Maison de l’histoire de France ne fait pas l’unanimité contre elle au sein de la communauté des historiens. Outre Jean-Pierre Rioux, la composition du Comité d’orientation scientifique (nommé en janvier 2011) parle d’elle-même : Dominique Borne, Jacques Berlioz, Éric Deroo, Étienne François, Sébastien Laurent, Dominique Missika, Laurent Olivier, Pascal Ory, Jean-Christian Petitfils, Paule René-Bazin, Anthony Rowley, Donald Sassoon, Martine Segalen, Benjamin Stora, Élisabeth Taburet-Delahaye, Laurent Theis, Anne-Marie Thiesse et Emmanuel de Waresquiel. Le tout avec Jean Favier comme président d’honneur.

 

 

Le débat est donc loin d’être clos, et ne le sera probablement jamais. Il est caractéristique des questionnements sur les rapports entre politique et histoire, à l’instar des débats autour des « lois mémorielles ». On peut se demander si un changement de majorité à la tête de l’Etat changerait l’angle choisi, car finalement on a peu entendu les politiques s’exprimer sur le fond de ce projet. Chacun pourra se faire son avis à l’ouverture de la Maison de l’histoire de France, en 2015. En attendant, le site est accessible, en partenariat avec Histoire pour tous.

 

 

 

-          Site du CVUH.

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